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Handicap : le rôle essentiel du médecin traitant dans la médecine préventive

Comment ne pas passer à côté de la prévention chez des patients aux besoins spécifiques dont l’expression des symptômes peut être atypique ? C’est la question que se posent les médecins de ville pour le suivi des personnes en situation de handicap.

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Identifier si possible les besoins particuliers du patient au moment de la prise de rendez-vous.

Identifier si possible les besoins particuliers du patient au moment de la prise de rendez-vous.Prostock-Studio / iStock / Getty Images Plus / via Getty Images

Résumé

Le handicap est quotidiennement présent en médecine de ville sous des formes très variées. L’expression atypique des symptômes, l’importante médicalisation et le surrisque de comorbidités associés au handicap requièrent une attention particulière.

Les médecins traitants, par leur vision globale du patient et leur mission de coordination, ont un rôle déterminant à jouer dans la médecine préventive à destination des personnes en situation de handicap. Des outils et des organisations de soins existent pour faciliter la prévention en ville ou pour prendre le relais en cas d’échec de soins.

Quand on pense au handicap, on pense d’abord au handicap visible, comme le handicap moteur. Mais ce terme englobe également une multitude de profils de personnes souffrant d’une altération substantielle, durable ou définitive de fonctions sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques [1].

Handicap : spécificités du bilan de prévention

« Le handicap fait partie du quotidien des médecins généralistes. On ne le rencontre pas uniquement avec les patients bénéficiant d’une reconnaissance de handicap. On le voit tous les jours avec les personnes âgées qui voient moins bien, entendent moins bien, se déplacent moins bien… », constate le Dr Émilie Couderc, médecin libéral en Seine-et-Marne. Il est vrai que leur prise en charge concerne chaque médecin de ville, puisque 96 % des professionnels de santé déclarent compter parmi leur patientèle des personnes en situation de handicap [2] [3].

Un patient comme les autres, ou presque

« J’aborde toujours mes patients avec leurs propres spécificités, qu’ils soient handicapés ou non. Chacun présente des différences qui nécessitent une prise en charge individualisée, une attention propre. Pour moi, le handicap est un paramètre parmi tous les autres, auquel il faut certes être attentif, mais qui ne modifie pas la prise en charge », établit le Dr Couderc. Les fondements du travail d’un médecin sont en effet d’apporter le même soin à tous, avec ou sans handicap [4].

Cependant, l’accueil, la prise en charge et le suivi des patients en situation de handicap ne peuvent pas toujours être les mêmes qu’en population générale. L’accueil d’une personne avec un handicap moteur nécessitera des locaux adaptés, quand celui d’une personne avec un handicap sensoriel, mental, cognitif ou psychique impliquera un savoir-faire et un savoir-être particuliers.

Appréhension des soins et compréhension des enjeux de santé

Au même titre que les autres patients, les personnes porteuses d’un handicap doivent pouvoir bénéficier de bilans et d’actes de médecine préventive, ce qui ne se révèle pas toujours simple. Le Dr Dorothée Montagutelli, pédiatre à l’Institut Jérôme Lejeune, centre de compétences « déficiences intellectuelles de causes rares », met en évidence le fait que « parmi les patients avec un handicap, certains montrent une appréhension importante des soins ou sont dyscommunicants. L’expression des symptômes peut être très atypique et l’anamnèse plus difficile, ce qui peut retarder un diagnostic. La démarche préventive revêt donc une importance toute particulière ».

Le médecin devra s’adapter au mieux aux modalités habituelles de communication du patient et s’appuiera sur la connaissance fine de la personne par l’aidant le cas échéant.

L’incompréhension des enjeux de santé est également souvent un frein à l’adhésion à cette démarche préventive, notamment en cas de handicap psychique ou cognitif. La mise à disposition éventuelle de supports imagés faciles à lire et à comprendre (FALC) [5] pour le patient et ses aidants pourra contribuer à lever ces freins.

Une médicalisation importante et des comorbidités fréquentes

Autre problématique, les personnes en situation de handicap sont souvent très médicalisées. La prévention peut alors passer au second plan pour laisser la place au soin lui-même. « Plus les patients ont des pathologies et des handicaps lourds, plus il est difficile de trouver du temps pour la prévention. Souvent, ils ne souhaiteront pas revenir pour des consultations spécifiques de prévention, car ils consacrent déjà énormément de temps au soin », déplore le Dr Couderc.

Parmi les spécificités propres au handicap, il ne faut pas négliger non plus le surrisque de développer certaines comorbidités. Les personnes avec un polyhandicap sont par exemple plus sujettes à des problèmes de reflux gastro-œsophagien et de cancer du bas œsophage que la population générale.

Le rôle du médecin traitant

Médecin de premier recours en cas d’apparition de nouveaux symptômes, le médecin généraliste est également en première ligne en matière de prévention.

Une vision globale du patient

C’est celui que les patients nomment familièrement « médecin de famille », car il les connaît souvent depuis de nombreuses années, ainsi que leur famille, leurs aidants, leur histoire médicale. Il est donc le mieux placé pour réaliser des bilans de prévention, vérifier les antécédents, détecter les modifications de comportement et contrôler les points de vigilance en cas de maladie rare ou de handicap.

Le médecin généraliste a une vision globale du patient et de son traitement. Comme le souligne le Dr Montagutelli, « cela lui permet de réévaluer le traitement si nécessaire ou de contacter le spécialiste qui a prescrit une nouvelle molécule. En cas d’installation d’une constipation sévère chez un patient polymédiqué vivant avec un handicap par exemple, le médecin va notamment évaluer tous les traitements à la recherche d’un effet iatrogène expliquant ce symptôme ».

Un rôle de coordination

Pour le Dr Couderc, « le rôle du médecin traitant est d’être le chef d’orchestre du soin ». Point central de la prise en charge, il connaît les spécialistes, oriente et coordonne les soins. Mais pour qu’il soit en capacité de le faire, encore faut-il qu’il ait toutes les informations à disposition. « Il est intéressant d’inciter les patients à utiliser Mon espace santé pour collecter les données de santé et permettre à tous les professionnels autorisés d’y accéder », conseille le Dr Montagutelli.

Quand cela s’avère possible, hors urgences, le médecin généraliste peut également grouper les différents prélèvements éventuellement demandés par les spécialistes. Un procédé que le Dr Montagutelli encourage, car « pour certains patients, les analyses biologiques sont une source d’anxiété majeure et nécessitent des modalités de prélèvement particulières, avec un temps de préparation assez long avant la prise de sang ».

Des conseils simples pour réaliser des bilans de prévention

« Le handicap n’est jamais en soi un frein à la prise en charge médicale, si l’on a les soutiens nécessaires. La clé est de ne pas rester seul dans le soin », déclare le Dr Couderc. Parmi sa patientèle, les appuis les plus précieux proviennent des aidants et des équipes médico-sociales.

Les facilitateurs

Lorsqu’il est difficile d’examiner un patient anxieux, le médecin généraliste peut avoir recours à plusieurs facilitateurs, comme la présence d’aidants, la consultation blanche, l’habituation aux soins, une visite des locaux. « Anticiper la consultation, recueillir des éléments clés, trouver un créneau adapté au rythme de vie de la personne, diminuer les délais d’attente sont autant de facilitateurs », résume le Dr Montagutelli.

DODUGO : les 5 points à examiner en priorité

Pour les patients avec un trouble du développement intellectuel difficiles à examiner, le praticien de premier recours peut se concentrer sur les cinq troubles les plus fréquents (cf. Illustration) :

  • dentaire ;
  • ORL ;
  • digestif ;
  • urogénital ;
  • orthopédique.

Ces cinq points clés peuvent être retenus grâce à l’acronyme DODUGO, comme l’explique le Dr Montagutelli : « avec le DODUGO, le médecin généraliste peut faire le tour des problèmes somatiques les plus importants à examiner chez les patients avec un handicap mental et des troubles du comportement. Si le patient est coopérant, le praticien peut ensuite pousser l’examen plus loin » [6].

Illustration - DODUGO

Reproduction avec l’aimable autorisation du Dr Anne-Chantal Héritier Barras (Programme handicap, Direction médicale et qualité, hôpitaux universitaires de Genève).
Dessins issus de la banque d’images SantéBD.

Les consultations dédiées

Parfois, il arrive qu’il soit impossible d’examiner un patient qui refuse de se laisser approcher. « Si le médecin ne parvient pas à faire ouvrir la bouche, à poser sa main sur le ventre du patient, à prendre la température… Il ne faut pas dramatiser la situation. Il convient alors d’orienter le patient vers une consultation dédiée aux personnes en situation de handicap (CODH) », rassure la pédiatre de l’Institut Jérôme Lejeune.

Ces CODH disposent de l’organisation, du savoir-faire et du savoir-être permettant d’offrir un accès à des soins adaptés pour des personnes en échec de soins en médecine de premier recours. Pour identifier les CODH sur son territoire, le médecin contactera l’ARS dont il dépend ou la Société française des consultations dédiées handicap (SOFCODH) [7].

Les outils HandiConnect.fr

HandiConnect.fr propose une fiche-conseil destinée aux professionnels de santé pour faciliter la réalisation de bilans de prévention [8]. Des situations plus spécifiques sont également évoquées comme un bilan demandé pour une modification aiguë du comportement chez un patient présentant, par exemple, un trouble du développement intellectuel associé à un trouble du spectre autistique.

Tirer profit de l’aide disponible, une ressource clé

« Aucun patient n’a la même pathologie, les mêmes capacités, le même âge, les mêmes attentes… Ce n’est pas toujours parfait, mais on sort le couteau suisse et on fait au mieux, en fonction de notre patientèle, de notre lieu d’exercice et en tirant profit de toute l’aide dont on peut disposer », conclut le Dr Couderc. Les médecins généralistes ont toute leur place dans la médecine préventive pour les personnes en situation de handicap. Il est normal de se trouver parfois face à des échecs de soins, mais il existe toujours des outils et des organisations en soutien ou prêts à prendre le relais.

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