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Protoxyde d’azote : une utilisation médicale en baisse, un usage récréatif en hausse

Détourné de son usage analgésique et aussi culinaire, le protoxyde d'azote est de plus en plus utilisé chez les jeunes. Ils recherchent dans ce gaz hilarant son effet euphorisant. Mais devant l'explosion de cas d'intoxication graves, les autorités de santé tirent la sonnette d'alarme. 

 
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Les jeunes inhalent le plus souvent le protoxyde d'azote via les cartouches de siphons à usage alimentaire (illustration).

Les jeunes inhalent le plus souvent le protoxyde d'azote via les cartouches de siphons à usage alimentaire (illustration).

 
Résumé 
L'utilisation à des fins médicales du protoxyde d'azote est en baisse, voire a pratiquement disparu du bloc opératoire chez l'adulte, largement en raison de l'impact délétère de ce gaz, troisième contributeur à l'effet de serre, sur l'environnement.

Dans le même temps, son usage détourné à des fins récréatives connaît une forte hausse chez les adolescents et les jeunes adultes avec, pour conséquence, une nette augmentation des notifications d'effets indésirables, parfois graves, qui ont conduit les autorités sanitaires à renouveler leurs mises en garde.

Le protoxyde d'azote (N2O), gaz incolore et inodore, est le plus ancien des agents volatils employés en médecine pour ses propriétés anesthésiques et analgésiques. Son pouvoir anesthésique est toutefois faible et, dans le cadre de l'anesthésie générale, il est surtout utilisé en adjuvant à d'autres anesthésiques, permettant une épargne de ces derniers.

En analgésie, il est employé sous forme de mélange équimolaire avec de l'oxygène (Meopa), surtout en milieu hospitalier, notamment dans les services d'urgence, de pédiatrie ou d'odontologie.  
 
Un profil de tolérance bien connu
Parmi les principaux effets secondaires du N2O : les nausées et vomissements postopératoires (limitant son recours en chirurgie ambulatoire), sa diffusion dans les cavités closes (entraînant des restrictions d'emploi, par exemple en chirurgie digestive), sa toxicité neurologique (il rend la vitamine B12 non fonctionnelle), avec un risque de polyneuropathie et hématologique en cas d'expositions répétées et chroniques.

La pollution au bloc opératoire est un effet indésirable pris en compte depuis de nombreuses années, certaines études chez l'animal — mais sans confirmation de leurs résultats chez l'homme — ayant montré un risque accru de fausses couches en cas d'expositions répétées. Les normes de ventilation au bloc opératoire permettent de minimiser le risque, qui reste potentiellement plus élevé lorsque le N2O est utilisé dans des locaux mal ventilés.

Quasi-disparition au bloc opératoire chez l'adulte
« Alors que hors du bloc opératoire, notamment aux urgences, le Meopa reste intéressant chez l'enfant, en l'absence de produit de remplacement, le recours au protoxyde d'azote en anesthésie générale est largement en baisse depuis près d'une dizaine d'années », indique le Pr Claude Ecoffey, professeur des universités-praticien hospitalier, anesthésiste-réanimateur, responsable du Pôle anesthésie-SAMU-urgences-réanimations, médecine interne et gériatrie du centre hospitalier universitaire de Rennes.

En cause notamment son impact environnemental. « Son utilisation chez l'adulte a quasi disparu dans bon nombre de sites et d'ailleurs la majorité des nouveaux blocs ne sont pas équipés des circuits dédiés à ce gaz », poursuit le Pr Ecoffey, avant de préciser que « chez l'enfant, il garde quelques indications ».

Une enquête menée en 2018 par la Société française d'anesthésie-réanimation (1), à laquelle près de 1 700 anesthésistes-réanimateurs ont participé, avait déjà mis en évidence cette tendance marquée à la baisse du recours à ce gaz en anesthésie générale. Parmi les raisons avancées pour sa non-utilisation : la chirurgie digestive (le N2O est un gaz très diffusible et augmente de ce fait le volume des cavités expansibles comme le tube digestif), la nécessité d'une prévention des nausées et vomissements postopératoires, qui sont l'un de ses principaux effets indésirables, la chirurgie ambulatoire et, pour plus de six praticiens sur dix, son impact environnemental.

Un puissant gaz à effet de serre   
C'est en effet l'impact du N2O sur l'environnement qui est l'un des principaux facteurs ayant conduit à réduire son utilisation. Si les effets délétères du dioxyde de carbone (CO2) sont largement connus du grand public, ceux du N2O le sont beaucoup moins, alors qu'il est pourtant le troisième gaz à effet de serre (GES) le plus présent dans l'atmosphère, après le CO2 et le méthane (CH4). Il serait responsable de 6 % des émissions de GES, avec un pouvoir réchauffant 300 fois plus important que celui du CO2 et une durée de vie plus longue, de 100 à 150 ans. Il participe également à la destruction de la couche d'ozone.

Les émissions de ce gaz auraient augmenté de 30 % au cours des quatre dernières décennies, conséquence notamment de son usage croissant dans l'agriculture, selon une étude publiée dans la revue Nature (2).

Le bilan carbone du CHU de Rennes, réalisé en 2020, a bien souligné l'impact du N2O dans les émissions de GES. Certes, les principaux responsables étaient sans surprise les achats (44 %), les déplacements (37 %) et les énergies (11 %), mais la contribution du N2O était importante : « 2 % du total des GES, proportion qui tombait à moins de 1 % pour le Meopa seul », précise le Pr Ecoffey. 
 
Un usage détourné à partir de cartouches alimentaires
Et c'est dans ce contexte de baisse de l'utilisation du N2O, largement en raison de son impact environnemental, que l'on assiste, de façon plutôt paradoxale pour une génération globalement très sensible à la cause écologique, à une explosion de l'utilisation détournée de ce gaz à des fins récréatives par des adolescents et de jeunes adultes.

Les usagers inhalent le N2O via un ballon rempli à partir d'une cartouche normalement destinée à l'alimentation (siphon culinaire). Ils recherchent l'effet euphorisant et les distorsions sensorielles de survenue rapide, qui peuvent pourtant être vécus de façon désagréable lors d'un geste sous Meopa.  

Cet emploi détourné du N2O, également dénommé « proto » ou gaz hilarant, observé depuis plusieurs décennies, mais initialement limité à certains milieux festifs, s'est étendu depuis quelques années chez les collégiens, lycéens et étudiants. Non sans risque.
 
Des risques immédiats et liés à une utilisation chronique
En effet, l'inhalation du N2O expose à des risques immédiats (asphyxie par manque d'oxygène, perte de connaissance, brûlure par le froid du gaz expulsé de la cartouche, perte du réflexe de toux augmentant le risque de fausse route, désorientation, vertiges et chutes) et des effets liés à des consommations répétées et/ou à forte dose, découlant de son action sur le système nerveux central : maux de tête, vertiges, mais aussi troubles du rythme cardiaque, asphyxie, troubles psychiques et atteintes neurologiques.
 
Des chiffres en hausse
Plusieurs alertes sur le détournement de ce gaz à usage alimentaire ont été émises par les autorités de santé et dans leurs derniers rapports, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) et l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ont publié de nouveaux chiffres (3) sur les cas signalés aux centres antipoison (CAP) et aux centres d'évaluation et d'information sur la pharmacodépendance - addictovigilance (CEIP-A) (4). Des chiffres inquiétants, qui confirment la très nette augmentation des cas d'intoxication en 2020 comparativement à 2019 : 134 cas notifiés aux centres antipoison versus 46 en 2019 et 254 signalements auprès des centres d'addictovigilance versus 47 en 2019.

Ces cas concernent toujours en majorité des jeunes adultes, âgés en moyenne de 21-22 ans, mais la proportion de mineurs est en hausse, passant entre 2019 et 2020 de 13 % à 20 % des cas signalés aux CAP et de 8 % à 13 % des cas notifiés aux CEIP-A. Les consommations tendent à être plus régulières et non plus cantonnées à quelques événements festifs et les quantités consommées, très variables, peuvent atteindre plusieurs centaines de cartouches par jour.

L'étude a aussi mis en évidence une augmentation du recours à des bonbonnes, qui équivalent à une centaine de cartouches. Autre donnée notable : la part importante de cas d'abus, de pharmacodépendance (72,3 % des notifications rapportés aux CEIP-A) en lien avec un usage quotidien ou une consommation élevée de plus de vingt cartouches par occasion ou par jour.

Un large éventail d'effets délétères, parfois graves
Les cas d'atteinte neurologique et neuromusculaire sont en augmentation. Ils représentaient 69 % des notifications rapportées aux CEIP-A en 2020 versus 59 % en 2018/2019 et 76 % des effets rapportés aux CAP en 2020 versus 71 % entre 2017-2019. Des complications pouvant être graves, à type de sclérose combinée de la moelle, de myélopathie entraînant des paresthésies, de troubles de la marche et de l'équilibre, de convulsions, tremblements, avec parfois des séquelles nécessitant des séjours en rééducation.

Les troubles psychiatriques, tels qu'attaque de panique, délire, confusion, amnésie, agitation, irritabilité, insomnie, etc., sont à l'origine de plus du tiers (35 %) des notifications rapportées aux CEIP-A. Enfin, des troubles cardiaques représentent 8 % des cas signalés : tachycardie, hypertension artérielle, bradycardie, douleurs thoraciques.
 
L'éventail des effets délétères est donc large, sans oublier quelques accidents de la voie publique, parfois graves.
 
Les recommandations des agences sanitaires
Des mesures législatives ont été prises pour mieux encadrer la commercialisation du protoxyde d'azote (loi du 1er juin 2021) (5).
Face à ce constat alarmant et à la sous-estimation du risque qui persiste chez ces consommateurs, les agences sanitaires ont rappelé une nouvelle fois les risques (3) de l'usage détourné du protoxyde d'azote, chez les adolescents comme chez les adultes.
 
Elles recommandent, face à des symptômes inquiétants ou inhabituels liés à un usage détourné de protoxyde d'azote, de contacter un centre antipoison ou un centre d'addictovigilancede déclarer tout cas grave lié à un abus, une dépendance ou un usage détourné avec le protoxyde d'azote sur le site signalement-sante.gouv.fr et de consulter un médecin ou une structure spécialisée dans la prise en charge des addictions en cas de difficulté à contrôler et/ou à stopper sa consommation dans un contexte d'usage détourné. Les « consultations jeunes consommateurs » proposent un service gratuit et confidentiel, d'accueil, d'écoute, de conseil et, si nécessaire, une orientation.
 
©vidal.fr
 
Pour en savoir plus

(1) Enquête sur le protoxyde d'Azote et l'anesthésie générale. Sfar, 11 juin 2018.
 
(2) Hanqin Thian et al. A comprehensive quantification of global nitrous oxide sources and sinks. Nature, 2020; 586: 248-256.

(3) Protoxyde d'azote : des intoxications en hausse. Anses, 16 novembre 2021.

(4) Rapport d'expertise. Bilan d'addictovigilance, Protoxyde d'azote. Données, 2020.

(5) Loi n° 2021-695 du 1er juin 2021 tendant à prévenir les usages dangereux du protoxyde d'azote
 
Sources

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