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Maladie de Sjögren : y penser face à la triade sécheresse, fatigue, douleurs

Le syndrome de Sjögren est une maladie auto-immune rare qui se caractérise par la triade syndrome sec-fatigue-douleurs. Le retentissement sur la qualité de vie peut être important et, dans un tiers des cas, il se complique d’atteintes systémiques. Un protocole national de diagnostic et de soins vient d’être publié.
Isabelle Hoppenot 24 mai 2022 Image d'une montre9 minutes icon 6 commentaires
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Les médecins généralistes jouent un rôle essentiel dans la reconnaissance précoce du syndrome de Sjögren (illustration).

Les médecins généralistes jouent un rôle essentiel dans la reconnaissance précoce du syndrome de Sjögren (illustration).

Résumé
La maladie de Sjögren (ou de Gougerot-Sjögren) ou syndrome de Sjögren est une maladie systémique auto-immune rare, dont la prévalence est estimée entre 1/1 000 et 1/10 000. Les médecins généralistes jouent un rôle essentiel dans sa reconnaissance précoce, face à des symptômes évocateurs, mais non spécifiques, ou bien à des atteintes systémiques. Un protocole national de diagnostic et de soins (PNDS) [1], élaboré par le Centre national de référence maladies auto-immunes systémiques rares [2], vient d'être publié pour aider les praticiens dans leur démarche diagnostique et thérapeutique.

Dans sa forme primitive, le syndrome de Sjögren (SSj) est une maladie auto-immune systémique rare, qui touche plus fréquemment les femmes que les hommes (sex-ratio de 9), avec un pic de fréquence autour de 50 ans. La maladie peut toutefois débuter à tout âge, y compris dans l'enfance, et survenir seule ou associée à d'autres maladies auto-immunes systémiques, polyarthrite rhumatoïde (PR) en premier lieu. Dans sa forme isolée ou primitive, sa prévalence est estimée entre 1 pour 1 000 et 1 pour 10 000 habitants, soit quelque 60 000 patients en France

Elle se caractérise cliniquement par la triade syndrome sec-fatigue-douleurs. En l'absence d'atteinte systémique, ce qui est le cas chez 60 à 70 % des patients, la maladie est de très bon pronostic, mais l'impact des symptômes sur la qualité de vie peut être important.

Dans un tiers des cas, le SSj se complique d'atteintes systémiques pouvant toucher les articulations, la peau, les poumons, les reins, le système nerveux central ou périphérique et les organes lymphoïdes avec un surrisque de lymphome B.
 
Quelle est sa physiopathologie ?
Le SSj est d'origine multifactorielle, faisant intervenir des facteurs génétiques et environnementaux. Un facteur déclenchant infectieux, bactérien et/ou viral, est probable, mais non formellement démontré.

L'hyperactivation des lymphocytes B est une des caractéristiques du SSj. Elle se traduit par la présence d'auto-anticorps (anti-SSA, anti-SSB, facteur rhumatoïde), d'une hypergammaglobulinémie et de centres germinatifs (ndlr : structure dans lesquels les lymphocytes B prolifèrent et produisent des anticorps de haute affinité) ectopiques au sein des glandes salivaires.

L'infiltrat lymphocytaire avec un tropisme pour les épithéliums glandulaires exocrines, en particulier des glandes salivaires et lacrymales, est à l'origine du syndrome sec qui, associé à une fatigue et des douleurs, fait partie de la triade symptomatique de la maladie.

Quand évoquer le diagnostic ?
Le diagnostic de SSj doit être évoqué face à l'association d'une sécheresse buccale, oculaire, cutanée et/ou vaginale, d'une fatigue et de douleurs. « Il s'agit toutefois de symptômes très fréquents en population générale, dont la prévalence augmente avec l'âge, et qui le plus souvent ne sont pas associés à une maladie auto-immune », souligne le Pr Xavier Mariette, coordinateur du centre de référence des maladies auto-immunes rares d'Île-de-France.

Toutefois, face à cette triade symptomatique, certains éléments orientent vers une maladie de Sjögren :
  • le sexe féminin (90 % des cas sont des femmes d'une cinquantaine d'années) ;
  • la localisation des douleurs, d'horaire inflammatoire, limitées aux articulations et aux muscles des membres ;
  • la sévérité de la sécheresse buccale et/ou oculaire, invalidante, obligeant le patient à boire la nuit et à recourir aux collyres lubrifiants oculaires ;
  • la présence d'une autre maladie auto-immune connue (polyarthrite rhumatoïde, lupus érythémateux systémique, sclérodermie, myopathies inflammatoires).
Le diagnostic doit aussi être évoqué face à une atteinte systémique ou une complication de la maladie : signes cutanés, essentiellement à type de purpura, signes bronchiques ou pulmonaires, adénopathies, signes neurologiques périphériques : troubles sensitifs ou sensitivo-moteurs, atteinte tubulaire rénale, voire lymphome des parotides.

Troisième motif de découverte de la maladie : des antécédents de gonflements parotidiens itératifs, pouvant notamment conduire des parents à rapporter que leur adolescent « a fait trois fois les oreillons ».

Quels sont les principaux diagnostics différentiels ?
Les symptômes cardinaux de la maladie – sécheresse, douleurs et fatigue –, sont aussi présents dans les syndromes polyalgiques diffus ou fibromyalgiques de physiopathologie mal comprise, ce qui peut conduire à des diagnostics de SSj par excès.

Il faut éliminer les autres causes de sécheresse buccale et oculaire, au premier rang desquelles les causes médicamenteuses, notamment la prise d'atropiniques, d'antidépresseurs imipramiques, de neuroleptiques, d'antiparkinsoniens, d'antalgiques morphiniques ou d'opiacés faibles, d'antiarythmiques de classe 1a, d'antihistaminiques, d'anticholinergiques, ou encore d'isotrétinoïne.

Parmi les causes plus générales de sécheresse : l'âge, la ménopause, le diabète mal équilibré, le stress ou encore certaines habitudes de vie (alcool, tabac, travail sur écran, etc.).
 
Quel bilan faire en première intention ?
Un bilan immunologique, à la recherche d'anticorps antinucléaires (qui doit être faite sur cellules transfectées avec le gène du SSA/Ro60) et d'une spécificité de type anti-SSA/Ro60 et anti-SSB/La, doit être réalisé en cas d'évocation du diagnostic de SSj.

Ce bilan est associé à la recherche de facteur rhumatoïde, qui est positive dans la moitié des cas (comme dans la PR, mais sans anticorps anti-CCP [ACPA]) et par une électrophorèse des protéines pour détecter une hypergammaglobulinémie polyclonale.

La présence d'anticorps anti-SSA/Ro60 est très évocatrice du diagnostic et doit faire adresser le patient à un centre de référence ou de compétence.

Dans 30 % des cas, il n'y a pas d'auto-anticorps détectables, ce qui n'élimine pas le diagnostic. « Il faut alors que le patient bénéficie d'une biopsie des glandes salivaires accessoires, qui peut être effectuée par un correspondant ORL ou stomatologue en ville ou dans un centre de référence ou de compétence », indique le Pr Mariette.

Dans un futur proche, la réalisation, par un praticien ayant l'expertise de cet examen, d'une échographie parotidienne et sous-maxillaire, dont les critères sont en cours de validation, pourrait permettre de simplifier le triage des patients : en l'absence d'anticorps anti-SSA, la normalité de l'échographie a une excellente valeur prédictive négative.

Comment confirmer le diagnostic ?
Le bilan diagnostique initial est du ressort d'une équipe spécialisée, idéalement au sein d'un centre de référence ou de compétence. Il comprend notamment un examen clinique complet, un bilan biologique (standard et mesurant l'activité lymphocytaire B), un flux salivaire global non stimulé, un examen ophtalmologique avec test de Schirmer (cf. Photo 1) et mesure du score OSS (Ocular Staining Score), et une biopsie des glandes salivaires accessoires.

 
Photo 1 - Test de Schirmer

Le protocole national de diagnostic et de soins (PNDS) rappelle que si la présence d'anticorps anti-SSA est un élément clé du diagnostic, les anticorps devant être pris en compte sont les anti-Ro60 et non pas les anti-Ro52, dont la présence isolée n'est pas spécifique du SSj (ils peuvent être détectés chez des sujets sains ou dans d'autres maladies auto-immunes).

Quelle est l'évolution de la maladie ?
L'évolution et le pronostic de la maladie dépendent notamment de la présence ou non d'atteintes systémiques et du retentissement de la sécheresse oculaire et buccale.

Chez les patients indemnes d'atteinte systémique, l'espérance de vie est comparable à celle de la population générale, mais l'impact des symptômes (qui sont volontiers fluctuants) sur la qualité de vie peut être important.

Une surveillance régulière sur le plan ophtalmologique (risque de kératite invalidante) et dentaire est impérative. Un suivi annuel par le médecin généraliste, complété par un bilan biologique évaluant en particulier la fonction rénale, est préconisé, tout comme un examen dentaire une à deux fois par an. Le patient est adressé au spécialiste tous les deux à trois ans pour rechercher une éventuelle évolution sur le plan systémique.

Les patients ayant un profil immunologique plus actif (positivité des autoanticorps et consommation de complément) et des atteintes systémiques sont plus à risque de développer des complications, notamment à type de lymphome et doivent être surveillés de façon plus étroite par l'équipe spécialisée. « Il s'agit de la maladie auto-immune qui se complique le plus souvent de lymphome avec un risque multiplié par 10 à 15 par rapport à la population générale. Ces lymphomes touchent souvent les parotides, rappelle le Pr Xavier Mariette. Ainsi, un gonflement parotidien (cf. Photo 2) persistant est un signe d'alerte. »

 
Photo 2 - Gonflement parotidien

Quel traitement de la sécheresse buccale, oculaire, vaginale ?
La prise en charge est actuellement le plus souvent symptomatique, mais cette situation pourrait évoluer, car de nombreux essais évaluant de nouveaux médicaments sont en cours.
  • En cas d'hyposialie faible, le traitement se fonde avant tout sur la stimulation salivaire non pharmacologique (bonbons acides sans sucre, pastilles de xylitol, chewing-gum, etc.) et le recours à des substituts salivaires, d'efficacité limitée, mais sans effets secondaires (gel, spray, bain de bouche, idéalement de pH neutre et contenant du fluor et d'autres électrolytes).
    Lorsqu'elle est modérée à sévère, la sécheresse buccale, mais aussi cutanée et vaginale, peut bénéficier d'un traitement par le chlorhydrate de pilocarpine, agoniste muscarinique, qui en France n'est disponible, dans cette indication, qu'à la posologie de 5 mg (SALAGEN), dosage cependant inadapté à l'augmentation progressive des doses lors de l'initiation du traitement (débuté à 2 mg), et qui n'est pas remboursé par l'Assurance maladie.
    « Le recours à des préparations magistrales (gélules de 2 et 4 mg), préconisé pour améliorer la tolérance du médicament, se heurte au problème du remboursement, qui se fait au "bon vouloir" des caisses régionales d'assurance maladie », regrette le Pr Mariette.
    Globalement, ce traitement est efficace et bien toléré chez la moitié des patients, qui sont très soulagés et donc très observants ; il est inefficace dans de 25 à 30 % des cas et entraîne des effets secondaires gênants (sueurs, palpitations) dans un quart des cas.
  • Le traitement de la sécheresse oculaire fait appel en première intention aux larmes artificielles et aux collyres lubrifiants, en privilégiant ceux sans conservateurs. Il est recommandé d'associer les larmes artificielles à des gels lubrifiants plus épais, dont la durée d'action est plus longue. Ils sont généralement à base de polymères ou d'agents visqueux tels que la méthylcellulose ou l'acide hyaluronique.
  • La sécheresse vaginale, qui peut se traduire par un prurit, des brûlures vulvaires ou une dyspareunie, est prise en charge le plus souvent dans le cadre du suivi gynécologique. À côté des mesures de prévention (arrêt du tabac, règles d'hygiène simple, adaptation éventuelle d'une contraception orale) et du chlorydrate de pilocarpine, un traitement hormonal de la ménopause peut être discuté (ou ovules estrogéniques en alternative). De bons résultats peuvent aussi être obtenus avec le recours à des crèmes et ovules à l'acide hyaluronique ou au collagène marin, ou bien à des lubrifiants.
  • Le traitement de la xérose cutanée fait appel aux émollients.

Quelle prise en charge de la douleur ?
En cas de douleurs diffuses chroniques ou de type fibromyalgique, la prise en charge est avant tout non pharmacologique (maintien d'une activité physique adaptée, thérapie cognitive et comportementale). Il faut éviter le recours aux anti-inflammatoires non stéroïdiens, aux corticoïdes et aux morphiniques, et privilégier le paracétamol. Un traitement par gabapentine, prégabaline, duloxétine) ou amitriptyline peut être discuté chez certains patients souffrant de douleurs neuropathiques (cf. VIDAL Reco « Douleur de l'adulte »).

Les douleurs de type inflammatoire, comme les autres manifestations systémiques de la maladie, relèvent d'une prise en charge spécialisée, dont les modalités sont détaillées dans le PNDS. En fonction du type d'atteinte, le traitement comprendra des médicaments anti-inflammatoires utilisés aussi dans d'autres maladies systémiques (hydroxychloroquine, méthotrexate, léflunomide, azathioprine, mycophénolate mofétyl, corticoïdes, rituximab, bélimumab).

Quels conseils au patient ?
Lors de l'annonce du diagnostic, qui doit idéalement faire l'objet d'une consultation dédiée, il est expliqué au patient que le SSj n'est pas une maladie contagieuse ou génétique, et qu'elle n'est donc pas transmissible à l'entourage ou à la descendance.

Il s'agit d'une maladie rare qui nécessite une surveillance clinique générale, biologique, ophtalmologique, odontologique et gynécologique. L'accent est mis sur l'importance de l'hygiène buccale, la sécheresse buccale favorisant les caries.

« Il est important de rappeler qu'en l'absence de complications systémiques (deux tiers des cas), la maladie ne modifie pas l'espérance de vie et que de façon globale, malgré des symptômes parfois très invalidants, elle n'entraînera quasiment jamais de destruction articulaire, ni de paralysie avec handicap moteur, ni de cécité », insiste le Pr Xavier Mariette.

Le patient peut aussi être orienté vers l'association française du Gougerot-Sjögren et des syndromes secs (AFGS), association de patients très active, qui a notamment édité une brochure d'information : le Gougerot Sjögren, 100 questions pour mieux gérer la maladie.  

D'après un entretien avec le Pr Xavier Mariette, hôpital Bicêtre, université Paris-Saclay, Le Kremlin-Bicêtre.

©vidal.fr

Pour en savoir plus
[1] Protocole national de diagnostic et de soins. Haute Autorité de santé, 7 avril 2022
[2] Centre national de référence des maladies auto-immunes systémiques rares.

Pour aller plus loin
  1. Fiche Orphanet Urgences Syndrome de Gougerot-Sjögren primitif, 2022
  2. Vivre avec une maladie rare en France - Aides et Prestations, Les Cahiers d'Orphanet, Série Politique de santé, décembre 2021
  3. Orphanet, portail des maladies rares et des médicaments orphelins
  4. Filière de santé maladies rares (FSMR) FAI2R
  5. Association française du Gougerot-Sjögren et des syndromes secs
  6. Maison départementale pour les personnes handicapées sur le site de la CNSA
  7. Schéma « Parcours de prise en charge d'une personne atteinte d'une maladie rare » ci-dessous d'après Vivre avec une maladie rare en France - Aides et Prestations, Les Cahiers d'Orphanet, Série Politique de santé, décembre 2021.

 
Sources

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clau Il y a un an 0 commentaire associé

Atteinte de cette pathologie vous oubliez un des symptômes majeurs qui est la fatigue qui peut vous clouer sur le canapé en quelques minutes comme si brutalement un sac de 200 kg était posé sur les épaules 

Actuellement également atteinte pulmonaire 

pathologie trop mal connue même des médecins et trop peu d'écoute et de fait de bonne pri

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