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Douleur chez le sujet âgé : à rechercher systématiquement

Les douleurs sont extrêmement fréquentes chez les personnes âgées, source de nombreuses conséquences. Elles doivent être systématiquement recherchées et analysées. Leur prise en charge repose sur des mesures médicamenteuses et non médicamenteuses.
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La douleur concernerait de 40 à 75 % des personnes âgées vivant à leur domicile et près de 90 % de celles institutionnalisées (illustration).

La douleur concernerait de 40 à 75 % des personnes âgées vivant à leur domicile et près de 90 % de celles institutionnalisées (illustration).

Résumé
Fréquente et souvent plurielle, la douleur chez le sujet âgé doit être systématiquement recherchée et évaluée avec des outils validés. Elle peut retentir sur les sphères fonctionnelle, nutritionnelle, thymique et cognitive avec, à la clé, un risque de perte d'autonomie globale dans un contexte d'atteinte polymorbide.

Sa prise en charge est multimodale, faisant intervenir des mesures médicamenteuses et non médicamenteuses, en s'appuyant sur les différents acteurs de soins.
 


La prévalence de la douleur dans la population gériatrique est très élevée : elle concernerait de 40 à 75 % des personnes âgées vivant à leur domicile et près de 90 % de celles institutionnalisées. Les plus de 85 ans se présentent quatre fois plus souvent aux urgences pour une plainte douloureuse que les sujets de 50 ans, la douleur étant alors très fréquemment un motif de consultation.  

Sont en cause des étiologies variées, volontiers multiples, avec au premier plan les pathologies rhumatologiques, puis les douleurs liées aux cancers ou aux conséquences de leur traitement, et celles en lien avec des maladies chroniques comme le diabète, l'artérite des membres inférieurs ou le zona.
 
De multiples conséquences délétères
« La recherche de la douleur doit être systématique chez le sujet âgé, car elle impacte le patient dans toutes ses dimensions, fonctionnelle, nutritionnelle, psycho-affective, etc. », insiste le Dr Françoise Capriz, qui dirige le service de gérontologie clinique de l'hôpital Cimiez, à Nice.

Les douleurs affectant la sphère locomotrice sont une source de perte de mobilité et donc de confinement.

Le retentissement de la douleur sur l'appétit, déjà souvent erratique chez ces patients, peut venir aggraver des troubles nutritionnels préexistants. Sans oublier les conséquences des douleurs bucco-dentaires, souvent associées, mais également non reconnues.

Le caractère chronique de la douleur est aussi un facteur anxiogène et peut favoriser la survenue de troubles dépressifs, qui ont eux-mêmes un effet négatif sur le fonctionnement et les capacités cognitives. « À long terme, les douleurs chroniques sont délétères sur le plan cérébral et, ainsi, en présence de troubles mnésiques, il est important de toujours rechercher une douleur sous-jacente pouvant aggraver le tableau cognitif », poursuit le Dr Capriz.
 
Quels outils d'évaluation utiliser en pratique ?
L'évaluation de la douleur s'appuyant sur un outil fiable et validé est le préalable indispensable à une prise en charge adaptée. Comme le stipule le Collectif Doloplus, dans une récente mise au point publiée dans La Revue de gériatrie [1] , priorité doit être donnée à l'auto-évaluation chez les personnes qui peuvent s'exprimer.

L'échelle visuelle analogique n'est pas la plus adaptée aux sujets de plus de 75 ans, chez lesquels l'échelle numérique (EN) ou verbale simple (EVS) sont préférées.

En cas de troubles cognitifs, ou de doute à l'auto-évaluation, l'échelle Algoplus permet d'évaluer cinq items en moins d'une minute. Initialement validée pour la détection des douleurs aiguës, elle est en pratique utilisable en dépistage pour tous les types de douleurs.
 
Bien analyser la douleur
Puis vient l'analyse de la douleur, étape essentielle puisqu'elle guide la prise en charge. Il faut ainsi préciser son étiologie, son caractère aigu ou chronique, son rythme, les facteurs favorisants, sa survenue, etc., ainsi que son mécanisme, neuropathique, nociceptif ou mixte.

Par exemple, en cas de douleur neuropathique localisée, les traitements topiques sont à privilégier, ce qui permet d'éviter des prescriptions d'antalgiques systémiques inutiles et potentiellement délétères.

De même, certaines étiologies peuvent bénéficier d'approches spécifiques, comme des aides techniques, aujourd'hui insuffisamment utilisées dans les troubles musculo-squelettiques du grand âge.
 
Une approche multidisciplinaire
La majorité des sujets âgés n'ont pas une douleur d'origine unique, mais le plus souvent plusieurs douleurs aux mécanismes parfois intriqués, et la prise en charge thérapeutique est multimodale, médicamenteuse et non médicamenteuse (kinésithérapie, neurostimulation transcutanée, hypno-analgésie, psychothérapie, acupuncture, aides techniques, etc.).

« Le recours aux traitements non médicamenteux est certes plus facile en milieu hospitalier et dans les structures socio-sanitaires qu'en ville, reconnaît le Dr Capriz. Mais, en libéral, il est important de ne pas hésiter à travailler de concert avec les kinésithérapeutes, les psychologues, les infirmières et les pharmaciens, qui ont tous un rôle important à jouer aux côtés des médecins traitants dans la prise en charge de ces patients. »

Les kinésithérapeutes sont ainsi d'une aide précieuse pour la prescription des aises techniques, pour le choix d'une canne ou d'un cadre de marche, par exemple. Les pharmaciens, en première ligne pour la délivrance des ordonnances et l'automédication, sont partie prenante de l'éducation des patients, tout comme les infirmiers qui viennent à domicile.

Les patients doivent comprendre pourquoi tel ou tel traitement leur est prescrit et il faut savoir anticiper les questions, notamment en cas de prescription d'une classe de médicament dont le nom peut être mal interprété : antidépresseur, antiépileptique, morphine, etc.
 
Un suivi étroit du traitement médicamenteux   
« Tout traitement antalgique médicamenteux a des effets indésirables, ce qui nécessite un suivi étroit du patient afin d'être réactif », rappelle le Dr Capriz. Dans tous les cas, la prescription doit être adaptée à la fonction rénale, à l'état nutritionnel, au poids et aux comorbidités.

Un consensus d'experts pluridisciplinaires, publié en 2017, a émis un certain nombre de recommandations [2] d'utilisation des antalgiques chez la personne âgée, en particulier chez les personnes fragiles et en état de grande dépendance.

Ce consensus rappelle que le paracétamol reste le médicament de choix en première intention dans les douleurs faibles à modérées, en prenant soin d'adapter la posologie en fonction des coprescriptions (notamment d'anticoagulants, en raison d'un risque accru hémorragique récemment décrit) et des comorbidités.

Du fait de leur toxicité digestive, rénale et cardiaque, et du risque de syndrome confusionnel, les anti-inflammatoires non stéroïdiens per os ne sont utilisés qu'en cas d'échec du paracétamol et leur prescription éventuelle doit obéir à des règles strictes.

Les formes topiques sont intéressantes dans certaines indications comme l'arthrose du genou ou de la main.

Quant au néfopam, analgésique central non opioïde doué d'une activité anticholinergique, il expose à tout un cortège d'effets indésirables, étant encore trop souvent employé en postopératoire ou dans un contexte d'urgence.
 
La place des opioïdes faibles récemment reprécisée
La place des opioïdes faibles (codéine, tramadol, poudre d'opium et dihydrocodéine), déjà précisée dans ce premier avis d'experts, a fait l'objet d'un nouveau travail de consensus spécifique, dont les conclusions ont récemment été publiées [3].

Comme l'indiquent les experts de l'intergroupe SFEDT/SFGG (Société française d'étude et de traitement de la douleur et Société française de gériatrie et gérontologie), ces opioïdes dits faibles restent utiles chez le sujet âgé, même si leur place hiérarchique dans la stratégie thérapeutique reste débattue et que des études robustes sont encore nécessaires.

Leur prescription en gériatrie se fait avec des précautions d'emploi similaires à celles des opioïdes forts et une surveillance de la tolérance et du mésusage dès la prescription initiale. Le choix de la molécule est guidé par l'étiologie et le mécanisme physiopathologique de la douleur, les comorbidités, les médicaments associés, la forme galénique la plus adaptée et l'environnement.

Les opioïdes forts, classiquement prescrits dans les douleurs cancéreuses et postopératoires, ont pour la plupart une autorisation de mise sur le marché dans la douleur chronique non cancéreuse, sur une durée limitée (trois mois) et à des doses modérées, en cas d'échec des traitements de première intention, comme l'a recommandé récemment la SFETD.

Sous réserve du respect des précautions d'emploi et d'une titration bien conduite, ils ont toute leur place chez la personne âgée.
 
Quelle approche dans les douleurs neuropathiques ?
Dans les douleurs neuropathiques, l'approche multimodale, s'appuyant, au-delà des médicaments, sur des techniques non médicamenteuses, est également préconisée.

Il est à noter que traitement médicamenteux des douleurs neuropathiques ne répond pas aux mêmes règles que celles des douleurs nociceptives. Notamment, l'intensité des douleurs n'est, dans ce cas, pas un critère de choix des médicaments antalgiques, et la règle des paliers de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) n'est pas applicable.

Il s'agit de traitements prolongés, sur plusieurs mois, débutés à faibles doses  puis augmentées progressivement.

Les voies topiques doivent être privilégiées lorsque cela est possible, comme, le recours à des emplâtres de lidocaïne à 5 % dans les neuropathies périphériques localisées en première intention. Les patchs de capsaïcine à 8 % sont pour l'instant réservés à l'usage hospitalier.

Le traitement systémique fait préférentiellement appel aux anti-épileptiques gabapentinoïdes (la gabapentine est alors utilisée en première intention) et aux antidépresseurs. Les effets anticholinergiques des tricycliques en limitent leur utilisation, c'est pourquoi les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (Irsna) leurs sont préférés, sans pour autant méconnaître leurs effets indésirables. 

D'après un entretien avec le Dr Françoise Capriz, qui dirige le service de gérontologie clinique de l'hôpital Cimiez, à Nice.

 
©vidal.fr

Pour en savoir plus
[1] Capriz F et al. Évaluation de la douleur dans le grand âge : où en sommes-nous en 2021 ? Rev Geriatr, 2021 ; 46 : 479-487.

[2] Capriz F et al. Consensus multidisciplinaire d'experts en douleur et gériatrie : utilisation des antalgiques dans la prise en charge de la douleur de la personne âgée (hors anesthésie). Douleurs Évaluation - Diagnostic - Traitement, 2017 ; 18 : 234-247.

[3] Pickering G et al. Consensus multidisciplinaire de l'intergroupe SFETD/SFGG sur l'utilisation des opioïdes dits faibles dans la prise en charge de la douleur chez la personne âgée. Douleur analg., 2021 ; 34 : 247-259.
 
Sources

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