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Centres antipoison et de toxicovigilance : une double mission

Les centres antipoison et de toxicovigilance (CAPTV) assurent deux grandes missions : l’évaluation du risque toxicologique, en particulier dans le cadre de l’urgence, et la toxicovigilance.

Isabelle Hoppenot 09 novembre 2023 Image d'une montre9 minutes icon Ajouter un commentaire
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Un champ d'intervention très large couvrant tous les cas d'intoxication.

Un champ d'intervention très large couvrant tous les cas d'intoxication.

Résumé

La France compte huit centres antipoison et de toxicovigilance (CAPTV) répartis sur le territoire métropolitain, rattachés à des centres hospitaliers universitaires.

Ils sont joignables jour et nuit pour évaluer par téléphone le risque toxicologique lié à des expositions humaines, quelles que soient les circonstances et le type de toxique potentiel.

L’avis rendu est gradué : sauf urgence vitale, un appel initial à un CAPTV peut ainsi permettre d’éviter un recours inutile à un service d’urgence.

Les CAPTV assurent également une mission de toxicovigilance, sous la tutelle de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Dans ce cadre, chaque signalement est utile.  

Les centres antipoison et de toxicovigilance (CAPTV) [1] sont des services médicaux qui assurent deux grandes missions : l’évaluation du risque toxicologique, notamment via la réponse toxicologique urgente (RTU) et la toxicovigilance.

Les huit CAPTV français (cf. Illustration) répondent aux appels venant de la métropole et des départements et régions d’outre-mer et collectivités d’outre-mer (DROM-COM). En pratique, pour ces derniers, le centre de Paris est référent pour les appels issus des Antilles françaises et de la Guyane, tandis que Marseille est plutôt en charge de l’océan Indien.

Chacun dispose d’un propre numéro de téléphone à dix chiffres et est référent pour une zone géographique, mais il est possible de joindre n’importe quel centre depuis n’importe où. Le projet d’un système de téléphonie nationale avancée devrait permettre d’optimiser les flux d’appels en fonction de la localisation et de la charge en temps réel de chaque centre.

Illustration - Les centres antipoison en France (sur le site des CAPTV)

Un large champ d’application

Le champ d’application des CAPTV est très large, couvrant tous les cas d’intoxication : médicaments, compléments alimentaires, champignons, plantes, drogues, produits d’entretien ménagers, industriels ou agricoles, animaux, gaz, minéraux…

Les personnes travaillant dans les CAPTV viennent ainsi d’horizons variés, certains à temps plein, d’autres à temps partiel : des médecins, souvent, mais pas exclusivement (réanimateurs, urgentistes, généralistes, médecins du travail), des pharmaciens, des infirmiers, secondés par des étudiants en pharmacie ou en médecine, dans le cadre de l’activité d’enseignement des centres, mais aussi de chimistes. Les personnels administratifs viennent compléter les équipes.

Le système d’information partagé permet de solliciter, si besoin, des collègues d’autres centres ayant une connaissance particulière dans un domaine. Des experts extérieurs bénévoles, inscrits sur une « phytoliste » et une « mycoliste » apportent aussi régulièrement leur expertise pour l’identification, respectivement, des plantes et des champignons.

Les CAPTV assurent deux grandes missions : la réponse toxicologique urgente (RTU) et la toxicovigilance.

Réponse toxicologique urgente, quelle organisation ?

Les CAPTV répondent aux appels 24 heures/24, 7 jours/7, des gardes étant organisées la nuit (de 18h30 à 8h30), les week-ends et jours fériés. Quelle que soit la personne du centre qui prend l’appel, la réponse est toujours sous la responsabilité d’un médecin : il s’agit d’une consultation médicale, soumise à la responsabilité juridique du praticien, et au secret médical. Au vu de l’activité en lien avec les compositions de produits, le secret industriel (« secret du droit aux affaires ») et/ou commercial est aussi assuré.

L’interrogatoire est minutieux et concerne tant le patient (antécédents, traitements habituels, symptômes…) que l’exposition (nom exact du [des] produit(s) en cause, quantité évaluée, durée d’exposition, voie[s]), le tout situé dans une chronologie et dans un contexte (profil et compétences de l’appelant, offre de soin accessible ou non, contexte accidentel ou volontaire, etc.).

En l’absence de données précises, la règle est de considérer le risque comme maximum. Une hospitalisation est ainsi de mise au moindre doute, par exemple, en cas de suspicion d’ingestion de résine de cannabis par un enfant ou de suspicion d’intoxication au monoxyde de carbone après usage de chicha dans un lieu mal ventilé…

Pour répondre aux appels, le système de saisie des cas médicaux, le Système d’information des centres antipoison (Sicap), est relié à une base de données, la Base nationale produits et compositions (BNPC) qui permet la mise à disposition d’informations sur les agents chimiques, notamment la composition confidentielle des produits manufacturés. Le risque s’évalue sur la composition quali-quantitative et non sur le nom commercial. Dans le cadre du soin, les seuls professionnels de santé qui accèdent à ces données confidentielles sont ceux des centres antipoison.

Lorsque le produit incriminé n’est pas répertorié dans la BNPC, le médecin crée un dossier « agent » pour enrichir la base. Si besoin, des contacts sont pris avec d’autres structures en France ou à l’international, pour obtenir la composition exacte des produits. Il s’agit alors d’une véritable enquête, réalisée dans le cadre de la règlementation en vigueur.

Combien d’appels ?

À l’échelon national, les huit CAPTV ont géré, en 2022, 209 000 cas, ce qui représente 564 000 appels entrants et sortants (un même cas pouvant générer plusieurs appels puisqu’un suivi est idéalement systématique, à défaut réalisé pour les cas symptomatiques ou qui risquent de le devenir). Ce chiffre est en hausse depuis dix ou quinze ans, puisqu’il était de 176 900 cas en 2010 et de 203 000 en 2012.

Si les appels entrants durent en général de 5 à 7 minutes, certains sont évidemment beaucoup plus longs. Afin de réduire le délai d’attente, un système national d’optimisation de distribution des appels vers les centres est en cours de test.  

Certains centres ont mutualisé leur activité en période de garde : Nancy avec Paris (depuis 2006) ainsi que Bordeaux avec Lille, et la mutualisation des plages de garde des huit centres nationaux, notamment en nuit profonde, est en projet. Le rythme des gardes est en effet soutenu, en particulier pour les médecins. À Nancy par exemple, ils sont de garde deux à trois fois par semaine, dont un jour de week-end, une semaine sur deux. 

Le CAPTV de Nancy a géré en 2022 plus de 40 000 appels entrants (et plus de 67 000 appels entrants et sortants), correspondant à 26 845 cas. En période de gardes mutualisées (nuits et week-ends), les centres de Paris et Nancy ont la plus grosse activité en France et gèrent en moyenne 650 cas par semaine, sans compter les jours fériés. Lille et Angers, avec respectivement 386 cas et 381 cas en moyenne par semaine en période de garde, sont les deux autres centres les plus sollicités. 

Qui appelle ?

Toujours sur la base des données de 2022, un peu plus de la moitié des appels (53,2 %) émanent des patients ou de leur entourage non professionnel de santé. Un petit tiers des appels (30,7 %) proviennent des professionnels de santé hospitaliers et de secours (SAMU et pompiers). Les professionnels de santé libéraux, dont les pharmaciens de ville, sont à l’origine de 2 % des appels, chiffre comparable à ceux issus des établissements médico-sociaux (2,7 %).

Les produits incriminés sont très variables, mais, sans surprise, la consommation accidentelle de paracétamol par un enfant est un motif récurrent d’appel.

Quel suivi ?

Le médecin du CAPTV peut être conduit à contacter un SAMU ou un service d’accueil des urgences dans les cas qui, a priori, le nécessitent et à donner les informations au médecin qui prend en charge le patient sur les risques et les éventuelles prises en charge, notamment toxicologique lorsque cela s’applique, comme l’administration d’antidotes s’ils existent, en respectant le secret médical et industriel.

De plus, tout cas symptomatique ou ayant conduit à une consultation ou une hospitalisation est suivi par le CAPTV (si besoin jusqu’à la fin de la grossesse s’il s’agit d’une femme enceinte), afin de pouvoir documenter l’évolution vers la guérison, la survenue de séquelles ou parfois le décès du patient. 

À Nancy, un staff réunit toute l’équipe du centre une fois par semaine afin de discuter des cas les plus marquants.

Toxicovigilance, la seconde grande mission

La toxicovigilance consiste en la surveillance des effets toxiques pour l’homme, aigus ou chroniques, d’une substance (ou d’un mélange), naturelle ou de synthèse, disponible sur le marché ou présente dans l’environnement (pollution notamment), non déjà couverte par une vigilance dédiée.

Cette activité vise à la mise en œuvre d’actions d’alerte, de prévention, de formation et d’information. Les cas gérés en réponse toxicologique urgente (RTU) et qui relèvent d’une autre vigilance à cible « produit » sont partagés avec les acteurs concernés (par exemple : un cas médicament à la pharmacovigilance, un cas « nouvelle drogue » à l’addictovigilance, etc.).

L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) coordonne la toxicovigilance au niveau national, ainsi que le lien des centres antipoison avec les autres vigilances à cibles produit, qu’elle en ait la charge (pharmacovigilance vétérinaire, nutrivigilance, réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles, phytopharmacovigilance) ou non (pharmacovigilance, addictovigilance, matériovigilance, etc.).

Deux thématiques de toxicosurveillance sont structurées au niveau national : l’intoxication par le plomb chez les enfants (saturnisme infantile) et l’intoxication par le monoxyde de carbone.

D’une manière générale, pour les personnels des CAPTV, il s’agit d’être attentif à tous les cas d’intoxication qui, de par leur caractère nouveau, inhabituel, grave ou évitable, peuvent constituer un signal sanitaire. La recherche et l’identification dans le Sicap de cas similaires est utile pour infirmer ou confirmer ce signal et, si besoin, des travaux complémentaires sont réalisés par les groupes de travail de l’Anses, auxquels participent les CAPTV.

Parmi les exemples récents d’alerte émanant des CAPTV : les risques de projection accidentelle de solution hydroalcoolique dans les yeux des jeunes enfants et celui d’intoxications liées à l’usage dit récréatif de protoxyde d’azote

Encore plus récemment, à la suite du signalement de cas d’intoxication aux produits utilisés pour lutter contre les punaises de lit, les CAPTV ont rédigé un rapport colligeant tous les cas survenus entre le début de l’année 1999 et la fin de l’année 2021 [2].

BNPC et pharmacothèque, les spécificités du CAPTV de Nancy

C’est le CAPTV de Nancy qui, au-delà de son activité d’évaluation du risque toxicologique et de toxicovigilance, gère la BNPC.

Cette base de données sert de référence à tous les CAPTV en France pour évaluer un risque toxicologique. Elle intègre toutes les informations utiles sur les agents connus pouvant être en cause dans une intoxication, qu’il s’agisse de médicaments, de produits cosmétiques, ménagers ou industriels, de matières premières ou d’agents naturels, etc.

Au 31 décembre 2022, la BNPC comptait 325 645 agents validés, répartis selon leur type, et la pré-BNPC 1 676 464 agents en attente d’intégration provenant des portails de déclaration utilisés par les industriels déclarants : par le passé Déclaration-Synapse et depuis le 1er janvier 2021, le PCN (Poisoning Center Notification) géré par l’ECHA (la European Chemicals Agency).

Le CAPTV de Nancy gère aussi, depuis près de cinquante ans, une pharmacothèque unique en France, qui conserve un exemplaire des spécialités pharmaceutiques solides (comprimés, gélules et ovules), soit actuellement quelque 17 000 spécialités. Cette pharmacothèque avait été créée pour répondre aux besoins des services d’urgence naissants. Elle a été transférée au CAPTV de Nancy à l’occasion de son informatisation.

Chaque spécialité est décrite (forme géométrique, couleur, dimensions, poids, inscriptions, etc.) et photographiée, tâche surtout dévolue aux étudiants en pharmacie en stage dans le service. Les laboratoires pharmaceutiques n’ont pas l’obligation d’envoyer un exemplaire d’une spécialité nouvelle ou simplement modifiée et c’est au CAPTV d’assurer un travail de veille pour repérer les nouveautés et se rapprocher des industriels.

L’objectif : permettre d’identifier un comprimé ou une gélule hors de son conditionnement, retrouvé par un patient dans un pilulier par exemple, mais aussi dans un certain nombre de cas dans un contexte d’urgence (intoxication accidentelle ou volontaire). La réponse donnée préserve toujours le secret médical.

D’après un entretien avec Elisabete Gomes, pharmacienne au CAPTV de Nancy.

 

Sources

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