#Santé publique #COVID-19

Décoder les informations sur la tolérance des médicaments ... et des vaccins en particulier

De nombreuses informations ont circulé ces dernières semaines à propos de la tolérance des vaccins contre la COVID-19. Mais elles ont aussi été à l'origine de beaucoup de confusion quant à la signification de certains effets secondaires constatés après la vaccination. D'où l'importance de bien comprendre comment s'organise la pharmacovigilance, qui est l'étude de la tolérance des médicaments après leur commercialisation « dans la vraie vie ». La mise en évidence d'effets indésirables, trop rares pour avoir été détectés au cours des essais, constituera un signal si l'événement est inhabituel et grave.
Élisabeth LECA 08 avril 2021 Image d'une montre9 minutes icon Ajouter un commentaire
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Bien connaître le mode de fonctionnement du système de pharmacovigilance français (illustration).

Bien connaître le mode de fonctionnement du système de pharmacovigilance français (illustration).


Un certain nombre de termes reviennent souvent dans les informations sur la tolérance des vaccins et peuvent entraîner une confusion qui nécessite quelques éclaircissements. Il s'agit d'expressions comme celles de « vaccinovigilance », « d'absence de lien causal entre un événement indésirable et un médicament », ou encore de « signal ».

Le terme de « vaccinovigilance » est inapproprié : il s'agit toujours de pharmacovigilance
On parle souvent de « vaccinovigilance » pour l'étude de la tolérance des vaccins. Or ce terme est inapproprié, les vaccins étant des médicaments comme les autres et la surveillance des événements indésirables des médicaments après leur commercialisation s'appelle la pharmacovigilance. Elle s'appuie sur des procédures d'évaluation spécifiques. Il ne viendrait d'ailleurs à l'esprit de personne de parler d'« antibiovigilance » pour la surveillance des antibiotiques ou de « diabétovigilance » pour celle des médicaments du diabète.

Bien évidemment, le niveau d'exigence de sécurité peut être différent pour un vaccin et il l'est tout particulièrement pour les vaccins contre la COVID-19 (voir les procédures renforcées décrites dans notre article « La pharmacovigilance des vaccins contre la COVID-19 »). En effet, un vaccin est un médicament de prévention, puisqu'il s'adresse à des sujets en bonne santé, et son bénéfice individuel est hypothétique et différé, alors que son risque est souvent immédiat. Les vaccins ne sont pas les seuls produits administrés en prévention : nombre de médicaments sont prescrits à ce titre dans la sphère cardiovasculaire ou en antibioprophylaxie. Enfin, et surtout, dans le contexte de la pandémie actuelle, le bénéfice attendu du vaccin contre la COVID-19 sera individuel et rapide, puisque l'on en attend l'absence de survenue de l'infection dans un délai court.

L'absence de causalité entre un événement indésirable et un médicament est un mauvais argument
L'absence de lien causal ne peut en aucun cas exclure le rôle d'un médicament, mais traduit seulement le fait que, d'emblée, il est toujours impossible d'établir une causalité entre un événement indésirable et la prise d'un médicament. En effet :

La seule façon d'établir une causalité est de montrer une différence statistiquement significative (et pertinente) de survenue d'un événement dans deux groupes de personnes strictement semblables, l'un recevant le médicament, et l'autre non ou bien un placebo. Pour obtenir des groupes strictement semblables, l'affectation doit se faire de façon aléatoire, grâce à un tirage au sort (randomisation), qui attribue à chaque sujet, soit le candidat vaccin, soit un comparateur ou un placebo.

Il faut également que l'évaluation ne puisse pas être influencée par le type de traitement, donc que l'étude soit réalisée en double aveugle, c'est-à-dire que, ni le médecin, ni le sujet ne connaissent le produit reçu.

Enfin, en matière d'effets indésirables rares, la grande difficulté vient de ce que l'on ne sait pas ce que l'on cherche ! De ce fait, il est impossible de réaliser les calculs préalables qui permettent habituellement de déterminer le nombre de sujets nécessaires à la démonstration statistique d'un lien de cause à effet. Aucune étude randomisée ne peut donc être menée pour les détecter. Il ne serait de toute façon pas éthique d'entreprendre un essai construit pour comparer une différence de répartition d'événements indésirables entre vaccin et placebo.

Comment approcher le lien entre un événement indésirable et un médicament ?
L'existence d'un lien entre un effet indésirable et un médicament peut être étudiée à partir des signaux rapportés, avant l'autorisation de mise sur le marché (AMM), dans les essais d'efficacité et, après l'AMM, par les données de la pharmacovigilance.

1) Avant l'AMM, les données de tolérance issues des essais
Si les effectifs et la durée des essais d'efficacité sont insuffisants pour identifier les événements indésirables rares (<1/1 000) ou retardés d'un vaccin, une répartition différente dans les groupes (vaccin et comparateur), de certains effets secondaires, sans atteindre une signification statistique, constitue, compte tenu du caractère randomisé et en double aveugle de ces études, un signal qui devra être particulièrement surveillé en post-AMM (plan de gestion des risques).

À titre d'exemple, on pourrait considérer que, avec le vaccin Pfizer-BioNTech, outre les effets locaux et généraux (le plus souvent bénins) plus fréquents dans le groupe vaccin, les paralysies faciales (4 dans le groupe vaccin et aucune dans le groupe comparateur) rapportées dans l'essai de référence, constituent un signal, car il s'agit d'un effet « inhabituel et grave ». Ce signal est particulièrement surveillé en post-AMM grâce à la notification spontanée aux centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV), mais ne semble pas ici se confirmer en « vraie vie ».

Cependant, si le doute persistait, une étude de pharmaco-épidémiologie cas/témoins pourrait être envisagée. Elle consisterait à recenser les paralysies faciales (les cas), à leur trouver des témoins « appariés », sans paralysie faciale, mais ressemblant le plus possible aux cas, sur des critères comme l'âge, le sexe, les facteurs de risque connus de paralysie faciale, etc. S'il est mis en évidence une différence statistiquement significative de la fréquence de vaccinés chez les cas et les témoins, il sera possible de conclure qu'il existe une association statistiquement significative entre vaccin et paralysie faciale. Une telle conclusion est pertinente en termes décisionnels, mais, en aucun cas, ne pourrait conduire à affirmer une relation causale entre paralysie faciale et vaccin, puisque l'on ne se situe pas dans le cadre d'un essai randomisé, mené en double aveugle, et que des biais pourraient expliquer cette association (par exemple, la non vaccination de personnes ayant des facteurs de risque de paralysie faciale).

2) Après l'AMM, la pharmacovigilance
La pharmacovigilance vise à dépister les effets indésirables trop rares pour avoir été détectés au cours des essais. Elle s'appuie sur la déclaration d'événements secondaires inattendus (par les professionnels de santé, ainsi que par les patients et les associations de malades) aux 31 centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV) français, sur l'analyse faite par ces CRPV et, enfin, sur leur centralisation et des échanges d'informations entre ces CRPV et l'ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé), voire avec les autorités européennes.

L'analyse des médecins des CRPC a pour objectif d'établir l'importance de la relation entre chaque médicament pris par le patient (et pas seulement celui a priori suspect) et l'événement indésirable, en suivant une méthodologie précise dite d'« imputabilité ». Cette « imputabilité » repose sur :
  • la chronologie de l'événement par rapport à la prise du médicament ;
  • la sémiologie de l'événement ;
  • les résultats des examens de laboratoire appropriés ;
  • les facteurs de risque ou les autres causes possibles de cet événement ;
  • les mécanismes pouvant expliquer cet effet.
Il s'agit d'une démarche objective, fondée sur un raisonnement logique, qui nécessite un dialogue entre le clinicien à l'origine de la déclaration et le médecin de pharmacovigilance.

Enfin, la description de cas analogues dans des bases de pharmacovigilance et dans la littérature (imputabilité bibliographique) peut conforter le rôle d'un vaccin, mais son absence ne l'exclut pas.

Après avoir coté l'imputabilité, l'observation est saisie dans la banque de données nationale de pharmacovigilance, puis intégrée dans la base de données européenne (EudraVigilance) et dans la base de l'OMS (VigiLyze).

Concernant les événements thrombo-emboliques observés après l'administration du vaccin AstraZeneca, les facteurs de risque thrombotique (en dehors de celui supposé du vaccin), sont donc particulièrement recherchés, car ils diminuent l'imputabilité, c'est-à-dire la responsabilité du vaccin. On regrette que les facteurs de risque de thrombose comme la prise de contraceptifs oraux (puisque la majorité des thromboses concerne des femmes jeunes), l'existence de coagulopathies, etc., qui ont forcément été recueillies par les CRPV, soient difficiles à identifier par les autorités de santé.

Qu'est-ce qu'un signal ? Quand et comment le prendre en compte pour décider d'une conduite à tenir devant un « nouvel » événement indésirable ?
En pharmacovigilance, un signal est le fruit d'un trouble généré par la notification de prescripteurs à leur CRPV (voire via une publication) d'un événement inhabituel, rare, le plus souvent grave, rattaché à la prise d'un médicament (que le lien soit suspecté ou fortement probable), dont la nature, inconnue jusqu'alors, la présentation, la fréquence ou la sévérité diffèrent de ce qui était déjà rapporté ou attendu avec ce médicament.

Un signal est donc une observation troublante, faite soit au cours des essais d'efficacité (par exemple, paralysie faciale avec le vaccin Pfizer-BioNTech), soit notifiée aux CRPV en post-AMM (par exemple, les événements thrombo-emboliques avec le vaccin AstraZeneca). Ainsi, des événements thrombo-emboliques n'ont pas été constatés dans les essais d'efficacité du vaccin AstraZeneca, mais un signal est apparu, après sa mise sur le marché, chez des sujets vaccinés, en France et dans d'autres pays européens. Pour rappel, en France, au 11 mars 2021, 13 cas/1 041 000 injections, dont 2 infarctus du myocarde, 1 thrombus intracardiaque, 4 embolies pulmonaires, 2 thromboses des sinus veineux cérébraux, 4 accidents vasculaires cérébraux ischémiques dont 1 associé à une CIVD (coagulation intravasculaire disséminée), ont été notifiés aux CRPV, qui ont ensuite alerté l'ANSM.

En présence d'un signal, sont menées, parallèlement, une surveillance « renforcée » des nouveaux cas, des études plus fondamentales sur des mécanismes d'action du vaccin qui pourraient appuyer son rôle dans l'événement indésirable, et des études ciblées de pharmaco-épidémiologie.

Il est important de rappeler que, dans le cas des vaccins contre la COVID-19 (compte tenu de leur rapidité de développement et de leur cible [à terme toute la population]), un dispositif renforcé de surveillance des événements indésirables a été mis en place : discussion à propos des signaux, chaque semaine, par les 31 CRPV, signaux qui pourront se transformer en alerte après une analyse clinique et pharmacologique de l'ensemble des cas, assortie d'un partage des données européennes et d'un engagement à la transparence et à la communication (voir notre actualité « La pharmacovigilance des vaccins contre la COVID-19 »).

Si une décision doit être prise « en urgence », elle devra s'appuyer sur le constat d'une augmentation des cas de thromboses notifiées, qui persiste, voire se majore. Le recueil, l'analyse et la centralisation des cas par les CRPV, donc la pharmacovigilance post-AMM, prendront le pas sur la mise en place d'études portant sur les mécanismes d'action du vaccin ou de pharmaco-épidémiologie, plus longues à réaliser.

En cas d'alerte, la prise de décision reste difficile car, même si une association est suspectée entre médicament et événement indésirable, il ne sera pas possible de prouver, à ce stade, qu'il s'agit d'une relation de cause à effet. Pour savoir s'il existe une association significative, il faudra attendre les résultats d'études pharmaco-épidémiologiques, qui demandent du temps. Les éventuelles décisions ne sont pas prises sur un nombre « seuil » de cas d'effets indésirables (impossible à définir), mais sur un faisceau de critères comme :
  • Le bénéfice attendu du médicament.
  • La comparaison du nombre de cas observés à celui attendu dans la population générale, dans un laps de temps compatible avec le délai de survenue des cas déjà déclarés, prenant en compte le biais de notoriété (les événements thrombo-emboliques seront désormais signalés aux CRPV chez les vaccinés alors qu'ils le seront moins chez les non vaccinés). À cet égard, il est intéressant de constater que la direction générale de la santé (DGS) a estimé que le nombre global d'événements thrombo-emboliques rapportés après la vaccination est inférieur à celui attendu dans la population générale. Excellente nouvelle donc car, si l'on prend à la lettre cette information, le vaccin AstraZeneca serait protecteur d'événements thrombo-emboliques ! 
  • La présence ou non de facteurs de risque, qui pourrait conduire à réserver le vaccin à certaines populations.

En conclusion
- La pharmacovigilance est particulièrement attentive à la surveillance des vaccins anti-COVID19, du fait de leur usage massif et de la rapidité inhabituelle de leur commercialisation. Cependant, l'analyse des données reste complexe.

- L'engagement à la transparence et à la communication semble respecté, même si cette transparence peut être perturbante pour les personnes réticentes face à ces vaccins.

- Les praticiens doivent donc connaître le mode de fonctionnement du système de pharmacovigilance français, pour bien l'utiliser et comprendre le sens et l'interprétation de certains mots (« vaccinovigilance », « absence de lien causal » et « signal »). Ils pourront ainsi éventuellement expliquer, à leurs patients, les données rapportées et les décisions prises.

©vidal.fr

Pour en savoir plus
- Notre actualité sur la pharmacovigilance des vaccins
Leca E. La pharmacovigilance des vaccins contre la COVID-19. Vidal.fr. 22 décembre 2020.

- Les rapports périodiques de l'ANSM.
ANSM. Point de situation sur la surveillance des vaccins contre la COVID-19. 19 mars 2021. Période du 12/03/2021 au 18/03/2021. Mise à jour le 6 avril 2021.

- La prise de position de la direction générale de la santé (DGS)
DGS-Urgent n°2021_36. Point sur la pharmacovigilance du vaccin COVID-19 AstraZeneca. 22 mars 2021.

 
Sources

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