#Santé

Le bézoard, du roi d’Angleterre à Harry Potter

Cité à de nombreuses reprises dans la littérature, de Dorian Gray à Harry Potter, le bézoard prolonge dans la fiction sa réputation d’antidote aux vertus quasi miraculeuses, héritée d’un usage réel qui perdura jusqu’au XIXᵉ siècle.

1
2
3
4
5
(aucun avis, cliquez pour noter)
Le bézoard trouve son origine dans l’estomac des chèvres.

Le bézoard trouve son origine dans l’estomac des chèvres.Giray Kocaman / iStock / Getty Images Plus / via Getty Images

Savez-vous qu’un roi d’Angleterre aurait été sauvé grâce à un bézoard, cette pierre qu’Harry Potter utilise pour contrer les poisons ? Bien avant d’entrer dans les salles de potion de Poudlard et d’écouter (ou pas) les cours du professeur Rogue, le bézoard fut l’un des remèdes les plus recherchés d’Europe.

Cette « pierre de bézoard », comme on la nommait, était censée neutraliser tous les poisons : il s’agissait d’un alexipharmaque. Importée initialement de Perse dès le Moyen Âge, elle devint, du XVIᵉ au XVIIIᵉ siècle, un véritable trésor pharmaceutique et un talisman princier. Sa valeur était vertigineuse : un gros bézoard d’Orient pouvait coûter le prix d’un palais. Et pourtant, son origine est modeste : il s’agit d’une simple concrétion ovoïde formée dans l’estomac de chèvres dites « bézoards ». On en découvrit plus tard dans l’estomac d’autres ruminants, comme les vaches, puis, avec la découverte du Nouveau Monde, dans celui des lamas des Andes ou des porcs-épics d’Asie.

Selon la légende, Édouard Iᵉʳ d’Angleterre (dit Édouard Longues-Jambes, sans lien avec Berthe au Grand Pied) aurait été blessé lors d’une tentative d’assassinat, en 1272, lors de la neuvième croisade, à Saint-Jean-d’Acre, par un poignard empoisonné. Alors qu’on le croyait condamné, le maître des templiers lui appliqua sur la plaie un bézoard, qui aurait neutralisé le poison « par simple contact » [1-4]. L’épisode paraît vraisemblable, car la lame qui aurait frappé Édouard fut rapportée au Royaume-Uni, selon un inventaire du Trésor de Sa Majesté [5].

Mais ce sont les médecins et botanistes Nicolas Monardes (Espagnol) et Garcia da Orta (Portugais), savants du XVIe siècle, qui popularisèrent les bézoards en Europe et vantèrent leurs propriétés d’antidotes universels, à tel point que les princes d’Europe les portaient sur eux, autour du cou, enchâssés dans un travail d’orfèvrerie. Il suffisait alors d’ouvrir le bijou et d’y plonger son bézoard dans une coupe de vin pour en neutraliser les éventuels poisons. Ainsi, on les portait comme talisman contre l’empoisonnement, angoisse majeure d’une époque obsédée par les Borgia ou par l’affaire des poisons sous Louis XIV. D’ailleurs, le cardinal de Richelieu possédait lui-même une bague sertie d’un bézoard [6].

Certains souverains en firent même un instrument de leur salut spirituel. Au XVIIᵉ siècle, Rodolphe II du Saint-Empire, célèbre pour son goût de l’alchimie, mais aussi pour sa dépression (ou « mélancolie », comme on disait alors), possédait une coupe taillée dans un immense bézoard. Convaincu que cette pierre apaisait les humeurs noires, il buvait dans ce calice pour soigner son âme autant que son corps. L’objet, chef-d’œuvre d’orfèvrerie, est toujours conservé au Kunsthistorisches Museum de Vienne [7].

Cependant, des doutes sur leur efficacité apparurent très tôt. Ambroise Paré (1509-1590), chirurgien du roi Charles IX, fit une expérience célèbre : un condamné à mort se vit proposer d’éviter la pendaison s’il acceptait de tester l’efficacité d’un bézoard. On lui administra un poison, puis un bézoard d’Espagne. Plusieurs heures plus tard, le prisonnier mourut dans d’atroces souffrances. Paré conclut, implacable : « La pierre n’a vertu aucune », et la fit jeter au feu [8].

Certains mirent en doute ce résultat, car il circulait plus de contrefaçons que de véritables pierres, à tel point qu’une filière de bézoards artificiels, les fameuses pierres de Goa, avait été organisée par les jésuites en Inde [9, 10]. À mesure que la médecine expérimentale s’imposa, la pierre magique devint une curiosité scientifique. L’usage des bézoards en France s’éteignit au XIXᵉ siècle [11].

Aujourd’hui, le mot a survécu dans le vocabulaire médical : on appelle encore bézoards certaines concrétions pathologiques formées dans l’estomac, mais qui n’ont plus rien de miraculeux. Les trichobézoards, composés d’un enchevêtrement de cheveux, surviennent surtout chez des patients atteints de trichotillomanie. L’accumulation finit par former une masse compacte pouvant obstruer l’estomac ; dans les cas extrêmes, la masse se prolonge dans l’intestin, dessinant une longue traîne. Ce tableau clinique, décrit pour la première fois en 1968, a inspiré le nom de « syndrome de Raiponce », clin d’œil à la princesse à la chevelure interminable des frères Grimm [12].

On peut également citer les phytobézoards, dus à l’agglomération de fibres végétales. Leur cause la plus fréquente est l’ingestion excessive de kakis, fruits très riches en tanins : au contact de l’acide gastrique, ces tanins se polymérisent pour former un bloc dur, appelé diospyrobézoard (du nom latin du plaqueminier Diospyros kaki). Ces concrétions peuvent provoquer occlusions ou douleurs abdominales [13].

Ainsi, de remède royal, le bézoard est devenu symptôme : l’objet d’admiration magique est passé dans le champ de la physiopathologie, sans oublier son apparition dans Harry Potter, qui en a fait un objet de pop culture et lui a offert une immortelle gloire littéraire !

Sources

Commentaires

Ajouter un commentaire
En cliquant sur "Ajouter un commentaire", vous confirmez être âgé(e) d'au moins 16 ans et avoir lu et accepté les règles et conditions d'utilisation de l'espace participatif "Commentaires" . Nous vous invitons à signaler tout effet indésirable susceptible d'être dû à un médicament en le déclarant en ligne.
Pour recevoir gratuitement toute l’actualité par mail Je m'abonne !