#Santé publique #Données épidémiologiques

Doit-on craindre une épidémie humaine de grippe aviaire H5N1 ?

Plusieurs épidémies de grippe aviaire H5N1 au sein de populations de mammifères ont ravivé les craintes d’une épidémie dans l’espèce humaine. Quels sont les risques d'un passage à l'homme ? Comment s'en protéger ?

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Les élevages de visons risquent-ils de transmettre le virus de la grippe aviaire à l'homme ?

Les élevages de visons risquent-ils de transmettre le virus de la grippe aviaire à l'homme ?

Résumé

Depuis l’été 2022, des épidémies de grippe aviaire H5N1 de clade 2.3.4.4b ont été signalées chez des mammifères (phoques et visons), avec transmission entre individus de l’espèce concernée. Si des cas d’infection sporadique ont depuis longtemps été rapportés chez de nombreux mammifères, dont l’homme, c’est la première fois que ce virus se diffuse au sein d’espèces de mammifères. Ce nouveau développement soulève la possibilité qu’une telle épidémie puisse se déclencher dans l’espèce humaine.

Néanmoins, les autorités sanitaires restent rassurantes sur le sujet, à la condition que des mesures soient prises pour éviter que le virus H5N1 n’acquière des mutations propres à augmenter son infectivité et sa transmission dans l’espèce humaine. Plus précisément, il est essentiel que ce virus continue, chez l’homme, à ne pouvoir infecter que des cellules respiratoires situées profondément dans l’arbre respiratoire. L’acquisition d’une affinité pour des récepteurs cellulaires situés dans le nez, la trachée ou les bronches changerait la donne et rendrait bien réelle la possibilité d’une épidémie, en augmentant le risque de transmission interhumaine.

Parmi les mesures recommandées pour éviter cette dérive génétique, on trouve, par  exemple, l’abattage systématique des animaux dans les élevages infectés, la désinfection des matériels d’élevage et des bâtiments, le port systématique du masque dans les élevages ou lors de manipulation de la faune sauvage, la vaccination des professionnels de l’élevage contre la grippe saisonnière et, surtout, la surveillance virologique et sérologique des animaux et des personnels exposés aux animaux, afin de détecter rapidement l’apparition de mutations potentiellement problématiques.

La grippe aviaire (également appelée « influenza aviaire ») est une infection respiratoire des oiseaux due à des virus Influenza de type A, à l'instar de certaines grippes humaines [1, 2, 3]. Comme chez l'homme, les variants à l’origine des épidémies de grippe aviaire changent régulièrement. En France, par exemple, en 2017, il s’agissait de variants H5N8. Depuis 2021, il s’agit de variants H5N1 de clade 2.3.4.4b (un influenza aviaire hautement pathogène [IAHP]) qui sont apparus en octobre 2020.

Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), l'épidémie de grippe aviaire en cours est désormais la plus importante jamais enregistrée en Europe et en Amérique du Nord. Récemment, elle a commencé à sévir dans des régions de l’Amérique du Sud. Selon un récent rapport de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), depuis octobre 2021, plus de 58 millions d'oiseaux sont morts ou ont été abattus dans les établissements avicoles touchés par le H5N1 dans 37 pays européens [4].

La grippe aviaire, hautement transmissible chez certains oiseaux

Les virus de la grippe aviaire sont extrêmement contagieux. Ils touchent tous les oiseaux, mais certaines espèces sont plus à risque de formes sévères, souvent mortelles : canards, oies, mouettes, goélands, pélicans, cygnes, vautours, corbeaux, hiboux, aigles et de nombreuses autres espèces d'oiseaux sauvages.

Au début d’une épidémie, ils se transmettent des oiseaux sauvages aux oiseaux domestiques par contact direct. Ensuite, il peut y avoir transmission entre les élevages via les fientes et le fumier, mais aussi par transport involontaire de matières infectieuses par les personnes, le matériel d’élevage, les véhicules, etc.

Si les virus de la grippe aviaire sont classés comme « hautement pathogènes » ou « faiblement pathogènes », cette classification est relative à leurs effets sur les oiseaux, et pas sur les autres espèces animales.

Une transmission possible aux mammifères, dont l’espèce humaine

Des cas de transmission sporadique de la grippe aviaire à diverses espèces de mammifères ont été décrits : chat, vison, putois, furet, phoque, blaireau, ours noir, lynx, coyote, dauphin, marsouin, chat pêcheur, renard, léopard, opossum, loutre, porc, raton laveur, chien viverrin, mouffette, etc. La plupart de ces mammifères sont infectés en mangeant des oiseaux malades ou morts présentant une charge virale élevée, ou par des fèces d’oiseaux malades.

Lors d’épidémie de grippe aviaire, les porcs d’élevage peuvent être contaminés, comme l’indiquent des études sérologiques [5]. Parce que ces animaux possèdent eux aussi leurs virus influenza, les virologues s’inquiètent régulièrement des risques de recombinaison de ces derniers avec les virus aviaires, avec une possibilité de rendre les virus influenza aviaires plus pathogènes pour les mammifères.

Les infections humaines par H5N1 restent exceptionnelles

La transmission des virus influenza aviaires à l’espèce humaine est rare et se fait au sein des élevages par le biais d’aérosols (les excrétions respiratoires des oiseaux infectés, ou leurs fientes séchées pulvérisées). Il n’y a pas de transmission par les viandes cuites ou les produits alimentaires issus des oiseaux.

La capacité d’un virus de la grippe aviaire à infecter l’homme diffère selon les variants. Elle est plus importante pour les souches H5N1 tous clades confondus (environ 1 000 cas et 500 décès dans le monde depuis 2003, aucun en France à ce jour) et H7N9 (environ 1 600 cas et 600 décès dans le monde depuis 2013) [3]. Ces chiffres sont modestes si l’on considère le nombre d’oiseaux victimes de la grippe aviaire pendant cette période (probablement plusieurs centaines de millions). La très vaste majorité des cas de transmission chez l’homme ont eu lieu en Asie, mais d'autres sont désormais apparus en Amérique du Sud et dans d’autres régions.

Les cas humains de grippe H5N1 ont généralement été des culs-de-sac épidémiologiques. Bien qu'il y ait eu des preuves de transmission interhumaine entre des contacts étroits lors des précédentes épidémies de H5N1, ces cas étaient extrêmement rares [6, 7]. Par le passé, le taux de létalité de l'infection humaine par H5N1 a été estimé comme élevé - plus de 50 % des cas [8]. Mais certains experts estiment qu'il s'agit probablement d'une surestimation, car de nombreuses infections bénignes ou asymptomatiques peuvent ne pas avoir été déclarées. Néanmoins, elle reste plus dangereuse que la grippe saisonnière.

Entre janvier 2020 et décembre 2022, une demi-douzaine d'infections humaines par des virus H5N1 de clade 2.3.4.4b (dont 2 décès) [9] a été rapportée, toutes chez des personnes ayant eu un contact direct avec des volailles infectées. Le séquençage du virus était disponible pour certains sujets et n'a pas révélé de mutations associées à l'adaptation aux mammifères (cf. ci-dessous) ou à la résistance aux antiviraux tels que l'oséltamivir. Le 23 février 2023, une fillette cambodgienne de 11 ans est décédée d’une grippe aviaire H5N1. Avant son décès, 12 cas contacts ont été identifiés, dont 4 ont présenté des symptômes grippaux. Parmi ceux-ci, un seul, son père, est un cas confirmé de grippe aviaire. Mais le génotypage du virus a révélé qu'il s'agissait d'un variant ancien (H5N1 de clade 2.3.2.1.c).

Pourquoi les virus de la grippe aviaire infectent-ils rarement l’homme ?

Les virus influenza se fixent sur leurs cellules cibles via leur hémagglutinine (l’équivalent de la protéine Spike de SARS-CoV-2). Celle-ci se lie à des molécules présentes dans les membranes des cellules cibles, les glycanes, lorsqu'ils se terminent par un acide sialique. Également nommé acide N-acétylneuraminique, l’acide sialique peut être lié aux glycanes par deux types de liaisons : l'une dite « alpha 2,3 » et l'autre dite « alpha 2,6 ».

L’hémagglutinine des virus influenza humains se fixe à l’acide sialique lié au glycane par une liaison alpha 2,6 (présent dans les parties hautes de l’arbre respiratoire humain : nez, trachée). Celle des virus influenza aviaires se fixe à celui lié par une liaison alpha 2,3. Dans l’espèce humaine, cette dernière forme d’acide sialique ne se trouve que dans les parties profondes de l’arbre respiratoire (bronchioles) [10].

Ainsi, pour qu’un humain soit infecté par un virus aviaire, il est nécessaire que ce dernier pénètre profondément dans l’arbre respiratoire (puisque le nez et la trachée ne possèdent pas les récepteurs nécessaires). Cette particularité est à l’origine du fait que l’homme est rarement infecté par les virus aviaires et que, lorsque cette infection survient, elle est fréquemment sévère (infection profonde d’emblée).

Trois épidémies au sein de colonies de phoques

Récemment, des épidémies de grippe aviaire H5N1 de clade 2.3.4.4b ont été signalées au sein d’espèces de mammifères. La première a eu lieu en juin 2022 chez des phoques de Nouvelle-Angleterre [11]. Au cours d’une vague d’influenza affectant particulièrement les oiseaux de mer, 17 phoques sont morts de cette infection. Les fèces d’oiseaux malades sont le mode de contamination le plus probable, les oiseaux de mer partageant les mêmes zones de repos que les phoques.

Mais, chez 4 phoques, le virus portait deux mutations qui n’ont pas été mises en évidence chez les oiseaux locaux, suggérant une possible transmission au sein de l’espèce. Des trois mutations de la fraction PB2 de la polymérase virale connues pour favoriser l’infection des mammifères, PB2 D701N, PB2 T271A et PB2 E627K, seule la dernière a été identifiée, chez un seul des 8 phoques dont les virus ont été séquencés. La transmission de phoque à phoque a pu se faire par aérosols (ces animaux sont connus pour vocaliser abondamment lorsqu’ils se reposent en groupes sur les côtes).

Depuis, deux autres épidémies d’H5N1 au sein de populations de phoques ont été signalées, au Pérou (mort d'environ 600 phoques) [12] et dans la Mer Caspienne (plus de 700 phoques morts) [13].

Une épidémie dans un élevage de visons espagnol

Plus récemment, un article publié dans Eurosurveillance [14] montre que le virus H5N1 s'est également propagé entre des visons au sein d’un élevage espagnol. L'épidémie a débuté début octobre 2022 dans une ferme située en Galice abritant près de 52 000 visons. Les éleveurs ont noté une forte augmentation de morts et les écouvillons nasopharyngés des visons ont révélé la présence de la grippe aviaire H5N1 de clade 2.3.4.4b. Le taux de mortalité a augmenté chaque semaine, se propageant des zones initialement touchées au reste des bâtiments, pour atteindre un pic vers la fin du mois d'octobre.

Une analyse génétique plus détaillée du virus H5N1 des visons a révélé qu'il était étroitement lié à une souche trouvée chez les oiseaux de mer en Europe. Ces oiseaux pourraient avoir introduit le virus dans l'élevage, étant donné que les bâtiments étaient partiellement ouverts. De fait, aucun foyer de grippe aviaire n'a été repéré dans les élevages de volailles qui ont fourni des sous-produits alimentaires à l'élevage de visons. La transmission entre visons ne fait guère de doute au cours de cette épidémie.

De plus, les scientifiques ont découvert que le virus H5N1 des visons espagnols avait une mutation peu commune (PB2 T271A) qui n'avait été observée qu'une seule fois auparavant chez un putois européen infecté par H5N1. Cette mutation, présente dans le gène PB2 du virus de la grippe humaine H1N1 de 2009, possède des caractéristiques qui permettent au virus d’infecter certaines cellules des voies respiratoires humaines.

Aucune infection humaine n'a été constatée dans l'exploitation. À noter, les travailleurs des élevages de visons espagnols sont tenus de porter des masques en raison des risques de SRAS-CoV-2 dans ce milieu.

Doit-on craindre ces épidémies chez les mammifères ?

Ces événements constituent les premières épidémies de H5N1 potentiellement dues à une transmission de mammifère à mammifère et ils ont ravivé les craintes que ce clade de virus H5N1 puisse être à l’origine d’une épidémie de grippe aviaire dans l’espèce humaine.

Mais une pandémie humaine de grippe aviaire H5N1 nécessiterait :

  • une adaptation du virus H5N1, en particulier une capacité à se fixer sur l’acide sialique lié au glycane par une liaison alpha 2,6 (ce qui en augmenterait l’infectivité chez l’homme) ;
  • une transmission interhumaine soutenue.

Comme ces conditions ne sont pas réunies à ce jour, l'OMS a récemment déclaré que le risque d'infection par H5N1 reste faible pour l'homme. Elle a néanmoins lancé une mise en garde : « Comme ces virus évoluent et se propagent constamment dans les populations animales, et que le risque d'exposition pour l'homme est accru, il est urgent de redoubler de vigilance et de prendre des mesures de santé publique » [15].

Des mesures pour prévenir l’adaptation des virus aviaires aux humains

À la suite de l’épidémie survenue en Espagne, les virologues alertent sur la nécessité de campagnes de sensibilisation dans les élevages de visons, afin de limiter le risque d’adaptation à l’homme des variants, en réduisant le risque d’échanges de gènes entre le virus de l’influenza aviaire et celui de la grippe saisonnière (les variants H5N1 sont connus pour la facilité avec laquelle ils échangent des gènes). Certains experts vont même jusqu’à recommander l’arrêt systématique de l’élevage de visons en période d’épidémie de grippe aviaire.

À noter que, dans une même logique, les personnes qui travaillent dans des élevages français (éleveurs, techniciens, vétérinaires, etc., quelle que soit l’espèce élevée) doivent désormais se faire vacciner contre la grippe saisonnière tous les hivers, afin de réduire le risque de recombinaison entre virus humains et animaux.

De plus, selon les instances en charge du suivi des épizooties (par exemple, l’Organisation mondiale de la santé animale [16], les personnes en contact étroit avec les animaux (domestiques et sauvages) devraient faire l'objet d'une surveillance virologique et sérologique plus soutenue, en particulier celles qui travaillent dans des élevages intensifs de volailles, de porcs et d'animaux à fourrure, sur les marchés et dans le commerce d'animaux vivants, ou dans des centres de sauvetage d'animaux sauvages. Une telle surveillance régulière apporterait des bénéfices bien au-delà du cas de la grippe aviaire, comme illustré par les deux épidémies de SRAS et de Covid-19.

Enfin, il est essentiel que les efforts de recherche continuent pour mieux comprendre les mécanismes qui ont permis au virus H5N1 de clade 2.3.4.4b de provoquer des épidémies chez les mammifères. Quelques études sur le sujet existent (cf. par exemple 17 et 18), mais ce type de recherche, sur le gain de fonction (« gain-to-function », des modifications contrôlées du génome viral destinées à améliorer l’infectivité), est bloqué par les différents moratoriums destinés à prévenir les dérapages possibles lors de la création de virus plus contagieux en laboratoire.

Conclusion

Face à l’émergence d’épidémies de grippe aviaire H5N1 dans des populations de mammifères, il semble essentiel que les autorités de tous les pays mettent en place des mesures destinées à réduire la prévalence de cette infection et à prévenir la présence simultanée de virus influenza aviaires, humains et mammaliens (en particulier ceux des visons et des porcs) dans les élevages. Récemment, les autorités britanniques ont publié un plan de surveillance détaillé [19].

De plus, en termes de recherche, une plus grande priorité devrait être donnée au développement d’un vaccin universel contre la grippe, au-delà des variants habituellement rencontrés dans la population humaine. Des travaux dans ce sens sont en cours, avec des avancées récentes qui permettent d’être optimiste.

Sources

Commentaires

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SimoneS Il y a un an 0 commentaire associé

Bonjour....

Thème très bien commenté sur la Grippe 

Aviaire et son évolution "possible" vers les mammifères ..dont l'Homme   ... (???)....

Souhaitons en rechappera !!!

 

blabl Il y a un an 0 commentaire associé

Bonjour, j'aimerais entrer en contact avec l'auteur de cet article pour le Biodiversity MAG, merci, Laurent Dingli

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