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Tatouages : notre santé en voit-elle de toutes les couleurs ?

Les tatouages ont-ils des effets sur notre immunité et notre santé en général ? Tour d’horizon des connaissances sur ce qui se passe dans la peau après un tatouage, leurs complications et leurs éventuelles applications pour vacciner contre certaines infections.

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Des complications rares.

Des complications rares.

Résumé

En France, environ une personne sur six est tatouée, souvent plusieurs fois. Pourtant, la majorité des professionnels de santé sont peu informés sur les détails de cette pratique, ainsi que sur ses complications éventuelles.

Après un tatouage, les conseils d’hygiène pendant la phase de cicatrisation sont habituellement donnés par les tatoueurs (mais pas forcément scrupuleusement suivis par les tatoués).

Qu’injecte-t-on pour tatouer ? Que se passe-t-il au niveau de la peau après un tatouage ? Pourquoi persistent-ils à leur position initiale alors que la plupart de nos cellules se renouvellent fréquemment ?

Quelles sont leurs complications à court et long terme ? Stimulent-ils notre immunité ou l’affaiblissent-ils ? La peau tatouée est-elle davantage à risque de cancer ? Peut-on injecter un vaccin sur une zone tatouée ?

Autant de questions que les personnes tatouées se posent et peuvent poser à leur médecin traitant, leur pharmacien ou leur infirmière.

Le tatouage est une vieille histoire. Le plus ancien tatouage connu a été identifié sur la lèvre supérieure d’une momie de la culture Chinchorro (nord du Chili - sud du Pérou) âgée d’environ 7 000  ans. Ötzi, le chasseur néolithique retrouvé congelé dans les Alpes en 1991 et vieux de 5 300 ans, portait 57 tatouages, en particulier sur ses articulations. Des momies égyptiennes datant d’environ 5 000 ans en présentent elles aussi.
Aujourd’hui, le tatouage est populaire dans les pays occidentaux. Une enquête de 2017 [1], menée sur 5 000 personnes en France, a révélé que 16,8 % de l'échantillon était tatoué (dont 6,9 % portait plus d’un tatouage). Pourtant, les connaissances scientifiques des professionnels de santé dans ce domaine sont souvent assez superficielles.

Une histoire de pigments

Tatouer, c’est introduire dans le derme des particules de pigments insolubles, par le biais de milliers de piqûres pratiquées à l’aide de fines aiguilles métalliques. Ces pigments (en général, des particules de moins de 100 nm de diamètre) sont dilués dans une solution dont la composition varie selon les marques (éthanol, glycérol, etc.). La dose injectée varie, en moyenne, entre 1 et 2,5 mg par cm2 de peau.

Traditionnellement, il s'agissait de substances naturelles : suie, minéraux (stéatite, malachite, wustite, etc.), végétaux (bois de santal, bois-brésil) ou métaux (cuivre, fer, cobalt, etc.). Aujourd’hui, de plus en plus de pigments sont des substances issues de la chimie organique, en particulier des pigments azoïques, des quinacridones, des phtalocyanines, etc. Mais chaque producteur a ses recettes et certaines encres contiennent encore des traces de substances traditionnelles, dont certains métaux connus pour être allergènes, comme le nickel, le chrome, le cadmium ou le cobalt [2].

Certains pigments, non toxiques en tant que tels, peuvent le devenir sous l’action des rayons ultraviolets (par exemple, Yellow 74 et 82 ou Red 9 et 22). En effet, cette photodécomposition libère des substances dont certaines sont connues comme étant carcinogènes. En janvier 2023, l’Union européenne a interdit, pour cette raison, deux pigments (Blue 15:3 et Green 7) pour lesquels des alternatives sûres n’existent toujours pas [3]. De plus, certains encres à base de pigments azoïques peuvent également contenir des amines carcinogènes.

Que se passe-t-il dans la peau après un tatouage ?

Après un tatouage, une phase inflammatoire s’installe dans la zone de peau tatouée, provoquée par les milliers de microtraumatismes et l’hémorragie présente dans le derme. Les polynucléaires neutrophiles et les macrophages affluent. Les fibroblastes commencent à préparer la cicatrisation. L’épiderme, fortement endommagé, se nécrose et se renouvelle.

La très grande majorité des particules de pigments ayant atteint le derme sont phagocytées par les macrophages. Les fibroblastes en intègrent également une partie lorsqu’ils recyclent les fibres de collagène endommagées, mais en quantité bien moins importante [4]. Une petite partie est capturée par les neutrophiles. Par ailleurs, une partie non négligeable des particules de pigments (jusqu’à 30 %) migre dans la lymphe et se dépose dans les ganglions lymphatiques, voire le foie.

Une étude histologique effectuée quelques semaines après la cicatrisation d’un tatouage montre que l’essentiel des particules de pigments se trouvent dans les macrophages du derme, le reste étant intégré dans les fibroblastes. Les neutrophiles ont disparu, éliminés par des macrophages qui ont, à leur tour, intégré leurs pigments [2, 4].

Pourquoi les tatouages sont-ils permanents ?

La phagocytose des pigments par les macrophages provoque des modifications de leurs propriétés. En particulier, sous l’effet de la masse de pigments phagocytés ou, parfois, via l’action de certains composants des pigments (cobalt ou zinc, par exemple), la mobilité des macrophages se réduit considérablement, voire disparaît [5]. Leur immobilisation assure la stabilité du tatouage.

Mais les macrophages ne sont pas éternels. Comment, alors, expliquer cette stabilité à long terme ? Des travaux récents [6, 7] ont montré que, lorsqu’un macrophage du derme meurt et se décompose, de nouveaux macrophages assurent son élimination et, ce faisant, intègrent les particules de pigments et sont à leur tour immobilisés là où se trouvait le macrophage éliminé. La variation infinitésimale de position des générations successives de macrophages « tatoués » produit, au fil du temps, un léger effet de flou sur les contours du tatouage, mais globalement celui-ci reste dans sa position initiale.

Quelles sont les complications possibles ?

Dans l’enquête menée en 2017 en France [1], 17 % des participants ont déclaré avoir des soucis durant la phase de cicatrisation (en particulier des hommes jeunes) : par exemple, irritation (41 %), infection bactérienne (25%), retard à la cicatrisation (24 %) ou démangeaisons (22 %). Ces problèmes sont devenus chroniques chez 1,9 % des personnes interrogées, mais les auteurs ont noté une fréquence plus élevée d’acné, d’eczéma de contact et de dermatite atopique chez les sujets tatoués. D’autres sources rapportent jusqu’à 8 % de réactions allergiques retardées sur au moins une couleur d’un tatouage [8].

La transmission de maladies infectieuses par les tatouages (hépatites virales, infection à VIH, syphilis, par exemple) est rarissime dans les pays industrialisés (sauf pour les tatouages « sauvages » hors des officines spécialisées). L’usage quasi généralisé d’aiguilles stériles à usage unique et la désinfection systématique du matériel y ont grandement contribué.

Les complications dermatologiques [9, 10] apparaissent soit pendant la phase de cicatrisation, soit à plus long terme. Les infections lors de la cicatrisation sont le plus souvent dues à Staphylococcus aureus, Streptococcus pyogenes ou Pseudomonas æruginosa. Rares (1 à 5 % des tatouages) et souvent liées à une mauvaise hygiène pendant la cicatrisation, elles se traduisent classiquement par des abcès, un impétigo, un érysipèle, etc. Des vascularites et des réactions de type pseudolymphome sont parfois signalées.

Des infections à plus long terme, dues en particulier à des mycobactéries, sont possibles. Elles se traduisent, plus d’un mois après la séance de tatouage, par une réaction granulomateuse : papules et nodules érythémateux, pustules, etc.

Des réactions allergiques retardées peuvent survenir plusieurs semaines après certains tatouages, la plupart du temps des hypersensibilités de type IV, qui se présentent comme un eczéma de contact sur les zones tatouées avec, parfois, lichénification ou desquamation. Ces réactions allergiques, inesthétiques et traumatisantes pour le patient, sont difficiles à traiter du fait de la difficulté à faire disparaître leur cause. Seuls les traitements chirurgicaux et le « shaving » au Dermatome de la zone tatouée (qui élimine la peau sur une épaisseur de 0,25 à 1 mm) peuvent y parvenir [8], mais ils sont limités aux petits tatouages et ne sont proposés que par des équipes spécialisées.

Certaines personnes ont aussi signalé, après un tatouage, une exacerbation de pathologies dermatologiques préexistantes : dermatite atopique, psoriasis ou pyodermite gangréneuse.

À noter, les complications dermatologiques des tatouages sont plus fréquentes après usage des pigments rouges (y compris les pigments azoïques plus récents) et des pigments noirs [9].

Effacement des tatouages par laser : un risque mal évalué

Outre les techniques chirurgicales ou de dermo-abrasion, l’effacement d’un tatouage repose sur l’utilisation de lasers dont la longueur d’ondes varie selon la teinte du pigment à supprimer. Sous l’effet de l’énergie du laser, les macrophages colorés sont détruits et les particules de pigments sont fragmentées. Plusieurs séances sont nécessaires, sous anesthésie locale.

La nature et le devenir dans le corps des fragments de particules ainsi créés posent question. Par exemple, l’exposition du pigment Cardinal Red par un laser Nd:YAG à 532 nm crée des produits de dégradation potentiellement toxiques et cancérigènes (2-methyl-5-nitroaniline, 2-5-dichloraniline, 4-nitro-toluene, 1,4-dichlorobenzène [2]), dont on ne connaît pas les effets à long terme.

Y a-t-il une augmentation du risque de cancer de la peau ?

Parce que des cas de cancers cutanés ont été observés sur des tatouages, l’idée qu'ils puissent les favoriser a longtemps circulé. Bien qu'il n'existe pas de base de données fiable sur l'incidence des cancers en lien avec des tatouages, les informations disponibles suggèrent que l'incidence des cancers de la peau chez les personnes tatouées n'excède pas leur incidence dans la population générale [2, 9].

Cependant, les effets à long terme des nouvelles encres suscitent des inquiétudes quant à leurs éventuelles propriétés cancérigènes après exposition aux UV ou à un laser (voir ci-dessus). Des études portant sur plusieurs marques actuelles d'encre noire commerciale pour tatouage ont révélé la présence de substances cancérigènes dans certaines d'entre elles [9]. Par exemple, les encres à base de suie contiennent des produits dérivés de combustion incomplète, une source connue de substances cancérigènes tels que les hydrocarbures aromatiques polycycliques. De plus, certaines particules de pigment ont une taille de l'ordre de la nanoparticule, ce qui représente une autre source possible de cancérogenèse.

Y a-t-il un effet sur l’immunité ?

La question d’un effet pérenne (au-delà de la réaction immunitaire propre à la cicatrisation) du tatouage sur l’immunité reste en suspens. Récemment, divers travaux ont suggéré un effet stimulant sur le système immunitaire inné, ainsi que sur l’immunité locale (immunoglobulines A [IgA]).

Chez les personnes qui viennent d'être tatouées, les taux sanguins de cortisol et d’IgA augmentent de manière temporaire [11, 12]. Lors de tatouages répétés, l’augmentation des taux de cortisol s’estompe (le corps s’habitue à ce stress particulier) et celle des taux d’IgA devient de plus en plus forte. De plus, chez ces personnes, l’activité antibactérienne de la salive (en partie liée aux IgA) tend également à s'élever après un tatouage et cette augmentation est plus marquée après les tatouages suivants [13].

Ces données, préliminaires, semblent aller dans le sens de l’acquisition d’une mémoire immunitaire du tatouage par les lymphocytes (production d’IgA), mais aussi par les cellules du système immunitaire inné. Ce dernier, autrefois considéré comme non spécifique et sans mémoire, se révèle, dans divers travaux, comme doué d’une certaine capacité mémorielle [14]. Cette immunité dite « éduquée » permettrait, dans le contexte des tatouages, de mieux réagir aux plaies cutanées en favorisant la cicatrisation.

Aucune donnée n’existe sur un effet plus global des tatouages sur l’immunité. La question se pose pourtant de leur sécurité chez les personnes immunodéprimées. Dans la littérature scientifique, il n’a été publié qu’un seul cas de complication chez une personne immunodéprimée, chez une jeune femme souffrant de mucoviscidose et ayant reçu une double greffe cœur/poumons [15]. Néanmoins, les cas de réactivation de psoriasis ou de pyodermite gangréneuse soulève la question de l’effet des tatouages chez les personnes souffrant de maladies auto-immunes.

Peut-on vacciner à travers un tatouage ?

Une question se pose fréquemment aux professionnels de santé : puis-je injecter un vaccin sur une zone de peau tatouée ? La réponse immunitaire vaccinale en sera-t-elle modifiée ? Selon le Dr Nicolas Kluger, dermatologue à l’hôpital Bichat et responsable d’une consultation spécialisée sur les complications des tatouages : « Il est plus confortable pour tout le monde d'éviter, si possible, un tatouage lors d'une injection de vaccin. Aucune vaccination ne doit être effectuée sur un tatouage qui est encore en cours de cicatrisation (moins d'un mois). De plus, aucun tatouage ne doit être réalisé sur la même zone juste après une vaccination, en particulier dans le cas de vaccins vivants atténués. » [16] Selon lui, vacciner directement sur un tatouage ne devrait se faire que si aucune zone non tatouée n’est accessible et compatible avec une vaccination, ni aucun espace non tatoué entre deux tatouages.

Le tatouage peut-il devenir un outil thérapeutique ?

Cette question n’est pas aussi saugrenue qu’elle paraît au premier abord. Les tatouages sont, dans certaines cultures, destinés à soulager des problèmes de santé. Étrangement, la plupart des tatouages d’Ötzi consistent en des points disposés autour de ses articulations. Un grand nombre d’entre eux se trouvent là où les médecines orientales situent les points d’acupuncture visés pour soulager les troubles articulaires [17]. Par ailleurs, de nos jours, à Bornéo ou en Nouvelle-Guinée, des tatouages traditionnels « thérapeutiques » continuent à être pratiqués.

Mais, dans la littérature médicale contemporaine, l’intérêt thérapeutique des tatouages se situe ailleurs : ils sont étudiés comme une voie alternative d’administration de vaccins.

Le « tatouage ADN », une technique de vaccination prometteuse

Depuis plusieurs années, des études évaluent une nouvelle méthode de vaccination qui utilise un appareil de tatouage modifié [18]. La solution de vaccin est conditionnée sous pression et un tout petit volume est injecté à chaque perforation de la peau par les aiguilles. La surface de peau ainsi « tatouée » détermine le volume total de vaccin injecté. Il est ainsi possible d’obtenir de très nombreuses injections intradermiques (ID), sans devoir se limiter au tout petit volume d’une ID traditionnelle unique (0,1 ml maximum). En d’autres termes, il s’agit d'une sorte de « mésothérapie vaccinale », mais plus facile à mettre en œuvre que les ID classiques, toujours très dépendantes de l’expérience du professionnel de santé.

Cette technique a été surnommée « tatouage ADN », car elle est en particulier testée avec des vaccins à ADN (plasmides codant pour une protéine du pathogène concerné). Les conditions propres au derme (densité importante de cellules dendritiques qui présentent les antigènes aux lymphocytes) et au tatouage (destruction de l’épiderme qui attire de nombreuses cellules immunitaires) font que, dans les études préliminaires chez des rongeurs et des primates, cette méthode de vaccination a provoqué une meilleure réponse vaccinale humorale qu’une injection sous-cutanée ou intramusculaire [19], pour une dose totale de vaccin injectée plus faible (avantage économique).

Ces recherches ont porté, par exemple, sur la vaccination contre les borrélies (agents de la maladie de Lyme [20]) et contre Burkholderia pseudomallei (agent de la melloïdose [21]).

En conclusion, les effets des tatouages sur la santé sont limités. Leurs complications sont plutôt observées pendant la phase de cicatrisation, d’où l’importance de l’information sur les règles d’hygiène par les tatoueurs (et le respect de celles-ci par les tatoués). À plus long terme, les réactions allergiques sont responsables de la majorité des consultations. Elles restent rares, mais doivent être prises en charge par des dermatologues habitués à ces réactions et à leurs traitements.

Par ailleurs, les tatouages sont intéressants à étudier pour mieux comprendre notre système immunitaire, en particulier les capacités adaptatives de l’immunité innée, ainsi que pour imaginer de nouvelles méthodes de vaccination plus efficaces à moindre coût.

 

Sources

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