
Les médecins généralistes jouent un rôle essentiel dans la reconnaissance précoce du syndrome de Sjögren (illustration).
Maladie de Sjögren : y penser face à la triade sécheresse, fatigue, douleurs
Le syndrome de Sjögren est une maladie auto-immune rare qui se caractérise par la triade syndrome sec-fatigue-douleurs. Le retentissement sur la qualité de vie peut être important et, dans un tiers des cas, il se complique d’atteintes systémiques. Un protocole national de diagnostic et de soins vient d’être publié.
Résumé
La maladie de Sjögren (ou de Gougerot-Sjögren) ou syndrome de Sjögren est une maladie systémique auto-immune rare, dont la prévalence est estimée entre 1/1 000 et 1/10 000. Les médecins généralistes jouent un rôle essentiel dans sa reconnaissance précoce, face à des symptômes évocateurs, mais non spécifiques, ou bien à des atteintes systémiques. Un protocole national de diagnostic et de soins (PNDS) [1], élaboré par le Centre national de référence maladies auto-immunes systémiques rares [2], vient d'être publié pour aider les praticiens dans leur démarche diagnostique et thérapeutique.
Dans sa forme primitive, le syndrome de Sjögren (SSj) est une maladie auto-immune systémique rare, qui touche plus fréquemment les femmes que les hommes (sex-ratio de 9), avec un pic de fréquence autour de 50 ans. La maladie peut toutefois débuter à tout âge, y compris dans l'enfance, et survenir seule ou associée à d'autres maladies auto-immunes systémiques, polyarthrite rhumatoïde (PR) en premier lieu. Dans sa forme isolée ou primitive, sa prévalence est estimée entre 1 pour 1 000 et 1 pour 10 000 habitants, soit quelque 60 000 patients en France
Elle se caractérise cliniquement par la triade syndrome sec-fatigue-douleurs. En l'absence d'atteinte systémique, ce qui est le cas chez 60 à 70 % des patients, la maladie est de très bon pronostic, mais l'impact des symptômes sur la qualité de vie peut être important.
Dans un tiers des cas, le SSj se complique d'atteintes systémiques pouvant toucher les articulations, la peau, les poumons, les reins, le système nerveux central ou périphérique et les organes lymphoïdes avec un surrisque de lymphome B.
Quelle est sa physiopathologie ?
Le SSj est d'origine multifactorielle, faisant intervenir des facteurs génétiques et environnementaux. Un facteur déclenchant infectieux, bactérien et/ou viral, est probable, mais non formellement démontré.
L'hyperactivation des lymphocytes B est une des caractéristiques du SSj. Elle se traduit par la présence d'auto-anticorps (anti-SSA, anti-SSB, facteur rhumatoïde), d'une hypergammaglobulinémie et de centres germinatifs (ndlr : structure dans lesquels les lymphocytes B prolifèrent et produisent des anticorps de haute affinité) ectopiques au sein des glandes salivaires.
L'infiltrat lymphocytaire avec un tropisme pour les épithéliums glandulaires exocrines, en particulier des glandes salivaires et lacrymales, est à l'origine du syndrome sec qui, associé à une fatigue et des douleurs, fait partie de la triade symptomatique de la maladie.
Quand évoquer le diagnostic ?
Le diagnostic de SSj doit être évoqué face à l'association d'une sécheresse buccale, oculaire, cutanée et/ou vaginale, d'une fatigue et de douleurs. « Il s'agit toutefois de symptômes très fréquents en population générale, dont la prévalence augmente avec l'âge, et qui le plus souvent ne sont pas associés à une maladie auto-immune », souligne le Pr Xavier Mariette, coordinateur du centre de référence des maladies auto-immunes rares d'Île-de-France.
Toutefois, face à cette triade symptomatique, certains éléments orientent vers une maladie de Sjögren :
- le sexe féminin (90 % des cas sont des femmes d'une cinquantaine d'années) ;
- la localisation des douleurs, d'horaire inflammatoire, limitées aux articulations et aux muscles des membres ;
- la sévérité de la sécheresse buccale et/ou oculaire, invalidante, obligeant le patient à boire la nuit et à recourir aux collyres lubrifiants oculaires ;
- la présence d'une autre maladie auto-immune connue (polyarthrite rhumatoïde, lupus érythémateux systémique, sclérodermie, myopathies inflammatoires).
Le diagnostic doit aussi être évoqué face à une atteinte systémique ou une complication de la maladie : signes cutanés, essentiellement à type de purpura, signes bronchiques ou pulmonaires, adénopathies, signes neurologiques périphériques : troubles sensitifs ou sensitivo-moteurs, atteinte tubulaire rénale, voire lymphome des parotides.
Troisième motif de découverte de la maladie : des antécédents de gonflements parotidiens itératifs, pouvant notamment conduire des parents à rapporter que leur adolescent « a fait trois fois les oreillons ».
Quels sont les principaux diagnostics différentiels ?
Les symptômes cardinaux de la maladie – sécheresse, douleurs et fatigue –, sont aussi présents dans les syndromes polyalgiques diffus ou fibromyalgiques de physiopathologie mal comprise, ce qui peut conduire à des diagnostics de SSj par excès.
Il faut éliminer les autres causes de sécheresse buccale et oculaire, au premier rang desquelles les causes médicamenteuses, notamment la prise d'atropiniques, d'antidépresseurs imipramiques, de neuroleptiques, d'antiparkinsoniens, d'antalgiques morphiniques ou d'opiacés faibles, d'antiarythmiques de classe 1a, d'antihistaminiques, d'anticholinergiques, ou encore d'isotrétinoïne.
Parmi les causes plus générales de sécheresse : l'âge, la ménopause, le diabète mal équilibré, le stress ou encore certaines habitudes de vie (alcool, tabac, travail sur écran, etc.).
Quel bilan faire en première intention ?
Un bilan immunologique, à la recherche d'anticorps antinucléaires (qui doit être faite sur cellules transfectées avec le gène du SSA/Ro60) et d'une spécificité de type anti-SSA/Ro60 et anti-SSB/La, doit être réalisé en cas d'évocation du diagnostic de SSj.
Ce bilan est associé à la recherche de facteur rhumatoïde, qui est positive dans la moitié des cas (comme dans la PR, mais sans anticorps anti-CCP [ACPA]) et par une électrophorèse des protéines pour détecter une hypergammaglobulinémie polyclonale.
La présence d'anticorps anti-SSA/Ro60 est très évocatrice du diagnostic et doit faire adresser le patient à un centre de référence ou de compétence.
Dans 30 % des cas, il n'y a pas d'auto-anticorps détectables, ce qui n'élimine pas le diagnostic. « Il faut alors que le patient bénéficie d'une biopsie des glandes salivaires accessoires, qui peut être effectuée par un correspondant ORL ou stomatologue en ville ou dans un centre de référence ou de compétence », indique le Pr Mariette.
Dans un futur proche, la réalisation, par un praticien ayant l'expertise de cet examen, d'une échographie parotidienne et sous-maxillaire, dont les critères sont en cours de validation, pourrait permettre de simplifier le triage des patients : en l'absence d'anticorps anti-SSA, la normalité de l'échographie a une excellente valeur prédictive négative.
Comment confirmer le diagnostic ?
Le bilan diagnostique initial est du ressort d'une équipe spécialisée, idéalement au sein d'un centre de référence ou de compétence. Il comprend notamment un examen clinique complet, un bilan biologique (standard et mesurant l'activité lymphocytaire B), un flux salivaire global non stimulé, un examen ophtalmologique avec test de Schirmer (cf. Photo 1) et mesure du score OSS (Ocular Staining Score), et une biopsie des glandes salivaires accessoires.