#Santé publique #COVID-19

La défiance « antiscience » a atteint une violence sans précédent

Pendant la pandémie de COVID-19, médecins et scientifiques ont subi des manœuvres d’intimidation d’une violence extrême, allant même jusqu’à des menaces de mort.
Marc Dulaco 09 juin 2022 Image d'une montre7 minutes icon 16 commentaires
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Lors de la COVID-19, des médecins ont été victimes de harcèlement, d'insultes, voire de menaces de mort (illustration).

Lors de la COVID-19, des médecins ont été victimes de harcèlement, d'insultes, voire de menaces de mort (illustration).

Résumé
Depuis le début de la crise sanitaire, un certain nombre de médecins ou de scientifiques ont reçu des insultes, voire des menaces de mort, d'une violence inouïe. Un harcèlement mené par une minorité de personnes, volontiers complotistes, qui mettent au même niveau des données médicales documentées et de simples opinions.
 
Est-il encore possible de débattre en France de sujets médicaux ou scientifiques sans s'exposer à un torrent d'insultes ou de menaces ? La question est clairement posée depuis le début de la crise de la COVID-19. La défiance envers les « experts » ou toute parole institutionnelle est certes bien antérieure à l'arrivée de ce coronavirus. Mais jamais jusque-là elle ne s'était exprimée avec une telle violence contre ceux et celles qui tentent, depuis deux ans, de relayer un savoir étayé par les données de la science.

« J'ai déjà fait l'expérience d'une certaine virulence lors du débat autour de l'homéopathie. Mais c'était sans commune mesure avec ce qui se passe aujourd'hui avec la COVID-19 », constate le Dr Mathias Wargon, chef de service des urgences à l'hôpital Delafontaine de Saint-Denis. « On est face à des gens numériquement minoritaires avec lesquels il est impossible d'avoir un échange rationnel », ajoute le Dr Jérôme Marty, généraliste en Haute-Garonne et président du syndicat de l'« Union française pour une médecine libre » (UFML).

« J'ai reçu un courrier contenant une balle »
Ces médecins font partie de ceux qui, depuis deux ans, doivent faire face à un déferlement de haine proprement sidérant. « Certains matins, quand j'allume mon téléphone, je découvre un flot d'insultes et de menaces de mort. C'est quand même une façon un peu spéciale de démarrer sa journée, raconte le Dr Wargon, qui a été destinataire de messages précis et ciblés. J'ai reçu un courrier à l'hôpital contenant une balle et de la poudre à mon domicile. C'est difficile aussi pour les secrétaires de mon service qui ne veulent plus ouvrir les paquets que je reçois. »

Même constat du Dr Marty qui, à une certaine période, recevait des menaces de mort de manière quotidienne. « On m'a adressé une photo de mon domicile avec une intention très claire de me faire savoir qu'on savait où j'habitais. On a aussi dessiné une corde de pendu sur la porte de la clinique où j'exerce. Et ma secrétaire est régulièrement injuriée au téléphone, explique ce médecin qui, au départ, a été légitimement ébranlé par ces messages. J'ai même été obligé de prendre un garde du corps, notamment quand je venais à Paris pour des réunions. Peut-être que je serais amené à faire de nouveau appel à ses services un jour même si, avec le temps, on essaie de prendre du recul. On se dit que chien qui aboie ne mord pas et que se défouler ainsi sur les réseaux sociaux est aussi une façon de se calmer. Après, on ne peut jamais exclure qu'une personne plus silencieuse, mais
"chauffée à blanc" par ces messages, puisse un jour être violente physiquement. »

Une allusion à la guillotine
Un pas supplémentaire a en tout cas été franchi en août 2021 avec la publication sur le site de France Soir d'un texte où des médecins et des scientifiques étaient nommément mis en cause. « Un procès devra se tenir. La Veuve s'impatiente », concluait cet article rédigé de manière anonyme.

Un collectif de professionnels de santé et de scientifiques avait alors manifesté son indignation et son émotion dans une tribune publiée par l'Express. « La
"Veuve" renvoit, sans aucune ambiguïté, à l'un des surnoms donnés d'abord à la potence, puis, durant la Révolution française, à la guillotine », indiquaient les signataires, tout en affirmant leur volonté de continuer « à défendre la science et les scientifiques contre la désinformation, l'obscurantisme, l'extrémisme, l'intimidation et la violence ».

Médecin de santé publique et animateur du blog Rédaction médicale et scientifique, le Dr Hervé Maisonneuve figure dans la liste des personnes citées dans l'article de France Soir. « Cela ne s'est pas arrêté là. Un jour, je suis tombé sur une vidéo où quatre personnes discutaient à visage découvert et expliquaient tranquillement que la guillotine ne serait pas suffisante pour nous. Et qu'il fallait un pilori installé place de la Concorde où tout le monde pourrait assister à notre mise à mort », explique-t-il, en avouant avoir mal vécu ces menaces.

« J'ai été obligé de prendre certaines précautions dans ma vie personnelle. J'ai même été jusqu'à retirer deux billets de mon blog, car cela "canardait" de partout, explique le Dr Maisonneuve. J'avais des données scientifiques solides à l'appui de ce que j'écrivais, mais j'ai préféré les enlever, car cela aurait été impossible de me défendre de manière argumentée et rationnelle. C'est aussi pour cette raison que je ne réponds plus à tous ces messages. C'est épuisant et inutile de vouloir convaincre des gens qui versent en permanence dans le complotisme. »

Et c'est bien cela qui, au départ, déconcerte médecins et scientifiques habitués à débattre avec des collègues ayant un autre avis. « Dans les enquêtes que nous faisons auprès des chercheurs, on constate que beaucoup ont été confrontés lors de la crise du COVID à une virulence n'ayant rien à voir avec ce qu'ils peuvent connaître dans des "disputes" scientifiques classiques », indique Michel Dubois, sociologue au CNRS et directeur du Groupe d'étude des méthodes de l'analyse sociologique de la Sorbonne (Gemass).

« Twitter, ce n'est pas la vraie vie »
Cette défiance très forte intervient alors que, dans le même temps, cette crise sanitaire ne semble pas avoir entamé le crédit des médecins et des scientifiques auprès d'une majorité de Français. « Dans toutes nos enquêtes, on constate que de 80 à 90 % de la population garde confiance dans les médecins et les chercheurs. Avec certes des disparités en fonction de l'âge ou bien de l'affiliation politique ou idéologique. Chez les personnes qui votent pour des partis antisystème, l'expression de défiance est toujours surreprésentée d'au moins dix points », révèle Michel Dubois. « Twitter, ce n'est pas la vraie vie. Parmi mes patients, je n'ai noté aucune réaction agressive. C'est pareil quand je prends le taxi à Paris. On est face à quelques milliers de personnes, mais qui sont très bien organisées et structurées », ajoute le Dr Marty.

Le plus déstabilisant dans ces « débats » qui n'en sont pas, est que tout est mis au même au même niveau : les données scientifiques validées par les sociétés savantes comme l'avis d'un quidam ayant juste un avis différent. « Certaines personnes ne font pas la différence entre une affirmation fondée sur l'état de la médecine ou de la science et une simple opinion, note le Dr Wargon. Même une réalité médicale solidement documentée devient un avis parmi d'autres. Et on peut vous dire :"vous dites cela, c'est votre opinion, moi j'en ai une autre" ».

Beaucoup de médecins déplorent que certains confrères participent à ce mouvement de désinformation. « Quand je vois des collègues scientifiques, dont on ne peut pas supposer qu'ils soient antisciences, tomber dans une certaine forme de complotisme, je me dis qu'il existe une porosité entre sciences et idéologie, souligne Michel Dubois. Et que l'analyse de faits scientifiques s'effectue désormais avec une grille de lecture idéologisée ou politisée. »

 
Des expériences similaires outre-Atlantique et outre-Manche
La revue américaine Science a récemment mené une enquête auprès de chercheurs ayant publié sur la COVID-19 pour connaître l'importance des différents types d'intimidation auxquels ils ont pu être confrontés [1].

Parmi les 8 585 scientifiques ayant été contactés, 510 ont répondu : 38 % ont rapporté avoir essuyé au moins un type d'agression, allant des insultes aux menaces de morts, délivrées via les réseaux sociaux, mais aussi par mail, téléphone et parfois « en personne ». 

Des résultats à mettre en parallèle avec ceux d'une autre enquête, cette fois-ci diligentée par la revue britannique Nature [2]Parmi les 321 scientifiques ayant fréquemment discuté de la COVID-19 dans les médias, 81 % ont révélé avoir subi des intimidations personnelles au moins occasionnellement et 25 % de façon fréquente ou constante.

Dans l'enquête de Science, plus de 70 % des chercheurs ayant déclaré avoir été victimes de harcèlement ont précisé qu'il s'agissait d'un phénomène nouveau ou bien exacerbé par rapport à la période avant COVID-19. À l'opposé, certains scientifiques avaient déjà une expérience de ce type de violence bien avant la pandémie actuelle, notamment ceux travaillant dans des domaines très politisés (climatologie, recherche animale, etc.).

Quant au genre du harcèlement, il s'agissait surtout d'insultes, d'accusations de malhonnêteté ou de corruption, ou bien ayant trait aux capacités professionnelles et, beaucoup plus rarement, de souhaits de faire mal ou de tuer, voire de réelles menaces de mort.

Ces comportements violents ont aussi pu s'étendre à l'entourage proche de la victime.

Pour Alice Marwick [1], chercheuse en communication à l'université de Caroline du nord, l'origine du harcèlement véhiculé sur les réseaux sociaux est souvent la conviction que la « cible » a violé une norme morale, par exemple de cacher des liens d'intérêt. Les scientifiques sont ainsi vus comme « de mauvaises personnes qui doivent être muselées pour le bien de l'humanité ». Pour Ruth Ben Ghiat, historienne à l'université de New York, ces attaques contre la science et les scientifiques signent plus simplement la montée de l'autoritarisme… En tout cas, selon Peter Hotez, chercheur en vaccinologie à l'université Baylor (Texas), « l'antiscience est désormais institutionalisée ». 

 
©vidal.fr
 
Sources

Commentaires

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JEAN-MICHELH Il y a un an 0 commentaire associé

Non seulement les réseaux sociaux mais les chaînes d'information continue, participent à cette montée du complotisme antiscience qui trouve un aliment dans le piètre niveau de connaissances scientifiques de beaucoup de nos concitoyens au sortir de leur cursus scolaire.

Quand on ne sait pas on invente quitte à se satisfaire de croyances sans fondements !

Ainsi va le monde, plus facile de suivre un gourou que le raisonnement d'un scientifique quand on n'a pas les codes .

8Lilou8 Il y a un an 0 commentaire associé

Personnellement, j’ai surtout l’impression que cette violence est issue du matraquage généralisé et qui a duré sur une trop longue période. Je ne pense pas non plus que antiscience soit un bon terme. C'est de la ”peur”. Il y a moyen d’informer sans effrayer. Nous sommes plus nombreux sur Terre, nous voyageons, ce genre d’épidémie devait arriver. Sans être devin, je suppose que ca arrivera encore. La peste buboique existe encore donc rester chez soi sans consulter, ce n'est pas une idée qui me rejouit. Le plus positif serait que chacun respecte autrui en portant le masque s'il est malade ou si un proche l’est...ou s'il revient de vacances ! En 2020, les infos Covid ont été stressantes pour tout un chacun et organiser un matraquage sur le thème d'une vaccination l’année suivante avec la même ”virulence” n'était probablement pas la meilleure attitude à avoir.

aristote Il y a un an 1 commentaire associé

Je me demande si le terme d'antiscience est le meilleur. J'ai plutôt l'impression d'une défiance vis à vis d'une partie des institutions , médicales (notamment). Au passage, je ne pense pas qu'il y aurait une institution appelée La Science . Il y a des institutions , des scientifiques. Réciproquement, déclarer l'antiscience institutionnalisée, mériterait d'être développé, et je trouve que  l'expression est un raccourci. Par ailleurs, je suis d'accord bien sûr avec le constat d'une augmentation de la violence...vis à vis des personnes. Pas forcément d'ailleurs pour ce qu'elles représentent réellement , mais peut-être davantage pour l'image qu'elles portent  médiatiquement.

letoubibelectrique Cardiologie Il y a un an 0 commentaire associé

Tout à fait d'accord !

L'autre problème c'est l'exposition médiatique des medecins.

Pour reprendre une replique des fourberies de Scapin : "mais qu'allaient t ils faire dans cette galère".

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