#Médicaments #Disponibilité

Pénurie de médicaments : quels risques pour les patients ?

En termes de sécurité des patients, quel est l’impact des ruptures d’approvisionnement concernant les produits de santé ? Dans la perspective de pénuries plus nombreuses dans les mois à venir, que sait-on des risques encourus ?

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Un risque de surdosage ou de perte d'efficacité.

Un risque de surdosage ou de perte d'efficacité.

Résumé

Depuis quelques mois, les acteurs du monde des produits de santé alertent sur le risque d’une explosion du nombre de ruptures d’approvisionnement, temporaires ou durables. Depuis 2019, ce nombre est en constante progression à travers le monde, malgré les mesures de contrôle mises en place par les agences de régulation sanitaire.

Aux causes habituelles de ces ruptures (pénurie de matières premières, hausse imprévue de la demande, carnet de commandes des façonniers saturé) s’ajoutent désormais des causes liées à la pandémie de Covid-19 ou à la déstabilisation des transports internationaux.

Ces difficultés d’accès aux spécialités pharmaceutiques ont-elles un impact en termes de santé et de sécurité des patients ? Une étude récente issue du Réseau français des centres régionaux de pharmacovigilance montre que c’est le cas, avec une augmentation du risque d’effet indésirable, d’aggravation de la maladie, voire de décès, après une substitution imposée par cette pénurie.

Si la situation perdure dans les mois à venir, il sera alors indispensable pour les professionnels de santé et les patients d’exercer une vigilance accrue lors de substitution, pour éviter les surdosages ou les pertes d’efficacité.

Depuis plusieurs années, divers acteurs du monde de la santé tirent la sonnette d’alarme concernant le nombre croissant de médicaments ou de dispositifs médicaux indisponibles de manière durable (« pénurie ») ou temporaire (« tension d’approvisionnement » lorsque le produit n’est plus disponible depuis au moins une semaine).

En mai 2022, l’Académie nationale de pharmacie a publié une alerte [1] dans laquelle elle exprime « sa plus vive inquiétude devant les tensions et les pénuries en matériaux et réactifs nécessaires aux activités de production pharmaceutique, qui ne manqueront pas d’avoir un impact sur l’approvisionnement en médicaments et dispositifs médicaux dans les prochains mois ».

En août 2022, devant les chiffres inquiétants du premier semestre (voir ci-dessous), l’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM) a accru sa pression sur les laboratoires pharmaceutiques pour tenter de prévenir les indisponibilités, en particulier concernant les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) [2, 3].

En octobre 2022, Medicines for Europe, le syndicat européen des fabricants de génériques, a adressé une lettre ouverte à la Commission européenne [4] pour la mettre en garde sur les tensions d’approvisionnement qui risquaient de survenir cet hiver, en particulier découlant de l'explosion du prix des matières premières.

Pénuries et tensions d’approvisionnement en constante augmentation

Selon l'ANSM, en 2021, 2 160 références ont fait l'objet de signalements de risques de ruptures et de ruptures de stock, contre 2 446 en 2020, une nette hausse par rapport à 2019 (1 504) et 2018 (871) [5].

En 2022, le GIE GERS (Groupement pour l’élaboration et la réalisation de statistiques) souligne qu'à la mi-août, 12,5 % des références étaient concernées (contre 6,5 % en janvier 2022) [6] dont la moitié était en situation de pénurie avérée
NB : ces augmentations sont également dues à un meilleur signalement des tensions d’approvisionnement et des ruptures par les laboratoires pharmaceutiques, sous l’influence des mesures de prévention et de contrôle mises en place par l’ANSM.

L’augmentation des indisponibilités est un phénomène mondial qui touche préférentiellement les médicaments essentiels, en particulier ceux administrés dans un contexte de médecine d’urgence [7]. Les classes thérapeutiques les plus fréquemment touchées sont les médicaments du système nerveux central (en particulier les antiépileptiques), les anticancéreux, certains antibiotiques, les sérums et immunoglobulines, certains médicaments à visée cardiovasculaire (antithrombotiques et inhibiteurs du système rénine-angiotensine) ainsi que les analogues du GLP-1 (pour un état des lieux actualisé, l’ANSM maintient une liste à jour) [8].

Des causes diverses aggravées par les crises récentes

Les pénuries et tensions d’approvisionnement sont le résultat de nombreuses causes : manque de principes actifs ou de matières premières pour les synthétiser, tensions sur l’approvisionnement en carton, aluminium ou verre, augmentation soudaine de la demande (par exemple les curarisants lors de la première vague de Covid-19), concentration des façonniers et calendriers de production bouclés des mois à l’avance, etc.

Dans son document [1], l’Académie nationale de pharmacie cite des causes récentes qui viennent aggraver les causes préexistantes :

  • arrêts de production liés à la Covid-19 ;
  • priorité donnée aux efforts de production des vaccins anti-Covid-19 avec, en corollaire, une diminution, voire un arrêt de production d’autres types de médicaments considérés comme moins prioritaires ;
  • situation sanitaire en Chine ;
  • situation géopolitique en Ukraine qui frappe la production d'acier (pour les aiguilles et autres dispositifs médicaux métalliques) ;
  • déstabilisation des activités internationales de transport et de fret, aérien comme maritime.

Tous ces facteurs convergent pour augmenter le risque de pénurie.

L'ANSM a aggravé ses sanctions devant la situation alarmante

Depuis 2021, l’ANSM a mis en place des mesures qui ont pour objectif de diminuer le risque de rupture de stock, en particulier concernant les MITM : obligation pour les industriels de disposer de réserves correspondant à deux mois de consommation (voire quatre mois), obligation pour les grossistes répartiteurs de disposer de deux semaines d’avance en termes de stocks, amendes élevées lors de ruptures d’approvisionnement. À noter que les laboratoires pharmaceutiques n’ont pas obligation de maintenir leurs réserves en France, ce qui pose le problème de leur transfert dans un contexte de transports internationaux saturés.

Depuis le 1er octobre 2022, devant la croissance persistante des problèmes d’indisponibilité, le montant des amendes infligées par l’ANSM a augmenté [2, 3] et peut désormais atteindre 20 % du chiffre d’affaires annuel de la spécialité concernée, avec possibilité d’amende quotidienne pendant toute la durée de la pénurie.

Une étude qui évalue l’impact des pénuries sur la sécurité des patients

Quelles sont les conséquences en termes de santé et de sécurité des patients ? Une équipe du CHU d’Angers vient de publier, au nom du Réseau français des centres régionaux de pharmacovigilance, une étude observationnelle [9] sur les effets indésirables signalés en lien avec une rupture d’approvisionnement d’un médicament. Cette enquête a exploité les données de la base nationale de pharmacovigilance depuis 1985 : 462 cas faisant référence à une pénurie de médicaments ont été identifiés (dont 70 % entre 2014 et 2019, à l’image de l’augmentation récente des tensions d’approvisionnement).

Ces pénuries touchaient des médicaments du système nerveux (22 % des cas identifiés, surtout des antiépileptiques), ou à visée cardiovasculaire (16 %), des anti-infectieux (14 %, sérums et immunoglobulines), etc. Les patients avaient un âge médian de 61 ans (52 % de patientes). Dans 93 % des cas, la spécialité indisponible a été remplacée par une autre de la même classe thérapeutique et, pour 41 % des cas, par un principe actif différent.

Sur les 462 cas identifiés (726 effets indésirables), 21 % présentaient des symptômes neurologiques, 14 % des symptômes cutanés ou sous-cutanés, 13 % des symptômes généraux, 8 % des symptômes gastro-intestinaux. Dans la moitié des cas, ces effets indésirables étaient graves. Dans 16 % des cas, une aggravation de la maladie a été constatée en lien avec une absence d’efficacité du médicament de substitution. Dix-huit cas mettant en danger le pronostic vital ont été signalés, ainsi que neuf décès deux par surdosage de lomustine, un par surdosage de scopolamine).

Quarante-neuf cas étaient dus à une pénurie d’acide valproïque ou d’un de ses dérivés, ou de phénytoïne : dans 59 % des cas, la substitution s’est révélée toxique et inefficace dans 30 % des cas. Trente-huit cas résultaient du manque de dexchlorphéniramine IV, dont la substitution par la prométhazine a été source d’effets indésirables neurologiques.

De plus, dans 88 % des cas, l’origine était une erreur humaine, de la part des professionnels de santé ou des patients.

Ces résultats rejoignent ceux d’autres travaux liant pénurie de médicaments et mise en danger des patients. Par exemple, une étude américaine de 2017 menée dans 26 hôpitaux a mis en évidence une augmentation de la mortalité liée à un choc septique contemporaine d'une pénurie d’adrénaline [10].

En conclusion, dans les mois qui viennent, il est probable que l’accroissement des ruptures d’approvisionnement annoncées par divers acteurs du monde des produits de santé aura un impact négatif sur un nombre croissant de patients, en particulier dans un contexte de médecine d’urgence, mais aussi pour les personnes vivant avec une maladie chronique. Une grande vigilance devra être appliquée lors de substitution pour éviter les surdosages ou les pertes d’efficacité.

De plus, dans le contexte inflationniste actuel, la question du prix des médicaments génériques remboursables, à marge brute plus faible et à prix contrôlés, devra être rapidement prise en compte par les autorités pour éviter que les fabricants n’orientent leurs productions vers les pays les plus généreux.

Sources

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