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Sevrage cortisonique chez l’adulte : mode d’emploi

La prescription d’une corticothérapie prolongée est fréquente, mais lorsqu’il faut arrêter le traitement, comment éviter l’effet rebond de la maladie initiale et la survenue d’une insuffisance surrénalienne aiguë ?  

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Une décroissance progressive des doses.

Une décroissance progressive des doses.Zerbor / iStock / Getty Images Plus / via Getty Images

Résumé

Alors que la prescription d’une corticothérapie prolongée par voie orale est fréquente, l'insuffisance surrénalienne postcorticothérapie est rare, mais potentiellement grave.

L’arrêt d’un traitement corticoïde au long cours doit être progressif (décroissance initiale rapide puis par paliers) et étalé dans le temps pour permettre aux surrénales de reprendre leur fonctionnement normal, avec une vigilance accrue à la dose charnière de 5 mg/j d’équivalent prednisone.

Un dosage de la cortisolémie le matin à 8 h, à l’arrêt des corticoïdes, permet le plus souvent de guider la conduite à tenir.

En cas d’insuffisance corticotrope, une supplémentation par hydrocortisone (produit de synthèse équivalent au cortisol sécrété normalement par les surrénales) est proposée, à la dose de 20 mg/j, dans l’attente de la récupération de la fonction surrénalienne. Ce processus délicat nécessite un ajustement au cas par cas et un suivi médical attentif, afin d’éviter à la fois l’insuffisance corticotrope et le rebond de la maladie initiale.

La prescription d’une corticothérapie prolongée n’est pas si rare en pratique médicale. Lorsqu’il faut l’arrêter, il est nécessaire de diminuer progressivement les doses. Mais pourquoi et comment ? Explications du Dr Bruno Donadille, endocrinologue à l'hôpital Saint-Antoine (Paris). 

VIDAL. Il est d’usage d’arrêter progressivement une corticothérapie prolongée. Pourquoi ?

Dr Bruno Donadille - Une corticothérapie prolongée orale est généralement arrêtée progressivement, car il existe d’une part un risque de rebond de la maladie initiale et, d’autre part, un risque d’insuffisance surrénalienne aiguë potentiellement grave (cf. Illustration). Son incidence est toutefois mal connue, notamment en raison de l’ambiguïté de sa définition, biologique et/ou clinique et des populations cibles hétérogènes.

Un traitement au long cours par corticoïdes est très majoritairement prescrit à dose supraphysiologique. Il va donc exercer un rétrocontrôle négatif sur l’axe hypothalamo-hypophysaire, responsable d’une insuffisance surrénalienne dite secondaire, par opposition à l’insuffisance surrénalienne primaire de la maladie d’Addison.

Cette situation va aboutir à une atrophie du cortex surrénalien.

Si la récupération ultérieure de la fonction corticotrope, même après un traitement corticoïde prolongé, est la règle, elle peut cependant prendre plusieurs mois. Pour cette raison et surtout pour éviter un rebond de la maladie initiale, l’arrêt du traitement ne doit pas être effectué de façon brutale, mais en diminuant graduellement les doses.

Dans ce contexte, il est important de dépister des comorbidités à risque d’être impactées par une décompensation surrénalienne et de savoir évoquer ce diagnostic devant des signes ou symptômes non spécifiques, se confondant parfois avec les symptômes de la maladie initiale (asthénie, arthralgies, myalgies…) (cf. Encadré 1).

Ce d’autant qu’un syndrome de sevrage témoignant d’une dépendance aux corticoïdes (corticodépendance) peut également survenir sans altération de la fonction hypothalamo-hypophyso-surrénalienne, mais avec des symptômes similaires.

L’arrêt d’une corticothérapie prolongée doit donc être prudent et encadré par un médecin.

À partir de quelle durée de traitement parle-t-on de traitement cortisonique prolongé ?

En théorie, le risque d’insuffisance surrénalienne aiguë existe quelle que soit la durée, la nature, la dose, la voie d’administration. Cependant, ce risque est majeur en cas de traitement > 3 mois (a fortiori > 12 mois) et ce, quelle que soit la dose.

Il s'agit d'une urgence vitale qui nécessite un traitement immédiat [1].

Généralement chez l’adulte, une corticothérapie de moins de 3 mois ne justifie qu’une information/éducation du patient sur les signes d’alerte de la survenue d’une insuffisance surrénalienne qui nécessite de consulter rapidement un médecin pour éviter une décompensation aiguë.

La stratégie du sevrage s’effectue-t-elle au cas par cas, ou existe-t-il des recommandations sur lesquelles s’appuyer ?

Le sevrage d’une corticothérapie est une circonstance fréquente, dont la pratique est rarement détaillée dans la littérature médicale. Chaque cas est particulier, car le risque dépend de la maladie initiale, de l’exposition aux corticoïdes (nature, posologie, durée…), de la susceptibilité individuelle et des comorbidités.

Néanmoins, des recommandations de pratique clinique sur ce thème ont été établies dans le dernier consensus de la Société française d’endocrinologie (SFE) publié en 2018 [2].

En principe, pour les traitements longs (> 3 mois), il est nécessaire d’ajouter une supplémentation en hydrocortisone au cours de la période de diminution du traitement cortisonique. Ce produit de synthèse remplace l’hormone naturellement produite par la zone fasciculée du cortex surrénalien, le cortisol (cf. Encadré 2).

Le consensus de la SFE, laisse le choix au prescripteur entre deux possibilités :

  1. l’information/éducation du patient et la prescription d’hydrocortisone uniquement en cas de stress (cf. Encadré 3). Cependant, cette attitude peut  exposer le patient à un risque non évaluable, mais réel, d’insuffisance surrénalienne aiguë (avec un risque médico-légal).
  2. l’information/éducation du patient et la prescription systématique d’une petite dose d’hydrocortisone quotidienne (10-15 mg/j en 1 ou 2 prises). Toutefois, cette attitude plus prudente peut exposer le patient à une aire sous la courbe de l’exposition aux glucocorticoïdes plus élevée.

Il n’y a pas d’études à long terme comparant les différentes méthodes de sevrage.

Quelle que soit la stratégie adoptée, les paliers de décroissance doivent être maintenus plus longtemps au fur et à mesure que l’on réduit la dose.

Par exemple :

  • Pour une dose > 40 mg/j d’équivalent prednisone (cf. Encadré 2) : réduction de 5-10 mg toutes les 1-2 semaines ;
  • Pour une dose de 20-40 mg/j : réduction de 5 mg/j toutes les 1-2 semaines ;
  • Pour une dose de 10-20 mg /j : réduction de 2,5 mg toutes les 2-3 semaines ;
  • Pour une dose de 5-10 mg /j : réduction de 1 mg toutes les 2-4 semaines ;
  • Pour une dose < 5 mg /j : décroissance plus lente, de l'ordre de 0,5 mg toutes les 2-4 semaines (cf. Tableau 3 [4]).

Quelle est la dose minimale quotidienne pour laquelle il faut être particulièrement vigilant ? Et comment arrive-t-on à arrêter le traitement cortisonique ?

La dose charnière pour laquelle la vigilance est recommandée se situe aux alentours de 5 mg/j d’équivalent prednisone (correspondant à 20 mg d’hydrocortisone), qui est le seuil des besoins physiologiques quotidiens en cortisol.

Pour effectuer le sevrage à partir de cette dose de 5 mg/j, la SFE laisse le choix au prescripteur entre :

  1. une information (au mieux, si disponible, une éducation thérapeutique) du patient, avec prescription d’une prise d’hydrocortisone uniquement en cas de situation de stress, c’est-à-dire en le sensibilisant à la définition d’une insuffisance surrénalienne aiguë et ses facteurs déclenchants (cf. Encadré 3), ainsi qu’à la conduite à tenir.
  2. une information/éducation et le remplacement des 5 mg/jour d’équivalent prednisone par 20 mg d’hydrocortisone/j avec évaluation itérative tous les 3-6 mois de l’axe corticotrope, jusqu’à la récupération de la fonction surrénalienne.

L’objectif est de définir individuellement la dose la plus faible d’hydrocortisone quotidienne qui convient au patient pour favoriser la récupération de son axe corticotrope, mais sans le surdoser.

Les 20 mg/j d’hydrocortisone peuvent être administrés en une seule prise le matin pour favoriser l’observance, ou en plusieurs prises avec la dose la plus élevée le matin (15 mg le matin - 5 mg à midi), afin de mimer le pic physiologique matinal de cortisol.

Un dosage de la cortisolémie est-il nécessaire au moment de l’arrêt d’une corticothérapie prolongée ?

Lorsque la décroissance de la corticothérapie permet d’atteindre le seuil physiologique (20 mg d’hydrocortisone ou 5 mg d’équivalent prednisone), il est nécessaire de savoir « où en est le patient ». L’évaluation de la fonction corticotrope repose sur le dosage du cortisol basal le matin à 8 h, au moment de la journée où sa concentration est normalement la plus haute.

En cas de valeur limite, un test de stimulation à l'ACTH (test au SYNACTENE) se discute.

Cette évaluation hormonale doit être proposée au moment de l’arrêt du corticoïde de synthèse, dans l’objectif de vérifier la bonne reprise de la fonction surrénalienne, de dépister les patients ayant une comorbidité qui les expose à un risque de décompensation aiguë et qui bénéficieront d’un traitement substitutif par hydrocortisone.

Le bilan hormonal nécessite certaines précautions : il doit être effectué dans un laboratoire spécialisé, à 8 heures du matin, en sachant  que la cortisolémie peut être perturbée en cas de travail de nuit. De plus, le prescripteur doit tenir compte des situations qui peuvent modifier le taux de la protéine porteuse du cortisol (80 % du cortisol circulant est lié de façon spécifique à la transcortine ou cortisol binding globulin [CBG] et 10-15 % de façon non spécifique à l’albumine). Ainsi, la grossesse, une contraception estroprogestative ou certains médicaments inducteurs enzymatiques peuvent majorer la CBG et augmenter artificiellement la cortisolémie totale.

Une fois les conditions du dosage posées, vient l’interprétation de la cortisolémie :

  • au-dessus de 500 nmol/L (18 µg/dL), la cortisolémie est normale et une insuffisance surrénalienne est exclue ;
  • en dessous de 138 nmol/L (5 μg/dL), l’insuffisance surrénalienne est établie, sans nécessité d’autre test ;
  • si la cortisolémie est intermédiaire (138-500 nmol/L, soit 5-18 µg/dL), la réalisation d’un test de stimulation à l'ACTH (test au SYNACTENE 250 μg) est nécessaire. Il consiste en une injection intramusculaire (ou intraveineuse) de SYNACTENE 0,25 mg/1 ml avec mesure de la cortisolémie 60 minutes après. Il n’y a pas de consensus en faveur du recours au SYNACTENE plus faiblement dosé (1 μg) ni avec un dosage à 30 minutes.

Ce test permet de savoir si la réserve surrénalienne est suffisante :

  • si la cortisolémie se situe au-dessus de 500 - 550 nmol/l, le test au SYNACTENE est normal et l'hydrocortisone peut être arrêtée ;
  • si la cortisolémie se situe en dessous de 500-550 nmol/l (<18 µg/dl) : le test au SYNACTENE est anormal et confirme la persistance d’une insuffisance surrénalienne. La prise d’hydrocortisone est alors prolongée de 3 à 6 mois et un autre test effectué après ce délai puis, à intervalles réguliers, jusqu’à récupération d’une fonction corticotrope normale ;
  • enfin, si le test au SYNACTENE est normal, mais que les signes cliniques sont évocateurs d’une insuffisance corticotrope, le consensus de la SFE recommande une prise en charge endocrinologique spécialisée afin de discuter la réalisation d’une hypoglycémie insulinique ou un d’un test à la métopirone.

Quels conseils donner aux patients ?

L’information/éducation thérapeutique du patient est primordiale. Le patient doit, en particulier :

  • connaître sa pathologie et son traitement ;
  • savoir qu’il ne faut pas arrêter brutalement une corticothérapie prolongée afin d’éviter une insuffisance surrénalienne corticotrope et le rebond de la maladie ;
  • savoir qu’un suivi médical rapproché est nécessaire ;
  • faire parfois appel à un soutien psychologique spécifique, si le fossé entre les attentes du patient qui souhaite arrêter rapidement le traitement et la lenteur du processus, le décourage ;
  • repérer les symptômes d’insuffisance surrénalienne aiguë débutante (cf. Encadré 1) ;
  • être capable d’identifier les situations à risque (cf. Encadré 3) de décompensation surrénalienne ;
  • comprendre la nécessité d’adapter la dose d’hydrocortisone en cas de situation de stress ;
  • avoir chez soi de l’hydrocortisone pour adapter le traitement oral dans les situations à risque de décompensation surrénalienne aiguë et/ou par anticipation d’une telle situation de stress aigu ;
  • agir immédiatement en cas de stress aigu (cf. Encadré 3) et prendre 20 mg d’hydrocortisone (2 comprimés à 10 mg) immédiatement, quelle que soit l’heure, puis tripler la dose habituelle journalière, donc passer à 60 mg/24 h d’hydrocortisone, répartis en 3 prises au cours de la journée (3 fois 20 mg/j) et ce, pendant 2-3 jours. La diminution des doses sera progressive sur quelques jours, avant le retour à la dose habituelle de 20 mg par jour ;
  • savoir qu’en cas de vomissements ou d’impossibilité d’ingérer les comprimés, il faut faire appel à un médecin pour administrer l’hydrocortisone par voie sous-cutanée (100 mg d’hémisuccinate d’hydrocortisone soit 1 ampoule de 2 mL) ;
  • enfin, en cas d’insuffisance surrénalienne aiguë, savoir qu’il est nécessaire de recourir très rapidement aux ressources locales du système de soins (par exemple, appel SAMU, consultation d’urgence du SAU) [1].

Quels sont les messages clés pour les professionnels de santé ?

  • Il n’existe pas de schéma unique pour le sevrage cortisonique ;
  • L’arrêt des corticoïdes doit être progressif ;
  • Les paliers doivent durer plus longtemps au fur et à mesure que l’on réduit la dose ;
  • La dose charnière de 5 mg/j d’équivalent prednisone nécessite une vigilance accrue ;
  • Un dosage de la cortisolémie à 8 h doit être réalisé à l’arrêt des corticoïdes ;
  • Il faut informer/éduquer le patient sur les risques, les signes et le traitement de l’insuffisance surrénale ;
  • En cas d’insuffisance corticotrope, l’hydrocortisone est habituellement proposée à la dose de 20 mg/j ;
  • Il faut augmenter la dose d’hydrocortisone (60 mg/j) en cas de maladie aiguë infectieuse ou de situation de stress et prévenir l’anesthésiste en cas d’intervention programmée ;
  • Un test au SYNACTENE normal permet l’arrêt de l'hydrocortisone ;
  • Au moindre doute, une prise en charge spécialisée par un endocrinologue est conseillée.

Illustration - Risques du sevrage cortisonique. D'après [4]

 

Encadré 1 - Signes cliniques et biologiques d’insuffisance surrénalienne aiguë corticotrope 

  • Fatigue intense ;
  • Douleurs musculaires diffuses aiguës ;
  • Troubles digestifs (nausées, vomissements, anorexie, diarrhée, douleurs abdominales) ;
  • Hypotension, voire collapsus cardiovasculaire ;
  • Troubles neuropsychiques : confusion, délire, obnubilation, voire coma ;
  • Hyperthermie avec ou sans infection ;
  • Hyponatrémie sans hyperkaliémie, hypoglycémies répétées.

Chaque signe isolé est non spécifique, mais leur association est évocatrice.

N.B. : Il n'y a pas de mélanodermie, alors qu’elle est présente dans l’insuffisance surrénalienne aiguë primitive.

 

Encadré 2 - Les différents types de corticoïdes

  • Le cortisol (hormone naturelle) présente des propriétés glucocorticoïdes et minéralocorticoïdes ;
  • L’hydrocortisone est un produit de synthèse dont l’action est similaire à celle de l’hormone naturelle, le cortisol ;
  • Les corticoïdes utilisés en thérapeutique, encore appelés anti-inflammatoires stéroïdiens, sont des médicaments de synthèse dérivés de l’hormone naturelle (le cortisol), mais qui ont un pouvoir anti-inflammatoire plus marqué et un effet minéralocorticoïde moindre que le cortisol.

Pour standardiser les doses administrées, on raisonne en « équivalent prednisone » [3] :

 

Encadré 3 - Exemples de situations de stress pouvant conduire à une décompensation surrénalienne aiguë

  • Infection ;
  • Fièvre ;
  • Intervention chirurgicale ;
  • Soins dentaires ;
  • Coloscopie ;
  • Traumatismes ;
  • Événements cardiovasculaires ;
  • Stress physique ou psychique (examen scolaire, stress professionnel…) ;
  • Chaleur ;
  • Exercice physique.

D’après un entretien avec le Dr Bruno Donadille, praticien hospitalier, service d’Endocrinologie du Pr Christin-Maitre, centre de référence constitutif des maladies endocriniennes de la croissance et du développement, Filière Firendo, hôpital Saint-Antoine, Paris

Sources

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