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Dénutrition du sujet âgé : prévention systématique et diagnostic précoce

La dénutrition du sujet âgé constitue un enjeu de santé publique, tant son retentissement sur la morbidité et la mortalité est majeur. Il est capital d’instaurer des mesures de prévention et de la diagnostiquer le plus précocement possible.
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La dénutrition, un enjeu de santé publique (illustration).

La dénutrition, un enjeu de santé publique (illustration).

Résumé
La dénutrition est la conséquence d'un bilan énergétique ou protéique négatif, secondaire à un déficit d'apport, à une augmentation des dépenses, ou des pertes énergétiques ou protéiques. Il en résulte une altération de la composition corporelle et des grandes fonctions, responsable :
  • d'un état de fragilité ;
  • d'une diminution de la qualité de vie ;
  • d'une majoration du risque de dépendance ;
  • et d'une aggravation du pronostic des maladies.
Chez le sujet âgé, la dénutrition est un enjeu de santé publique, auquel il convient de répondre par un diagnostic précoce et des mesures de prévention systématisées, tant sont importantes ses répercussions sur la morbidité et la mortalité.

Elle est un déterminant majeur de la perte d'autonomie, des infections, des chutes et des hospitalisations, quelles que soient les pathologies associées.

La prévalence de la dénutrition chez les personnes âgées est de l'ordre de 4 à 10 % au domicile, de 15 à 35 % en institution et de 30 à 70 % en milieu hospitalier.  

Évaluer l'état nutritionnel : une étape obligée
L'évaluation de l'état nutritionnel devrait être une étape obligée de tout examen clinique initial ou lors du suivi d'une maladie évolutive. L'historique pondéral, le calcul de l'indice de masse corporelle (IMC : poids/taille²), à l'aide d'une balance et d'une toise et, éventuellement, la mesure de la circonférence musculaire brachiale, avec un mètre ruban, sont les prérequis.

Le recours à un questionnaire validé comme le Mini Nutritional Assessment (MNA) ou à un questionnaire simplifié, le MNA Short Form (MNA-SF ; cf. Tableau I) peut être utile pour quantifier le risque nutritionnel d'une personne âgée [1]. Le score obtenu est corrélé aux marqueurs clinico-biologiques de dénutrition.

Hormis l'albuminémie, les dosages biologiques n'ont pas d'intérêt en routine.

L'évaluation des ingesta est une autre étape importante du diagnostic et du suivi nutritionnel. Elle repose sur une enquête alimentaire rétrospective succincte (alimentation des dernières 24 heures) et gagne à être menée avec l'entourage. La tenue d'une feuille de surveillance alimentaire semi-quantitative est utile en milieu institutionnel ou hospitalier.

L'évaluation de la composition corporelle par un examen d'impédancemétrie est une technique non invasive permettant d'évaluer facilement et de manière répétée la masse maigre, la masse grasse et les volumes extra et intracellulaires. Son utilité est cependant limitée en pratique.
 
Tableau I - Questionnaire MNA simplifié de dépistage
Questionnaire MNA simplifié de dépistage (MNA-SF) pouvant être complété par une série d'autres questions (MNA) pour une évaluation plus précise (www.mna-elderly.com).
 
A. Le patient a-t-il moins mangé ces 3 derniers mois par manque d'appétit, problèmes digestifs, difficultés de mastication ou de déglutition
0 : baisse sévère des prises alimentaires
1 : légère baisse des prises alimentaires
2 : pas de baisse des prises alimentaires 

 
B. Perte de poids récente (< 3 mois)
0 : perte > 3 kg
1 : ne sait pas
2 : perte de poids entre 1 et 3 kg
3 : pas de perte de poids

 
C. Motricité
0 : au lit ou au fauteuil
1 : autonome à l'intérieur 
2 : sort du domicile

 
D. Maladie aiguë ou stress psychologique lors des 3 derniers mois
0 : oui
2 : non

 
E. Problèmes neuropsychologiques
0 : démence ou dépression sévère
1 : démence légère 
2 : pas de problème psychologique

 
F1. Indice de masse corporelle (IMC) en kg/m2
0 : IMC < 19
1 : 19 < IMC < 21
2 : 21 < IMC < 23
3 : IMC > 23

 
F2. Si l'IMC n'est pas disponible, mesure de la circonférence du mollet en cm
0 : < 31
1 : > 31 

 
Score de dépistage (maximum 14 points) :
  • de 12 à 14 points : état nutritionnel normal
  • de 8 à 11 points : risque de dénutrition 
  • de 0 à 7 points : dénutrition avérée

Diagnostiquer et déterminer les critères de gravité
Le diagnostic de dénutrition nécessite la présence d'au moins un critère clinique et un critère étiologique (cf. Tableau II et
 VIDAL Reco « Dénutrition de la personne âgée »), quelle que soit l'évolution des critères étiologiques (comme la reprise de l'alimentation) [2].

Lorsque le diagnostic de dénutrition est établi, il est recommandé de déterminer la présence de critères de gravité :
  • La dénutrition, liée à une maladie sans inflammation ou non liée à une maladie due à une carence d'apports ou à une maldigestion/malabsorption, entraîne une perte de poids adaptative portant davantage sur la masse grasse que sur la masse maigre. Elle répond bien à la renutrition ;
  • Contrairement à la dénutrition liée à une maladie avec inflammation, à un cancer ou à une défaillance d'organe, qui conduit à la cachexie, caractérisée par une perte de poids globale et à un hypercatabolisme par défaut d'adaptation métabolique. La cachexie est associée à une anorexie et à des anomalies métaboliques (inflammation, hypoalbuminémie, protéolyse musculaire et perturbation des grands métabolismes).  
 
Tableau II - Critères cliniques (phénotypiques) et étiologiques de la dénutrition [2
Critères cliniques Critères étiologiques
Perte de poids :
  • > 5 % en 1 mois
  • ou > 10 % en 6 mois
  • ou > 10 % par rapport au poids habituel
  • Réduction de la prise alimentaire > 50 % pendant plus de 1 semaine
  • Ou réduction des apports pendant plus de 2 semaine par rapport à l'alimentation habituelle
IMC < 22 kg/m²
(< 18,5 kg/m² chez l'adulte jeune)
Absorption réduite (malabsorption/maldigestion)
Sarcopénie documentée
(cf. Encadré ci-dessous)
Contexte pathologique :
  • Pathologie aiguë ou chronique, inflammatio
  • Pathologie maligne évolutive
 
Un seul critère parmi les suivants suffit à définir une dénutrition sévère :
  • IMC < 20 kg/m² ;
  • perte de poids > 10 % en 1 mois ou > 15 % en 6 mois, ou > 15 % par rapport au poids habituel ;
  • albuminémie < 30 g/L.
 
Encadré - La sarcopénie [3] 
Définie par une perte progressive de la masse, de la force et de la fonction musculaire, la sarcopénie est fréquente dans un contexte de fragilité gériatrique.

Elle est favorisée par l'inflammation chronique évoluant à bas bruit, par les carences d'apport protéino-énergétique et par la sédentarité. En plus de la perte de la masse musculaire, c'est la perte de la fonction qui est directement responsable du handicap.

Parallèlement, s'opère une augmentation relative de la masse grasse qui est redistribuée dans l'abdomen, le foie et les muscles, ce qui accroît l'expression des cytokines pro-inflammatoires et renforce l'inflammation chronique.

La renutrition ne suffit pas à lutter contre la sarcopénie en l'absence de mesures visant à stimuler la fonction musculaire. 
 
Rechercher les facteurs favorisants
La dénutrition étant le plus souvent multifactorielle chez le sujet âgé, il est nécessaire de réaliser une enquête circonstanciée pour identifier les facteurs favorisant la dénutrition ainsi qu'un bilan afin de préciser ses causes (cf. Tableau III).

 
Tableau III - Facteurs à rechercher en cas de dénutrition
Facteurs favorisants liés au vieillissement Facteurs étiologiques
Altérations bucco-dentaires Insuffisance clinique sévère d'organe
Troubles de l'appétit, anorexie Pathologie inflammatoire chronique
Altérations sensorielles (goût, odorat) Cancer
Réduction de la sensation de soif Pathologie digestive
Problèmes financiers Hospitalisation
Tristesse, dépression, deuil Régime restrictif inapproprié
Isolement affectif et social Alcoolisme
Polymédication Fécalome
Entrée en institution Troubles cognitifs

Des conséquences négatives multiples
L'altération du compartiment musculaire, réservoir protéique particulièrement touché par la dénutrition, est à l'origine de nombre des complications.

La diminution de la masse musculaire squelettique entraîne une ostéopénie/ostéoporose qui augmente le risque de fractures, une diminution de la force musculaire et une fatigue qui, elles-mêmes, contribuent à l'inactivité, à la dépendance, aux chutes, à la clinophilie (le fait de rester au lit éveillé) et aux complications de décubitus (infections pulmonaires, escarres, thrombophlébites).

La dénutrition s'accompagne également d'une diminution de l'immunocompétence, du bien-être avec tendance dépressive, et d'une augmentation de la durée de convalescence ou d'hospitalisation.

Enfin, elle aggrave le pronostic des maladies associées ou causales et accroît le risque de mortalité [4, 5]. 

Une prise en charge précoce
La prise en charge de la dénutrition doit être précoce, voire anticipée, grâce à un diagnostic nutritionnel systématique chez toute personne âgée fragile, malade ou hospitalisée, afin de corriger les facteurs de risque et d'interrompre le processus de dénutrition.


Son objectif est d'améliorer la qualité de vie et le pronostic en réduisant la morbidité, la mortalité et les durées d'hospitalisation et de convalescence.

Prévenir la dénutrition : une étape primordiale
L'entourage et le médecin généraliste sont les acteurs majeurs d'une prévention fondée sur une bonne connaissance des conditions de vie, sur l'évaluation régulière des ingesta et sur un examen nutritionnel périodique.

La correction des déterminants de la dénutrition avant l'installation de celle-ci est primordiale (cf. Tableau IV). L'amélioration de l'état bucco-dentaire, la correction des troubles de la déglutition et des troubles de l'humeur, l'amélioration de la vie sociale, la lutte contre la polymédication, l'interruption des régimes restrictifs ou le portage des repas sont quelques-unes des solutions à envisager.
 
Le traitement par voie orale à privilégier
La prise en charge par voie orale est à privilégier autant que faire se peut. Plus simple à mettre en œuvre que la nutrition entérale ou parentérale, elle a l'avantage d'être physiologique, d'être compatible avec une bonne qualité de vie et de préserver le rituel social et le plaisir gustatif de l'alimentation. L'assistance nutritionnelle artificielle ne doit être envisagée que lorsque l'alimentation orale est insuffisante ou impossible, par voie entérale en priorité, ou par voie parentérale si le tube digestif n'est pas fonctionnel [6].

 
Tableau IV - Prévention de la dénutrition des personnes âgées 
Principes généraux Lutte contre les idées reçues et les tabous
Bonne santé bucco-dentaire
Éviter les régimes restrictifs
Alimentation variée et suffisante
Hydratation régulière
À domicile Lutte contre la sédentarité
Maintien d'un lien social
Aide aux commissions, à la cuisine
Portage des repas 
En institution Convivialité lors des repas
Repas appétissants (présentation, assaisonnement) 
À l'hôpital Prise en charge des pathologies et de la douleur
Surveillance des prises alimentaires
Mobilisation régulière
Enrichissement alimentaire
 
=> Les conseils diététiques  
Établis sur la base d'une enquête alimentaire, qui permet d'évaluer les apports spontanés, et du recueil des goûts et des aversions, les conseils diététiques visent à augmenter les apports protéiques et énergétiques pour se rapprocher des apports souhaitables, en enrichissant l'alimentation ou en prescrivant des compléments nutritionnels oraux (cf. infra).

Les apports nécessaires pour permettre une reprise pondérale dépendent du niveau d'agression métabolique (maladies aiguës, cancer, etc.) et du niveau d'activité physique. Une alimentation hypercalorique et hyperprotidique a pour objectif d'assurer un apport de 30 à 40 kcal/kg et d'au moins 1,2 à 1,5 g de protéines/kg par jour.

Les points forts de la prescription diététique sont :
  • assurer des conditions de confort optimales : contrôle de la douleur, des vomissements ou des troubles du transit au besoin par des moyens pharmacologiques ;
  • conseiller la prise d'aliments énergétiques et le fractionnement des repas en cinq petits repas et collations ;
  • augmenter la ration calorique quotidienne à volume constant par un enrichissement calorique des repas, en rajoutant de la crème, du beurre, du fromage râpé, de la confiture à un yaourt, en confectionnant du « lait de poule » (lait écrémé, jaune d'œuf et sucre), en battant un œuf dans un potage ou un bouillon, en utilisant des aliments ayant le statut « d'aliment diététique destiné à des fins médicales spéciales » (ADDFMS) comme les pâtes ou la semoule enrichies en protéines ou en ajoutant des poudres de protéine à un potage ;  
  • varier et améliorer la présentation des repas pour lutter contre l'anorexie.

=> Les compléments nutritionnels oraux
Les compléments nutritionnels oraux (CNO) sont indiqués lorsque les patients ne parviennent pas à ingérer une alimentation suffisante pour couvrir les besoins. L'offre est aujourd'hui importante et chaque malade dénutri devrait y trouver son compte d'autant que ces produits sont remboursables sur prescription médicale lorsqu'ils sont inscrits sur la liste des produits et prestations remboursables (LPPR).

De composition nutritionnelle variable, les CNO diffèrent également par leur texture, leur goût et leur présentation (boissons, potages, crèmes, bouillies, gâteaux, etc.). Leur teneur en protéines est de 6 à 20 g par portion et leur densité énergétique de 1 à 2 kcal/ml.

Les CNO n'ont pas vocation à remplacer l'alimentation « ordinaire », mais à la compléter. Ils ne sont à envisager que lorsque l'alimentation couvre au moins la moitié des besoins. Leur efficacité dépend de la régularité de leur consommation et de leur acceptabilité. L'apport minimum conseillé est de 400 kcal ou de 30 g de protéines/j. Ils doivent être proposés frais, en dehors des repas dont ils ne sont pas des substituts, et en variant les goûts et les textures.

L'assistance nutritionnelle artificielle en dernier recours
Le recours à la nutrition artificielle entérale ou parentérale est à envisager lorsque les apports oraux ne permettent pas de couvrir les besoins. L'existence de certaines comorbidités notamment les troubles cognitifs, peuvent compliquer sa mise en œuvre.
  • La nutrition entérale par sonde naso-gastrique ou par stomie digestive permettant d'administrer des produits nutritifs polymériques n'est contre-indiquée qu'en cas d'occlusion intestinale.
  • La nutrition parentérale, consistant à administrer par voie veineuse des nutriments ayant le statut de médicaments, n'est indiquée qu'en cas d'exclusion fonctionnelle ou organique de l'intestin grêle, d'une contre-indication à la nutrition entérale ou de mauvaise tolérance de celle-ci.
Les risques de complications et les rapports « bénéfices/risques » et « bienveillance/malveillance » sont à évaluer avant d'initier et de poursuivre la nutrition artificielle.

Conclusion
La dénutrition de la personne âgée est fréquente. Elle doit être prévenue de principe, diagnostiquée et traitée précocement, notamment en institution ou à l'hôpital, dans la mesure où il s'agit souvent d'une maladie qui complique une autre maladie et qui obère le pronostic de cette dernière. Nourrir c'est aussi soigner.    
 

N.B. : L'auteur n'a pas de liens d'intérêts avec la teneur de ce texte.
 
©vidal.fr

Pour en savoir plus

[1] Kaiser MJ, Bauer JM, Ramsch C, Uter W, Guigoz Y, Cederholm T, et al. Validation of the Mini Nutritional Assessment short-form (MNA-SF): a practical tool for identification of nutritional status. J. Nutr Health Aging, 2009; 13: 782-788.
 
[2] Diagnostic de la dénutrition chez la personne de 70 ans et plus. Recommandation de bonnes pratiques. Haute Autorité de santé (HAS), validé par le Collège le 10 novembre 2021.
 
[3] Cruz-Jentoft AJ, Bahat G., Bauer J, Boirie Y, Bruyère O, Cederholm T, et al. Sarcopenia: revised European consensus on definition and diagnosis. Age Ageing, 2019; 48:16-31. 

 [4] Tamura BK, Bell CL, Masaki KH, Amella EJ. Factors Associated With Weight Loss, Low BMI, and Malnutrition Among Nursing Home Patients: A Systematic Review of the Literature. J Am Med Dir Assoc, 2013; 14: 649-655.

 
 [5] Hiesmayr M, Schindler K, Pernicka E, Schuh C, Schoeniger-Hekele A, Bauer P, et al. Decreased food intake is a risk factor for mortality in hospitalised patients: the NutritionDay survey 2006. Clin Nutr, 2009; 28: 484-491.
 
 [6] Volkert D, Beck AM, Cederholm T, Cruz-Jentoft A, Goisser S, Hooper L, et al. ESPEN guideline on clinical nutrition and hydration in geriatrics. Clin Nutr, 2019; 38: 10-47.
 
Sur Vidal.fr

VIDAL Reco : Dénutrition de la personne âgée, mise à jour 11 mars 2022.
 
Sources

Commentaires

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Zeus262 Il y a un an 0 commentaire associé

Je peux confirmer le manque de prise en charge correspondant aux critères du dossier dans un cas qui a entrainé la mort à brève échéance de la patiente agée de 87 ans......(aussi bien en médecine de ville qu'en sercice de gériatrie)

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