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Comment faciliter le suivi gynécologique des femmes en situation de handicap ?

Appréhensions réciproques, manque d’information, de temps et de matériel adapté… Si les besoins spécifiques des femmes en situation de handicap soulèvent à juste titre des interrogations, ils ne sont pas un frein à un suivi gynécologique de qualité. 

Marion Berthon 01 décembre 2022 Image d'une montre9 minutes icon Ajouter un commentaire
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Faire visiter le cabinet et présenter le matériel avant la consultation.

Faire visiter le cabinet et présenter le matériel avant la consultation.

Résumé

Le suivi gynécologique des femmes en situation de handicap est indispensable et requiert une attention particulière. Les professionnels de santé ont un rôle clé à jouer pour ramener ces femmes dans le suivi gynécologique. Des stratégies simples telles que le recueil d’informations en amont de la consultation, l’habituation aux soins et la présence d’aidants peuvent être facilement mises en place dans les cabinets de ville.

Associations et consultations spécialisées mettent à disposition des professionnels de santé des supports pour faciliter la prise en charge des femmes vivant avec un handicap. Des dispositifs dédiés peuvent également venir en soutien pour pallier le manque de temps et de matériel adapté et prendre le relais dans les situations les plus complexes.

Seules 58 % des femmes en situation de handicap déclarent un suivi gynécologique, contre 77 % dans la population générale, comme le montre une étude menée par l’agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France en 2017 [1]. En outre, elles sont 25,9 % à ne jamais avoir pratiqué de dépistage du cancer du col de l’utérus. Plus édifiant encore, les femmes vivant avec un handicap sont 85,7 % à n’avoir jamais eu de mammographie, quand, dans la population générale, le taux de participation des femmes de plus de 50 ans au programme de dépistage organisé du cancer du sein en 2010 est de 52 % [2].

Pour quelles raisons les femmes en situation de handicap délaissent-elle leur santé gynécologique ? Par gêne, par peur, suite à une mauvaise expérience de prise en charge ? Parce qu’elles ne voient pas l’intérêt d’une consultation gynécologique ? Parce qu’il est plus difficile d’obtenir un rendez-vous gynécologique quand on vit avec un handicap ?

Des consultations indispensables

Suivi préventif

Comme toutes les femmes, celles en situation de handicap doivent avoir accès à :

  • un suivi gynécologique, à une contraception adaptée ;
  • des examens de dépistage du cancer du col de l’utérus et du sein ;
  • un suivi obstétrique de qualité.

Il est important de ne pas préjuger de leur sexualité, quel que soit leur handicap. « Il arrive, régulièrement, qu’il y ait une inadéquation entre la représentation que se font les parents ou les aidants et la réalité de la vie affective de la patiente », souligne le Dr Perrine Ernoult, gynécologue et médecin coordinateur du dispositif HandiSCo du CHU de Toulouse [3].

Délivrance d’informations

Le fait d’avoir des relations sexuelles n’est d’ailleurs pas un prérequis à la consultation gynécologique. Une éducation à la vie affective, intime et sexuelle adaptée doit être proposée à ces femmes, avec notamment la délivrance d’informations sur l’anatomie, les cycles menstruels, l’hygiène intime, le consentement, les infections sexuellement transmissibles… afin de leur permettre, si elles le souhaitent, d’accéder à une sexualité dans de bonnes conditions et de savoir réagir en cas de situation abusive.

Car ne l’oublions pas, les femmes qui ne sont pas en capacité de s’exprimer par la parole et/ou avec une déficience intellectuelle sont plus vulnérables et plus susceptibles d’être victimes d’abus. Selon un rapport de 2007 sur la situation des femmes handicapées dans l’Union européenne publié par le Parlement européen, « près de 80 % d'entre elles sont victimes de violences psychologiques et physiques et ces femmes courent un risque plus élevé que les autres de subir des violences sexuelles » [4]. Les professionnels de santé libéraux ont un rôle clé à jouer pour remédier à ce défaut de prise en charge et améliorer le suivi préventif.

Les freins en cabinet libéral

C’est en premier lieu aux médecins de ville, généralistes ou gynécologues, et aux sages-femmes que s’adressent les femmes en situation de handicap.

Manque de matériel ou de formation

Pourtant, qu’il s’agisse de défaut de matériel ou de formation, les professionnels de santé de ville ne sont pas toujours bien équipés pour répondre à leurs besoins. Le Dr Ernoult explique qu’« au-delà du manque de plateau technique, ce qui freine le plus les praticiens de ville c’est le défaut de formation sur cette thématique. Je n’ai pas le souvenir d’avoir eu des cours sur la prise en charge des personnes avec un trouble du neurodéveloppement par exemple ».

Manque de temps

Le manque de temps et de valorisation financière de ces consultations n’arrange rien [5]. « Il faut respecter le rythme des femmes en situation de handicap, s’adapter à elles, être calme et détendu, prendre le temps d’expliquer, compter le temps de déshabillage et de rhabillage… Je consacre une heure en moyenne à ces consultations », admet la gynécologue.

Ces carences sont autant de freins qui poussent les médecins libéraux à les orienter parfois trop rapidement vers des structures spécialisées.

Suivi à l’hôpital pour les cas complexes

Or peu d’entre elles nécessitent réellement un suivi à l’hôpital au sein de consultations dédiées. Pour la plupart, il est possible d’offrir un suivi gynécologique et obstétrique de qualité en ville. Pour le Dr Ernoult, « l’objectif est de renforcer la collaboration entre dispositifs spécialisés et professionnels libéraux ou hospitaliers, pour ne recevoir en consultations dédiées que les personnes dont le cas est complexe et trouver un relais auprès des professionnels libéraux quand la situation le permet. Beaucoup de patientes pourraient tout à fait être prises en charge en ville ». Et si nécessaire, elles peuvent être adressées ponctuellement à un établissement disposant du matériel adapté pour un acte spécifique, puis continuer leur suivi habituel en ville.

Les solutions avant la consultation

Le recueil d’informations

Le handicap peut être physique, sensoriel, mental, cognitif, psychique ou multiple. Il peut être substantiel, durable ou définitif [6]. Le spectre du handicap est large et difficile à quantifier [7], et l’éventail des besoins des femmes en situation de handicap l’est tout autant.

Pour faciliter la consultation, le premier levier est de la préparer en recueillant le plus d’informations possibles avant la venue de la patiente. Le médecin coordinateur du dispositif HandiSCo partage ses pratiques : « En amont de la venue de la patiente, on établit un dossier recueillant toutes ses particularités physiques, sensorielles, comportementales et de communication. On s’intéresse également à sa façon de réagir à la douleur, à ses moyens d’apaisement en cas de stress et à ses centres d’intérêt qui sont un bon moyen d’entrer en contact et de rassurer les personnes ayant des troubles neurodéveloppementaux. Lorsque la patiente arrive, nous avons, ainsi, la possibilité de nous adapter immédiatement à elle. »

Une femme vivant avec un handicap moteur aura par exemple besoin d’aide et de temps pour se déshabiller et pour s’installer sur la table d’examen. Si elle se déplace en fauteuil, les locaux devront être accessibles et la pièce suffisamment grande. Un table gynécologique électrique et une aide humaine pour les transferts seront nécessaires si la personne ne se mobilise pas ou qu’elle est en surpoids.

Autre cas de figure : une femme avec un trouble du spectre de l’autisme (TSA) pourra être déstabilisée par l’environnement de soins et les gestes gynécologiques. Elle pourra avoir besoin de temps pour s’adapter aux odeurs, aux lumières et au fait d’être touchée. Pour réduire son anxiété, il est utile de lui expliquer ce qui va se passer à l’aide de supports visuels« Ce que j’encourage également à faire, c’est d’envoyer une photo des lieux, des praticiens et de la secrétaire, pour que la patiente se familiarise avec les professionnels et les lieux avant sa venue », conseille le Dr Ernoult.

Cette anticipation est d’autant plus importante qu’une première consultation gynécologique ratée est particulièrement traumatisante. La mère d’une femme autiste de 29 ans avec une déficience intellectuelle sévère a ainsi rapporté : « Le gynécologue de l’institution dans laquelle ma fille est placée a essayé de lui faire un frottis sans préparation et sans mon accord. Elle l’a vécu comme un acte extrêmement invasif car elle n’a pas compris ce qui se passait. »

L’habituation aux soins

Autre levier efficace pour faciliter une consultation gynécologique, notamment pour les femmes avec un TSA ou une déficience intellectuelle : pratiquer l’habituation aux soins. Cette dernière est une technique consistant à décomposer la consultation en séquences qui seront proposées de façon progressive et répétée, sans douleur ni contention, jusqu’à ce qu’elles soient acceptées par la personne. On peut également commencer par une consultation blanche, qui consiste à faire visiter le cabinet, présenter le personnel et le matériel, sans réaliser d’examen. Des supports comme SantéBD [8] peuvent être facilitants.

Les leviers de la consultation

Six clés pour un bon déroulement de la consultation

Il existe des clés pour faciliter une consultation avec une personne ayant des troubles neurodéveloppementaux :

  • éviter l’attente avant la consultation ;
  • faire attention au bruit, à la luminosité et à l’agitation ;
  • parler doucement en formulant des phrases courtes et en employant des mots simples ;
  • utiliser des moyens d’apaisement (la musique, par exemple) ;
  • expliquer ce qui va se passer et répéter les informations ;
  • mais aussi accepter que l’examen se passe de façon inhabituelle.

Obtenir la confiance et le consentement de la patiente

Au CHU de Toulouse, le Dr Ernoult procède selon ces principes : « Pendant l’examen clinique, je demande le consentement de la personne pour chaque geste. Comme il s’agit d’un examen un peu intrusif, j’explique que je suis médecin, ce que je fais et pourquoi l’examen est important. Je commence par le ventre, puis les seins, et je propose d’essayer l’examen vaginal, quand cela se justifie. Je ne brusque pas et je valorise les efforts fournis par la patiente en utilisant des renforçateurs positifs. »

Et quand ces stratégies ne fonctionnent pas comme on le souhaiterait et que l’examen recherché n’a pas pu être pratiqué ? « Quand c’est trop difficile pour la patiente, j’arrête. Je respecte le fait qu’on n’aille pas jusqu’au bout. Rien que le fait de s’être déshabillée et d’être montée sur la table d’examen peut constituer un effort important que je vais valoriser. Il faut toujours rester sur une note positive pour donner à la patiente l’envie de revenir », recommande le Dr Ernoult.

Place de l’aidant

La présence d’un aidant est également très facilitante, pour aider au transfert ou au déshabillage, mais surtout parce qu’il s’agit de la personne qui connaît le mieux la femme reçue en consultation.

À certaines étapes, il est possible de demander à l’aidant de sortir pour préserver l’intimité de la patiente. Même si dans les faits, « il est assez rare qu’elle veuille que l’aidant sorte pour l’examen clinique ou pour les questions intimes », constate la gynécologue dont le dispositif accompagne principalement des femmes ayant des troubles du neurodéveloppement ou un polyhandicap.

Les fiches-conseil d’HandiConnect

Six fiches-conseil sont mises à disposition par HandiConnect.fr [9] pour accompagner les professionnels de santé dans le suivi gynécologique de la femme en situation de handicap :

 

Conclusion : Outre la mise en place de ces stratégies d’accueil et le travail conjoint avec les structures dédiées au handicap, le levier principal serait d’inclure la question du handicap dans la formation initiale des médecins. « J’ai la sensation que les choses bougent et que les médecins sont plus sensibles à la question du suivi gynécologique des femmes en situation de handicap. Chez les jeunes internes qui assistent aux consultations spécialisées, les retours sont très positifs », conclut le Dr Ernoult.

 

Sources

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