#Santé

Drépanocytose : quel rôle pour le médecin généraliste ?

[La drépanocytose concerne quelque 30 000 patients en France. S'ils posent très rarement ce diagnostic, les médecins de ville peuvent parfois être amenés à intervenir dans la prise en charge de cette maladie rare.

Corinne Tutin 16 juin 2022 Image d'une montre10 minutes icon Ajouter un commentaire
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Une intervention possible dans la prise en charge plutôt que dans le diagnostic (illustration).

Une intervention possible dans la prise en charge plutôt que dans le diagnostic (illustration).

Résumé

La drépanocytose est une maladie rare de transmission autosomique récessive, due à une mutation du gène de la chaîne bêta de l'hémoglobine.

Cette altération génétique est responsable d'une déformation des globules rouges (falciformation) à l'origine d'une anémie hémolytique, de crises douloureuses et d'une susceptibilité aux infections.

Comme l'explique le Pr Jean-Benoît Arlet, qui dirige le centre national de référence de la drépanocytose, les médecins généralistes sont exceptionnellement amenés à poser un diagnostic de drépanocytose, qui est habituellement établi à la naissance grâce au dépistage ciblé ou systématique.

Pour les patients drépanocytaires, les médecins généralistes doivent veiller au respect des vaccinations antipneumococcique, anti-Haemophilus, anti-méningococciques et antigrippale, à leur éducation thérapeutique, et éventuellement les aider à obtenir la reconnaissance de leur handicap.
 
Les sujets possiblement porteurs d'un trait drépanocytaire doivent bénéficier d'un dépistage par étude de l'hémoglobine ainsi que les conjoints des malades.
 
Chez les patients, le recours à l'antibiothérapie est nécessaire en cas de fièvre élevée. La présence de râles crépitants doit faire hospitaliser le patient en urgence, car ils peuvent être un signe de syndrome thoracique aigu, complication grave de la drépanocytose.
 
Le traitement de base, l'hydroxyurée, est en général bien toléré, mais doit parfois être suspendu en cas de cytopénies profondes. 

 
Chez l'adulte, l'hémoglobine (HbA) comporte quatre sous-unités, deux chaînes alpha et deux chaînes bêta.

Dans la drépanocytose, maladie génétique autosomique récessive, il existe une mutation S du gène de la bêta-globine.

On distingue trois types génétiques de syndromes drépanocytaires majeurs :

  1. homozygote SS (70 % des cas) ;
  2. hétérozygote SC, où C est une autre mutation du gène de la globine (20 % des cas). Ce type à une expression clinique atténuée par rapport à la drépanocytose SS ;
  3. hétérozygote Sbêta° (Sß°) ou Sbêta+ (Sß+).
    Bêta° et bêta+ correspondent, respectivement, à une absence d'expression du gène de la bêta-globine ou à une diminution de son expression (environ 10 % des cas).

En cas de drépanocytose Sß°, où seule l'hémoglobine S est fabriquée du fait de l'absence de chaîne bêta, les symptômes sont assez marqués et proches de ceux de la drépanocytose SS, tandis que les drépanocytoses Sß+, où il reste une petite production de chaîne bêta et d'hémoglobine A, ressemblent davantage aux drépanocytoses SC.

Ces altérations génétiques sont responsables d'une déformation des globules rouges (falciformation), à l'origine d'une anémie (hémolytique), de crises vaso-occlusives douloureuses (le plus souvent osseuses ou abdominales) et d'une sensibilité aux infections.
 
S'agissant d'une maladie génétique récessive, les sujets hétérozygotes AS et AC, ne sont pas malades, mais seulement porteurs d'un trait drépanocytaire.
 
VIDAL : Les médecins de ville sont-ils amenés à faire le diagnostic ?
Pr Jean-Benoît Arlet : Il y a environ 30 000 patients drépanocytaires en France, dont la moitié résident en Île-de-France, et 15 % dans les DROM-COM, essentiellement Martinique Guadeloupe, Guyane, Mayotte, moins souvent La Réunion. Compte tenu de cette faible prévalence, les médecins généralistes voient très rarement des patients drépanocytaires. Il est exceptionnel qu'ils aient à faire un diagnostic de drépanocytose, lequel est massivement établi à la naissance, par dépistage ciblé chez les enfants nés de parents d'origine africaine ou maghrébine en métropole, par dépistage systématique dans les DROM-COM. Plus rarement, la maladie est diagnostiquée à l'hôpital [1] ou dans les centres de référence [2] à l'occasion d'une complication.
 
Un diagnostic en médecine générale est toutefois possible en cas de drépanocytose hétérozygote SC, forme globalement moins grave que la drépanocytose SS avec moins de crises vaso-occlusives, moins d'anémies et parfois même un taux d'hémoglobine normal. Il faut y penser en présence d'épisodes répétés de douleurs osseuses associés à une microcytose chez un sujet originaire d'une zone exposée. Il faut alors demander une « étude de l'hémoglobine » pour établir le diagnostic.
 
Qu'en est-il des hétérozygotes AS ?
Souvent, les laboratoires répondent « drépanocytose AS ou AC », lorsqu'ils repèrent des sujet sains, hétérozygotes AS ou AC. Nous nous battons contre cette formulation inexacte.
Le risque pour ces sujets est en effet de leur attribuer à tort des symptômes de drépanocytose. Les sujets AS, qui sont très nombreux (probablement plus de 500 000 en France, de 10 à 15 % des naissances dans les DROM-COM) sont simplement porteurs d'un trait drépanocytaire et ne sont ni malades, ni anémiques. Il ne faut donc pas les appeler « drépanocytaires », terme réservé aux malades homozygotes ou « double hétérozygotes » (sujets SC).
Chez ces hétérozygotes, les médecins généralistes doivent donc poursuivre les investigations pour trouver la cause d'une anémie (carence en fer, etc.), ou rechercher, comme ils le feraient chez les sujets non porteurs du trait (AA), la cause d'une douleur (maladie rhumatologique, par exemple).

Il faut aussi proposer systématiquement un dépistage aux sujets en âge d'avoir des enfants originaires de régions où la drépanocytose est répandue (
DROM-COM, Afrique sub-sahélienne, Maghreb, Moyen-Orient). Cela vaut également pour les partenaires des personnes AS ou AC, quelle que soit leur origine ethnique, pour déterminer s'ils sont ou non porteurs d'un trait drépanocytaire (ce qui exposerait le fœtus à un risque de drépanocytose dans 25 % des cas). 
 
Une interruption médicale de grossesse (IMG) peut être proposée, si le diagnostic prénatal confirme que l'enfant est SS, la drépanocytose restant une maladie grave, avec une espérance de vie à la naissance estimée autour de 50 à 55 ans. On considère, en métropole, qu'une IMG n'est pas justifiée chez les enfants atteints de drépanocytose SC, l'espérance de vie étant meilleure (de 70 à 80 ans).

Quelles sont les principales manifestations ?
Dans les formes SS, la maladie est hétérogène avec 30 à 50 % de patients ayant de nombreuses crises vaso-occlusives et d'hospitalisations, sources de handicap, et d'autres qui sont moins touchés, souvent grâce à un traitement de fond correctement pris.
Les principales manifestations auxquelles les médecins de ville peuvent être confrontés sont des douleurs osseuses chroniques (notamment de hanche qui doivent faire évoquer une ostéonécrose) et une anémie.
 
Les accidents vasculaires cérébraux (AVC) et les crises vaso-occlusives, dont le syndrome thoracique aigu ([STA], associant un infiltrat pulmonaire et des symptômes évocateurs de pneumonie), en général bruyants, donnent souvent lieu à une hospitalisation. Les conséquences des AVC (autour de 5 % avant l'âge de 18 ans) ne cessent de se réduire grâce à l'amélioration de la prise en charge : utilisation plus large du Doppler permettant de mettre en place rapidement des échanges transfusionnels dès le repérage des lésions.
 
Quid de la prise en charge ?
Son rôle est, outre le dépistage des porteurs et des conjoints, d'accompagner les patients et leur famille sur le plan psychologique, de rappeler les conseils d'hygiène, les signes d'alerte de crises vaso-occlusives et de STA.
 
Chez l'enfant, un projet d'accueil individualisé (PAI) doit être mis en place pour détailler la conduite à adopter en cas de survenue de crises à l'école, préciser les sports qui peuvent être pratiqués.
La prise en charge des soins relève de l'ALD 10. Les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) [3] peuvent être contactées en cas de handicap lié à la répétition des crises, de problèmes orthopédiques consécutifs à des ostéonécroses, etc.
 
Il faut vacciner ces patients contre le pneumocoque, Haemophilus, et tous les types de méningocoques, ces infections étant fréquentes chez les enfants drépanocytaires de moins de 5 ans. Une vaccination antigrippale annuelle ainsi que contre la COVID-19 est requise quel que soit l'âge. En cas de fièvre, le médecin généraliste doit administrer rapidement des antibiotiques (amoxicilline), notamment en cas d'infection à pneumocoque, en veillant à ausculter les poumons. La présence de râles crépitants est en effet un « drapeau rouge », qui doit conduire à hospitaliser le patient en urgence, un syndrome thoracique aigu (STA) nécessitant des transfusions étant en cause plus d'une fois sur deux.
 
Où en est-on sur le plan thérapeutique ?
L'hydroxyurée (SIKLOS, HYDREA) reste le traitement phare de la drépanocytose. Globalement, c'est un médicament bien toléré, à renouveler pour que le patient ne l'arrête pas. Il est toutefois possible de le suspendre quelques jours, le temps que le malade prenne contact avec son médecin référent, en cas de baisse des polynucléaires neutrophiles à moins de 1 500/mm3, de plaquettes à moins de 100 000/mm3, d'hémoglobine à moins de 6 g/dL.
 
Les échanges transfusionnels sont proposés, souvent ponctuellement, dans les formes graves : AVC, STA. Environ 10 % des malades en reçoivent régulièrement toutes les 4 à 6 semaines, à l'origine d'une surcharge en fer et ont alors besoin d'un chélateur du fer.
 
Moins d'une petite centaine de patients sont aussi traités en France par crizanlizumab, un anticorps monoclonal, qui limite l'adhérence des globules blancs et des globules rouges à la paroi vasculaire en se liant avec la P-sélectine. Ce médicament, administré par voie intraveineuse, diminue le nombre de crises vaso-occlusives, mais n'a pas d'effet sur l'hémoglobine. Très onéreux (près de 50 000 euros par an et par patient), il est prescrit aux patients non transfusables facilement ayant une forme grave de drépanocytose (NDLR le 26 mai 2023, l'Agence européenne des médicaments a recommandé le retrait de l'AMM d'ADAKVEO [crizanlizumab] en raison d'une balance bénéfice-risque désormais jugée défavorable).

Le voxélotor (OXBRYTA) a une autorisation de mise sur le marché (AMM) européenne, mais est en attente de prix en France où il est disponible sous forme d'autorisation temporaire d'utilisation (ATU). Ce médicament oral augmente le taux d'hémoglobine en stabilisant l'HbS et en évitant sa falciformation, mais n'a pas encore démontré d'effet significatif sur les crises vaso-occlusives. Il est prescrit à une frange de patients très anémiques non transfusés, ne pouvant ou ne voulant pas recevoir d'hydroxyurée.
 
La recherche thérapeutique est active et d'autres médicaments devraient apparaître sur le marché.

L'allogreffe de moelle osseuse était jusqu'ici peu pratiquée chez l'adulte et réservée à des patients ayant de nombreuses crises vaso-occlusives ou nécessitant des transfusions fréquentes en raison d'un très haut risque d'AVC, car elle nécessite un conditionnement de la moelle par chimiothérapie. Mais, ses indications devraient s'élargir parce que le conditionnement s'est beaucoup allégé et que l'allogreffe débouche sur plus de 90 % de guérisons chez l'adulte (et même 98 % chez l'enfant). Compte tenu du prix des nouveaux traitements, elle pourrait retrouver une place intéressante d'un point de vue économique (coût de 80 000 euros environ).
 
La thérapie génique avec transfert d'un gène d'HbA est également efficace et a obtenu une AMM aux États-Unis, chez des patients n'ayant pas de donneur pour la greffe de moelle. Mais, elle n'est pas encore accessible en France et elle a l'inconvénient d'exiger une chimiothérapie altérant la fertilité.
 
D'après un entretien avec le Pr Jean-Benoît Arlet, médecine interne, hôpital européen Georges-Pompidou, université de Paris.
 
©vidal.fr

Pour en savoir plus
[1] Centre de référence adulte de Paris - Hôpital  Georges Pompidou
[2] Liste des centres de référence et de compétence
[3] Maison départementale pour les personnes handicapées (MDPH) sur le site de la CNSA

 
Pour aller plus loin

  1. Protocole national de diagnostic et de soins (PNDS) Drépanocytose. Haute Autorité de santé (HAS), 2010.
  2. Filière de santé maladies rares (FSMR) maladies constitutionnelles rares du globule rouge et de l'érythropoièse (MCGRE)
  3. Orphanet, portail des maladies rares et des médicaments orphelins
  4. Fiche Orphanet Urgences « Drépanocytose », 2021
  5. Cahier Orphanet « Vivre avec une maladie rare en France », mise à jour 2021
  6. Fiche Orphanet Focus handicap « Drépanocytose », 2019
  7. Association de patients : SOS Globi
  8. Schéma « Parcours de prise en charge d'une personne atteinte d'une maladie rare » ci-dessous, d'après Vivre avec une maladie rare en France - Aides et Prestations, Les Cahiers d'Orphanet, Série Politique de santé, décembre 2021 :

 

 


 

 

 

Sources

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