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Violences et psychotraumatismes chez les personnes handicapées : les clés pour mieux les repérer

Les personnes handicapées représentent une population vulnérable, particulièrement exposée aux violences et à leurs conséquences psychotraumatiques. Certaines manifestations sont d’excellents signaux d’alerte quand d’autres symptômes s’installent masqués par le handicap.

Marion Berthon 19 novembre 2024 Image d'une montre7 minutes icon Ajouter un commentaire
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Handicap : les psychotraumatismes sont plus fréquents et sévères que dans la population générale.

Handicap : les psychotraumatismes sont plus fréquents et sévères que dans la population générale.Lidiia Moor / iStock / Getty Images Plus / via Getty Images

Résumé

Les médecins libéraux, généralistes et pédiatres, ont un rôle déterminant à jouer dans le diagnostic, le traitement et le suivi des violences et des psychotraumatismes chez les personnes en situation de handicap.

La mise en place d’un dépistage systématique est essentielle. Outre les symptômes habituels de traumatisme psychique, certaines manifestations spécifiques au handicap doivent être surveillées. Pour cela, les médecins de ville peuvent s’appuyer sur des centres ressources, des fiches conseil et des formations.

Les personnes en situation de handicap constituent une population particulièrement vulnérable, souvent davantage exposée aux violences et à leurs effets psychotraumatiques.

Une réalité alarmante

Les chiffres des violences faites aux personnes en situation de handicap sont extrêmement préoccupants : 4 femmes en situation de handicap sur 5 sont victimes de violences [1]. Plus particulièrement, en ce qui concerne les femmes autistes (TSA), 88 % d’entre elles subissent des violences sexuelles [2].

Le handicap accroît l’exposition à la violence, mais aussi à ses conséquences

Le Dr Muriel Salmona, présidente et fondatrice de l’association Mémoire traumatique et victimologie [3], psychiatre et psychotraumatologue, alerte : « Il faut être particulièrement vigilant, car à niveau de violence égale, les personnes en situation de handicap, a fortiori les enfants et les personnes autistes, développent des psychotraumatismes plus graves et plus fréquents que dans la population générale. »

Un impact sur la santé

Les psychotraumatismes sont à l’origine d’un ensemble de troubles neuropsychologiques engendrés par l’exposition directe ou indirecte à un ou plusieurs épisodes de violence. Notons que si les violences, et en particulier les violences sexuelles, sont les plus grandes pourvoyeuses de psychotraumatismes chez les personnes en situation de handicap, d’autres traumatismes peuvent également en être à l’origine, comme un attentat, un accident, une exposition à une mort brutale, des catastrophes naturelles…

« Outre des conséquences sur la santé mentale, les troubles psychotraumatiques entraînent des pathologies somatiques liées au stress, cardiovasculaires, immunitaires, infectieuses, digestives et d’importants troubles cognitifs qui aggravent le handicap déjà présent, notamment en cas de troubles autistiques », éclaire le Dr Salmona.

Quels qu’en soient les symptômes visibles, les conséquences d’un psychotraumatisme sont délétères pour les personnes en situation de handicap. « Le corps n’oublie jamais le traumatisme subi », témoigne Marie Rabatel, présidente de l’Association francophone de femmes autistes [4], elle-même autiste et survivante de viol. Engagée depuis de nombreuses années dans la lutte contre les violences sur les personnes vulnérables, elle constate qu’« avec les très jeunes enfants ou les enfants autistes, on a souvent tendance à penser à tort que les conséquences sont moins graves. Mais si l’expression de leurs émotions est différente, les effets du traumatisme n’en sont que plus lourds ».

Ces violences doivent impérativement être détectées rapidement, car les personnes qui les endurent se trouvent en danger immédiat de subir de nouvelles violences et de développer des troubles psychotraumatiques, pouvant notamment être à l’origine de conduites à risque ou de tentatives de suicide.

Repérer efficacement les psychotraumatismes

« Un dépistage systématique et universel des violences et des psychotraumatismes doit impérativement être mené chez toutes les personnes en situation de handicap. Personne ne devrait passer en dehors de ce repérage, en particulier en cas de troubles neurodéveloppementaux », avertit le Dr Salmona.

Deux portes d’entrée peuvent permettre aux médecins généralistes et aux pédiatres d’accéder à ce dépistage systématique :

  • quand une ou des situations de violence sont connues, le psychotraumatisme doit être systématiquement recherché, car il sera présent chez la très grande majorité des patients ;
  • quand des signes de psychotraumatisme ressortent lors de l’anamnèse, les professionnels de santé doivent s’interroger sur la présence ou non de violences.

La psychiatre, auteure du Livre noir des violences sexuelles, raconte ces procès au cours desquels les victimes ne sont reconnues comme traumatisées que lorsque le juge demande formellement aux experts psychiatres de se poser la question des troubles psychotraumatiques. Le signe évident, selon elle, est que dès que les professionnels ont le réflexe de chercher des psychotraumatismes, ils les trouvent.

Comportements dissimulés par le handicap

Le repérage d’un psychotraumatisme n’est pas évident et le professionnel se trouve fréquemment confronté à un risque : celui de confondre les signes d’un psychotraumatisme avec les symptômes du handicap. Certaines manifestations du psychotraumatisme peuvent en effet s’apparenter à celles d’un handicap. C’est particulièrement vrai avec l’autisme qui partage avec les psychotraumatismes des symptômes comme des troubles de la régulation des émotions ainsi qu’une hypersensibilité sensorielle et neurovégétative.

« Les comportements dits “problèmes” sont trop souvent associés au handicap, sans que le professionnel de santé ou éducatif ne pense à chercher ce qui peut se cacher derrière, regrette Marie Rabatel. Par exemple, il est fréquent de diagnostiquer une démence chez les personnes âgées sans se questionner sur une éventuelle réviviscence d'un traumatisme vécu dans son enfance. » Attention donc à ne pas involontairement invisibiliser un traumatisme.

Signaux d’alerte et manifestations

Les symptômes visibles du psychotraumatisme chez les personnes en situation de handicap sont, comme pour la population générale, listés dans le DSM-5 : flashbacks, réminiscences, cauchemars, troubles anxio-dépressifs, troubles phobo-obsessionnels, peur, hypervigilance, conduites addictives, mises en danger… Cependant, si l’on s’en tient à ce catalogue, il est fréquent de passer à côté du diagnostic de psychotraumatisme.

En effet, si la personne qui subit des violences est encore en contact avec son agresseur, son cerveau peut, pour se protéger, déconnecter le circuit des émotions, de la mémoire et de la douleur. La victime semble alors anesthésiée émotionnellement et physiquement et les symptômes de psychotraumatisme ne sont plus visibles. On parle de dissociation. Les symptômes n’apparaîtront que lorsque la personne sera mise à l’abri et éloignée de son agresseur, parfois plusieurs décennies plus tard.

« Pour détecter un psychotraumatisme, il faut s’éloigner de la représentation habituelle de la personne traumatisée qui pleure, qui a peur de tout, qui fait des cauchemars. Le patient souffrant de psychotraumatisme paraît souvent indifférent à tout, ne laissant paraître que très peu d’émotions et semblant tout supporter. Ce sont ces personnes qui sont souvent les plus en danger », poursuit le Dr Salmona.

Parfois, ce sont les troubles du langage qui font obstacle à la révélation des violences subies et des psychotraumatismes vécus. L’être humain fonctionne en miroir : face à une souffrance non exprimée, les soignants et les aidants peuvent ne pas la ressentir et ne pas parvenir à la prendre en compte. Il s’agit de situations complexes qui doivent faire l’objet d’une attention particulière lors du diagnostic.

En cas de doutes, un changement soudain de comportement est un signal d’alerte très révélateur pour détecter des violences et un psychotraumatisme. « Un enfant qui dormait et qui ne dort plus, un enfant qui supportait les étiquettes de vêtements et qui ne les supporte plus, un enfant qui se dénude en public du jour au lendemain… Ces changements doivent alerter l’entourage et les professionnels de santé », explique Marie Rabatel.

Sur quelles structures s’appuyer en ville ?

Le Dr Salmona met l’accent sur le fait que « les psychotraumatismes se soignent très bien, c’est pourquoi il est d’autant plus important de les diagnostiquer. Qui plus est, comme le trouble psychotraumatique est aussi une maladie des connections neuronales, on ne peut pas parvenir à soigner efficacement une personne avec un handicap neurodéveloppemental sans soigner simultanément son traumatisme ».

Vers une prise en charge pluridisciplinaire

Les centres régionaux du psychotraumatisme (CRP) sont des dispositifs de prise en charge des personnes présentant des psychotraumatismes [5]. Les médecins libéraux peuvent s’appuyer sur leur expertise pour accueillir, orienter et traiter les patients qu’ils ont dépistés. Les 17 CRP répartis sur le territoire proposent également des formations sur la prise en charge des psychotraumatismes et disposent d'un réseau de professionnels de santé, d’associations de patients et de services sociaux spécialisés.

Les centres INTIMAGIR, créés suite au grenelle des violences conjugales de 2019 avec le soutien des agences régionales de santé (ARS), informent les personnes en situation de handicap et les professionnels de santé sur les thématiques de la vie intime, affective et sexuelle, sur la parentalité et sur les violences sexistes et sexuelles [6]. Ces centres de ressources disposent également d’une base de données des professionnels de santé formés au handicap et peuvent ainsi orienter les patients et les professionnels.

Le site d’information Mon parcours handicap créé pour les personnes handicapées et leur famille est également une plateforme riche et actualisée fréquemment consultée par les professionnels de santé [7].

Les fiches-conseils d’HandiConnect.fr

Pour accompagner les professionnels de santé dans le diagnostic, la prise en charge et le suivi des personnes en situation de handicap victimes de violences et de psychotraumatismes, HandiConnect.fr a mis à disposition des fiches-conseils auxquelles le Dr Muriel Salmona et Marie Rabatel ont contribué :

Un module de formation interactif sur les violences sexuelles et le handicap est également disponible en ligne [8].

Conclusion

Les médecins libéraux, généralistes et pédiatres, ont un rôle déterminant à jouer dans le diagnostic des violences et des psychotraumatismes, dont on sait qu’ils sont surreprésentés chez les personnes en situation de handicap. Le dépistage systématique et la prise en compte des manifestations spécifiques, sont autant de pas vers une prise en charge personnalisée et efficiente. 

Sources

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