La consommation excessive d’alcool constitue la principale cause de carence en vitamine B1.Peter-Braakmann / iStock / Getty Images Plus / via Getty Images
Le syndrome de Wernicke-Korsakoff est une complication de la carence en vitamine B1 (thiamine), fréquente chez les patients ayant une consommation excessive d'alcool.
L'encéphalopathie de Gayet-Wernicke (EGW), premier stade évoluant de façon aiguë ou subaiguë, est rapidement réversible s’il est traité par thiamine parentérale à bonne dose, idéalement administrée dans les 48 à 72 premières heures. En l'absence de traitement, l’EGW peut évoluer vers un syndrome de Korsakoff, qui peut être irréversible.
Il est donc essentiel de reconnaître rapidement l’EGW, qui doit être suspectée en présence de 2 des 4 critères suivants : troubles nutritionnels, symptômes oculaires, dysfonctionnement cérébelleux, trouble confusionnel ou de la mémoire, et non pas seulement face à la triade clinique classique associant confusion mentale, ataxie cérébelleuse et troubles oculomoteurs.
Au moindre doute, un traitement parentéral par thiamine doit être instauré.
Et plus largement, dans une démarche de prévention, une supplémentation en vitamine B1 paraît justifiée chez tous les patients alcoolodépendants. Mais le non-remboursement de certaines formes de cette vitamine constitue un frein à cette approche.
Le syndrome de Wernicke-Korsakoff comprend deux syndromes différents : l'encéphalopathie de Gayet-Wernicke (EGW) et le syndrome de Korsakoff. L'EGW est une pathologie carentielle secondaire à un déficit profond en vitamine B1, réversible. En l’absence de mise en route rapide d’un traitement par thiamine (forme active de la vitamine B1), elle peut se compliquer en évoluant vers un syndrome de Korsakoff, trouble neurocognitif sévère souvent irréversible, de prise en charge complexe. Il y a donc une continuité clinique entre l’EGW et le syndrome de Korsakoff. Mise au point avec le Pr Alain Dervaux, professeur de psychiatrie et d'addictologie à l'université Paris-Saclay.
VIDAL. Quelle est la physiopathologie de l’encéphalopathie de Gayet-Wernicke ?
Pr Alain Dervaux. L’EGW et le syndrome de Korsakoff sont une complication de la carence en thiamine (vitamine B1).
Le rôle essentiel de la vitamine B1
La vitamine B1 est un précurseur métabolique de la thiamine pyrophosphate, une coenzyme indispensable au métabolisme glucidique et in fine au fonctionnement d’organes essentiels comme le système nerveux. Considérée comme une vitamine essentielle, elle doit être apportée par l’alimentation (cf. notre article du 24 novembre 2022).
Les causes d'une carence
Si la consommation excessive d’alcool constitue la principale cause de carence en vitamine B1, elle n’est toutefois pas la seule. Cette carence peut notamment compliquer les formes sévères d’hyperémèse gravidique, qui représente la deuxième cause d’EGW. Elle peut également survenir dans toute situation entraînant une malabsorption intestinale, notamment après une chirurgie bariatrique, ou encore dans le cadre d’une anorexie mentale.
Quels sont les signes cliniques de l’EGW ?
Classiquement, l’EGW se manifeste, au-delà d’une perte d’appétit et de vomissements, par la triade clinique associant confusion mentale, ataxie cérébelleuse et troubles oculomoteurs (nystagmus, diplopie).
Une triade peu fréquente
Mais les études ont montré que cette triade classique est en pratique peu fréquente, retrouvée chez seulement de 8 à 15 % des patients, alors que les données autopsiques ont montré que le syndrome de Korsakoff concerne 10 % des patients alcoolodépendants. En particulier, les troubles oculomoteurs ne sont présents que chez les 10 % des patients les plus sévères. S'appuyer sur la triade classique conduit donc à largement sous-diagnostiquer cette encéphalopathie à un stade où elle peut être simplement traitée par l’administration de thiamine.
Les critères de Caine
Selon les recommandations de 2010 de la Fédération européenne des sociétés de neurologie, le diagnostic clinique de l’EGW chez les patients présentant un trouble de l'usage de l'alcool requiert deux des signes suivants (critères de Caine) :
- troubles nutritionnels (dénutrition notamment) ;
- symptômes oculaires ;
- dysfonctionnement cérébelleux ;
- troubles confusionnels ou de la mémoire.
Les troubles nutritionnels, confusionnels et de la mémoire sont les plus fréquents.
Quand évoquer de diagnostic en pratique ?
En pratique, il faut savoir évoquer ce diagnostic face à des troubles confusionnels chez un patient connu pour un trouble de l’usage d’alcool.
Il faut aussi être très attentif et proactif, parfois chez un patient présenté par son entourage comme déprimé, en recherchant l’existence d’une perte d’appétit et de vomissements, d’une confusion (interroger le patient sur le jour de la semaine, l’année, son nom, etc.), d’une ataxie, présente dans de 20 à 25 % des cas (démarche titubante, saccadée), autant de symptômes évoluant sur un mode aigu ou subaigu, depuis quelques jours, parfois 2 semaines, ou encore de début plus progressif.
Quid des examens complémentaires ?
Les examens paracliniques n’aident pas au diagnostic : l’imagerie (IRM), difficile à obtenir en urgence, peut retrouver des signes spécifiques, mais elle est peu sensible et le dosage sérique de thiamine n’est ni sensible ni spécifique.
Ainsi, au moindre doute, la meilleure stratégie est celle du test thérapeutique par vitamine B1 à forte dose.
Quelles sont les modalités de traitement par thiamine ?
La thiamine est le fondement du traitement. Elle doit être administrée préférentiellement par voie parentérale, car elle est mal absorbée par voie orale (30 % environ).
Les études cliniques randomisées font défaut, et les modalités de traitement se fondent surtout sur des avis d’experts.
Diagnostic confirmé
Le traitement de l’EGW de diagnostic confirmé par la présence de deux critères de Caine sur quatre fait appel à la thiamine parentérale (IM ou IV), à une dose de 500 à 1 500 mg par jour en trois prises pendant trois à cinq jours. L’effet est spectaculaire, très net et très rapide. Puis, le relais est pris par voie orale, à raison de 250 à 1 000 mg par jour, pendant plusieurs semaines après le sevrage.
Diagnostic suspecté
En cas de suspicion d’EGW (un seul critère de Caine), le traitement se fonde toujours sur la thiamine, à la posologie de 250 à 300 mg/ deux fois jour pendant de 3 à 5 jours par voie parentérale avant relais per os (de 250 à 300 mg par jour).
Patients à haut risque
Chez les patients alcoolodépendants, sans signes évocateurs d’EGW, mais à haut risque, un traitement par thiamine 250 à 500 mg/ jour par voie parentérale pendant 3 à 5 jours, puis de 250 à 300 mg par jour pendant 4 à 14 jours après sevrage.
Patients à faible risque
Chez les patients alcoolodépendants à faible risque, la thiamine à la même posologie (mais par voie orale) est justifiée, poursuivie à moindre dose (de 100 à 250 mg/jour) pendant 14 jours tant que le patient consomme de l’alcool.
À noter que les doses de thiamine dans les compléments multivitaminiques sont insuffisantes et que toutes les formes de thiamine ne sont pas remboursées par la Sécurité sociale (ce qui constitue un frein au traitement, en particulier pour les plus précaires).
Le traitement est bien toléré (cf. RCP pour contre-indications et précaution). L'effet le plus notable est la possible douleur lors de l’injection.
Comment reconnaître un syndrome de Korsakoff ?
Chez un patient présentant une EGW, l’évolution vers un syndrome de Korsakoff peut se faire en quelques jours.
Il se manifeste par :
- des troubles de la mémoire antérograde : le patient, dans l’incapacité à enregistrer de nouvelles informations et à former de nouveaux souvenirs, oublie au fur et à mesure ;
- des troubles de la mémoire rétrograde de façon plus partielle : perte des souvenirs plus anciens ;
- une altération des fonctions exécutives : organisation, prise de décisions... ;
- des signes affectifs, avec notamment une apathie (déficit de la motivation)
; - une fabulation compensatrice : le patient fabrique de faux souvenirs pour contrer les troubles mnésiques ;
- une anosognosie (absence de conscience du trouble).
Pour être documenté auprès des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), le diagnostic nécessite les compétences de neuropsychologues bien formés.
Quels tests pratiquer ?
Deux tests peuvent orienter les praticiens vers ce diagnostic :
- le MoCa test, le plus utilisé en routine bien que non spécifique, puisqu’il a été développé pour dépister les troubles cognitifs dans la maladie d’Alzheimer ;
- le test BEARNI (Brief Evaluation of Alcohol-Related Neuropsychological Impairment), outil d’évaluation spécifique des troubles cognitifs des patients alcoolodépendants. Plus long, il peut être administré par des non-médecins.
Quelle prise en charge ?
Le caractère irréversible du syndrome de Korsakoff, longtemps admis, est remis en question et ce syndrome pourrait être réversible dans environ 20 % des cas grâce à une prise en charge spécifique.
Des lieux réservés aux patients sevrés, des « maisons Korsakoff », avec une architecture adaptée, se développent aujourd’hui pour permettre une réhabilitation adaptée. La remédiation cognitive, plusieurs semaines ou mois, peut aider en permettant le développement de réseaux cérébraux de suppléance.
D'après un entretien avec le Pr Alain Dervaux, professeur de psychiatrie et d'addictologie, université Paris-Saclay, EPS Barthelémy Durand, Etampes, laboratoire de recherche PSYCOMADD, hôpital Paul Brousse, Villejuif.
Galvin R, Bråthen G, Ivashynka A, Hillbom M, Tanasescu R, Leone MA. EFNS guidelines for diagnosis, therapy and prevention of Wernicke encephalopathy. European Journal of Neurology, 2010; 17: 1408-1418.
Dervaux A, Blecha L, Benyamina A. Wernicke-Korsakoff Syndrome. 2023 10.1007/978-3-031-32483-3_72.
Dervaux A, Laqueille X. Le traitement par thiamine (vitamine B1) dans l’alcoolodépendance. La Presse médicale, 2017; 46 : 2 : 1 : 165-171.
7 minutes
Ajouter un commentaire




Commentaires
Cliquez ici pour revenir à l'accueil.