#Santé publique

Chlorpromazine et COVID-19 : les raisons de l'étude clinique lancée à Sainte-Anne

Une équipe de l’hôpital Sainte-Anne (Paris) vient de lancer un essai clinique randomisé en simple aveugle pour évaluer l’efficacité de la chlorpromazine (LARGACTIL) dans le traitement de la COVID-19 chez 40 patients atteints de dyspnée modérée.

Les raisons qui sous-tendent cette étude sont multiples. En effet, cet ancêtre des neuroleptiques a montré des propriétés non-psychotropes qui semblent, sur le papier, en faire un candidat possible dans le traitement de cette infection à coronavirus.

Tout d’abord, l’équipe de Sainte-Anne a observé une moindre prévalence de la COVID-19 parmi leurs patients que parmi les soignants de cet établissement. Même si d’autres explications sont possibles (tabagisme plus fréquent chez les patients et isolement social plus marqué), cette différence les a interrogé sur un possible effet médicamenteux.

Ensuite, la chlorpromazine, qui tend à se concentrer dans les poumons et la salive, inhibe les mécanismes endocytaires par lesquels les SARS-CoV et le MERS-CoV infectent leurs cellules cibles. Injectée à des souris infectées par un modèle murin de SARS-CoV-1, elle semble réduire les symptômes (sans réduire la production virale au niveau des poumons).

Enfin, la chlorpromazine a montré une activité immunomodulatrice qui pourrait se révéler utile pour contrôler les symptômes inflammatoires de la COVID-19.

Pour toutes ces raisons, l’étude reCoVery a vu le jour fin avril. Ses résultats devraient être communiqués en septembre.
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Le SARS-CoV-2 infecte les cellules via une endocytose dépendante d'une cage fibreuse de clathrines (illustration)

Le SARS-CoV-2 infecte les cellules via une endocytose dépendante d'une cage fibreuse de clathrines (illustration)


Récemment, une équipe de chercheurs de l'hôpital Sainte-Anne à Paris a annoncé le lancement d'un essai, intitulé "reCoVery", qui vise à évaluer l'efficacité d'un traitement par chlorpromazine (LARGACTIL) dans le traitement de la COVID-19.
Quelles sont les raisons qui ont amené cette équipe à envisager l'usage du tout premier neuroleptique à avoir été prescrit (dès 1951) dans une infection encore inconnue il y a 6 mois ?

Chlorpromazine contre COVID-19 : les arguments épidémiologiques
L'équipe de Sainte-Anne décrit une discordance entre les pourcentages de personnes infectées par SARS-CoV-2 au sein de leur établissement : si 14 % des médecins et infirmiers ont été contaminés, seulement 4 % des patients l'ont été. Les auteurs signalent que des discordances similaires leur ont été rapportées d'autres établissements psychiatriques français, mais aussi italiens, espagnols et chinois.
La question s'est donc posée de savoir si un ou plusieurs médicaments psychotropes fréquemment prescrits pouvaient être à l'origine de cette moindre prévalence chez les patients. Du fait des informations accumulées depuis des années sur la chlorpromazine (voir ci-dessous), ils ont porté leur attention sur cette substance.
À remarquer que l'équipe de Sainte-Anne ne donne aucun élément de prévalence du tabagisme dans les populations susmentionnées, information pourtant importante du fait de la forte prévalence du tabagisme chez les patients psychiatriques (par exemple, les patients psychotiques seraient 3 à 4 fois plus nombreux à fumer que la population générale) et de la plus faible prévalence du tabagisme chez les soignants (entre 16 et 23 %, contre 28 % dans la population générale).
De plus, il est important de considérer la possibilité que le plus faible taux d'infection des patients reflète en partie un plus grand isolement social des patients psychiatriques.

Chlorpromazine contre COVID-19 : les arguments cytologiques
Pour infecter une cellule-cible, les virus à enveloppe (comme l'est SARS-CoV-2) ne fusionnent pas directement avec la membrane cellulaire.
Une fois fixé sur son récepteur-cible (ACE2), SARS-CoV-2 est enveloppé par la membrane cellulaire qui commence à former une vésicule. Celle-ci s'arrondit et se rigidifie grâce à l'agglomération d'une cage de protéines fibreuses (les clathrines), puis se sépare de la membrane cellulaire en se refermant progressivement (elle forme un col qui rétrécit et disparaît sous l'action d'une protéine qui "ferme le sac", la dynamine). L'ensemble du processus prend environ une minute.
Ensuite, la vésicule perd ses clathrines et fusionne avec un endosome. Sous l'action d'une protéase de la membrane, TMPRSS2, la protéine S de SARS-CoV-2 est scindée en deux, la sous-unité S2 apparaît et, grâce à elle, le virus fusionne avec la paroi de l'endosome. SARS-CoV-2 peut ainsi échapper à l'action lytique des lysosomes et installer son matériel génétique au sein de la cellule cible.
Ce mode de pénétration, dit "dépendant des clathrines et de la dynamine", est également observé avec SARS-CoV-1, MERS-CoV, FIP-CoV (le virus de la péritonite infectieuse du chat), mais aussi avec le virus de l'hépatite C ou le virus Influenza A.
On sait depuis la fin des années 1970 que certains neuroleptiques dérivés de la phénothiazine, comme la chlorpromazine, sont capables d'inhiber les mécanismes d'endocytose. Des travaux plus récents ont montré que ces substances agissent particulièrement sur l'endocytose dépendante des clathrines grâce à une action inhibitrice de la dynamine.

Chlorpromazine contre COVID-19 : les arguments virologiques
Du fait de ses propriétés inhibitrices de l'endocytose dépendante des clathrines, la chlorpromazine a été testée in vitro contre divers virus, y compris des coronavirus comme, par exemple, le virus de l'hépatite murine (MHV), mais également par SARS-CoV-1 et MERS-CoV. La chlorpromazine avait d'ailleurs  été identifiée comme un médicament à repositionner dans ces deux dernières infections, mais elle n'a jamais été testée in vivo contre celles-ci.
De plus, dans un modèle murin de SARS-CoV-1, une étude a montré que l'administration de chlorpromazine ne réduit pas la réplication de SARS-CoV-1 dans les poumons des souris, mais limite les symptômes de la maladie et réduit significativement la perte de poids.
L'équipe de Sainte-Anne à l'origine de l'étude reCoVery a demandé à l'Institut Pasteur de tester la chlorpromazine contre SARS-CoV-2 in vitro. Selon leur article, les premiers résultats sont prometteurs et justifient cette première étude clinique.

Chlorpromazine contre COVID-19 : les arguments immunologiques
Dans les années 1990, plusieurs équipes ont travaillé sur les effets immunomodulateurs de la chlorpromazine. Par exemple, elle stimulerait la production d'IgM. De plus, dans un modèle murin de choc septique provoqué par des endotoxines, la chlorpromazine semble réduire la synthèse de messagers immunitaires pro-inflammatoires (interleukines 2 et 4, interféron alpha, TNF alpha, etc.) et augmenter la production d'interleukine 10 (anti-inflammatoire). Malheureusement, ce domaine de recherche semble avoir cessé d'être exploré.

Chlorpromazine contre COVID-19 : les arguments pharmacologiques
Parce que la chlorpromazine est utilisée depuis plus de 70 ans, il existe de nombreuses données pharmacologiques la concernant. Après administration, sa concentration pulmonaire est 20 à 200 fois plus élevée que sa concentration plasmatique. Il en est de même pour la concentration salivaire (20 à 60 fois plus élevée que celle du plasma) et, bien sûr, encéphalique (25 fois plus élevée que celle du plasma). Cette distribution préférentielle semble donc particulièrement propice pour un usage dans la COVID-19.

Deux essais cliniques sont en cours de constitution
L'essai reCoVery est un essai multicentrique randomisé en simple aveugle, destiné à évaluer les effets de l'administration de chlorpromazine en plus du traitement standard, chez 40 patients atteints de formes modérées de COVID-19, l'administration débutant au moment de l'apparition des symptômes respiratoires.
Après initiation à 75 mg par jour (voie orale), la dose administrée jusqu'à guérison (disparition de la fièvre et de la dyspnée, 21 jours maximum) sera la dose maximale tolérée (sans dépasser 300 mg par jour, ou 600 mg par jour chez certains patients particuliers). Une administration en IV est possible.
Le critère primaire d'évaluation sera le temps nécessaire à la réduction des symptômes (sur une échelle validée). Des critères secondaires virologiques, hématologiques et d'imagerie pulmonaire seront également utilisés. Les résultats de cette étude sont attendus pour le mois de septembre 2020.
Une étude similaire a été lancée sur 60 patients souffrant de dyspnée à l'Université du Caire (injection IV de 25 mg de chlorpromazine toutes les 6 heures pendant une semaine).

Si la piste de la chlorpromazine est intéressante à de nombreux niveaux (y compris parce qu'elle n'a jamais été évaluée dans le SRAS et le MERS), il est légitime de se demander si ces essais porteront sur la meilleure population possible pour identifier un éventuel effet.
En effet, comme pour la chloroquine et l'hydroxychloroquine, et comme pour de nombreuses substances ayant montré in vitro une inhibition des mécanismes de l'infection cellulaire, le choix de patients dyspnéiques (donc relativement avancés dans l'infection) signifie une intervention tardive en termes de prolifération virale.
Mais à l'inverse de l'hydroxychloroquine, par exemple, les effets psychotropes de la chlorpromazine rendent difficiles une étude de type prévention dans une population exposée comme les soignants…
Par ailleurs, il aurait été intéressant que l'équipe de Sainte-Anne tente un ajustement des pourcentages d'infection observés selon le degré de tabagisme. En tout cas, il est à espérer que le protocole de l'étude reCoVery collecte les données nécessaires à un tel ajustement.

©Vidal.fr

Pour aller plus loin
  • Sur les deux études cliniques en cours avec la chlorpromazine
L'article décrivant le rationnel de l'étude reCoVery
Plaze M, Attali D, Petit AC et al. "Repositionnement de la chlorpromazine dans le traitement du COVID-19: étude reCoVeryRepurposing of chlorpromazine in COVID-19 treatment: the reCoVery study." L'Encéphale, 2020
Le protocole de l'étude reCoVery
"Repurposing of Chlorpromazine in Covid-19 Treatment (reCoVery)"
Le protocole de l'étude égyptienne
"Administration of Chloropromazine as a Treatment for COVID-19"

 
  • Sur les mécanismes d'endocytose chez les coronavirus
Burkard C, Verheije MH, Wicht O et al. "Coronavirus Cell Entry Occurs through the Endo-/Lysosomal Pathway in a Proteolysis-Dependent Manner." PLoS Pathog. 2014 Nov ; 10(11)
 
  • Sur l'interaction des phénothiazines avec l'endocytose dépendante des clathrines
Krizanová O, Ciampor F & Veber P. "Influence of chlorpromazine on the replication of influenza virus in chick embryo cells." Acta Virol. 1982 Jul ; 26(4) : 209-16.
Daniel JA, Chau N, Abdel-Hamid MK et al. "Phenothiazine-Derived Antipsychotic Drugs Inhibit Dynamin and Clathrin-Mediated Endocytosis." Traffic, Volume 16, Issue 6, June 2015, pages 635-654
 
  • Sur le repositionnement de médicaments contre les coronavirus
Gordon DE et al. "A SARS-CoV-2 protein interaction map reveals targets for drug repurposing." Nature, 30 avril 2020
Dyall J, Coleman CM, Hart BJ et al. "Repurposing of Clinically Developed Drugs for Treatment of Middle East Respiratory Syndrome Coronavirus Infection." Antimicrob Agents Chemother. 2014 Aug ; 58(8) : 4885-4893.
Weston S, Haupt R, Logue J et al. "FDA approved drugs with broad anti-coronaviral activity inhibit SARS-CoV-2 in vitro." bioRxiv, 27 avril 2020

 
  • Sur les inhibiteurs de l'endocytose chez les coronavirus
Yang N & Shen HM. "Targeting the Endocytic Pathway and Autophagy Process as a Novel Therapeutic Strategy in COVID-19." Int J Biol Sci 2020 ; 16(10) : 1724-1731.
 
  • Sur les effets immunomodulateurs de la chlorpromazine
Zucker S, Zarrabi HM, Schubach WH et al. "Chlorpromazine-induced immunopathy: progressive increase in serum IgM." Medicine (Baltimore). 1990 ; 69 : 92-100.
Gadina M, Bertini R, Mengozzi M et al. "Protective effect of chlorpromazine on endotoxin toxicity and TNF production in glucocorticoid-sensitive and glucocorticoid-resistant models of endotoxic shock." J Exp Med. 1991 ; 173 : 1305-10.
Tarazona R, González-García A, Zamzami N et al. "Chlorpromazine amplifies macrophage-dependent IL-10 production in vivo." J Immunol. 1995 ; 154 : 861-70.

 
  • Sur la prévalence du tabac chez les patients psychiatriques et les soignants
Eytan A, Keizer I & Etter M. "Le tabagisme en psychiatrie" Rev Med Suisse 2003; volume -1. 23246
Andler R, Guignard R, Pasquereau A et al. "Tabagisme des professionnels de santé en France." Santé Publique France, octobre 2017
Sources

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