
Interview de Guillaume Rall, kinésithérapeute.yacobchuk / iStock / Getty Images Plus / via Getty Images
- Podcast - L'accès direct aux kinésithérapeutes permet de bénéficier d'une prise en charge par ce professionnel (dans son domaine de compétences) sans prescription médicale préalable. Déjà mis en œuvre pour les kinésithérapeutes exerçant en maison de santé ou à l'hôpital, cet accès direct est désormais ouvert, à titre expérimental, aux kinésithérapeutes exerçant en ville et participant à une communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS). Lancée en juin 2025, l'expérimentation est prévue pour une durée de 5 ans dans 20 départements. Interrogé par VIDAL, le président du Syndicat national des masseurs-kinésithérapeutes, Guillaume Rall, décrit le cadre de cette expérimentation et les modalités d'information de la population, et souligne les enjeux pour améliorer le parcours de soins des patients.
TRANSCRIPTION
VIDAL News. Parole d'experts. David Paitraud reçoit Guillaume Rall, kinésithérapeute et président du Syndicat national des masseurs-kinésithérapeutes.
Depuis le mois de juin, on connaît la liste des 20 départements dans lesquels un accès direct aux kinésithérapeutes peut être expérimenté [1]. Une expérimentation de cinq ans et une condition pour participer à cette expérimentation : le kinésithérapeute doit faire partie d'une communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS).
L'accès direct à un kinésithérapeute consiste en quoi et concerne quelle situation ?
Guillaume Rall. L'accès direct à un kinésithérapeute permet de consulter un kinésithérapeute sans référence préalable, autrement dit, sans prescription du médecin. Selon la loi, toutes les situations de soins peuvent être concernées, toutes les situations de soins qui relèveraient du champ de la kinésithérapie. Cela peut aller de la tendinite d'épaule à la lombalgie, en passant par l'entorse de cheville, voire à la réalisation d'un bilan auprès de patients atteints de pathologies chroniques qui sont déjà reconnus en affection longue durée et qui pourraient avoir besoin d'une séquence de rééducation. Je pense notamment aux patients atteints de la maladie de Parkinson ou de la sclérose en plaques. L'idée est de pouvoir aller voir son kinésithérapeute sans nécessairement demander une ordonnance, une prescription médicale à son médecin traitant. Une strate de moins dans le système.
Qu'est-ce qui justifie qu'un patient puisse consulter directement son kinésithérapeute sans passer par le médecin ?
Toutes les situations de soins où la kinésithérapie est nécessaire ne réclament pas forcément de passer par le médecin. Je m'explique. Aujourd'hui, les kinésithérapeutes sont formés dans de nombreux domaines. Ceux qui sont relativement connus sont les tendinites, la lombalgie, les entorses, mais aussi les problématiques rhumatismales, la rééducation périnéale, même des problématiques plus spécifiques : maxillofaciales, vestibulaires, etc.
Aujourd'hui, les kinésithérapeutes sont d'une part, formés à faire ce qu'on appelle un diagnostic kinésithérapique, mais, d'autre part, formés à identifier les situations de soins, très rares, mais qui existent quand même, dans lesquelles on accueille un patient et on se rend compte que finalement, le problème est au-delà de la kinésithérapie. L'objectif demain - et je pense que les patients comprendront très bien cela - est qu'on ne va pas accueillir tous les patients qui ont des luxations d'épaule ou qui suspectent un AVC. Ces personnes-là continueront d'aller aux urgences. Par contre, pour celles et ceux qui ont des problématiques de soins pour lesquelles il peut y avoir besoin de kinésithérapie, l'idée est d'aller directement chez le kinésithérapeute qui saura identifier la présence de signes de gravité qui ne relèvent pas du ressort du kinésithérapeute.
Il s'agit donc d'une simplification du parcours de soins des patients sans perte de chance ?
C'est l'objectif, tout à fait.
David Paitraud. La possibilité de consulter directement un kinésithérapeute n'est pas tout à fait récente, puisque cette démarche est déjà possible depuis plusieurs mois pour les kinésithérapeutes qui exercent à l'hôpital ou en maison de santé pluridisciplinaire. Si on veut vraiment être rigoureux, on doit donc plutôt parler d'un élargissement de cet accès direct aux kinésithérapeutes participant à une CPTS.
Pourquoi est-ce qu'on conditionne cet accès direct à l'exercice coordonné ?
L'accès direct à la kinésithérapie existe depuis des décennies dans ce qu'on appelle le champ non thérapeutique. La loi est très claire. Lorsqu'ils agissent dans un but thérapeutique, les kinésithérapeutes pratiquent leur art sur prescription médicale. Autrement dit, dès qu'il n'y a pas de but thérapeutique, on pense notamment à la prévention, au bien-être, les kinésithérapeutes peuvent déjà pratiquer en accès direct. On peut faire de la prévention en entreprise, sans demander à chaque salarié d'aller récupérer une ordonnance chez les médecins.
Par contre, effectivement, dans le champ thérapeutique, c'est une idée qui est arrivée sur le marché il y a une dizaine d'années et qui peine à se mettre en œuvre en raison d'un certain nombre de freins juridiques, mais pas que. L'objectif est effectivement de voir si ce système fonctionne. Le conditionnement à l'exercice coordonné a été « un accord politique » parce que certains responsables politiques craignaient qu'un accès direct aux kinésithérapeutes soit l'arrêt de la communication avec les médecins traitants. Ce qui, dans les faits, est complètement faux. Être en exercice coordonné n'est pas l'alpha et l'oméga, c'est-à-dire si vous exercez dans une maison de santé, mais que, à l'heure où vous voyez votre patient en accès direct, le médecin est à domicile, vous êtes en exercice coordonné, mais vous n'êtes pas là à la minute pour réagir.
Finalement, cela a été un accord politique visant à dire : « on veut bien expérimenter, mais on ne va pas expérimenter trop large ». On l'a un petit peu regretté parce qu’élargir l'accès direct aux kinésithérapeutes participant à une CPTS dans 20 départements, on a fait le calcul, cela peut concerner 1 000 à 1 500 kinésithérapeutes. Sur les 85 000 en libéral, c'est quand même assez léger.
Voilà, on espère que l'expérimentation fonctionnera et que les kinés s'en empareront, et surtout que les patients seront bien informés, parce que pour l'instant, l'Assurance maladie a peu communiqué sur cette nouvelle modalité d'exercice. Si on veut qu'une expérimentation fonctionne, il faut bien qu'il y ait de la communication en masse dessus.
Comment se déroule cette coopération avec le médecin traitant ? Quelles sont les limites en termes de prise en charge ?
Je vois une limite et un mode de fonctionnement.
Le mode de fonctionnement est que le kinésithérapeute qui accueille des patients en accès direct doit communiquer par tout moyen aux médecins et aux patients le compte rendu de son intervention. Cela peut être un courrier très simple : « J'ai vu votre patient en accès direct dans le cadre d'une lombalgie qu'il a depuis... À l'examen clinique, j'ai remarqué... et qu'il n'y avait pas de signes de gravité parce que...Je l'ai pris en charge, et voilà ce que je vous propose pour la rééducation...». C'est le type de message qu'il faudra que les kinésithérapeutes adressent aux médecins. Mais c'est déjà le cas au quotidien. Tout comme les médecins doivent déjà être en mesure de communiquer aux kinésithérapeutes les éléments de leurs volets médicaux de synthèse, quand ils nous adressent un patient. Souvent, on reçoit surtout l'ordonnance du patient indiquant des séances de kinésithérapie.
Pour la limitation, ceux qui ont décidé cette expérimentation ont voulu dissocier deux situations : la situation où on a ce qu'on appelle un diagnostic médical préalable et celle où il n'y a pas de diagnostic médical préalable. On a réussi à tomber d'accord sur une définition assez simple. On estime qu'il n'y a pas de diagnostic médical préalable dès lors que c'est la première fois que vous voyez un kinésithérapeute pour un souci. C'est la première fois par exemple que vous avez mal au dos. Vous venez voir un kinésithérapeute, on n'a pas de diagnostic médical préalable fait par le médecin. Dans cette situation-là, on est limité à 8 séances. Et au-delà de 8 séances, on ne peut pas continuer tant que le patient n'est pas retourné vers le médecin. Séances remboursables par l'Assurance maladie, avec une tarification pour le kinésithérapeute qui est la même que d'habitude. Et lorsqu'on est dans une situation de diagnostic médical établi, là par contre, il n'y a pas de limitation de séances à proprement parler en accès direct.
Est-ce que l'expérimentation a démarré ? Est-ce que vous avez une première estimation du nombre de kinésithérapeutes qui y participent ?
Aujourd'hui, on n'a pas de retour chiffré, car l'expérimentation a démarré depuis juin 2025. C'est beaucoup trop récent. L'expérimentation balbutie un peu parce qu'il faut que le ministère, en lien avec les agences régionales de santé (ARS), mette à disposition la plateforme pour que les kinésithérapeutes puissent se déclarer expérimentateurs, et cela prend nécessairement du temps.
Par contre, on a déjà des retours du nombre de patients, de consultations qui ont été réalisées par des kinésithérapeutes en accès direct, notamment dans le cadre des maisons de santé. Parce que, comme vous l'avez dit, dans les maisons de santé, l'accès direct est possible depuis plus longtemps, depuis mi-2023. Nous avons à peu près 300 000 consultations qui ont été réalisées dans ce cadre en accès direct. Il est intéressant de noter que sur 300 000 consultations, pour l'instant, le nombre de retours d'événements indésirables liés à la séance de kinésithérapie en accès direct est de zéro. C'est-à-dire qu'il n'y a aucun problème à sa mise en œuvre, contrairement à ce que certains pouvaient penser en mettant en place ce système.
Est-ce que les kinésithérapeutes aujourd'hui sont en capacité de recevoir des patients en consultation directe, c'est-à-dire d'absorber ce nouveau volume de patients ? Qu'est-ce que cela impose en termes d'organisation ?
En termes d'organisation, c'est un avis personnel que je vous donne, je pense que cela ne va pas changer grand-chose. Peut-être qu'il y a une nouvelle offre qui va arriver dans les cabinets de kinésithérapeutes, mais je pense que c'est surtout des patients qui devaient venir chez nous et qui viennent plus tôt. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, ces personnes viennent dans les cabinets de kinésithérapeutes après une consultation médicale, parfois après de nombreuses imageries, pas forcément pertinentes. Donc c'est surtout des patients qu'on voit plus tôt. La littérature le montre parfaitement bien, des patients qu'on voit plus tôt sont rééduqués plus rapidement. Je pense que cela peut augmenter la file active des kinésithérapeutes, c'est-à-dire le nombre de patients pris en charge, parce qu'on n'aura pas besoin de les voir aussi souvent. Pour caricaturer, il est beaucoup plus facile de traiter un problème aigu qu'une douleur chronique.
L'expérimentation dont nous parlons est prévue pour cinq ans et après ?
C'est une excellente question. Le principe d'une expérimentation est qu'on veut tester quelque chose sur le terrain pour voir si ça fonctionne. Donc, deux possibilités, soit on revient en arrière parce que cela ne fonctionne pas, soit on le généralise. Maintenant, je vous avoue, à titre personnel, que j'espère que cette expérimentation ne durera pas aussi longtemps, d'autant plus quand on voit la situation actuelle du système de santé où l'État cherche à tout prix des solutions efficaces et efficientes.
L'accès direct est déjà mis en œuvre dans plus de 50 pays dans le monde. Il diminue les délais d'attente, les imageries non pertinentes, les dépenses de santé. Il ne remet pas en cause la qualité des soins et il améliore la satisfaction des patients. Globalement, c'est un carton plein.
La littérature dit que c'est particulièrement efficace. Donc, on espère que l'État comprendra rapidement qu'il faut le généraliser vite. J'espère que cette expérimentation durera moins de cinq ans et qu'on aura des responsables politiques qui auront le courage, au risque d'en vexer certains pendant quelques jours, de mettre en œuvre cette nouvelle modalité d'exercice.
Est-ce que les patients enfants et adultes sont concernés par cette expérimentation ?
Cela concerne tout le monde.
Donc, pas de critères d'exclusion. C'est le kinésithérapeute qui décide de renvoyer vers le médecin s'il juge que la situation nécessite un diagnostic médical ?
C'est exactement cela.
Pour un kinésithérapeute, quelles sont les démarches à effectuer pour participer à cette expérimentation ? Cette application des ARS n'est pas encore mise en fonctionnement ?
Il semblerait que ce soit un formulaire type démarche simplifiée où les kinésithérapeutes pourront se déclarer. J'ai l'impression qu'il y a deux systèmes qui cohabitent. Ce n'est pas encore parfaitement clair. Dans certains départements, on a demandé aux kinésithérapeutes de se déclarer directement. La plateforme maintenant est active.
En ce qui me concerne, j'exerce dans le Loiret, ce sont les responsables de notre CPTS qui ont recensé et qui ont rempli le formulaire pour nous. Pour moi, par exemple, j'accueille des patients en accès direct et j'ai été recensé via la coordinatrice de ma CPTS pour le mettre en œuvre.
Et côté « patients », comment est-ce qu'ils peuvent savoir quel kinésithérapeute peut les recevoir sans prescription médicale ? Vous l'avez dit, l'Assurance maladie a un travail d'information à faire.
Exactement, il y a un travail d'information à faire de la part de l'Assurance maladie, de la part des kinésithérapeutes évidemment, avec cette liste qui sera accessible sur le site des ARS. On compte sur l'Assurance maladie pour jouer son rôle dans cette expérimentation. Parce que si les patients ne sont pas au courant, cela ne pourra pas fonctionner.
Je vous avoue que, pour l'instant, je trouve l'Assurance maladie assez muette sur le sujet, peut-être parce que la mesure a été prise en période quasi estivale et qu'au plus tard en septembre, il y aura une large communication dans ces 20 départements [2]. Parce que c'est quelque chose que les patients attendaient, eux aussi, de pouvoir consulter un kinésithérapeute sans prescription médicale.
Et d'ailleurs, pour la petite anecdote, le premier patient que j'ai reçu en accès direct, il y a quelques semaines, était un médecin. À quelques jours près, il serait allé voir un médecin pour son entorse de cheville. Il était absolument ravi d'être pris en charge aussi rapidement. En cinq consultations, il allait parfaitement bien. Ce patient est toujours vivant !
David Paitraud. Anecdote très pertinente qui montre aussi la confiance qu'il peut y avoir entre les professionnels de santé. Le Syndicat national des masseurs-kinésithérapeutes, que vous présidez, va veiller à la transmission de cette information auprès des patients.
Interview : David Paitraud, pharmacien
Montage : Robin Benatti & David Paitraud
Remerciements : Guillaume Rall, kinésithérapeute et président du Syndicat national des masseurs-kinésithérapeutes
[1] Arrêté du 6 juin 2025 relatif à l'expérimentation permettant aux masseurs-kinésithérapeutes regroupés au sein d'une communauté professionnelle de santé d'exercer leur art sans prescription médicale (Journal officiel du 8 juin 2025, texte 15)
[2] Paitraud D. Accès direct aux kinésithérapeutes exerçant en CPTS : tout est prêt pour démarrer l'expérimentation (Actualité VIDAL, du 12 juin 2025)
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