#Santé publique #Santé #Grossesse et allaitement #Enfant

Immunothérapie allergénique dans les allergies respiratoires : pour qui et comment ?

L’immunothérapie allergénique (ou désensibilisation spécifique) est un traitement plus que centenaire, mais toujours d’actualité dans le contexte de l’augmentation des allergies, et seul traitement de fond capable de modifier l’histoire naturelle des allergies respiratoires.

Isabelle Hoppenot
1
2
3
4
5
(aucun avis, cliquez pour noter)
Un traitement de trois ans minimum qui implique motivation et bonne observance.

Un traitement de trois ans minimum qui implique motivation et bonne observance.winyuu / iStock / Getty Images Plus / via Getty Images

Résumé

L’immunothérapie allergénique (aussi appelée désensibilisation spécifique) est le seul traitement de fond capable de modifier l’histoire naturelle des allergies respiratoires. Elle agit en reprogrammant une réponse immunitaire Th2 pathologique et en normalisant le profil Th1/Th2.

Pour induire cette tolérance immunologique spécifique, des doses progressivement croissantes de l’allergène responsable sont administrées au patient, en France uniquement par voie sublinguale pour les aéroallergènes : allergènes préparés spécialement pour un seul individu (APSI) ou comprimés. Les principales indications sont la rhinite et la conjonctivite allergiques et l’asthme allergique léger à modéré contrôlé, après l’âge de 5 ans.

En pratique, l’immunothérapie allergénique peut être prescrite pour réduire les symptômes lorsqu’ils sont insuffisamment contrôlés, malgré une éviction de l’allergène et un traitement pharmacologique optimisé, et/ ou pour modifier l’histoire naturelle de la maladie (prévention des polysensibilisations et de la marche vers l’asthme). Elle sera ainsi débutée tôt chez l’enfant atteint de rhinite allergique.

Il s’agit d’un traitement de 3 ans minimum, qui implique motivation et bonne observance. Le médecin traitant joue à cet égard un rôle majeur.

Éclairage du Dr Evangéline Clark, chef du service d’allergologie au Centre hospitalier intercommunal de Mont-de-Marsan et Pays des Sources.

La prévalence des allergies est en nette augmentation depuis plusieurs décennies – l’Organisation mondiale de la santé estime que 50 % de la population sera allergique en 2050 – les allergies sont de plus en plus sévères et leur profil évolue vers des polysensibilisations qui complexifient la prise en charge. 

Or, bien que l’immunothérapie allergénique (ITA), encore appelée désensibilisation spécifique, soit le seul traitement à même de modifier l’histoire naturelle de la maladie, moins de 1 % des patients éligibles en bénéficient, en raison d’un manque de connaissances, des contraintes pratiques (liées en partie à la démographie déclinante des allergologues) et de son coût.

Quel est le mode d’action de l'ITA ?

L’ITA vise à « reprogrammer » une réponse immunitaire Th2 pathologique (avec production d’IgE, IL-4/IL-5/IL-13 et d’éosinophiles) vers une tolérance spécifique de l’allergène : montée d’IgG4/IgA « bloquantes », induction de lymphocytes T régulateurs et B régulateurs, désactivation basophile/mastocytaire, réparation épithéliale et normalisation du profil Th1/Th2.

Ce qui se traduit in fine par une baisse de l’inflammation locale, une réduction des symptômes et donc de la consommation de médicaments, un effet rémanent et la prévention (partielle) de la marche vers l’asthme et d’autres sensibilisations.

En pratique, pour induire cette tolérance immunologique spécifique, des doses progressivement croissantes de l’allergène responsable sont administrées au patient, selon deux voies possibles en fonction des pays : sublinguale (ITSL) et sous-cutanée (ITSC). En France, la voie sous-cutanée n’est plus accessible pour les aéroallergènes et seule la voie sublinguale est aujourd’hui disponible en routine.

Quelles sont ses indications ?

Les principales indications de l’ITA sont la rhinite et la conjonctivite allergiques et l’asthme allergique léger à modéré (asthme contrôlé, avec un VEMS > 70 %), chez des patients de plus de 5 ans (il existe un manque d’études puissantes avant cet âge).

Pour qu’un patient soit éligible à l’ITA, la sensibilisation doit être prouvée, documentée par des tests cutanés et/ou des dosages des IgE spécifiques, avec une corrélation clinique claire.

Les indications de l’ITA dans l’asthme allergique léger à modéré et dans la rhinite allergique sont reconnues par le GINA (Global Initiative for Asthma), qui préconise, dans ses recommandations de 2024, de l’envisager dès le palier 1 de l’asthme (asthme intermittent) jusqu’au palier 4 (asthme sévère), la Société française d’allergologie (SFA), l’Académie européenne d’allergie et d’immunologie clinique (EAACI) ainsi que dans les recommandations nationales pour la pratique clinique.

Quelles sont ses contre-indications ?

L’asthme non contrôlé (VEMS < 70 %) est une contre-indication absolue de l’ITA, mais pouvant être temporaire. Les autres contre-indications sont un traitement par β-bloquants (ITSC), les cardiopathies graves, les déficits immunitaires, les maladies auto-immunes ou psychiatriques sévères non contrôlées et les cancers évolutifs.

La grossesse n’est pas une contre-indication. L’ITA peut être poursuivie si elle a été initiée avant que la patiente ne soit enceinte ; elle ne sera cependant pas débutée en cours de grossesse.

Quelles sont les preuves de l’efficacité de l’ITA ?

Les preuves de l’efficacité de l’ITA sous-cutanée (non disponible en France) sont fortes (niveau A) dans l’asthme léger à modéré contrôlé lié à un allergène spécifique et dans la rhinite de l’adulte. Cette efficacité est démontrée surtout pour les acariens et les pollens (graminées, bouleau, olivier, cupressacées, ambroisie, pariétaire). Elle est en évaluation pour d’autres allergènes.

Les comprimés ITSL avec autorisation de mise sur le marché (AMM) (par exemple, pour les graminées : ORALAIR, GRAZAX ; bouleau : ITULAZAX ; acariens : ACARIZAX/ORYLMYTE…) ont confirmé leur efficacité chez l’adulte et l’enfant.

Chez l’enfant souffrant de rhinite allergique, l’ITA est associée à la prévention probable de nouvelles sensibilisations et à une réduction significative de l’apparition de l’asthme.

L’effet de l’ITA est rémanent : son efficacité persiste au moins 2 ans après son arrêt, parfois jusqu’à 7-12 ans après (niveau de preuves B/C). 

L’ITA permet-elle de prévenir l’asthme ?

Les données des essais cliniques et celles colligées en vie réelle convergent pour montrer une diminution du risque d’apparition d’asthme chez les jeunes enfants avec une rhinite allergique et un effet rémanent après arrêt.

L’étude de vie réelle EfficAPSI, menée à partir des données du Système national des données de santé (France, SNDS 2007-2017), auprès de 440 000 patients atteints de rhinite, a montré que ceux recevant une ITSL liquide présentaient une baisse du risque d’apparition et/ou d’aggravation de l’asthme jusqu’à -35 % ainsi qu’une réduction du recours aux corticoïdes oraux à long terme.

Quelles sont ses modalités d’administration ?

En France, seule la voie sublinguale est disponible pour les aéroallergènes, avec deux formes possibles :

  • Les gouttes APSI (allergènes préparés spécialement pour un seul individu), qui sont des préparations individualisées d’allergènes. Elles sont fabriquées « à la carte » pour un patient donné, selon l’ordonnance de l’allergologue, à partir de préparations mères autorisées par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), avec un statut réglementaire spécifique. C’est le laboratoire qui envoie directement les gouttes au patient après réception de l’ordonnance.
  • Les comprimés (délivrés en pharmacie sur ordonnance simple), avec une gamme d’allergènes limitée aux acariens et aux pollens (graminées et bouleau).

Le traitement est auto-administré, exception faite de la première prise d’un comprimé qui est réalisée en présence d’un médecin (le médecin traitant par exemple), en raison de la possible survenue d’effets locaux (picotements, prurit oral), qui ne sont pas graves, mais peuvent impressionner le patient. Un antihistaminique peut être prescrit pour diminuer ces effets.

Les complications plus graves sont très rares, à type d’œsophagite à éosinophiles. En cas de douleurs abdominales, il est ainsi recommandé au patient après la prise de ne pas avaler le produit, mais de le recracher (après avoir retenu sa salive pendant une minute selon les modalités habituelles).

Quel suivi ?

Il s’agit d’un traitement au long cours, qui doit être poursuivi au moins 3 ans, ce qui nécessite une forte adhésion du patient (ou de la famille pour les enfants). L’observance est facilitée par l’investissement du médecin traitant, qui voit le patient beaucoup plus régulièrement que l’allergologue (visite annuelle en général).

Le suivi est uniquement clinique : il n’est pas nécessaire de refaire les tests cutanés ni les dosages des IgE spécifiques.

L’efficacité commence à apparaître après 4 à 6 mois. L’absence d’amélioration à la fin du premier semestre de traitement doit déjà faire poser la question de la qualité de l’observance et de l’efficacité du traitement.

En cas d’amélioration allant crescendo, le traitement peut être poursuivi au-delà de 3 ans, jusqu’à 5 ans.

Quelle est la place du médecin traitant ?

Le médecin traitant, généraliste ou pédiatre, joue un rôle clé pour repérer les patients présentant des rhinites persistantes/sévères, des exacerbations d’asthme allergique et les échecs des traitements symptomatiques.

Il peut documenter l’allergène (test cutané/IgE) et orienter vers l’allergologue pour la prescription d’une ITA.

Il est également le premier interlocuteur pour favoriser l’observance, surveiller la tolérance, notamment au cours des 3 à 6 premiers mois de l’ITA et pour coordonner les adaptations thérapeutiques (corticoïdes inhalés, anti-H1).

D’après un entretien avec le Dr Evangéline Clark, chef de service d’allergologie, Centre hospitalier intercommunal de Mont-de-Marsan et Pays des sources.

Encadré - Allergies respiratoires ou aux venins d'hyménoptères

En dehors des allergies respiratoires, il faut rappeler la place de l'ITA dans les allergies alimentaires ou aux venins d’hyménoptères.

  • L’anaphylaxie aux piqûres d’hyménoptères (abeille, guêpes Vespula/Polistes) est une indication majeure de l’ITA. Elle est toujours débutée en milieu hospitalier, selon les recommandations de l’EAACI.
    Après une dose d’entretien, la protection conférée est de plus de 95 % pour les piqûres de guêpe et d’environ 80 % pour celles d’abeille. Le taux de rechutes est de 2,7 % sous ITA, comparativement à 39,8 % sans ITA, selon une revue Cochrane de 2012.
  • Dans le cadre de l’allergie alimentaire, il s’agit plutôt d’induction de tolérance (ITO), fondée surtout sur des protocoles oraux (phases induction/maintenance).
    Les bénéfices sont réels, mais variables, les événements indésirables fréquents, et la tolérance persiste rarement si l’aliment est interrompu.
    Selon les données récentes et les recommandations de l’EAACI, l’ITO est « recommandée » pour l’arachide, « suggérée » pour l’œuf et est à réserver à des centres experts.

 

Sources

Commentaires

Ajouter un commentaire
En cliquant sur "Ajouter un commentaire", vous confirmez être âgé(e) d'au moins 16 ans et avoir lu et accepté les règles et conditions d'utilisation de l'espace participatif "Commentaires" . Nous vous invitons à signaler tout effet indésirable susceptible d'être dû à un médicament en le déclarant en ligne.
Pour recevoir gratuitement toute l’actualité par mail Je m'abonne !