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Les travailleurs en extérieur et les sportifs particulièrement concernés.KatarzynaBialasiewicz / iStock/Getty Images Plus / via Getty Images
L’exercice physique pratiqué lorsque la température extérieure est élevée peut provoquer des troubles, principalement liés à la déshydratation en raison d’une sudation excessive. S’ils sont souvent mineurs cédant à l’apport d’eau salée et à la mise au repos, ils peuvent aussi être beaucoup plus graves. Ainsi en est-il du coup de chaleur d’exercice.
Cette complication, menaçant le pronostic vital, constitue une urgence médicale absolue nécessitant le refroidissement très rapide de la victime. Il faut donc avoir à l’esprit la possibilité d’un tel événement, notamment chez les adultes qui y sont particulièrement exposés comme les travailleurs en extérieur ou les sportifs, et ne pas se focaliser uniquement sur les populations les plus vulnérables que sont les personnes âgées et les jeunes enfants.
Les messages visant à se protéger contre la chaleur ciblent avant tout, et à juste titre, les personnes les plus vulnérables : sujets âgés, atteints de maladies chroniques, nourrissons…
Pourtant, les adultes, en particulier ceux qui travaillent en extérieur et les sportifs, peuvent aussi pâtir de l’augmentation de la température ambiante et, à l’extrême, être victimes d’une complication spécifique à cette population : le coup de chaleur d’exercice (CCE), dont les conséquences peuvent être très graves, pouvant menacer le pronostic vital en l’absence d’une intervention précoce.
Des données épidémiologiques parcellaires
L’incidence du CCE est mal connue, mais des données militaires apportent un éclairage utile, car c’est un effet bien connu des armées. Ainsi, comme le rapporte Laurent Grélot, professeur de physiologie du travail et de l’exercice, Aix-Marseille université (AMU), « entre 1939 et 1945, les pathologies thermiques touchaient 1 soldat anglais pour 1 000 (majoritairement les combattants en Afrique du Nord ou dans le Sud-Est asiatique). La mortalité induite par le coup de chaleur d’exercice pouvait alors atteindre 20 % des cas déclarés. Plus récemment, dans les armées françaises, en 36 mois (de 2004 à 2006), 182 sujets ont été hospitalisés pour un coup de chaleur d’exercice (advenu dans 80 % des cas lors d’une course chronométrée en tenue de combat). En sus, 2 soldats sont décédés » [1].
Des événements similaires ont aussi été recueillis dans le milieu sportif. En 2007, lors du marathon de Chicago, qui s’est déroulé à une température ambiante qui variait entre 26,6 et 31,1 °C, un décès et 49 hospitalisations pour coup de chaleur ont été rapportés.
Un événement de survenue brutale
Le coup de chaleur d’exercice s’exprime de façon brutale, spectaculaire, durant ou après un effort physique intense et/ou prolongé, dans une atmosphère chaude et humide. Il associe de façon caractéristique :
- une détresse neurologique : maux de tête, vertiges, convulsions, coma…
- une détresse cardiovasculaire : choc hypovolémique avec pression artérielle systolique < 80 mmHg et tachycardie.
La peau est très chaude et parfois sèche signant un arrêt de la sudation. La température centrale est supérieure à 40 °C.
La défaillance est multiviscérale avec un syndrome de réponse inflammatoire systémique et une coagulation intravasculaire disséminée.
Il est important de souligner que ce n’est que dans seulement 20 % des cas que l’apparition préalable de signes cliniques mineurs peut faire suspecter la survenue ultérieure d’un coup de chaleur d’exercice : anomalies du comportement, agressivité, hébétude, asthénie et soif intense, nausées et vomissements, crampes.
L’absence de ces prodromes ne doit donc pas faire exclure le diagnostic, ni, d’ailleurs, l’absence d’épisodes antérieurs : « comme pour d’autres pathologies induites par des environnements de travail ou de loisir agressifs, la confrontation réitérée aux mêmes contraintes physiques et environnementales ne déclenche pas forcément les mêmes réponses physiologiques, et donc pathologiques » chez un même individu, précise le Pr Laurent Grélot.
Une situation d’urgence absolue
Le CCE est une urgence médicale absolue qui se déclare lorsque les centres hypothalamiques thermorégulateurs ne peuvent plus fonctionner. Il faut alors faire chuter très rapidement la température centrale de la victime. Dans l’idéal, le patient est placé dans un bain d’eau glacée (2 °C) pendant 10 à 20 minutes.
Mais si cela n’est pas possible et qu’il existe une forte suspicion de coup de chaleur (par exemple lorsqu’un sujet perd connaissance au cours d’un effort et que sa peau est très chaude), immerger la personne dans ce que l’on trouve à proximité : baignoire, piscine, mer, rivière… est la meilleure solution… avant d’appeler les secours.
Des solutions alternatives ([2] page 1345), mais moins efficaces, ont été proposées : application de serviettes d’eau glacée sur le corps, de poches de glace sur les gros vaisseaux, ventilateur...
Refroidir le plus vite possible est une question de survie, tout retard diagnostique et thérapeutique assombrissant fortement le pronostic fonctionnel (séquelles neurologiques) et vital.
Une origine multifactorielle
La survenue d’un CCE est probablement d’origine multifactorielle, lorsque plusieurs facteurs favorisants sont réunis, qui sont en premier lieu :
- physiques : travail intense et prolongé, sujet non entraîné ;
- climatiques : air chaud et humide (température extérieure > 20 °C, hygrométrie > 75 %), absence de vent ou de ventilation. L’humidité de l’air joue un rôle dans la survenue de complications liées à la chaleur, car elle limite l’évaporation de l’eau à la surface de la peau, ce qui diminue les capacités de refroidissement du corps.
Il faut ajouter l’effet des radiations solaires qui accélèrent l’élévation de la température centrale et donc cérébrale, ce qui explique la survenue possible d’une fatigue cognitive et d’une sensation d’épuisement. C’est pourquoi il vaut mieux travailler ou courir à l’ombre…
D’autres facteurs sont également à prendre en compte :
- médicaux : myopathie infraclinique, obésité, déshydratation, infection récente, notamment du tractus gastro-intestinal, inflammation…
- pharmacologiques : alcool ou médicaments modifiant la sudation et le système nerveux autonome : anticholinergiques, neuroleptiques, antidépresseurs, vasoconstricteurs, antihistaminiques…
- psychologiques : surmotivation, stress, privation de sommeil ;
- vestimentaires : équipements de protection, vêtements imperméables, tenues de combat.
De plus, les femmes et les Caucasiens sont plus sensibles aux risques liés à la chaleur.
Un antécédent de CCE est aussi un facteur de risque, car, dans ce cas, des glandes sudoripares ont été détruites lors du premier épisode, ce qui entraîne une altération irréversible de la capacité de production sudorale.
Il faut également rappeler que les réponses physiologiques ne suivent pas de façon linéaire l’augmentation de la température ambiante. Dès que celle-ci atteint 35-36 °C, l’air réchauffe le corps au lieu de permettre de dissiper la chaleur corporelle. Il existe donc un effet seuil et « c’est pour cette raison qu’il est déraisonnable de courir dès que la température extérieure atteint ces valeurs », explique le Pr Laurent Grélot.
Une augmentation de la perméabilité intestinale peut-être en cause
Il n’existe pas de mécanisme unique à l’origine d’un CCE. Plusieurs hypothèses ont été avancées [2]. L’une d’entre elles [3, 4], à laquelle adhère le Pr Laurent Grélot, fait intervenir l’intégrité de la barrière intestinale.
L’élévation de la température corporelle succédant à un effort intense et prolongé augmenterait la perméabilité de la paroi intestinale qui pourrait alors provoquer le relargage de bactéries à Gram négatif libérant des toxines bactériennes. S’ensuivrait une aggravation de l’hyperthermie et une réaction inflammatoire avec libération de lipopolysaccharides (LPS, composant de la membrane des bactéries) et de cytokines pro-inflammatoires dans la circulation, ce qui altérerait davantage la perméabilité du tube digestif. D’où l’installation d’un « cercle vicieux thermique » catastrophique.
Comme l’illustre CL Lim [4] dans un schéma (cf. Schéma traduit en français ci-dessous), dans ce scénario, le statut immunitaire joue un rôle important. L’immunodépression, même transitoire, en empêchant la clairance des LPS bactériens, favorise la survenue d’une endotoxémie qui précipite ensuite l’évolution vers un sepsis avec défaillance multiviscérale, coagulation intravasculaire et troubles neurologiques.
Cette théorie expliquerait aussi pourquoi un antécédent récent d’infection gastro-intestinale est un facteur favorisant de CCE.
Déshydratation et hyperthermie ne signent pas forcément un CCE
La déshydratation lorsqu’elle est modérée (de 2-3 % de la masse corporelle) est supportable par l’organisme.
La survenue de crampes de chaleur, conséquence du déséquilibre électrolytique induit pas la sudation peut être prévenue par l’absorption d’eau salée avant l’apparition de la soif. En cas de crampes, la conduite à tenir repose également sur l’ingestion d’eau salée (cf. notre article du 6 juin 2024). La modification de l'excitabilité motoneuronale induite par la fatigue musculaire serait également impliquée dans l'apparition des crampes. À noter qu'une surconsommation de fluides avant, pendant et après un exercice physique intense n’est pas sans danger. La surhydratation entraîne en effet une hyponatrémie qui peut conduire à une altération du fonctionnement des cellules nerveuses et musculaires et in fine à une encéphalopathie et une atteinte cardiaque, qui peuvent être fatales.
De même, une élévation de la température centrale n’est pas forcément synonyme de coup de chaleur d'exercice (on mesure très souvent des températures centrales supérieures à 40,5, voire 41 °C chez des marathoniens d’élite).
Il peut cependant survenir un épuisement thermique, complication sévère, mais différente du CCE, qui se caractérise par un pouls rapide et faible, une hypotension pouvant entraîner un évanouissement, une désorientation, chez un sujet conscient. Dans ce cas, les mécanismes thermorégulateurs sont encore fonctionnels, mais la régulation circulatoire est altérée. La température centrale est souvent inférieure à 39,5 °C. La conduite à tenir est alors d’interdire toute activité physique au cours de la journée et de réhydrater abondamment le sujet.
Schéma - Les événements conduisant au coup de chaleur d’exercice selon CL Lim et al. [4]
Légende : (A) L’exercice physique et la chaleur ambiante constituent un stress qui augmente la perméabilité de l’épithélium intestinal, ce qui provoque le relargage de bactéries à Gram négatif et de lipopolysaccharides (LPS) bactériens, de l’intestin vers le système circulatoire (B). À l’état normal, lorsque système immunitaire est fonctionnel, les LPS sont éliminés de la circulation par des monocytes, des lipoprotéines de haute densité et des anticorps ciblant spécifiquement les LPS. Dans ces conditions, l’effort physique est accompli sans conséquences délétères liées à la chaleur : il existe une tolérance à la chaleur (C). Cependant, lorsque le même effort physique est effectué dans un contexte d’immunosuppression (D), la clairance des LPS peut être compromise ce qui aboutit à leur accumulation dans la circulation sanguine, c’est-à-dire à une endotoxémie (E). À partir d’un certain niveau de concentration des LPS dans le sang, une réponse inflammatoire systémique se déclenche (SIR) qui peut éventuellement conduire à un sepsis associant coagulation intravasculaire massive, nécroses, dommages cellulaires, défaillance multiviscérale et troubles du système nerveux central (F). Ces signes cliniques sont observés chez les personnes victimes d’un coup de chaleur et correspondent à un état d’intolérance à la chaleur (G). Selon ce scénario, le système immunitaire agit comme un interrupteur qui actionne, en fonction de son état, la tolérance ou l’intolérance à la chaleur. Des exemples de situations, pouvant provoquer une immunosuppression, sont indiquées dans le tableau H.
D'après un entretien avec le Pr Laurent Grélot, professeur de physiologie du travail et de l'exercice, Aix-Marseille université (AMU).
[1] Grélot L. Canicule et coup de chaleur : un réel risque de mourir de chaud. The conversation, mise à jour le 30 juillet 2024
[4] Lim CL. Heat Sepsis Precedes Heat Toxicity in the Pathophysiology of Heat Stroke-A New Paradigm on an Ancient Disease. Antioxidants (Basel), 2018 Oct 25;7(11):149. doi: 10.3390/antiox7110149
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