#Santé

Estimation du débit de filtration glomérulaire : l’utilisation des formules en pratique

À côté de CKD-EPI, plusieurs autres formules adaptées à certaines sous-populations peuvent aussi être utilisées pour estimer le débit de filtration glomérulaire.

Martin Flamant 27 octobre 2022 Image d'une montre13 minutes icon Ajouter un commentaire
1
2
3
4
5
3,8
(4 notes)
Publicité
L'estimation du DFG selon le type de population.

L'estimation du DFG selon le type de population.

Résumé

Deux articles précédents publiés dans les actualités VIDAL ont détaillé :

  • d’une part les marqueurs, la créatinine au premier rang, sur lesquels s’appuie l’estimation du débit de filtration glomérulaire (DFG), meilleur indicateur de la fonction rénale ;
  • d’autre part les différentes formules telle la CKD-EPI qui a définitivement détrôné la formule de Cockroft.

Dans ce troisième et dernier chapitre, le choix des différentes formules selon les différents types de population est abordé : en population générale, chez les sujets âgés, les enfants et parfois selon l’ethnie.

Le degré de précision attendu de l’estimation du débit de filtration glomérulaire (DFG), qui peut varier en fonction de la situation clinique, est également un élément à prendre en compte.

Le choix des formules d’estimation du DFG selon le type de population

Population générale

Formules dérivées de la créatininémie

De nombreuses études ont comparé les performances des formules dérivées de la créatininémie. En population générale, la formule de Cockcroft a des performances très inférieures à l’ensemble des autres, MDRD (Modification of Diet in Renal Disease), CKD-EPI (Chronic Kidney Disease Epidemiology Collaboration) ou EKFC (European Kidney Function Consortium) [1], avec un biais par surestimation important dans la population adulte jeune et par sous-estimation chez les sujets âgés, ainsi qu’une précision inférieure [2].

Les formules MDRD et CKD-EPI se sont par ailleurs révélées supérieures à la formule de Cockcroft dans de nombreuses sous-populations, tels les patients obèses, diabétiques, ou transplantés rénaux [3].

La seule population dans laquelle les formules MDRD et CKD-EPI sont peu performantes est la population à faible IMC (< 18 kg/m²) [2]. En effet, les formules MDRD et CKD-EPI n’intégrant pas le poids dans leur équation, elles émettent donc l’hypothèse que les sujets de même âge, sexe et origine ethnique ont la même production de créatinine.

Les recommandations nationales et internationales ont choisi de ne plus proposer la formule de Cockcroft comme outil pour le diagnostic et la classification de la maladie rénale chronique (MRC). L’argument selon lequel elle doit être conservée pour les décisions d’adaptation posologique ne peut être retenu, car même si cette formule a été celle employée pour établir les seuils d’adaptation de doses pour beaucoup de médicaments, l’absence de sa réévaluation avec les méthodes de dosage de la créatinine actuelles rend son résultat inutilisable individuellement [1, 4, 5].

Les performances relatives des formules MDRD et CKD-EPI ont également fait l’objet de nombreux travaux, tant en population générale qu’en sous-population [6].

Aux stades intermédiaires et évolués de la MRC (stade de 3 à 5), l’estimation du DFG obtenu par ces deux formules est extrêmement proche, avec des performances globales comparables. C’est aux stades 1 et 2 de la MRC DFG élevés (> 60 mL/min/1,73 m² en particulier) que la formule CKD-EPI trouve son principal intérêt, car aux valeurs basses de créatinine plasmatique, la formule MDRD surestime de façon très importante la valeur du DFG.

La formule EKFC, récemment développée, a fait l’objet d’une validation externe au sein du consortium européen uniquement, et expose des performances au moins équivalentes à celles de CKD-EPI. Elle a pour principal avantage de pouvoir être utilisée en population pédiatrique et d’améliorer les performances pour l’adulte jeune de moins de 40 ans, pour lequel les formules CKD-EPI et MDRD surestiment le DFG réel. L’analyse comparée de CKD-EPI et EKFC montre bien que la différence d’estimation concerne essentiellement la population de moins de 40 ans, alors que l’estimation est similaire au-delà [7].

Formules dérivées de la cystatine C

De nombreuses études ont évalué les performances relatives des formules dérivées de la créatinine et celles dérivées de la cystatine C. En population générale, les formules dérivées de la cystatinémie n’ont pas démontré de performances supérieures à celle dérivées de la créatininémie.

Seules les formules utilisant à la fois la créatininémie et la cystatinémie améliorent significativement les performances en population globale [8].

Les équations employant la cystatine C seule trouvent leur intérêt dans des sous-populations particulières de patients pour lesquelles le marqueur créatinine est mis en défaut, telle la population des patients cirrhotiques [9].

Sous-populations

Sujets âgés

Le choix des formules pour la population âgée a fait l’objet de nombreux travaux. Toutes prennent en compte l’âge dans leur modélisation, car la production musculaire de créatinine moyenne décroît avec ce dernier. Cependant, la prise en compte de l’âge est modélisée différemment selon les formules.

Les différentes études effectuées chez les sujets âgés ont montré que la formule de Cockcroft sous-estimait le DFG [2, 10], et que cette sous-estimation augmentait avec l’âge. A contrario, les formules CKD-EPI et MDRD estiment en moyenne correctement le DFG chez les sujets âgés non institutionnalisés, même si leur précision dans la population âgée est inférieure à celles de la population générale. Dans la population âgée institutionnalisée et grabataire, les formules CKD-EPI et MDRD surestiment le DFG, compte tenu de la sarcopénie [11].

La formule BIS-1, spécifiquement développée chez le sujet âgé, a des performances similaires à celles de CKD-EPI, mais présente un biais variable en fonction de la valeur du DFG [12, 13].

Facteur ethnique

Les formules MDRD et CKD-EPI incluaient un facteur de correction destiné aux Afro-Américains, rendant respectivement un résultat de 21 % et de 16 % supérieur à l’estimation obtenue chez des sujets d’origine caucasienne de même âge, sexe et taux de créatinine plasmatique.

Dans la population afro-européenne, il a été montré que le facteur ethnique inclus dans les formules CKD-EPI et MDRD était excessif, la différence de DFG estimé pour une même créatininémie en fonction de l’origine ethnique ayant été évaluée à environ 8 % [14].

La prise en compte de tels facteurs pose le problème d’une probable importante hétérogénéité dans la différence de production musculaire ou de métabolisme de la créatinine, au sein même de la population d’origine africaine, notamment liée au sexe, au degré de métissage ou au bassin de population d’origine.

Entre autres considérations, le consortium CKD-EPI a alors suggéré récemment des formules d’estimation du DFG dérivées de la créatinine seule ou associée à la cystatine C n’incluant pas de facteur ethnique [15]. Cette formule Race Free est désormais recommandée par les instances nord-américaines pour le diagnostic et le suivi de la MRC. Dans la population européenne, il a récemment été montré que la suppression du facteur ethnique avec cette formule conduit à une perte de précision significative de l’estimation du DFG [16].

Population pédiatrique

Les formules d’estimation développées à partir d’une population adulte ne sont pas applicables à l’enfant. Des formules à partir de la créatininémie ont ainsi été proposées spécifiquement pour la population pédiatrique dès 1976 à partir de la seule taille [17], puis ensuite en individualisant des coefficients par sous-groupes, définis en fonction de l’âge et du sexe [18].

L’estimation du DFG en population pédiatrique a récemment bénéficié de l’implémentation de formules utilisant la cystatinémie seule ou en association avec la créatininémie [19] et, de façon encore plus récente, de l’apparition des équations FAS (Full Age Spectrum), reposant sur le concept de la modélisation du DFG à partir du ratio créatinine (ou cystatine) observée et créatinine (ou cystatine) attendue chez le sujet normo-rénal dans la même sous-population, et applicables chez l’adulte jeune. Les équations FAS ont démontré des performances supérieures chez le sujet normo-rénal et dans la zone de transition vers l’âge adulte [20].

La dernière évolution dans l’estimation du DFG pour l’enfant a été le développement de la formule EKFC, qui intègre le principe de l’équation FAS et qui, pour la première fois, est applicable de la population pédiatrique à la population gériatrique [21].

Prise en charge pratique et individuelle des patients

La démarche du clinicien consiste à confronter individuellement le niveau de précision nécessaire pour répondre à une question clinique posée et la précision attendue des méthodes d’évaluation du DFG pour un patient.

Le besoin de précision dépend à la fois de la nature de la question posée (par exemple, l’évaluation de l’éligibilité au don de rein requiert une évaluation précise du DFG), mais également de la décision clinique qui peut dépendre d’un certain seuil de DFG. Par exemple, si la question clinique est celle de savoir si un patient peut recevoir un traitement dont le seuil de contre-indication est à 30 mL/min, le besoin de précision sera faible si les formules d’estimation évaluent le DFG autour de 70 mL/min, mais important si elles l’évaluent autour de 35 mL/min.

De façon schématique :

  • Si le besoin de précision n’est pas important et que le patient n’a pas d’anomalie de la composition corporelle suggérant une production musculaire de créatinine anormale, l’évaluation du DFG peut se faire à partir d’une formule d’estimation dérivée de la seule créatininémie, la formule CKD-EPI en première intention, recommandée par les groupes de travail nationaux et internationaux à ce jour. La formule EKFC n’a été que récemment avancée, mais pourrait malgré tout se substituer avantageusement à cette formule, notamment chez l’enfant ou l’adulte jeune.
     
  • Si le besoin de précision n’est pas important, mais que le patient présente des comorbidités ou une anomalie de la composition corporelle suggérant une production musculaire de créatinine anormale (obésité morbide, nanisme, amputation, cirrhose, etc.), il est suggéré de confronter le résultat des formules dérivées de la créatininémie à celles s’appuyant sur la cystatine C ou les deux marqueurs. Si la discordance est trop importante, le clinicien pourra au cas par cas demander une mesure de DFG par clairance de traceur exogène.
     
  • Si le besoin de précision est d’emblée important, une mesure de DFG par clairance de traceur exogène est préférable. C’est le cas lorsque le diagnostic d’insuffisance rénale chronique ne peut être établi formellement, en particulier lorsqu’à une valeur de DFG estimée par le CKD-EPI ne s’associe ni anomalie du sédiment urinaire, ni protéinurie, ni hypertension artérielle. C’est le cas également avant don de rein pour établir précisément la normalité de la fonction rénale globale, préalable indispensable à la néphrectomie, mais aussi lorsqu’une décision thérapeutique est suspendue à la valeur du DFG, telle la nécessité ou non d’associer à une transplantation cardiaque ou hépatique une transplantation rénale (double transplantation foie/rein ou cœur/rein), ou quand la nécessité de débuter l’épuration extrarénale n’est suspendue qu’à la valeur de DFG.
    Le recours à une mesure du DFG pour le suivi de la fonction du transplant après greffe rénale est discuté, car les modifications de la composition corporelle dans les premiers mois de la greffe rendent les estimateurs peu performants pour évaluer l’évolution de la fonction du greffon rénal.
Encadré - Estimation du DFG pour l’adaptation posologique et chez le sujet âgé

Adaptation posologique

Pour des médicaments mis sur le marché il y a plusieurs décennies, les études pharmacocinétiques ont pour la plupart été effectuées avec une clairance urinaire de la créatinine. À cette époque, la clairance urinaire de la créatinine était plus proche du DFG réel qu’elle ne l’est actuellement, par un effet de double erreur en sens inverse qui se compensaient, une erreur par surestimation liée à la sécrétion tubulaire rénale de la créatinine et une erreur par sous-estimation liée au manque de spécificité du dosage de la créatinine. La formule de Cockcroft a été établie par comparaison à cette clairance urinaire de créatinine, et il était alors légitime d’utiliser cette équation pour l’adaptation posologique.

Avec les méthodes de dosage de créatinine plasmatique actuelles, standardisées IDMS et avec une meilleure spécificité, l’estimation du DFG par la formule de Cockcroft est mécaniquement modifiée, car cette formule n’a pas été réévaluée à la lumière de l’évolution des méthodes de dosage, à la différence d’autres formules comme la formule MDRD. Ainsi, si on imagine estimer la fonction rénale par la formule de Cockcroft sur un prélèvement effectué dans les années 1970 qui aurait été congelé, nous obtiendrions une valeur très différente de celle obtenue il y a 50 ans. De fait, en moyenne, dans la population adulte non âgée, la formule de Cockcroft surestime de façon importante le DFG réel. On voit bien ici toute la complexité d’utiliser une formule qui a été établie avec des méthodes de dosage et des référentiels qui n’ont plus cours, et il serait hasardeux de pouvoir interpréter les valeurs obtenues pour l’adaptation posologique. De manière générale, il est compliqué d’utiliser une formule d’estimation avec une méthode de dosage de créatinine qui n’est pas celle qui a été utilisée pour établir l’équation.

Le groupe KDIGO s’est penché il y a quelques années sur la question complexe de l’adaptation posologique. La conclusion en a été que les études de mise sur le marché devaient désormais nécessairement se faire avec une mesure du DFG par méthode de référence [1], et donc ni avec la clairance urinaire de la créatinine ni avec une méthode d’estimation. Ceci pour fixer définitivement les seuils d’adaptation posologique, et ne pas les lier à des équations forcément vouées à être remplacées. Ainsi, l’apparition de nouvelles formules ne pourra qu’augmenter la précision individuelle d’estimation du vrai DFG et sera donc intrinsèquement une plus-value pour l’adaptation posologique.

Sujets âgés

Si la formule de Cockcroft surestime le DFG en moyenne chez l’adulte, il a été montré que chez le sujet âgé ambulatoire, le biais moyen diminuait progressivement avec l’âge pour devenir négatif au-delà de 70 ans [2, 3]. Ceci traduit un défaut de modélisation de la diminution de la production musculaire de créatinine avec l’âge. Autrement dit, si la production musculaire de créatinine baisse bien physiologiquement avec l’âge, cette perte est surévaluée par la formule de Cockcroft. A contrario, les formules MDRD et CKDEPI modélisent correctement cette perte puisqu‘il n’est pas retrouvé de différence de biais moyen avec ces deux formules quel que soit l’âge [3]. Cela ne veut pas dire qu’individuellement la formule CKDEPI ne peut surestimer le DFG chez les sujets âgés, en particulier chez les patients grabataires et institutionnalisés. Mais ici le problème n’est pas tant le problème de l’âge, mais celui de la grabatisation, au même titre que la formule CKDEPI surestime fortement le DFG chez une jeune femme anorexique de 30 kg.

Cette discussion illustre bien le fait que l’estimation du DFG est avant une problématique individuelle, à l’appréciation du clinicien. Au-delà d’une justesse moyenne à l’échelle d’une population, le DFG estimé peut individuellement surévaluer ou sous-évaluer fortement le DFG. Pour rappel, il n’y a environ que 60 % des patients dont la valeur obtenue par la formule de Cockcroft est entre -30 et +30 % de la valeur réelle du DFG, et ce taux atteint environ 85 % avec les formules MDRD et CKDEPI. Ainsi, si les performances globales des formules en population générale sont certes intéressantes, elles restent finalement secondaires par rapport à la nécessité pour le clinicien de pouvoir évaluer la performance de ces formules de manière individuelle. Et donc la confiance qu’il peut donner à la valeur obtenue, alors que par définition, il ne connaît pas le DFG réel. Avec la formule CKDEPI actuellement recommandée, la valeur obtenue chez des sujets grabataires ou sarcopéniques sera certainement au-dessus de la valeur du DFG, ceux très musclés très en dessous, et ceux avec une masse musculaire proche de la population générale auront une estimation assez fiable.

 

Références

[1] Matzke GR, Aronoff GR, Atkinson AJ, Bennett WM, Decker BS, Eckardt K-U et al. Drug dosing consideration in patients with acute and chronic kidney disease-a clinical update from Kidney Disease: Improving Global Outcomes (KDIGO). Kidney Int., déc 2011; 80(11): 1122‑37.

[2] Froissart M, Rossert J, Jacquot C, Paillard M, Houillier P. Predictive performance of the modification of diet in renal disease and Cockcroft-Gault equations for estimating renal function. J Am Soc Nephrol., mars 2005; 16(3): 763‑73.

[3] Flamant M, Haymann J-P, Vidal-Petiot E, Letavernier E, Clerici C, Boffa J-J et al. GFR estimation using the Cockcroft-Gault, MDRD study, and CKD-EPI equations in the elderly. Am J Kidney Dis., nov 2012; 60(5): 847‑9.

 

Sources

Commentaires

Ajouter un commentaire
En cliquant sur "Ajouter un commentaire", vous confirmez être âgé(e) d'au moins 16 ans et avoir lu et accepté les règles et conditions d'utilisation de l'espace participatif "Commentaires" . Nous vous invitons à signaler tout effet indésirable susceptible d'être dû à un médicament en le déclarant en ligne.
Pour recevoir gratuitement toute l’actualité par mail Je m'abonne !
Presse - CGU - Données personnelles - Politique cookies - Mentions légales - Contact webmaster