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Addictions comportementales : quand faut-il alerter et comment intervenir ?

Tabac, alcool, drogues… quand on pense « addiction », on l’associe surtout à toutes sortes de substances. Pourtant, elle peut exister sans. Ces addictions, dites comportementales, activent les mêmes circuits neuronaux, et ne sont pas sans risque pour la santé.

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En moyenne, 3 % des Français présentent un risque d’addiction aux jeux vidéo. 

En moyenne, 3 % des Français présentent un risque d’addiction aux jeux vidéo. Kerkez / iStock / Getty Images Plus / via Getty Images

Résumé

Deux addictions comportementales sont reconnues par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et répertoriées dans la onzième révision de la classification internationale des maladies (CIM-11) :

  • les troubles liés aux jeux de hasard et d’argent (gambling disorder) ;
  • ceux liés aux jeux vidéo (gaming disorder) dans la nouvelle catégorie « Disorders due to addictive behaviours ».

Bien que présentant des caractéristiques addictives, le comportement sexuel compulsif est officiellement exclu de cette catégorie.

Le diagnostic d'addiction comportementale repose sur deux critères majeurs :

  • la péjoration fonctionnelle (un impact négatif sur la vie quotidienne, sociale, scolaire ou professionnelle) ;
  • la souffrance, qu’elle soit personnelle ou signalée par l'entourage.

En l'absence de ces deux éléments, on ne peut parler d'addiction, même en cas d'usage intensif.

Les addictions s’inscrivent dans un environnement bio-psycho-social, impliquant trois grands types de facteurs de vulnérabilité :

  • individuels ;
  • environnementaux ;
  • liés à l’offre / au produit.

La prise en charge est multidisciplinaire et doit intégrer, si cela est possible, l’entourage.

Le médecin généraliste peut repérer et orienter les patients atteints d’addictions comportementales vers les services appropriés et promouvoir des règles de bon usage des outils numériques.

LOrganisation mondiale de la santé (OMS) définit l’addiction comme « un état, physique ou psychique, causé par la consommation répétée d'une substance psychoactive ou la récurrence d’une activité, impossible à contrôler, et se traduit par la présence de symptômes tels que la tolérance, ainsi que la persistance malgré les conséquences négatives qui en découlent ».

Si les addictions impliquant des substances psychoactives (tabac, alcool, cannabis…) sont connues, les addictions comportementales « sans substance », telles celles aux jeux de hasard et d’argent et les jeux vidéo, le sont moins.

Explications avec le concours du Dr Sophia Achab, directrice du centre collaborateur OMS en santé mentale (université de Genève).

Comment définir les addictions sans substance ?

Les addictions comportementales aussi appelées « addiction sans produit » ou « sans substance » font appel aux mêmes régions cérébrales (système de récompense dopaminergique, amygdale, cortex préfrontal) impliquées dans la récompense, la motivation, la mémoire que celles des addictions à des substances psychoactives.

Elles sont liées à une activité ou un comportement qui génère un sentiment de plaisir, de confiance ou de soulagement. On peut penser au sport, à l’usage des réseaux sociaux, aux achats compulsifs, aux jeux de hasard, d’argent ou encore aux jeux vidéo (cf. Encadré).

Parmi ces exemples, deux addictions sont formellement reconnues par l’OMS et répertoriées dans la onzième révision de la classification internationale des maladies (CIM-11) :

  • les troubles liés aux jeux de hasard et d’argent (gambling disorder) ;
  • ceux liés aux jeux vidéo (gaming disorder).

Bien que présentant des caractéristiques addictives, le comportement sexuel compulsif et les troubles paraphiliques sont officiellement exclus, car identifiés comme une entité diagnostique propre, classés parmi les troubles du contrôle des impulsions [1].

Encadré - Quelques chiffres en France

D’après l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives, en 2023, plus de la moitié des Français de 18 à 75 ans ont pratiqué un jeu d’argent et de hasard au cours de l’année écoulée, soit une augmentation de 4,6 points depuis 2019. Parmi ces joueurs, 4,9 % ont été identifiés comme présentant un comportement problématique. Les formes de jeu les plus répandues sont les paris sportifs, les paris hippiques et le poker [2].

Selon la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), environ un Français sur deux déclare passer plus de temps que prévu devant les écrans, quel que soit le type d’activité. Ce phénomène est encore plus marqué chez les jeunes, notamment à l’heure du coucher, et la moitié des personnes interrogées indiquent être incapables d’interrompre ces activités à leur convenance. En moyenne, 3 % des Français présentent un risque d’addiction aux jeux vidéo, caractérisé par une perte de contrôle de cette pratique, qu’il s’agisse de jeux en ligne ou hors ligne [3].

Concernant l'usage problématique des réseaux sociaux, son inclusion dans les classifications officielles est encore en discussion. Les experts soulignent la difficulté d'établir des critères clairs pour distinguer un usage normal d'un usage pathologique dans ce domaine, étant donné la place prépondérante qu’ils occupent dans la société moderne.

Comment établir la frontière entre un usage « normal » et « pathologique » ?

De là, comment définir que l’usage est problématique ? La CIM-11 définit qu’on parlera d’addiction si le patient répond à deux critères majeurs :

  • la péjoration fonctionnelle : impact négatif significatif au niveau de la vie quotidienne, sociale, scolaire ou professionnelle ;
  • la souffrance, qu’elle soit personnelle ou signalée par l’entourage.

En l'absence de ces deux éléments, on ne parlera pas d’addiction. Cette frontière est relativement facile à établir pour les jeux de hasard et d’argent, ou les conséquences sociales et financières sont souvent évoquées et mises en avant. Elle est plus subtile pour d’autres comportements, comme ceux liés aux jeux vidéo et, justement, aux réseaux sociaux.

Quels sont les facteurs de risques ?

Les addictions comportementales s’inscrivent dans un environnement bio-psycho-social impliquant trois grands types de facteurs de vulnérabilité :

  • Les facteurs de vulnérabilité individuels

Les comorbidités psychiatriques préexistantes sont fréquentes (dépression, anxiété, faible estime de soi), risque suicidaire important, trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), trait de personnalités (impulsivité). Ces dernières peuvent à la fois être à l’origine du comportement addictif ou en être la conséquence. Par exemple, un adolescent victime de harcèlement peut se réfugier dans les jeux vidéo pour trouver un ressenti de performance de statut social qu’il n’arrive pas à trouver dans la vie réelle. Le TDAH représente une comorbidité significative, car les dispositifs numériques sont conçus pour capter l’attention par des interfaces visuellement riches et stimulantes, favorisant un usage fragmenté, sans engager dans des tâches complexes ou prolongées.

  • Les facteurs environnementaux

Chômage, deuil, difficultés financières, conflits familiaux… l’environnement du patient peut faire le nid de l’addiction. Certaines situations comme le harcèlement, la stigmatisation sociale ou le partage non consenti de contenus humiliants sur les réseaux sociaux peuvent être à l'origine ou aggraver les comportements addictifs. Par ailleurs, le contexte social actuel valorisant la performance et l’individualisme peut pousser à consommer des expériences en ligne valorisantes, non retrouvées dans la vie quotidienne.

  • Les facteurs liés à l’offre / au produit

Les motivations sont propres aux types d’offre. Dans les jeux vidéo, les motivateurs seront plutôt la volonté d’être le meilleur, ou parfois l’évasion, ne plus être conscient de sa réalité, comme on peut le retrouver par exemple chez les personnes souffrant d’alcoolodépendance qui « consomment de l’alcool pour oublier ».

Autre exemple, dans le cas des réseaux sociaux proposant des vidéos courtes utilisant le « scroll » (mouvement d’index quasi passif, qui permet de passer d’une vidéo à une autre), la mécanique du produit, tout comme le modèle économique, est construit autour de la captation de l’attention. L'accessibilité des technologies numériques constitue un facteur facilitateur majeur dans le développement des comportements problématiques, à l'instar d'autres addictions où la disponibilité du produit joue un rôle déterminant (comme la différence entre avoir un paquet de cigarettes dans sa poche et posséder une plantation de tabac). Aussi, leur design addictogène et les algorithmes personnalisés proposent des contenus spécifiquement adaptés aux préférences de l’utilisateur, l’enfermant dans une bulle informationnelle pouvant être à l’origine de comportements extrêmes.

Il n'existe pas d'addiction « à Internet » en tant que telle, mais plutôt des addictions « liées à Internet ». Le réseau n'est qu'un vecteur qui facilite l'accès à des offres spécifiques (jeux, réseaux sociaux, contenus audiovisuels). Ces plateformes numériques ne créent pas l’addiction, mais facilitent son apparition chez les individus vulnérables. La dopamine, l’hormone « du plaisir », est un neurotransmetteur qui génère un état de bien-être, dont le souvenir est gardé en mémoire, créant une association positive forte avec le comportement en question. Certains stimuli, auxquels nous sommes naturellement programmés (nourriture, sexualité) trouvent leurs équivalents modernes dans d'autres comportements, comme les jeux d’argent, comme « équivalent symbolique de la recherche de ressources ».

Quelles sont les grandes lignes de la prise en charge thérapeutique ?

La prise en charge des addictions comportementales nécessite une approche multidisciplinaire et personnalisée. En France, plusieurs centres spécialisés proposent des soins adaptés, notamment l’Institut fédératif des addictions comportementales (Ifac) du CHU de Nantes, ainsi que des services d'addictologie dans plusieurs grandes villes. Les centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA), présents sur l’ensemble du territoire, peuvent également accueillir ces patients.

Le parcours de soins s'adapte à la sévérité du tableau clinique. En consultation de médecine générale, face à une suspicion d'addiction comportementale, il est recommandé d'adresser le patient à un service spécialisé (addictologie, psychiatrie ou pédopsychiatrie selon l'âge) qui pourra évaluer précisément la situation et distinguer l'usage normal de l'usage pathologique.

L'hospitalisation sans consentement n'est pas justifiée par le seul comportement addictif, mais peut être envisagée en présence de comorbidités graves (risque suicidaire élevé, incurie majeure, désorganisation psychique) nécessitant une protection immédiate du patient. Dans les cas sévères de repli social, comme le phénomène d'hikikomori (isolement extrême où la personne ne sort plus de son domicile pendant des périodes prolongées), un suivi particulier sera mis en place, en prenant en compte des éventuels traumatismes sous-jacents ou troubles préexistants.

La psychothérapie est le pilier de la prise en charge. Les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) sont les plus fréquemment utilisées, mais il existe d’autres approches (psychanalytiques ou systémiques). L’approche motivationnelle vise à renforcer l’engagement au changement, et peut s’appliquer quelle que soit l’addiction.

L’intégration de l’entourage dans la prise en charge est essentielle, quand elle est possible. Elle peut être individuelle ou s’inscrire dans le cadre d’une thérapie familiale, afin d’apporter un soutien émotionnel face aux difficultés rencontrées ou pour délivrer les conseils pratiques sur la gestion des usages numériques qui peuvent être appliqués.

Quelles actions de prévention peuvent être mises en place en consultation ?

La prévention repose avant tout sur la promotion des bonnes pratiques, l’éducation et l’accompagnement, quel que soit le type de comportement mis en cause.

Dans une perspective de santé publique, l’éducation à une « hygiène numérique », comparable à l’hygiène alimentaire, par la promotion d’une relation équilibrée aux écrans, nécessite à la fois l’implication des professionnels de santé, des institutions et des individus.

Loin de diaboliser les écrans et les jeux, l’idée est d’établir un cadre, pour tirer les bénéfices des technologies tout en limitant les risques. L'usage optimal des outils numériques doit reposer sur une utilisation intentionnelle et consciente : chaque connexion doit résulter d'un choix délibéré (recherche d'information spécifique, communication ciblée) plutôt que d'un comportement automatique de défilement passif. Cette intentionnalité préserve l'autonomie de l'utilisateur face à des technologies conçues pour capter et retenir l'attention.

Le centre collaborateur de l’OMS pour la formation et la recherche en santé mentale a mis en ligne un guide pratique intitulé « Écrans et jeunes » visant à promouvoir une utilisation consciente et équilibrée des écrans. Disponible en plusieurs langues, ce document propose dix conseils aux parents pour encadrer l'usage numérique tout en préservant des relations familiales harmonieuses et en encourageant la diversification des activités [4].

En consultation, le médecin généraliste peut jouer un rôle d'ambassadeur de bonnes pratiques en rappelant quelques principes d'hygiène numérique :

  • éviter les écrans pendant les repas pour favoriser une alimentation en pleine conscience ;
  • limiter l'exposition à la lumière bleue dans les 2 heures précédant le coucher pour préserver la sécrétion de mélatonine et la qualité du sommeil ;
  • placer les appareils connectés hors de la chambre à coucher et désactiver les notifications nocturnes ;
  • pour les moins de 16 ans, privilégier l'usage des écrans dans les espaces communs (salon) plutôt que dans l'intimité de la chambre ;
  • activer les contrôles parentaux adaptés à l'âge et maintenir un dialogue ouvert sur les risques (contacts avec des inconnus, exposition à des contenus inappropriés).

En cas de difficultés persistantes ou de situations familiales complexes (conflits parentaux sur les règles d'utilisation, clivage entre parents), le médecin peut déceler d'éventuelles problématiques sous-jacentes et orienter vers un autre professionnel si nécessaire. L'efficacité de l'encadrement repose sur une cohérence éducative entre les adultes référents, évitant ainsi que l'enfant ou l'adolescent ne s'engouffre dans les failles d'un discours parental contradictoire.

L'accessibilité des technologies numériques constitue un facteur facilitateur majeur dans le développement des comportements problématiques, à l'instar d'autres addictions où la disponibilité du produit joue un rôle déterminant.

Nous assistons actuellement à une évolution encourageante dans notre rapport aux technologies numériques : après une phase d'utilisation généralisée et souvent immodérée, nous entrons dans une période de prise de conscience collective où les opportunités et les risques sont mieux identifiés et évalués. Cette maturité numérique émergente s'observe notamment chez certains jeunes qui, par choix délibéré, limitent leur présence sur les plateformes en ligne ou s'en détournent complètement, estimant que le coût attentionnel et émotionnel est trop élevé.

D’après un entretien avec le Dr Sophia Achab, responsable de Reconnecte (HUG), directrice du centre collaborateur OMS en santé mentale (Université de Genève), experte auprès de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) et de l’OMS sur la santé mentale et les outils digitaux depuis 2014.

Sources

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