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Éradication de la poliomyélite : l’objectif affiché n’est pas pour demain !

Après la disparition de la variole, on espérait qu’il pourrait en être de même pour la poliomyélite. Si l’éradication du poliovirus sauvage est presque acquise, des poliovirus vaccinaux vivants mutés compromettent son succès. La vaccination reste encore indispensable.

François Trémolières 13 septembre 2022 Image d'une montre12 minutes icon Ajouter un commentaire
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En France, le dernier cas de poliomyélite date de 1995.

En France, le dernier cas de poliomyélite date de 1995.

Résumé

Le programme visant à éradiquer la poliomyélite a débuté en 1988, reposant sur la vaccination. Deux types de vaccin sont disponibles : un vaccin injectable constitué de virus inactivés et un vaccin oral composé de virus vivants atténués.  

En France, le dernier cas de poliomyélite autochtone remonte à 1989 et le dernier cas importé à 1995.

Cependant, des cas ont continué à être signalés en Afrique et au Moyen-Orient.

En 2019, la situation est devenue plus complexe, car des infections liées à des virus mutés issus du vaccin oral ont été déclarées. Il est connu que le vaccin oral, comme les autres vaccins à virus vivants, même atténués, peuvent être à l’origine de manifestations cliniques : la poliomyélite paralytique associée à la vaccination.

Mais le vaccin antipoliomyélitique oral peut aussi conduire à l’émergence de poliovirus mutés dérivés d’une souche vaccinale présente dans le vaccin oral encore largement utilisé dans de nombreux pays. Une transmission de ces nouveaux virus peut alors survenir. Un cas, déclaré aux États-Unis en juillet dernier, vient de confirmer cette possibilité.

L’objectif d’une éradication de la polio n’est donc pas atteint. Il faudra longtemps encore poursuivre la vaccination au moyen du vaccin inactivé injectable, mais aussi par le recours à de nouveaux vaccins à virus vivants atténués, oraux.

L'éradication constitue le but ultime des différentes stratégies de lutte contre les maladies infectieuses. Elle ne peut être déclarée que lorsque le nombre de cas est réduit à zéro à l’échelle mondiale et sur le long terme.

C’est une vieille ambition que la disparition d’une maladie infectieuse. Pour mémoire, rappelons les tentatives du XXe siècle concernant la fièvre jaune, le pian, la dracunculose, le paludisme. Plus récemment (2014), l’OMS a aussi lancé une action mondiale pour l’élimination de l’hépatite virale avec un objectif fixé à 2030 [1].

À ce jour, le seul succès, oh combien majeur ! est l’éradication de la variole dont le programme de vaccination mondiale a débuté en 1959. Vingt ans plus tard, la maladie avait disparu. Pour l’histoire, citons l’intervention, emblématique de cette réussite, du président de la 33e Assemblée mondiale de la Santé, le Dr A. R. Al-Awadi (Koweït) : « Au nom de Dieu le Tout-Puissant, aujourd'hui, 8 mai 1980, est un grand jour pour l'humanité : nous proclamons le monde enfin libéré de la variole. »

L’Australien Franck John Fenner, président de la Commission mondiale pour la certification de l'éradication de la variole, a précisé, au cours de cette même réunion, les cinq facteurs qui ont rendu possible cette éradication :

  1. il n'y a qu'un seul sérotype de virus variolique, le même dans le monde entier et le même depuis des siècles et des siècles ;
  2. grâce aux recherches qui ont suivi les découvertes de Edward Jenner, il existait un vaccin efficace, qui a pu être préparé sous une forme thermostable ;
  3. la maladie ne réapparaissait jamais chez la même personne ; les personnes atteintes de variole mouraient ou guérissaient et, si elles guérissaient, elles étaient immunisées pour toujours ;
  4. il n'y avait pas de cas infraclinique et, par conséquent, pas de source invisible à partir de laquelle pouvait se produire la transmission ;
  5. enfin, il n'y a pas de réservoir animal du virus de la variole ; à l'origine de tout cas de variole on a toujours trouvé un autre cas humain [2].

Cette assemblée va apposer son sceau final sur l'acte de décès de la variole, rayée de la surface du globe. Dans le même temps, la vaccination contre la variole est suspendue (le Monkeypox, dit variole du singe, est une autre histoire).

Après la variole, cap sur la poliomyélite

Le projet d’éradiquer la poliomyélite est annoncé huit ans plus tard lors de la 41e Assemblée mondiale de la Santé, ayant fixé un objectif pour l’an 2000.

En 1988, la priorité donnée à l’éradication de la poliomyélite par rapport à d’autres maladies s’est appuyée sur les éléments suivants [3] :

  • il s’agit d’une infection humaine sans portage chronique, ni réservoir animal, contre laquelle un vaccin efficace et peu coûteux est disponible ;
  • l’immunité conférée dure la vie entière, sous réserve de respecter le calendrier vaccinal ;
  • la survie du virus dans l’environnement est relativement courte ;
  • outre le fait de prévenir à jamais les infirmités et les décès dus à la maladie, l’éradication supprimerait la nécessité de vacciner contre la poliomyélite, entraînant une économie totale estimée à 1,5 milliard de dollars par an.

Une fois la transmission du poliovirus sauvage interrompue à l’échelle de la planète, l’élimination devra être certifiée par la Commission mondiale de certification de l’éradication de la poliomyélite, créée en 1995.

Toutefois, malgré des efforts intenses, il est rapidement devenu clair que l’échéance prévue ne serait pas atteinte en 2000 : l’objectif a alors été repoussé à 2005.

La polio en quelques dates

En France, le dernier cas de poliomyélite autochtone remonte à 1989 et le dernier cas importé à 1995, tous deux concernant des adultes. Le dernier isolement de poliovirus sauvage chez un sujet n’ayant pas voyagé récemment remonte aussi à 1989. Il semble donc que la circulation des poliovirus sauvages soit actuellement interrompue en France.

Cependant, les échéances pour l’éradication ont été ensuite régulièrement repoussées, à 2010, puis à 2012, en raison de l’exportation de cas depuis des pays endémiques, parfois suivie d’une reprise de la transmission.

En 2009, vingt-trois pays avaient déclaré des cas, dont quatre ayant vu se rétablir la transmission du virus sauvage (Angola, Tchad, République démocratique du Congo et Soudan).

En 2010, sept pays ont été recontaminés, dont deux avec des foyers épidémiques majeurs : le Congo-Brazzaville et, dans la région Europe de l’OMS, le Tadjikistan, depuis lequel des cas ont été exportés dans d’autres pays d’Asie centrale et aussi, pour la première fois depuis 1997, en Fédération de Russie.

À partir de cette date, les informations épidémiologiques n’ont pas arrêté de se modifier, en témoignent les numéros annuels du Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) dédiés aux recommandations pour les voyageurs.

En 2015, des recommandations particulières ont concerné dix pays où une circulation active de virus polio sauvages est observée : l’Afghanistan, le Cameroun, l’Éthiopie, la Guinée équatoriale, l’Irak, le Nigeria, le Pakistan, la Somalie, la Syrie et aussi Israël (où 42 porteurs sains ont été identifiés, sans cas cliniques, alors que des traces de virus ont été détectées dans les égouts – ce qui vient d’être observé récemment dans des égouts de Londres).

En 2017, le poliovirus sauvage circulait en Afghanistan, au Laos, au Nigeria et au Pakistan, mais des épisodes de cas groupés dus à des virus sauvages importés, ou à des virus dérivés de la souche vaccinale, ont pu survenir dans d’autres pays. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a émis, le 14 novembre 2017, une déclaration « concernant la propagation internationale du poliovirus », un texte compliqué… et pas franchement rassurant [4].

En 2018, les recommandations françaises mentionnaient l’obligation de présenter un certificat international de vaccination contre la poliomyélite pour entrer dans certains pays. Comme la conduite à tenir, en particulier pour les voyageurs, est devenue complexe, la Haute Autorité de santé (HAS) a publié, en novembre 2019, des recommandations vaccinales particulières pour la poliomyélite [5].

Cette même année, des poliovirus sauvages (PVS1) circulaient en Afghanistan et au Pakistan. Mais – et là est la nouveauté – des poliovirus dérivés des souches vaccinales (PVDV) ont aussi été à l’origine de cas cliniques, en Papouasie-Nouvelle Guinée, en Indonésie pour le poliovirus 1 (PVDVc1), en République démocratique du Congo, au Nigéria, en Somalie, au Niger, au Kenya pour le poliovirus 2 (PVDVc2), et en Somalie pour le poliovirus 3 (PVDVc3).

Malgré cela, on pense encore largement que l’éradication du virus sauvage va signifier la disparition de la maladie. À tel point que le 25 août 2020, l’OMS déclarait officiellement que le poliovirus sauvage avait été éradiqué du continent africain [6].

Cette victoire a été ternie par le fait qu’au problème du virus sauvage s’en est substitué un autre : la circulation de virus vaccinaux mutés. Les vaccins ont certes permis de diminuer de plus de 99 % les cas de paralysie, mais certains offrent une possibilité de seconde vie au virus.

La problématique du vaccin à virus vivant atténué

Pour comprendre cette situation, il faut rappeler qu’il existe deux types de vaccins contre la poliomyélite : le vaccin injectable (VPI) constitué de virus inactivés (c’est le vaccin Salk apparu en 1955, et devenu obligatoire en France en 1964) et le vaccin oral composé de virus vivants (VPO ou vaccin Sabin, apparu en 1960). Ces deux vaccins protègent de 98 à 100 % des personnes ayant reçu trois doses.

Le VPI est très sûr. Plus cher et nécessitant l’organisation des injections, il a longtemps été la solution adoptée par les pays les plus riches. En revanche, le VPO, qui s’administre simplement en introduisant deux gouttes directement dans la bouche ou sur un morceau de sucre, a été l’option souvent choisie par les pays plus pauvres.

Si leur tolérance est en général bonne, les virus vaccinaux même atténués peuvent être à l’origine d’une « poliomyélite paralytique associée à la vaccination (PPAV) ». Son incidence a été estimée à 2 à 4 cas par million d’individus dans les pays utilisant le VPO.

Mais, surtout, l’utilisation du VPO peut conduire à l’émergence de poliovirus dérivés d’une souche vaccinale. Une dissémination environnementale des virus vaccinaux devient alors possible, avec contamination de personnes de l’entourage des vaccinés. En effet, en cas de circulation prolongée dans une communauté insuffisamment vaccinée ou chez des individus immunodéprimés, les virus vivants atténués peuvent réacquérir des caractéristiques de virulence et de transmissibilité et aboutir à des cas isolés ou à des flambées de poliomyélite paralytique.

La boucle est alors bouclée : le vaccin destiné à faire disparaître la maladie devient le vecteur de sa persistance. Il fallait donc se débarrasser du VPO sous sa forme ancienne.

Se débarrasser du vaccin oral, oui mais comment ?

En France, depuis 1995, seul le VPI est recommandé. Le VPO a alors été réservé à des situations épidémiques avant de disparaître en 2005.

L’affaire est plus compliquée pour le reste du monde. La procédure et le calendrier de substitution du VPO par le vaccin polio injectable ne sont pas encore clairement établis. Depuis avril 2016, le vaccin VPO trivalent (comportant les trois sérotypes) a été retiré et remplacé par un vaccin divalent, constitué de seulement deux sérotypes (ne comportant pas le sérotype 2, celui qui est la principale cause de PPAV).

Le programme mondial d’éradication de la poliomyélite se trouve ainsi à un moment très critique : il nécessite une surveillance étroite de l’épidémiologie de la maladie dans le monde afin de suivre l’évolution du virus vaccinal éventuellement muté.

En 2022, situation et stratégie restent floues. Parmi les trois souches de poliovirus sauvage de types 1 (PSV1), 2 (PSV2) et 3 (PSV3), les virus PSV2 et PSV3 ont été officiellement reconnus comme éradiqués au niveau mondial. En revanche, la poliomyélite due au PSV1 reste endémique dans deux pays : l’Afghanistan et le Pakistan. Un très faible nombre de cas a été déclaré dans ces deux pays en 2021 (5 cas), par comparaison aux deux années précédentes (176 cas en 2019 et 139 en 2020).

Si le nombre de cas est peu important (mais pas nul), le niveau de circulation des poliovirus dans l’environnement reste réel. Ainsi le PSV1 a été détecté dans, respectivement, 56 % des échantillons testés en 2020 et 10 % de ceux testés en 2021.

Globalement, il est ainsi identifié :

  1. les États où circule le poliovirus sauvage (PSV1) ou les poliovirus dérivés d’une souche vaccinale de type 1 ou de type 3 (PVDVc1 ou PVDVc3) ;
  2. les États où circule le poliovirus dérivé de la souche vaccinale de type 2 (PVDVc2) ;
  3. Les États où ne circulent plus ni le poliovirus sauvage (PSV1) ni les poliovirus dérivés de souches vaccinales (PVDVc1, PVDVc2, PVDVc3), mais qui restent vulnérables à leur réintroduction.

Un cas récent aux États-Unis

C’est dans ce contexte d’incertitude qu’un cas de poliomyélite est déclaré le 21 juillet 2022 dans l’État de New York. Premier cas américain depuis près de dix ans, il concerne un jeune homme qui, après un mois, a présenté une paralysie partielle. Non vacciné, et en l’absence de voyage récent, il aurait été infecté aux États-Unis. L’analyse de la contamination possible indique « une chaîne de transmission venant d’un individu ayant reçu le vaccin antipoliomyélitique oral (VPO) » à l’étranger, avant de contaminer, avec sa souche virale atténuée, d’autres personnes non vaccinées. Le séquençage génomique suggère que ce virus, non détecté depuis un an, circule localement. Selon le Centers for Disease Control (CDC), il est probable qu’il existe de nombreux porteurs asymptomatiques au sein de la communauté environnante [7]. De fait le virus a été mis en évidence dans les eaux usées de la ville de New York ainsi que dans plusieurs comtés.

Pour confirmer que ce risque subsiste, un poliovirus d’origine vaccinale de type 2 a aussi été détecté dans les eaux usées de Londres, suggérant la possibilité d’une transmission, en particulier aux personnes non vaccinées ou immunodéprimées [8].

Beaucoup d’arguments laissent penser que l’éradication de la poliomyélite n’est pas pour demain et, même si les poliovirus sauvages ont presque disparu, il est possible de voir se développer une poliomyélite due à des virus vaccinaux mutés, pathogènes et transmissibles. Certes, la cinétique des souches pathogènes dérivées du vaccin (PVDV) est différente et peut s'apparenter à un phénomène résiduel. Mais il faut peu de temps pour qu'un virus vaccinal mute et redevienne pathogène. Or, pour effectuer cette mutation, il lui faut circuler entre humains… ce qui est possible uniquement dans une population dont la couverture vaccinale s'est relâchée.

Et maintenant, quelles sont les actions envisagées ?

L’OMS tente de mettre sur pied un programme de remplacement des VPO à virus vivants atténués par une vaccination généralisée au moyen des VPI, mais aussi par un nouveau vaccin oral plus stable génétiquement.

Il est certain que les conditions énoncées le 8 août 1980 à propos de la variole par Franck John Fenner (cf. plus haut) ne sont pas, dans le cas de la poliomyélite, réalisées. Le maintien d’une vaccination généralisée, comportant les rappels prévus par le calendrier vaccinal, restera pour longtemps nécessaire.

La poliomyélite a été largement contrôlée, mais elle n’est pas éradiquée. La vaccination ne peut donc être suspendue, et elle doit même être améliorée. L’OMS demeure optimiste et a établi une feuille de route pour la période 2022-2026 afin d’assurer l’éradication durable de tous les poliovirus à l’échelle mondiale. Jusqu’à ce jour, on considérait l’éradication acquise dans beaucoup de régions du monde : ce n’est plus tout à fait vrai.

©vidal.fr

Sources

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