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Immunothérapie contre le cancer : prometteuse, mais "attention aux emballements" (The Lancet)

L’immunothérapie est de plus en plus utilisée ou testée dans différents cancers, comme l’ont montré les présentations effectuées à l’ASCO 2018.
 
Mais The Lancet Oncology (éditorial juillet 2018)1 souligne qu’"il subsiste de multiples inconnues sur ce vaste domaine certes prometteur" et insiste sur une nécessaire prudence lorsque les résultats d’études préliminaires sont relayés, par les laboratoires et/ou médias, en particulier lorsque ces études concernent seulement une petite sous-population des patients atteints.
 
Citant deux exemples de battages médiatiques récents, The Lancet appelle donc à la retenue afin d’éviter aux médecins des situations délicates (attentes démesurées des patients à pondérer).
 
Au final, comme pour le reste de la thérapeutique, ce sont surtout les "études rigoureuses qui garantissent le plus haut niveau de preuves fiables et de haute qualité pour des traitements qui améliorent les soins pour tous les patients" qui font progresser les prises en charge des cancers, conclut cet éditorial très partagé et commenté par les utilisateurs médicaux de Twitter.
05 juillet 2018 Image d'une montre8 minutes icon Ajouter un commentaire
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Attaque d'une cellule cancéreuse (en vert) par deux lymphocytes T (en bleu) modifiés par une immunothérapie (illustration numérique).

Attaque d'une cellule cancéreuse (en vert) par deux lymphocytes T (en bleu) modifiés par une immunothérapie (illustration numérique).

 
L'immunothérapie, un espoir contre les cancers, en particulier ceux  sans prise en charge efficace actuellement
L'immunothérapie (littéralement "modulation du système immunitaire par un traitement") expérimentée dans de nombreux cancers, repose sur l'administration d'anticorps monoclonaux spécifiquement élaborés (génie génétique) pour cibler des anomalies spécifiques de cellules cancéreuses.

Il s'agit donc d'un nouvel outil pour une "médecine de précision", ou personnalisée, permettant de proposer un traitement adapté aux caractéristiques (tumorales, génétiques) d'un patient.
 
L'exemple du trastuzumab : amélioration de la survie, mais pour une sous-population et avec des risques à prendre en compte
Le trastuzumab, anticorps monoclonal humanisé recombinant de classe IgG1 dirigé contre le récepteur 2 du facteur de croissance épidermique humain (HER2), est utilisé sous certaines conditions chez les femmes présentant un cancer du sein précoce ou métastatique avec une surexpression de ce facteur de croissance (HER2+).
 
Cette utilisation améliore nettement la survie des femmes traitées, mais elle est imparfaite : une partie des femmes traitées par trastuzumab (et chimiothérapie) subiront des récidives de leur cancer HER2+ (d'où la mise au point, depuis, de nouveaux anticorps monoclonaux pour pallier ces échecs thérapeutiques).
 
De plus, seules 20 à 30 % des femmes souffrant d'un cancer du sein sont HER2+. Par ailleurs, l'administration de ce médicament est associée à un risque de toxicité cardiaque, ce qui nécessite vigilance et adaptation si nécessaire (voir notre article).  
 
Il s'agit donc d'une grande avancée, mais disponible seulement pour une sous-population des femmes atteintes et non pour toutes, pas toujours efficace et exposant à des risques non négligeables.
 
Pour mémoire, le trastuzumab est également indiqué en cas de cancer de l'estomac métastatique HER2+.
 
"Hype and hope" : l'éditorial de The Lancet Oncology insiste sur la nécessaire mise en perspective de la présentation des résultats de l'immunothérapie
Le trastuzumab est utilisé depuis une vingtaine d'années et son rapport bénéfices–risques est désormais bien connu. Mais ce n'est bien sûr pas encore le cas des nouvelles immunothérapies.
 
Comme elles ouvrent de nouveaux espoirs de guérison ou de meilleure tolérance des traitements, d'allongement de la survie sans progression, les industriels du médicament ont procédé à des investissements considérables pour tenter de mettre au point des médicaments ciblant des cancers fréquents ou difficiles, voire impossibles à traiter.
 
Les études sont donc nombreuses (un millier seraient en cours) et les plus prometteuses ou spectaculaires sont régulièrement médiatisées, via un communiqué de l'équipe de recherche, du laboratoire et/ou une présentation lors de grands congrès de cancérologie comme celui de l'ASCO, assemblée de l'American Society of Clinical Oncology qui se tient chaque année début juin et a des retombées médiatiques dans le monde entier
 
The Lancet Oncology, dans son éditorial intitulé "hype and hope" 1 ("battage médiatique et espoirs") publié en juillet 2018, tient donc à mettre en garde contre les risques de mauvaise interprétation, ou surinterprétation, de ces présentations :

"Comment faire en sorte que le battage médiatique et la promotion n'éclipsent pas le vrai travail réalisé au cÅ“ur de ces grands congrès ? Il est facile de se laisser emporter par les histoires de remèdes miracles et la place des stands brillants dans les salles d'exposition".
 
Deux exemples de "battage médiatique" sur des études aux résultats qui nécessitent pourtant confirmation ou un suivi plus prolongé    
L'éditorial du Lancet mentionne, pour illustrer ce battage médiatique, deux études effectivement largement relayées, y compris dans la presse grand public :
  • Cancer du sein avec métastases au niveau du foie : une expérimentation d'un transfert adoptif de lymphocytes infiltrant la tumeur a été effectué. Très schématiquement, il s'agit de prélever les lymphocytes T tumoraux de la patiente, de les mettre en contact, in vitro, avec des protéines mutantes identifiées chez cette patiente (SLC3A2, KIAA0368, CADPS2 et CTSB) pour susciter une réaction contre ces protéines dans la tumeur après réinjection de ces lymphocytes T modifiés. Cette manÅ“uvre a entraîné une "régression durable complète" de la tumeur (Zacharakis N et al., Nature Medicine, 4 juin 2018 2). Mais attention, souligne The Lancet : cette expérimentation n'a été faite que chez une seule patiente, et en fonction des mutations identifiées dans sa tumeur. Donc il ne s'agit pas, comme l'ont clamé "certains médias", d'un "remède miracle", suscitant une publicité mondiale sur cet essai. Il faut bien sûr attendre la reproduction d'une telle approche ultra-personnalisée, et aussi observer l'évolution de l'état de santé de cette patiente et des autres patientes à venir sur plusieurs années, avant une éventuelle utilisation à grande échelle.
  •  Cancer du poumon non à petites cellules : il s'agit de la forme la plus fréquente du cancer du poumon (épidermoïde ou non), traité au stade précoce par la chirurgie, mais dont les stades avancés nécessitent des traitements généraux (chimiothérapie et/ou radiothérapie), sans toujours être efficaces malheureusement. Là aussi schématiquement, les personnes atteintes d'un cancer du poumon non à petite cellules et dont au moins la moitié des lymphocytes T sont porteurs d'une protéine appelée PD-1 ("programmed cell death - 1") peuvent aujourd'hui bénéficier d'un traitement par pembrolizumab, anticorps monoclonal spécifiquement élaboré pour cibler cette protéine PD-1  et déjà utilisé contre le mélanome (cf. indications de l'AMM). Les auteurs de l'essai présenté à l'ASCO le 3 juin 2018 3 ont voulu tester l'effet de cet anticorps chez les patients ayant seulement "au moins 1 %" de leurs lymphocytes T porteurs de PD-1 (et non au moins 50 %), en comparant leur survie globale (critère principal) et survie sans progression (critère secondaire) à celle de patients sous chimiothérapie classique. Les résultats de cette étude, réalisée auprès de 1 274 patients, sont encourageants et ont été salués dans le monde entier ("une immunothérapie fait mieux que la chimiothérapie"). Pourtant, cet enthousiasme est à pondérer. Certes, la survie globale s'améliore et les événements indésirables sont moindres, mais les bénéfices sont surtout tangibles lorsque le taux de lymphocytes PD-1+ est supérieur à 50 %. De plus, il subsiste de nombreuses inconnues, en particulier sur la survie sans progression (l'essai va donc être poursuivi). C'est une étude de phase III, donc avancée, mais qui ne doit donc pas encore faire envisager la systématisation de cette prescription, quelque soit le taux de PD-1.
 
De nombreuses questions encore en suspens sur l'immunothérapie malgré son utilisation croissante
Au-delà de la méthodologie d'une étude (une étude sur un seul patient ne peut pas être généralisée, la sélection d'une sous-population ne permet pas d'extrapoler, etc.), de ses résultats (préliminaires ou non, à compléter ou non, à confirmer, etc.) et de leur présentation ("hype" ou non), The Lancet insiste sur l'émergence d'autres questions encore non résolues :
  • Impact éventuel du sexe sur l'efficacité de l'immunothérapie ? Pour le moment, il semblerait que l'immunothérapie marche mieux chez l'homme que chez la femme, mais cela reste à confirmer (Abdel-Rahman o, The Lancet Oncology, mai 2018)4.
  • Quelle influence du microbiote sur l'interaction possible entre antibiotiques et immunothérapie ciblant des protéines de contrôle cellulaire, comme PD-1 évoquée ci-dessus ?  Plusieurs études ont montré que les patients prenant des antibiotiques après une immunothérapie avaient des résultats moins bons que ceux n'en prenant pas. Une étude présentée à l'ASCO (Tinsley N et al., mai 2018 5) montre que la composition du microbiote intestinal du patient pourrait influer sur ce risque, ce qui pourrait suggérer, si cela se confirme,  l'éventuel intérêt de modification de l'alimentation, du style de vie, voire d'un transfert de microbiote associés à l'administration d'une immunothérapie (voir notre article plus détaillé sur ce sujet).
  • Quelle influence des variations individuelles ? Comme vu ci-dessus, l'expression d'un marqueur protéique tumoral, PD-1, ne suffit pas forcément à sélectionner une population chez laquelle l'immunothérapie s'avèrera profitable à tous en première intention, par exemple, et ce même si une étude préliminaire valide ce postulat. Le système immunitaire est complexe, les mécanismes d'action des immunothérapies aussi, donc il faut être prudent et ne pas extrapoler.
  • Quels effets indésirables inattendus ? The Lancet rappelle que des patients ont subi une toxicité pulmonaire après une immunothérapie (Rashman S et al., The Lancet respiratory medicine, juin 2018 6). D'autres ont vécu, à la place d'une rémission, une évolution rapide de leur maladie, avec transformation, par exemple, du cancer en leucémie à lymphocytes T, ce qui ne se produit pas avec les chimiothérapies "classiques" (Ratner L et al., NEJM, mai 2018 7).
 
Or ces immunothérapies sont déjà largement utilisées dans le monde alors qu'il manque des données de suivi qui permettraient d'affiner la balance bénéfices–risques en fonction des indications, sous-populations, stades, etc.
 
La présentation des études sur l'immunothérapie peut perturber la relation médecin-patient
En écho aux réserves et inconnues résumées ci-dessus, The Lancet s'inquiète donc que l'excitation médiatique liée à ces nouveaux traitements et leurs espoirs ou résultats déjà indéniables ne masquent les "zones d'ombre" (risques d'événements indésirables graves) encore persistantes ou mal connues, faute de recul suffisant.
 
Les auteurs font remarquer que lorsqu'un média fait une présentation "irréaliste" des résultats d'une étude, il est difficile ensuite pour les médecins de dire à un patient en échec thérapeutique (chimiothérapie inefficace par exemple) que cette innovation ne lui conviendra pas (parce qu'il ne présente pas les caractéristiques correspondant aux études, parce que l'utilisation hors AMM de tel anticorps n'est pas recommandée, etc.). Le "primum non nocere" (d'abord ne pas nuire) devient alors difficile à expliquer, et s'avère décevant pour les patients dont la survie est en jeu...
 
Une prudence nécessaire pour faciliter l'exercice d'une bonne médecine
Les auteurs appellent les chercheurs, leurs promoteurs industriels et les communicants, médias à la retenue sur ces sujets complexes, même si ce domaine est, rappelons-le à nouveau, porteurs de très grands espoirs, en particulier pour des cancers jusqu'ici très mal soignés.
 
Ils préconisent en conclusion que "la communauté de chercheurs doit continuer à concevoir des études rigoureuses qui garantissent le plus haut niveau de preuves fiables et de haute qualité sur des traitements contre le cancer qui améliorent les soins pour tous les patients, pas seulement pour des sur-répondeurs spécifiquement sélectionnés".
 
En savoir plus :
 
  1. Immunotherapy: hype and hope, The Lancet Oncology, juillet 2018
  2. Immune recognition of somatic mutations leading to complete durable regression in metastatic breast cancer, Zacharakis N et al., Nature Medicine, 4 juin 2018
  3. Pembrolizumab (pembro) versus platinum-based chemotherapy (chemo) as first-line therapy for advanced/metastatic NSCLC with a PD-L1 tumor proportion score (TPS) ? 1%: Open-label, phase 3 KEYNOTE-042 study, résumé de l'étude présentée le 3 juin 2018 à l'ASCO
  4. Does a patient's sex predict the efficacy of cancer immunotherapy?, Omar Abdel-Rahman, The Lancet Oncology, mai 2018
  5. Cumulative antibiotic use and efficacy of immune checkpoint inhibitors in patients with advanced cancer, Tinsley N et al., présentation à l'ASCO le 5 juillet 2018
  6. Diagnosis and management of pulmonary toxicity associated with cancer immunotherapy, Rashdan S et al., The Lancet Respiratory Medicine, juin 2018
  7. Rapid Progression of Adult T-Cell Leukemia–Lymphoma after PD-1 Inhibitor Therapy, Ratner L et al. Correspondance, The New England Journal of Medicine, mai 2018

Sur VIDAL.fr

Bon usage d'HERCEPTIN (trastuzumab) : améliorer la surveillance cardiaque (avril 2017)


Cancérologie : la composition de la flore intestinale influencerait l'efficacité de l'immunothérapie (novembre 2015)

 
Sources

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