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Troubles du comportement alimentaire : dépister tôt

Le dépistage précoce des troubles du comportement alimentaire (TCA) est un enjeu majeur, car leur prise en charge rapide prévient le risque d’évolution vers une forme chronique et sévère, et réduit le risque de complications, somatiques, psychiatriques et psychosociales.

Isabelle Hoppenot
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Le passage d’un TCA (dont anorexie mentale, boulimie…) à un autre est très fréquent.

Le passage d’un TCA (dont anorexie mentale, boulimie…) à un autre est très fréquent.puhimec / iStock / Getty Images Plus / via Getty Images

Résumé

Les troubles du comportement alimentaire (TCA), dont l’anorexie mentale, la boulimie, et l’hyperphagie boulimique, sont fréquents avec une prévalence globale sur la vie entière estimée à 8,4 % chez les femmes et 2,2 % chez les hommes.

L’anorexie mentale se caractérise par la gravité potentielle de son pronostic, avec un risque élevé de décès par suicide, de complications somatiques (défaillance cardiaque, ostéoporose, infertilité…) et psychosociales (chronicisation, rechutes et désinsertion sociale).

La boulimie et l’hyperphagie boulimique ont également un retentissement majeur sur la santé physique et psychique et sont associées à un risque important de surmortalité liée aux troubles métaboliques induits et au suicide.

Les médecins généralistes jouent un rôle majeur dans le repérage des TCA, en étant particulièrement vigilant chez les personnes les plus à risque, notamment celles soumises à des restrictions alimentaires de quelque origine que ce soit.

La confirmation du diagnostic et la prise en charge pluridisciplinaire seront traitées dans une seconde partie à paraître la semaine prochaine : « TCA : confirmation du diagnostic et de prise en charge ».

Les troubles du comportement alimentaire (TCA) sont des troubles mentaux caractérisés par des comportements anormaux en lien avec l’alimentation et/ou le poids et la silhouette, qui entraînent une altération sévère de la santé physique et du fonctionnement psychosocial.

Quelles sont les entités nosologiques du DSM-5 ?

Le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5) identifie plusieurs entités nosologiques. Les 3 TCA les plus connus sont :

  • l’anorexie mentale, qui peut être de type restrictif ou avec des accès hyperphagiques et/ou des conduites de purge (vomissements, prise de diurétiques ou de laxatifs) ;
  • la boulimie ;
  • l’hyperphagie boulimique (le Binge Eating Disorder des Anglo-Saxons).

Deux autres catégories de TCA sont décrites dans cette classification :

  • les « autres troubles de l’alimentation ou de l’ingestion d’aliments, spécifiés » (dénommés OSFED pour Other Specified Feeding Eating Disorder par les Anglo-Saxons), proches des précédents, mais n’en présentant pas tous les critères diagnostiques, tels que :
    • l’anorexie mentale atypique,
    • la boulimie de faible fréquence,
    • l’alimentation nocturne ;
  • les TCA non spécifiés (UFED pour Unspecified Feeding and Eating Disorders), qui comprennent des conditions de trouble de l’alimentation ne remplissant aucun autre critère.

À part, le trouble de restriction ou évitement de l’ingestion des aliments (ARFID, pour Avoidant and Restrictive Food Intake Disorder) au cours duquel l’alimentation restrictive, entraînant une insuffisance pondérale, n’est pas associée à une fixation sur l’apparence, la silhouette.

On cite enfin :

  • le pica : ingestion répétée de substances non nutritives ;
  • le mérycisme : régurgitations répétées d’origine non organique.

Quelle est l’épidémiologie de ces troubles ?

La prévalence des TCA est élevée en population générale, en augmentation depuis une vingtaine d’années chez les femmes dans le monde entier.

En France, ils concernent près d’un million de personnes.

La prévalence globale sur la vie entière des 3 TCA les plus connus est estimée à 8,4 % chez les femmes et 2,2 % chez les hommes, leur prévalence ponctuelle à 5,7 % et 2,2 % respectivement.

La prévalence de l'anorexie mentale au cours de la vie est de 1,4 % chez les femmes et de 0,2 % chez les hommes, avec un pic de survenue entre 14 et 17 ans, en particulier chez les femmes.

La boulimie débute à l’adolescence et au début de l’âge adulte et toucherait 1,5 % des jeunes de 11 à 20 ans, trois fois plus souvent des filles que des garçons.

L’hyperphagie boulimique touche de 3 à 5 % de la population, plus souvent adulte, avec un sex-ratio de 1, mais sa prévalence est nettement plus élevée chez les patients qui consultent pour un surpoids.

La prévalence des « autres troubles de l’alimentation ou de l’ingestion d’aliments, spécifiés » (OSFED) est de 11 % sur la vie entière chez les femmes et de 5 % ponctuellement.

Il faut noter qu’au cours de la vie, le passage d’un TCA à un autre est très fréquent. La moitié des femmes souffrant d’anorexie mentale ont des crises de boulimie et 30 % des patients avec boulimie ont des antécédents d’anorexie mentale.

De même, les OSFED peuvent évoluer vers un autre trouble, ce qui souligne l’importance d’une réévaluation régulière des patients présentant des TCA.

Quels sont les facteurs de risque ?

Les TCA sont d’origine multifactorielle, et sont la conséquence de l’interaction de plusieurs facteurs dont l’impact peut varier selon la susceptibilité individuelle :

  • des facteurs environnementaux d’ordre :
    •  socioculturel,
    • traumatique,
    • sportif (sports prônant la minceur comme la danse ou les sports d’endurance en particulier),
    • familiaux, avec la promotion d’un idéal de minceur ou de contrôle alimentaire ;
  • une prédisposition génétique : la part d’héritabilité des troubles est estimée entre 40 et 60 % ;
  • des facteurs neurodéveloppementaux et biologiques : notamment liés au sexe féminin, avec une fenêtre de vulnérabilité au moment de la puberté ;
  • des facteurs psychologiques, tels que :
    • les traits de personnalité obsessionnelle, perfectionniste,
    • une faible estime de soi,
    • une prédisposition aux troubles du spectre anxieux (80 % des patients avec TCA) ;
  • des facteurs déclenchants peuvent agir sur ce terrain de vulnérabilité, par exemple :
    • le début d’un régime avec impossibilité de s’arrêter,
    • le stress,
    • une pression subie académique ou sportive,
    • un vécu traumatique,
    • l’isolement (comme cela a été le cas pendant le confinement dû à l’épidémie de SARS-Cov-2).

Que sait-on des mécanismes physiopathologiques en cause ?

Comme pour les facteurs de risque, plusieurs mécanismes sont intriqués.

  • Parmi les facteurs neurobiologiques, des études ont retrouvé :
    • une altération de certains circuits cérébraux comme celui la récompense,
    • un déficit de flexibilité cognitive qui pourrait expliquer les difficultés rencontrées par certains patients à changer de paradigme comportemental.

Ces deux altérations pourraient expliquer, par exemple, l’attrait de ces patientes pour la maigreur et leur difficulté à s’alimenter davantage lorsqu’elles atteignent un état de dénutrition.

  • Une vulnérabilité à l’anxiété et des difficultés de régulation émotionnelle font souvent le lit des symptômes comportementaux (restriction, hyperphagie) qui constitueraient alors des stratégies de régulation émotionnelle.
  • Des facteurs métaboliques, liés à la régulation de la prise alimentaire, semblent également impliqués dans ces troubles.
  • Les effets de la dénutrition induisent une boucle de maintien des troubles. Il en est de même pour les conduites de purge, souvent maintenues par un processus proche de l’addiction.
  • Enfin, la restriction est l’un des facteurs qui favorisent le plus la perte de contrôle lors d’accès hyperphagiques, en aggravant une spirale compulsive.

Quelles sont les comorbidités ?

Il existe différents types de comorbidités :

  • les comorbidités psychiatriques sont fréquentes :
    • troubles du spectre anxieux, en particulier troubles obsessionnels compulsifs,
    • dépression, qui peut être une comorbidité ou une conséquence du TCA (la dénutrition pouvant favoriser un syndrome dépressif) ;
  • un trouble de la personnalité de type « état limite » et des troubles addictifs peuvent être aussi retrouvés, notamment chez les patients avec boulimie ;
  • des pathologies somatiques peuvent également être associées :
    • obésité,
    • diabète de type 2, surtout chez les patients avec hyperphagie boulimique.

Quand y penser, quels sont les éléments du repérage précoce ?

Les médecins généralistes sont au premier plan pour repérer les patients souffrant de TCA, qui doivent être dépistés tôt pour bénéficier d’une prise en charge précoce. Leur rôle est d’autant plus important que les personnes ayant un TCA consultent plus souvent, y compris dans les années qui précèdent le diagnostic.

Il est essentiel d’avoir une vigilance accrue chez les adolescentes, en particulier les mannequins, les sportives et celles qui sont astreintes à un régime quelle qu’en soit la raison. La vigilance s’impose donc aussi en cas de régime lié à une pathologie, par exemple une maladie cœliaque, un diabète de type 1 ou une maladie inflammatoire chronique intestinale.

Le médecin peut s’appuyer sur les paramètres anthropométriques (poids, taille, indice de masse corporelle [IMC]) et sur l’interrogatoire (est-ce que l'alimentation pose problème ? Est-ce que la personne se sent bien dans son corps ? Est-ce qu'elle a connu des variations de poids dans les 6 derniers mois ?). Il peut aussi utiliser différentes échelles, telles que le score SCOFF qui comprend 5 questions et des réponses simples par oui ou non :

  1. Vous êtes-vous déjà fait vomir parce que vous ne vous sentiez pas bien « l’estomac plein » ?
  2. Craignez-vous d’avoir perdu le contrôle des quantités que vous mangez ?
  3. Avez-vous récemment perdu plus de 6 kg en moins de 3 mois ?
  4. Pensez-vous que vous êtes trop gros(se) alors que les autres vous considèrent comme trop mince ?
  5. Diriez-vous que la nourriture est quelque chose qui occupe une place dominante dans votre vie ?

Un résultat à 2 ou plus oriente vers un possible TCA.

Quels sont les signes à rechercher ?

Les patients ne sont pas toujours conscients de leurs troubles et si l’on suspecte un TCA, il ne faut pas hésiter à impliquer l'entourage.

Chez l'enfant, il faut s’aider du carnet de santé et rechercher une cassure de la courbe staturo-pondérale et la présence de troubles somatiques, tels que des douleurs abdominales.

Chez l'adolescent, un retard pubertaire ou une aménorrhée sont des signes d’alarme, tout comme l’existence d’un conflit familial et/ou d’un hyperinvestissement scolaire.

Chez l'adulte, un IMC < 18,5 et/ou une perte de poids volontaire récente, une exigence de contrôle de l'alimentation sont des signes d'appel classiques. L’aménorrhée peut survenir de façon très précoce, mais parfois de façon plus retardée.

Chez l'homme, l'anorexie mentale est plus rare, mais d'autres comportements et craintes sont plus fréquents, peur du gain de masse grasse au détriment de la masse musculaire par exemple. Il faut toujours rechercher une comorbidité psychiatrique.

À côté des troubles de l’alimentation, il faut aussi interroger sur la pratique d’une activité physique, son type et ses modalités, car une hyperactivité physique est fréquemment associée.

La boulimie et l’hyperphagie boulimique sont des troubles souvent cachés, source de honte et de souffrance profonde, et les patients n’en parlent pas toujours spontanément. Elles sont suspectées en cas de vomissements répétés ou d'hypokaliémie mise en évidence lors du bilan biologique. Le praticien recherche également des signes indirects de vomissements, tels qu'une érosion cutanée au niveau des doigts (articulation métacarpo-phalangienne), un gonflement sous-mandibulaire lié à une parotidomégalie. Des perturbations des cycles, voire une infertilité, sont fréquentes ce qui explique que nombreuses femmes souffrant de TCA consultent en centre de procréation médicalement assistée (PMA).

En cas d’hyperphagie boulimique, le patient est souvent en surpoids. Un TCA doit donc être recherché systématiquement en cas de demande de chirurgie bariatrique ou en cas d'échec d'une chirurgie bariatrique.

Enfin, il faut aussi rechercher un TCA en cas de pathologie psychiatrique ou en cas d'antécédent de traumatisme sexuel.

Le repérage précoce est un outil qui permet d'organiser tôt un maillage de la prise en charge de ces patients, possible en ville. Après exclusion d’un danger vital immédiat (cf. 2e partie « TCA : confirmation du diagnostic et de prise en charge » qui paraîtra la semaine prochaine), le praticien de premier recours, médecin généraliste ou psychiatre libéral, peut organiser les soins ambulatoires, qui doivent toujours être pluridisciplinaires, avec intervention de psychologues et de diététiciennes assurant un suivi de la reprise alimentaire.

D'après un entretien avec le Dr Laura di Lodovico, praticienne hospitalière universitaire, clinique des Maladies mentales et de l'Encéphale, université Paris Cité, IPNP.

Sources

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