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Maladie d’Alzheimer : la fin de l’hypothèse amyloïde ?

Maladie d’Alzheimer : les études cliniques les plus récentes remettent-elles en question le rôle de l’accumulation de peptides amyloïdes dans le cerveau ?

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Des données qui interpellent.

Des données qui interpellent.

Résumé

Depuis une vingtaine d’années, la recherche thérapeutique contre la maladie d’Alzheimer est tournée vers un unique objectif : réduire l’accumulation de peptides amyloïdes pathologiques dans le cerveau des personnes présentant les premiers signes de cette maladie neurodégénérative.

Certaines des substances étudiées ont permis d'atteindre ce but sans que, pour autant, l’évolution des troubles cognitifs n’en soit ralentie, parfois au prix d’effets indésirables inacceptables. En 2021, puis en janvier 2023, deux anticorps monoclonaux visant à réduire l’accumulation de peptides amyloïdes ont été autorisés à la vente aux États-Unis pour le traitement des formes précoces de la maladie d’Alzheimer, avec une efficacité clinique modeste et un rapport bénéfice/risque qui inquiète de nombreux neurologues.

Depuis des années, des voix s’élèvent pour remettre en cause l’hypothèse purement amyloïde de la maladie d’Alzheimer et pour que la recherche cesse de considérer la réduction de l’accumulation de peptides amyloïdes comme le Saint-Graal. Les résultats des études les plus récentes, où une diminution massive de l’accumulation des peptides amyloïdes a été obtenue sans véritable impact clinique et au prix d’effets indésirables graves, vont dans le sens de ces critiques.

La définition actuelle de la maladie d’Alzheimer (MA) repose sur la présence de dépôts (« plaques ») de peptides amyloïdes bêta (Aβ) dans le cerveau, autour de neurones morts ou en apoptose, mais aussi autour de vaisseaux sanguins cérébraux. Des enchevêtrements de protéine tau anormale (« tangles ») sont également présents dans le cerveau des personnes atteintes.

Du point de vue biochimique, les peptides amyloïdes sont issus d’une protéine précurseur (APP, Amyloid Precursor Protein) qui est scindée par des enzymes appelées sécrétases. Dans le contexte de la maladie d’Alzheimer, ce sont les bêta et gamma sécrétases qui libèrent des protofibrilles solubles d’amyloïde bêta. Ensuite, celles-ci deviennent insolubles et précipitent sous la forme de plaques.

L’hypothèse dite « amyloïde » postule que ce sont les dépôts de peptides amyloïdes (en particulier l’amyloïde bêta 42, Aβ42) qui sont à l’origine des troubles cognitifs caractérisant la MA. Néanmoins, il est désormais établi que certains peptides amyloïdes bêta (par exemple l’amyloïde bêta 40, Aβ40) ont des fonctions physiologiques dans le cerveau sain : promotion de la croissance des neurones, voire rôle antimicrobien [1]. Il faut donc distinguer Aβ physiologiques et Aβ pathologiques.

Les origines et les limites de l’hypothèse amyloïde

Au-delà des observations anatomo-pathologiques relevant l’accumulation de plaques et d’enchevêtrements dans les cerveaux des personnes décédées de la maladie d’Alzheimer, d’autres éléments sont venus, au fil des années, nourrir l’hypothèse amyloïde. En particulier, l’identification de mutations des gènes de l’APP (six gènes sur quatre chromosomes différents) qui augmentent la production d’Aβ pathologique : les personnes porteuses de ces mutations ont un risque plus élevé de développer une maladie d’Alzheimer (par exemple lors de formes familiales de la maladie, plutôt rares).

Néanmoins, depuis des années, des experts ont mis en avant d’autres éléments qui ne vont pas dans le sens de l’hypothèse amyloïde [2] :

  • de nombreuses personnes ont un taux d’Aβ cérébral (mesuré par une forme particulière de PET scan) remplissant les critères diagnostiques de la MA, mais ne montrent pas de troubles cognitifs ;
  • la quantité totale d’Aβ présente dans le cerveau des malades (la « charge amyloïde ») n’est que modestement corrélée à la sévérité des signes cliniques ;
  • les études relatives aux particularités génétiques des patients souffrant de maladie d’Alzheimer pointent également vers des gènes qui ne sont pas impliqués dans la production des peptides amyloïdes ;
  • d’autres facteurs de risque de MA ont été identifiés : vasculaires ou métaboliques, par exemple.

La course aux inhibiteurs de la production d’amyloïde bêta pathologique

En ligne avec l’hypothèse amyloïde, la recherche thérapeutique s’est, depuis une vingtaine d’années, entièrement tournée vers l’identification de substances capables de réduire la production d’Aβ dans le cerveau (et, en particulier, d’Aβ42). À noter que, même si son accumulation semble davantage corrélée aux troubles cognitifs dans les modèles murins de maladie d’Alzheimer, la protéine tau n’est pas considérée comme une cible thérapeutique possible compte tenu de sa présence ubiquitaire dans divers organes et de ses multiples fonctions indispensables.

Parmi les molécules étudiées figurent en bonne place les inhibiteurs des bêta et gamma sécrétases. Concernant les inhibiteurs de la bêta sécrétase (BACE [3]), diverses substances ont été évaluées : verubecestat, lanabecestat, atabecestat, umibecestat, elenbecestat, etc. L'elenbecestat a été le dernier inhibiteur de la BACE à faire l'objet d'essais cliniques de phase III. Son développement a été interrompu en raison d'un rapport bénéfice/risque défavorable. D'autres inhibiteurs de BACE tels que le LY3202626 et l'umibecestat ont également été abandonnés en raison de l'absence d'effets significatifs sur la cognition pour le LY3202626 et de l'aggravation des troubles cognitifs, de l'atrophie cérébrale et de la perte de poids pour l'umibecestat. Depuis, aucun inhibiteur de la BACE n'est actuellement évalué dans le cadre d'essais cliniques actifs.

Concernant les inhibiteurs de la gamma sécrétase (EVP-0962, itanapraced, avagacestat, semagacestat, begacestat, etc.), nombre d’entre eux [3] ont été associés à un risque accru d'effets indésirables graves tels que des cancers de la peau et un déclin cognitif (justifiant par exemple l’arrêt du développement du semagacestat). Cette toxicité est en lien avec leur capacité à bloquer les voies dites NOTCH, un système de communication intercellulaire essentiel.

La recherche sur des modulateurs de la gamma sécrétase (des anti-inflammatoires non stéroïdiens comme le rofecoxib, le tarenflurbil ou le naproxène) a mis en évidence que ces substances étaient capables de réduire les niveaux d'Aβ42 et de produire des peptides plus courts non amyloïdogènes. Cependant, ils n'ont pas montré d'efficacité lors des études cliniques, ce qui pourrait s'expliquer par leur très faible capacité à traverser la barrière hémato-encéphalique [3].

D’autres pistes de réduction de la production d’Aβ ont également été explorées sans succès comme comme celle des inhibiteurs de l’agrégation des peptides amyloïdes. Par exemple, un chélateur de métaux, PBT-2, a permis dans un essai de phase II une diminution des taux d’Aβ42 dans le liquide céphalorachidien sans effet sur les troubles cognitifs [4].

La piste de la vaccination (immunothérapie active)

En 1999, une équipe [5] a rapporté que, chez des souris transgéniques modèle murin de MA, l’injection d’un vaccin dirigé contre une forme d’amyloïde bêta (AN-1792, un amyloïde β 1-42 préagrégé associé à l'adjuvant immunologique QS-21) était capable d’éliminer l’accumulation de peptides amyloïdes et inversait le cours de la maladie. En 2008, dans une étude de phase I [6], ce vaccin a réduit de manière significative les dépôts cérébraux d'Aβ chez les patients atteints de la maladie d'Alzheimer, mais sans aucun avantage clinique.

De plus, un essai de phase II avec ce vaccin a été arrêté après que 6 % des patients vaccinés ont développé des méningo-encéphalites [7]. Lors du suivi des patients définis comme répondeurs dans cette étude de phase II (4,6 ans en moyenne [8]), ceux qui avaient maintenu des anticorps contre le vaccin administré ont montré un déclin fonctionnel significativement moindre par rapport au groupe placebo. Mais la perte de volume cérébral chez ces répondeurs n'était pas différente de celle des patients ayant reçu le placebo, environ 3,6 ans après la fin de l'étude initiale. Trois autres pistes vaccinales ont été étudiées depuis, sans succès [4].

La piste des anticorps monoclonaux (immunothérapie passive)

Depuis 2011, la recherche s’est orientée vers une immunisation passive contre les peptides amyloïdes (anticorps poly- ou monoclonaux).

Après cinq échecs successifs (bapineuzumab, crenezumab, gantenezumab, ponezumab, solanezumab [4]), un anticorps monoclonal a été approuvé par la Food and Drug Administration (FDA) en juin 2021 : l’aducanumab (ADUHELM), le premier médicament contre la maladie d’Alzheimer approuvé depuis 2003. Cette autorisation de mise sur le marché (AMM) a été attribuée malgré l’avis très majoritairement négatif du comité d’experts ad hoc de la FDA (entraînant la démission de la quasi-totalité de ses membres), dans des conditions qu’une enquête du Congrès américain a décrites comme « bourrées d’irrégularités » [9].

Dans les études cliniques, l’aducanumab a effectivement diminué significativement la charge amyloïde des patients le recevant, mais sans impact majeur sur l’évolution de la maladie. Si l'essai EMERGE a révélé un effet positif de l'aducanumab sur le critère d'évaluation principal (CDR-SB, Clinical Dementia Rating-Sum of Boxes, sur une échelle de 18 points), à savoir un déclin de l'état cognitif moindre dans le groupe des patients traités avec une différence mesurée de -0,39 points sur 18, les experts considèrent cette diminution comme insuffisante pour être cliniquement perceptible [10]. En conséquence, l’organisme américain chargé de rembourser les médicaments prescrits aux personnes bénéficiant d’une protection sociale (CMS [11]) a refusé de prendre en charge l’aducanumab, sauf dans le contexte d’essais cliniques. En décembre 2021, l’Agence européenne des médicaments (EMA) a rejeté la demande d’autorisation de ce médicament pour insuffisance de preuves cliniques significatives [12].

Le 6 janvier 2023, la FDA a accordé une AMM à un deuxième anticorps monoclonal dans le traitement de la maladie d’Alzheimer débutante, le lecanemab (LEQEMBI), cette fois sans avoir recours à un comité d’experts ad hoc [13].
Au cours de l’essai clinique de phase III (Clarity AD, 1 795 patients, deux perfusions par mois [14]), la diminution de la charge amyloïde a été la plus forte observée à ce jour dans un essai sur la MA. Un effet clinique modeste mais statistiquement significatif de ralentissement du déclin cognitif a été rapporté pendant la période d'étude de 18 mois dans un sous-ensemble de patients (essentiellement les hommes âgés de plus de 65 ans).
Le critère d'évaluation principal était la modification du score CDR-SB, mais des effets significatifs ont également été constatés sur un critère d'évaluation secondaire (ADAS-Cog14). Pour le critère principal, le changement moyen par rapport à la ligne de base était d'environ -0,45 points sur 18 par rapport au placebo (1,21 avec le lecanemab et 1,66 avec le placebo), tandis que pour l'ADAS-Cog14, l'effet était de -1,44 sur 90 points. Ces chiffres correspondent à une réduction de 27 % du déclin cognitif par rapport au placebo.
Mais, devant ces résultats comme devant ceux de l’aducanumab, de nombreux spécialistes s’interrogent sur la pertinence clinique d’une baisse de 0,45 point sur 18, et sur le fait qu’aucun effet clinique significatif n’a été mis en évidence chez les femmes, les personnes âgées de moins de 65 ans et celles porteuses de deux copies du gène de prédisposition APO ε4.

La décision de la FDA a également surpris les neurologues en raison du mauvais profil de sécurité du lecanemab, en particulier concernant le risque d’hémorragie et d’œdème cérébraux. Dans Clarity AD, 21 % des patients traités avaient des images cérébrales anormales (ARIA, Amyloid-Related Imaging Abnormalities, déjà observées au cours de tous les essais cliniques précédents portant sur des anticorps monoclonaux) contre 9 % dans le groupe contrôle. Parmi ces malades, 3,2 % ont présenté des maux de tête, une confusion, des troubles visuels, contre 0,2 % chez les témoins.

Au moins trois patients traités par lecanemab dans Clarity AD sont décédés d’une hémorragie cérébrale [15, 16], dont au moins deux sous traitement anticoagulant concomitant. Des experts ont émis l’hypothèse que ces hémorragies pourraient être en lien avec un phénomène déjà décrit chez un malade sur deux en moyenne, l’angiopathie amyloïde cérébrale, où les peptides amyloïdes s’accumulent autour des vaisseaux sanguins cérébraux, en particulier ceux portant la double mutation APO ε4. Sous l’action des anticorps monoclonaux et des cellules immunitaires, les vaisseaux gainés d’amyloïde pourraient avoir été « décapés » entraînant ainsi leur fragilisation.

Dans le libellé d'AMM du lecanemab, la FDA alerte les prescripteurs sur l’importance du dépistage des ARIA (une IRM mensuelle les 3 premiers mois de traitement) et met en garde contre l’usage concomitant de médicaments anticoagulants. Elle les invite aussi à envisager la recherche d’une double mutation APO ε4 avant de prescrire le lecanemab.

L’EMA a été saisie pour examiner les résultats de l’étude Clarity AD en vue d’une possible AMM européenne [17]. En janvier 2023, la Société française de pharmacologie thérapeutique (SFPT) a publié un avis sur les anticorps monoclonaux dans la prise en charge de la maladie d’Alzheimer [10] dans lequel elle déclare « qu’il est admis qu'un avantage clinique significatif correspond à une différence de score CDR-SB d'une valeur d'au moins 1 point » et que « dans ces conditions, la balance bénéfice/risque de ce médicament n’apparaît pas favorable. »

Conclusion

En conclusion, après chaque essai clinique portant sur un éventuel traitement de la maladie d’Alzheimer, la question de la pertinence de l’hypothèse amyloïde se pose un peu plus : à ce jour, plus de 25 études visant à réduire la charge amyloïde, certaines y parvenant, n’ont pas montré de résultats cliniques convaincants [18]. Certains experts [19] proposent que l’accumulation d'Aβ entraîne l’accumulation de tau, plus directement liée aux troubles cognitifs, et que la charge amyloïde devra être durablement réduite à un très faible niveau pour qu'un effet clinique significatif soit obtenu. Si c’était le cas, il y aurait un fort décalage temporel entre l'élimination des peptides amyloïdes et la possibilité d'observer un bénéfice. La vitesse d'élimination de ces peptides par un traitement potentiel constituera un élément important pour démontrer un bénéfice clinique dans le contexte d'un essai d’une durée acceptable.

Mais d’autres spécialistes [20] sont désormais convaincus que, si l’accumulation de peptides amyloïdes est bien liée à la maladie d’Alzheimer, rien ne prouve qu'elle joue un rôle dans l’apparition des troubles cognitifs. Certains la comparent à de la fumée qui, certes, indique la présence d’un feu, voire peut exercer une toxicité qui lui est propre, mais dont l’élimination ne réduit en rien l’incendie. Pour ces experts, il est légitime de se demander si, depuis vingt ans, nous n’avons pas essayé d’aérer la pièce plutôt que d’éteindre les flammes.

Sources

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