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COVID-19 : le point sur la question des réinfections

La fréquence des réinfections par SARS-CoV-2 est, depuis le début de la pandémie, un sujet à la fois d’inquiétude et de controverses. Difficiles à caractériser de manière certaine, ces réinfections ont néanmoins fait l’objet d’une multitude de publications plus ou moins crédibles. En dépit de ces difficultés méthodologiques, le consensus était qu’elles restaient exceptionnelles.

L’apparition de nouveaux variants et, en particulier, de variants partiellement  immunorésistants portant la mutation E484K, a modifié la donne. Désormais, les cas de réinfection suspectés sont plus nombreux et leur caractérisation plus facile chez les personnes dont le premier épisode de COVID-19 prédate l’apparition de ces nouveaux variants.

Les données obtenues dans le groupe placebo de l’étude sud-africaine du vaccin NOVAVAX ont montré qu’une immunité contre un variant « historique » (Wuhan ou D614G) ne protège pas contre les formes légères à modérées d’une infection par le variant « sud-africain » B.1.351 : 5 % des personnes ayant un antécédent de COVID-19 se sont réinfectés, le même pourcentage que chez celles n’ayant jamais été infectées auparavant. Néanmoins, aucune forme sévère n’a été signalée chez les sujets réinfectés.

Ces nouvelles données indiquent clairement que le risque de réinfection est davantage lié à la dérive antigénique de SARS-CoV-2 vers un profil immunorésistant, plutôt qu’à une immunité acquise déclinante (une diminution des anticorps obtenus après le premier épisode). Elles renforcent l’idée qu’il est indispensable, pour prévenir ces réinfections, d’actualiser la réponse immunitaire (par des rappels de vaccin, adaptés aux nouveaux variants), dans une optique de protection individuelle et aussi de protection collective, en diminuant le risque d’apparition de nouveaux variants immunorésistants (favorisée par une immunité insuffisamment neutralisante).
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La mutation E484K de la protéine S de SARS-CoV-2 semble augmenter considérablement le risque de réinfection par ce virus (illustration).

La mutation E484K de la protéine S de SARS-CoV-2 semble augmenter considérablement le risque de réinfection par ce virus (illustration).


Depuis le début de la pandémie de COVID-19, le spectre des réinfections est régulièrement venu hanter les médias, main dans la main avec le fantôme des anticorps fugaces. Comme l'a écrit la journaliste Katherine J. Wu dans les colonnes du magazine The Atlantic : « À cause de la pandémie, la réinfection est devenue un fouillis sémantique et scientifique. Nouvellement chargée du bagage de la COVID-19, la réinfection a pris un aspect plus terrifiant, soulevant le spectre de cycles de maladie sans fin. Elle s'est trouvée au centre des débats sur les tests, l'immunité et les vaccins ; sa signification, brouillée par des titres inquiétants, est devenue incroyablement mal comprise. Lorsque j'interroge des immunologistes sur la réinfection dans le contexte du coronavirus, beaucoup soupirent ». 
Récemment, un document de synthèse irlandais et un essai clinique vaccinal sud-africain ont apporté de la lumière sur ce théâtre d'ombres et permettent de faire un point documenté sur la question des réinfections, en particulier en ces temps de variants brésiliens (P.1 et P.2) et sud-africain (B.1.351).

Les réinfections dans les autres infections humaines à coronavirus
Avant de se pencher sur le cas de SARS-CoV-2, il est intéressant de rappeler ce que l'on sait des réinfections par des coronavirus des rhumes (HCoV : NL63, 229E, OC43 et HKU1). Une étude néerlandaise a exploité des données sérologiques et cliniques accumulées pendant 35 ans dans une cohorte d'hommes séropositifs pour le VIH (1985-2020). L'équipe a sélectionné une dizaine de patients de leur cohorte selon certains critères : longueur et régularité de leur suivi, absence de maladies intercurrentes durant cette période.
Pendant une trentaine d'années, ces personnes ont eu des prises de sang tous les 3 à 6 mois ce qui a permis de rechercher des augmentations d'anticorps neutralisants contre les HCoV, signalant une probable réinfection. De plus, leurs manifestations cliniques de rhume ont été notées. Un total de 2 473 mois-patients ont été analysés pour l'étude.

Quel que soit le HCoV étudié, des signes de réinfection ont été identifiés, en moyenne tous les 12 mois, malgré la persistance d'anticorps dirigés contre la protéine N du virus concerné (absence de tests relatifs à la protéine S). Aucun cas de réinfection par le même HCoV n'a été rapporté moins de 6 mois après un rhume. Le délai le plus long entre 2 infections était de presque 9 ans (105 mois). De l'aveu des auteurs, leurs données sont néanmoins à prendre avec un peu de recul, du fait de la petite taille de l'échantillon analysé, mais aussi parce que, dans cette cohorte, les rhumes étaient fréquemment liés à une double infection (par exemple, 59,5 % des infections à 229E révélaient une co-infection par NL63 ; 38,5 % des patients infectés par OC43 l'étaient aussi par HKU1).

Ces données rejoignent celles de deux études datant de 1985 et 1990, dans lesquelles des volontaires ont été réinfectés après un rhume à coronavirus 229E, et qui ont également mis en évidence une période réfractaire de 12 mois en moyenne. Cette durée de protection relativement courte pourrait être expliquée par les résultats d'une étude récente qui a montré que 229E évolue régulièrement et que des sérums datant des années 1980 et 1990, efficaces contre les souches de 229E de l'époque, ont considérablement perdu de leur pouvoir neutralisant face aux souches actuelles de 229E. Ce virus présente donc une dérive antigénique qui pourrait permettre des réinfections.

La littérature scientifique ne signale pas de cas documentés de réinfection humaine par SARS-CoV-1, ni par MERS-CoV (mais dans le premier cas, la maladie a rapidement disparu et, dans le second, les clusters étaient sporadiques et concernaient peu de patients). Chez l'animal, l'inoculation de souris par SARS-CoV-1 provoque la production d'anticorps neutralisants, qui empêchent une réinfection pendant au moins 4 semaines (l'étude n'est pas allée au-delà). Concernant MERS-CoV, l'inoculation de lapins déclenche la production d'anticorps non neutralisants. Ces lapins peuvent être réinfectés mais, à la suite de cette réinfection, ils développent, cette fois, des anticorps neutralisants et ne peuvent plus être réinfectés une seconde fois, au moins pendant 5 semaines (de nouveau, pas de challenge plus tardif).

Réinfections par SARS-CoV-2, de quoi parle-t-on exactement ?
La définition d'une réinfection par SARS-CoV-2 varie selon les études, ce qui a fortement brouillé les tentatives d'y voir plus clair. Aujourd'hui, aucun consensus formel n'existe, mais les experts ont identifié une série de critères :
  • deux épisodes de COVID-19 (pas forcément symptomatiques), confirmés par PCR (ou parfois un cas confirmé par PCR chez un patient présentant une sérologie positive) ;
  • un intervalle sans symptômes entre les 2 épisodes suffisamment long (sans consensus sur cette durée). Les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) américains retiennent un délai minimal de 90 jours, délai qui semble validé par la mise en évidence de possibles réactivations pendant cette période ;
  • un ou plusieurs tests PCR négatifs au cours de cet intervalle asymptomatique ;
  • idéalement, un séquençage comparatif des virus identifiés par PCR au cours de chacun des épisodes montrant une différence entre ces séquences plus importante que celle attendue du fait de la dérive génétique naturelle de SARS-CoV-2 (voir ci-dessous).

Peu d'études de cas, voire aucune étude populationnelle, ne respectent l'ensemble de ces critères. Dans sa récente synthèse des travaux visant à évaluer le taux de réinfection en population (voir ci-dessous), la Health Information and Quality Authority (HIQA) irlandaise n'a pu trouver que 4 études de qualité suffisante sur 49 examinées ! Trop souvent, aucune PCR négative n'avait été obtenue après le 1er épisode, aucun séquençage comparatif n'avait éliminé la possibilité d'une réactivation, un délai minimal suffisant entre les épisodes n'avait pas été respecté, etc.

L'écueil de l'évolution naturelle de SARS-CoV-2 : réinfection versus réactivation
Lorsqu'une possible réinfection est suspectée et que des séquençages ont montré des différences génétiques entre les virus isolés au cours de chacun des épisodes, il est essentiel de distinguer une réinfection par un nouveau SARS-CoV-2 d'une réactivation du virus initial entretemps transformé par son évolution naturelle. La vitesse de mutation naturelle de SARS-CoV-2 a été estimée à environ 1,24 x 10-3 substitutions par site et par an (voir ici ou ici).
À titre d'exemple, la réactivation d'un virus ayant naturellement évolué a été observée chez 2 patients sous traitement immunosuppresseur :
  • un patient américain (sous rituximab et éculizumab) ayant eu plusieurs épisodes de COVID-19 sur 5 mois, durant lesquels l'évolution génétique de SARS-CoV-2 a été suivie (57 % des mutations constatées portaient sur la protéine S dont 38 % sur le RBD [Receptor Binding Domain]) ;
  • un patient allemand (sous rituximab et bendamustine) chez qui, 4 mois après un premier épisode, une réactivation a eu lieu avec un virus, dont 12 paires de base avaient muté.

Dans ces 2 cas, la vitesse d'évolution du virus était en ligne avec celle proposée pour SARS-CoV-2. Ces deux observations de persistance du virus, avec évolution au sein de l'organisme, ont apporté de l'eau au moulin des scientifiques, qui suspectent que les malades immunodéprimés pourraient jouer un rôle dans l'apparition de variants immunorésistants.
Ces 2 cas montrent également l'importance d'un séquençage comparatif pour identifier avec certitude un cas de réinfection.

Les premiers cas de réinfection (bien) décrits
Historiquement, les 2 premières observations convaincantes de réinfection ont été décrites au cours de l'été 2020, à Hong Kong et au Nevada (États-Unis) :
  • dans le premier cas, un épisode léger a été suivi d'un second épisode asymptomatique, 142 jours après le premier, avec des PCR négatives entre les deux. Le séquençage a montré des différences significatives entre les virus isolés, excluant une évolution naturelle ;
  • dans le second, il s'agissait de 2 épisodes (modéré puis sévère) séparés de 48 jours au cours desquels une PCR a été négative. De nouveau, le séquençage comparatif a exclu une réactivation d'un virus ayant évolué.

Une observation similaire a également été signalée en Équateur. D'autres ont été rapportées depuis, souvent avec insuffisamment d'informations pour confirmer, de manière certaine, une réinfection. Le plus souvent, les réinfections évoquées étaient moins symptomatiques qu'initialement, voire asymptomatiques et identifiées au décours d'un test PCR effectué en contrôle ou pour des raisons personnelles.
Pour illustrer la difficulté à évaluer le nombre réel de réinfections, signalons que l'agence de presse néerlandaise BNO News maintient deux bases de données sur les réinfections signalées. La première liste les cas « suspectés » et en dénombre 12 846 (dont 36 décès) à la date de publication de cet article ; la seconde, les cas « confirmés » et en dénombre… 64 (dont 2 décès) ! Pour ces derniers cas, l'intervalle médian entre les épisodes de COVID-19 était de 96 jours.

Risque de réinfection : les données avant l'arrivée des variants
Pour évaluer le risque de réinfection, il est indispensable d'essayer de mesurer, dans une population de patients ayant déjà vécu un épisode de COVID-19, le pourcentage de ceux qui ont eu une 2e infection suffisamment caractérisée.
Comme évoqué précédemment, la Health Information and Quality Authority (HIQA) irlandaise a publié, début mars 2021, une synthèse des études visant à mesurer ce risque. En appliquant des critères méthodologiques rigoureux (mais sans exiger l'ensemble des critères définis ci-dessus), elle n'a pu identifier que 4 études de bonne qualité, 1 qatarie et 3 britanniques, dont la durée de suivi médiane était de 4,6 mois après le 1er épisode (1,8-6,7 mois).
  • Selon le travail qatari, mené sur 43 044 patients ayant eu une COVID-19, le risque de réinfection est estimé à 0,10 % (IC95% : 0,08-0,11). À noter que, lorsqu'un séquençage comparatif a été possible, seulement un tiers des réinfections « probables » a été confirmé. Cette valeur d'un tiers rejoint celle, estimée précédemment par la même équipe sur 133 226 patients, où le risque de réinfection avait été estimé à 0,02 % (IC95% : 0,01-0,02nb; étude non examinée par la HIQA).
  • Selon la première étude britannique, menée sur 1 038 patients, le risque de réinfection était de 0 % (IC95% 0-0,04).
  • Selon la deuxième étude britannique, ayant porté sur 1 265 personnes, ce risque, ajusté pour l'âge, le sexe et le mois de test, était de 0,11 % (IC95% : 0,03-0,44).
  • Enfin, selon la troisième étude britannique, menée sur 6 614 patients, le risque de réinfection « possible » était de 0,17 % (IC95% : 0,13-0,24) et de réinfection « probable » de 0,01 % (IC95% : 0-0,03). Celui de réinfection « possible » symptomatique était de 0,08 % (IC95% : 0,05-0,13) (absence de données pour le risque de réinfection « probable » symptomatique).

Par ailleurs, en Autriche, un travail (non examiné par la HIQA), ayant concerné 14 840 patients, suggère un risque de réinfection de 0,09 % (IC95% : 0,07-0,13).
Ainsi, globalement, au cours de l'année 2020, dans les 5 mois suivant un premier épisode, il semble que le risque de réinfection ait été inférieur à 1 pour 1000, possiblement 1 pour 3 000 si l'on se fonde sur les séquençages comparatifs. Les réinfections symptomatiques semblent encore plus rares. Mais ces chiffres sont à prendre au conditionnel, aucune étude populationnelle n'ayant appliqué l'ensemble des critères indispensables à la confirmation définitive d'une réinfection.

Les apports d'une étude danoise sur plus de 4 millions de personnes
Il existe deux biais qui peuvent sous-estimer le nombre de réinfections :
  • celles-ci ont davantage tendance à être identifiées lorsqu'elles sont symptomatiques, tandis qu'une réinfection asymptomatique passera inaperçue ;
  • idem lorsque l'épisode initial a été asymptomatique (ce qui concernerait 15 % des cas de COVID-19), la réinfection passant alors pour un épisode initial, sauf si une sérologie a été effectuée entretemps.

Le 17 mars 2021, The Lancet a publié une étude danoise, qui a porté sur l'ensemble des tests PCR réalisés dans ce pays depuis le début de la pandémie (69 % de la population a été testée au cours de cette période, soit plus de 4 millions de personnes), ce qui réduit le biais lié à la sévérité des symptômes observés lors des épisodes de COVID-19.

Selon cette étude observationnelle, sur les 11 068 sujets ayant eu une PCR positive lors de la première vague (avant l'été), 72 ont eu une seconde PCR positive lors de la deuxième (du 1er septembre au 31 décembre 2020, soit avant la prédominance du variant B.1.1.7 dans ce pays). Le taux de réinfection observé est donc de 0,65 % (IC95% : 0,51-0,82).

Dans ce travail, le taux de protection issu d'une première infection est ainsi de 80,5 % (IC95% : 75,4-84,5). Mais, chez les personnes de 65 ans et plus, ce taux est de 47,1 % (IC95% : 24,7-62,8), la première indication d'un risque de réinfection plus élevé dans cette population plus âgée. Les auteurs n'ont pas observé de diminution de la protection sur les 6 mois de suivi de l'étude.

Pour tenter d'expliquer un taux de réinfection (0,65 %) plus élevé que dans les 4 études prises en compte dans la synthèse irlandaise, les auteurs évoquent la possibilité que les personnes ayant eu une PCR positive au printemps aient moins bien respecté les mesures barrières, se sentant protégées. Une autre hypothèse est que l'étude danoise capture mieux les formes asymptomatiques de l'infection que les 4 études sus-citées.

Les réinfections au temps des variants : réinfection par le variant D614G
Les données ci-dessus concernent une période où ne sévissaient pas les 3 variants qui défraient la chronique depuis la fin de l'année 2020. Le variant « historique », D614G, apparu au printemps 2020 dominait le paysage, ayant supplanté le variant « original », dit Wuhan.
Une étude chinoise d'une qualité méthodologique assez moyenne, menée entre janvier et avril 2020 à Pékin, assure avoir saisi 5 cas de réinfections par D614G chez des patients précédemment infectés par le variant Wuhan (mais des données précises sur les séquences observées manquent). Le délai entre les infections (de 9 à 57 jours) ne plaide cependant pas en faveur de véritables réinfections. Un cas similaire, mieux documenté, a été décrit aux États-Unis.

Les réinfections au temps des variants : réinfection par le variant dit « britannique » B.1.1.7
La troisième étude britannique, citée précédemment et la plus récente, a eu lieu de juin à novembre 2020, donc essentiellement avant la prédominance du variant dit « britannique », B.1.1.7. Même si des cas individuels de réinfection par B.1.1.7 ont été décrits, on ne dispose aujourd'hui d'aucune donnée populationnelle sur les réinfections impliquant ce variant, en particulier sur le risque de réinfection chez des patients déjà infectés par D614G ou Wuhan.

Les réinfections au temps des variants : réinfection par le variant dit « sud-africain » B.1.351
Concernant les réinfections par le variant B.1.351 (« sud-africain »), des données précises ont été apportées par l'essai de phase 2a/2b du vaccin NVX-CoV2373 (NOVAVAX), mené en Afrique du Sud. Cette étude a enrôlé 4 387 patients qui ont reçu, pour moitié le vaccin, pour moitié un placebo. Ce groupe placebo est celui qui nous intéresse ici.

Parmi les 2 188 personnes qui ont reçu le placebo, environ 30 % (N=674) avaient, le jour de la 1re injection, des anticorps contre la protéine S du SARS-CoV-2, témoignant d'un antécédent de COVID-19.

Lors du suivi de ces 674 patients, il n'a été montré aucune protection contre une éventuelle réinfection : 5,2 % d'entre eux ont développé un épisode de COVID-19 (14 cas légers, 21 cas modérés) contre 5,3 % (33 cas légers, 47 cas modérés) des personnes qui n'avaient pas d'anticorps contre le SARS-CoV-2 à J0.

Lorsque les virus à l'origine de ces cas ont été séquencés, 92,7 % étaient des variants B.1.351. Ainsi, d'après les auteurs de l'étude, la présence d'anticorps contre les variants Wuhan ou D614G (ceux qui précédaient le début de l'étude NOVAVAX) ne protège pas contre une réinfection par B.1.351, avec un risque de réinfection d'environ 5 %.
Néanmoins, il est à noter qu'aucune des personnes ayant des anticorps à J0 n'avait développé de forme symptomatique de COVID-19 auparavant (elles avaient déclaré ne pas avoir eu de COVID-19 lors du questionnaire d'inclusion), ce qui soulève la question de la qualité de leur immunité humorale, et qu'aucune d'entre elles n'a eu de forme sévère due à B.1.351.

Les réinfections au temps des variants : réinfection par les variants dits « brésiliens » P.1 et P.2
Au Brésil, 2 variants circulent depuis le début de l'hiver : le variant P.1 (ou B.1.1.28.1, apparu à Manaus, souvent appelé « variant brésilien » dans les médias) et le variant P.2 (ou B.1.1.28.2, plutôt dans la région de Rio de Janeiro). Les deux portent, comme B.1.351, la mutation E484K (voir ci-dessous).

Concernant P.1, la réinfection par ce variant a souvent été évoquée pour expliquer la 2e flambée de COVID-19 observée à Manaus en janvier et février 2021, dans une ville où l'immunité collective avait été estimée à 78 % de la population dans une étude très médiatisée (mais remise en cause depuis par les auteurs).
Un cas de réinfection par P.1 a été signalé en janvier 2021 chez un patient brésilien qui avait été infecté 9 mois auparavant par un autre variant (dont l'identité n'est pas précisée), mais, à ce jour, il n'existe aucune preuve convaincante que la 2e flambée à Manaus soit due à des réinfections massives par P.1. D'autres hypothèses (dont l'abandon des mesures barrières à la suite de la médiatisation d'une forte immunité collective largement surestimée) sont possibles.

Concernant P.2, deux publications (ici et ici) ont signalé des cas de réinfection bien caractérisée avec ce variant chez des personnes initialement infectées par un autre variant local (B.1.1.33).

Les réinfections au temps des variants : l'importance de la mutation E484K
Les données sur les réinfections observées au Brésil et, surtout, en Afrique du Sud, sont cohérentes avec celles qui montrent que l'acquisition de la mutation E484K sur le gène de la protéine S entraîne une perte d'efficacité des anticorps neutralisant cette protéine, que ceux-ci soient acquis à la suite d'une infection ou d'une vaccination.
Les informations à ce sujet sont désormais nombreuses. Nous citerons, à titre d'exemple, les données obtenues sur des pseudovirus exprimant la protéine S du variant B.1.351 (« sud-africain ») qui ont échappé à la neutralisation par 48 % des sérums de patients convalescents testés (ainsi que 3 anticorps monoclonaux, dont certains en voie de commercialisation ou commercialisés).

Une autre étude a montré que la présence de E484K peut diviser par 10 l'action neutralisante de certains sérums de patients convalescents sur B.1.351. Des résultats similaires ont aussi été rapportés avec le variant P.1.

Ainsi, il est probable que l'acquisition de la mutation E484K soit à l'origine de l'augmentation du risque de réinfection observée dans l'étude NOVAVAX. Il sera donc intéressant de suivre la situation au Brésil au-delà des cas individuels déjà signalés. Si c'est le cas, l'intégration de cette mutation dans les vaccins contre la COVID-19 de 2e génération devrait logiquement contribuer à réduire le risque de réinfection.

Sur un mode plus spéculatif, se pose la question du rôle de l'immunité de groupe (y compris vaccinale) dans l'apparition de variants portant la mutation E484K. En effet, celle-ci est apparue simultanément dans des pays géographiquement très éloignés et des contextes sanitaires différents (y compris chez le variant « britannique » B.1.1.7 ou le nouveau variant philippin P.3). À ce jour, E484K est l'unique mutation ayant montré, à elle seule (sans intervention d'autres mutations), un effet négatif sur l'immunité acquise. Cette convergence évolutive unique (tous les variants de SARS-CoV-2 qui échappent à l'immunité à travers le monde portent E484K) pourrait indiquer que SARS-CoV-2 ne dispose que d'un répertoire de mutations d'échappement immunitaire assez limité, ce qui serait une excellente nouvelle.

En conclusion, en termes de réinfection, il est possible de distinguer deux périodes :
  • avant l'apparition des variants portant la mutation E484K, les réinfections étaient exceptionnelles, portant probablement sur moins d'un patient sur 3000, voire beaucoup moins ;
  • depuis l'apparition des variants portant la mutation E484K, le risque de réinfection a considérablement augmenté, atteignant environ 5 % pour le variant « sud-africain » B.1.351. Il est probable que ce risque soit également augmenté pour les variants P.1 et P.2.

Cependant, avant de sombrer dans le pessimisme, il convient de garder à l'esprit que les anticorps non neutralisants, ainsi que l'immunité cellulaire, jouent un rôle essentiel dans la réponse immunitaire globale. De fait, dans l'étude menée sur les pseudovirus porteurs de B.1.351, les anticorps non neutralisants ont continué à se lier à d'autres régions de la protéine S. Il est également important de garder à l'esprit que, dans l'étude NOVAVAX, l'absence complète de protection des anticorps neutralisants face à une réinfection par B.1.351 ne s'est pas traduite par l'apparition de formes sévères de la maladie lors de réinfections.

Ces données, fragmentaires du fait de la difficulté à caractériser de manière certaine une réinfection, convergent néanmoins vers un scénario évocateur des infections par les HCoV des rhumes : ces réinfections seraient davantage liées à l'évolution antigénique de SARS-CoV-2 qu'à une éventuelle perte de l'immunité acquise préalablement.
Mais, dans le contexte de la COVID-19, le scénario « naturel » de réinfections régulières (ni forcément symptomatiques, ni forcément sévères), au gré de l'évolution de SARS-CoV-2 sera probablement modifié par les campagnes de vaccination, en particulier par l'actualisation des vaccins en fonction des variants dominants.
La fréquence de ces rappels « actualisés » dépendra de divers facteurs, dont, sans exhaustivité :
  • le nombre total de cas de COVID-19 dans le monde (qui influence directement le risque d'apparition et de stabilisation d'une nouvelle mutation immunorésistante) ;
  • la capacité de SARS-CoV-2 à développer de nouvelles mutations immunorésistantes sans perdre de son infectiosité ou de sa transmissibilité ;
  • et également le nombre de personnes « mal immunisées » contre ce virus (ce qui semble augmenter le risque de sélection d'une mutation immunorésistante).
©vidal.fr

Pour aller plus loin

Sur le fantôme des anticorps fugaces
Persistance et efficacité des anticorps neutralisants contre le SARS-CoV-2 : état des connaissances et leçons des autres coronavirus humains. Vidal Actus, 20 avril 2020;

L'article du magazine The Atlantic
Wu KJ. Coronavirus Reinfection Will Soon Become Our Reality. The Atlantic, 24 février 2021.
 
Sur les réinfections par les coronavirus des rhumes
Edridge AWD, Kaczorowska J, Hoste ACR et al. Seasonal coronavirus protective immunity is short-lasting. Nature Medicine volume 26, pages 1691-1693 (2020).

Callow KA. Effect of specific humoral immunity and some non-specific factors on resistance of volunteers to respiratory coronavirus infection. J Hyg (Lond). 1985 Aug;95(1):173-89.

Callow KA, Parry HF, Sergeant M, Tyrrell DA. The time course of the immune response to experimental coronavirus infection of man. Epidemiol Infect. 1990 Oct;105(2):435-46.

Eguia R, Crawford KHD, Stevens-Ayers T et al. A human coronavirus evolves antigenically to escape antibody immunity. bioRxiv, 18 décembre 2020.

Sur les réinfections par SARS-CoV-1 et MERS-CoV
Subbarao K, McAuliffe J, Vogel L et al. Prior Infection and Passive Transfer of Neutralizing Antibody Prevent Replication of Severe Acute Respiratory Syndrome Coronavirus in the Respiratory Tract of Mice. J Virol. 2004 Apr; 78(7): 3572–3577.

Houser KV, Broadbent AJ, Gretebeck L et al. Enhanced inflammation in New Zealand white rabbits when MERS-CoV reinfection occurs in the absence of neutralizing antibody. PLoS Pathog. 2017 Aug 17;13(8).

Sur la définition d'une réinfection par SARS-CoV-2
Yahav D, Yelin D, Eckerle I et al. Definitions for coronavirus disease 2019 reinfection, relapse and PCR re-positivity. Clin Microbiol Infect. 2021 Mar; 27(3): 315-318.

Sheehan MM, Reddy AJ & Rothberg MB. Reinfection Rates among Patients who Previously Tested Positive for COVID-19: a Retrospective Cohort Study. Clinical Infectious Diseases, 15 mars 2021.

Le document de synthèse irlandais sur les réinfections (HIQA)
Duration of immunity (protection from reinfection) following SARS-CoV-2 infection. Health Information and Quality Authority, Ireland, 8 mars 2021.

Sur la vitesse d'évolution naturelle de SARS-CoV-2
Zhao Z, Li H, Wu X et al. Moderate mutation rate in the SARS coronavirus genome and its implications. BMC Evolutionary Biology volume 4, Article number: 21 (2004).

Li X, Zai, J, Zhao Q et al. Evolutionary history, potential intermediate animal host, and cross-species analyses of SARS-CoV-2. J. Med. Virol. 27 février 2021.

Les deux cas de réactivation chez des patients immunodéprimés
Choi B., Choudhary MC, Regan J et al. Persistence and Evolution of SARS-CoV-2 in an Immunocompromised Host. N Engl J Med. 11 novembre 2020.

Reuken PA, Stallmach A, Pletz MW et al. Severe clinical relapse in an immunocompromised host with persistent SARS-CoV-2 infection. Leukemia volume 35, pages 920–923 (2021).

L'émergence de mutations chez les patients immunodéficients
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Les premiers cas de réinfections bien documentés
To KKW, Hung IFN, Daniel J et al. COVID-19 re-infection by a phylogenetically distinct SARS-coronavirus-2 strain confirmed by whole genome sequencing. Clin Infect Dis. 25 août 2020.

Tillett RL, Sevinsky JR, Hartley PD et al. Genomic evidence for reinfection with SARS-CoV-2: a case study. Lancet Infect Dis, Volume 21, Issue 1, p52-58, 1er janvier 2021.

Prado-Vivar B, Berecca-Wong M, Guadalupe JJ et al. A case of SARS-CoV-2 reinfection in Ecuador. Lancet Infect Dis. 23 novembre 2020.

Les bases de données de l'agence BNO News
Table des cas de réinfection suspectés
Table des cas de réinfection confirmés

Les 4 études retenues par la HIQA
Abu-Raddad LJ, Chemaitelly H, Coyle P et al. SARS-CoV-2 reinfection in a cohort of 43,000 antibody-positive individuals followed for up to 35 weeks. medRxiv, 15 janvier 2021.

Hanrath AT, Payne BAI & Duncan CJA. Prior SARS-CoV-2 infection is associated with protection against symptomatic reinfection. J Infect. 2020 Dec 26;S0163-4453(20)30781-7.

Lumley SF, O'Donnell D, Stoesser NE et al. Antibody Status and Incidence of SARS-CoV-2 Infection in Health Care Workers. N Engl J Med 2021; 384:533-540.

Hall V, Foulkes S, Charlett A et al. Do antibody positive healthcare workers have lower SARS-CoV-2 infection rates than antibody negative healthcare workers? Large multi-centre prospective cohort study (the SIREN study), England: June to November 2020. medRxiv, 15 janvier 2021.

Les autres études populationnelles mentionnées
Abu-Raddad LJ, Chemaitelly H, Malek JA, et al. Assessment of the Risk of Severe Acute Respiratory Syndrome Coronavirus 2 (SARS-CoV-2) Reinfection in an Intense Reexposure Setting. Clin Infect Dis, 14 December 2020.

Pilz S, Chakeri A, Iaonnidis JPA et al. SARS-CoV-2 re-infection risk in Austria. medRxiv, 8 février 2021.

L'étude danoise sur plus de 4 millions de personnes
Hansen CH, Michlmayr D, Gubbels SM et al. Assessment of protection against reinfection with SARS-CoV-2 among 4 million PCR-tested individuals in Denmark in 2020: a population-level observational study. Lancet, 17 mars 2021.


Les réinfections par D614G
Zhang J, Ding N, Ren, L et al. COVID-19 reinfection in the presence of neutralizing antibodies. Natl Sci Rev. 11 janvier 2021.

Goldman JD, Wang K, Röltgen K et al. Reinfection with SARS-CoV-2 and Failure of Humoral Immunity: a case report. medRxiv, 22 septembre 2020.

Les réinfections par B.1.1.7
Harrington D, Kele B, Pereira S etal. Confirmed Reinfection With Severe Acute Respiratory Syndrome Coronavirus 2 (SARS-CoV-2) Variant VOC-202012/01. Clin Infect Dis. 9 janvier 2021

Les réinfections par B.1.351
Shinde V, Bhikha S, Hoosain Z et al. Preliminary Efficacy of the NVX-CoV2373 Covid-19 Vaccine Against the B.1.351 Variant. medRxiv, 3 mars 2021.

Vaccin NOVAVAX NVX-CoV2373 : un nouveau venu sur le podium ? VIDAL Actus, 11 février 2021.

Les réinfections par P.1
Faria NR, Mellan TA, Whittaker C et al. Genomics and epidemiology of a novel SARS-CoV-2 lineage in Manaus, Brazil. medRxiv, 3 mars 2021.

Naveca F, da Costa C, Nascimento V et al. SARS-CoV-2 reinfection by the new Variant of Concern (VOC) P.1 in Amazonas, Brazil. virological.org, 18 janvier 2021

Sur la situation à Manaus
Buss LF, Prete CA, Abrahim CMM et al. Three-quarters attack rate of SARS-CoV-2 in the Brazilian Amazon during a largely unmitigated epidemic. Science. 2020; 371: 288-292

Sabino EC, Buss LF, Carvalho MPS et al. Resurgence of COVID-19 in Manaus, Brazil, despite high seroprevalence. Lancet, Volume 397, Issue 10273, p452-455, 6 février 2021.

Les réinfections par P.2
Resende PC, Bezerra JF, Teixeira de Vasconcelos RH et al. Spike E484K mutation in the first SARS-CoV-2 reinfection case confirmed in Brazil, 2020. virological.org, 10 janvier 2021.

Nonaka CKV, Franco MM, Gräf T et al. Genomic Evidence of SARS-CoV-2 Reinfection Involving E484K Spike Mutation, Brazil. Emerging Infectious Diseases, CDC, Volume 27, Number 5, 19 février 2021.

Sur le rôle de la mutation E484K dans l'échappement immunitaire des variants
Wibmer CK, Ayres F, Hermanus T et al. SARS-CoV-2 501Y.V2 escapes neutralization by South African COVID-19 donor plasma. bioRxiv, 1er mars 2021.

Greaney AJ, Loes AN, Crawford KHD et al. Comprehensive mapping of mutations to the SARS-CoV-2 receptor-binding domain that affect recognition  polyclonal human serum antibodies. bioRxiv, 4 janvier 2021.

De Souza WM, Amorim MR, Sesti-Costa R et al. Levels of SARS-CoV-2 Lineage P.1 Neutralization by Antibodies Elicited after Natural Infection and Vaccination. The Lancet Preprints, 1er mars 2021.

Cele S, Gazy I, Jackson L et al. Escape of SARS-CoV-2 501Y.V2 variants from neutralization by convalescent plasma. medRxiv, 26 janvier 2021.

Weisblum Y, Schmidt F, Zhang F et al. Escape from neutralizing antibodies by SARS-CoV-2 spike protein variants. eLife, 28 octobre 2020

Sur l'intégration de E484K dans B.1.1.7
Investigation of novel SARS-CoV-2 variant - Variant of Concern 202012/01 - Technical briefing 6, Public Health England, 13 février 2021.

Sur le variant P.3 philippin (VUI-21MAR-02)
Confirmed cases of COVID-19 variants identified in UK. Public Health England, 13 mars 2021.


 
Sources

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GORTO Il y a 2 ans 1 commentaire associé

Il y a t'il une mise à jour tenant compte des 3 doses et Omicron?

 

Stephane Korsia-Meffre Autre Il y a 2 ans 0 commentaire associé

Nous n'avons pas fait de nouvel article sur le sujet, pourtant il y aurait beaucoup à dire, tant sur les réinfections que sur les infections perthérapeutiques ("breakthrough infections"). Chez les personnes ayant reçu un schéma vaccinal complet (3 doses de vaccin à ARNm), le risque d'infection perthérapeutique semble tourner autour de 50 % (une personne exposée sur deux) avec le variant Omicron (deux sur trois environ pour le variant Delta). Ce sont des valeurs moyennes, le risque augmente avec le délai depuis la 3e injection.
En termes de réinfections après un épisode Omicron, le taux de réinfection serait de l'ordre de 5 % mais avec le variant BA.2 (données danoises). Cela reste à prendre avec circonspection.

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