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La chimiothérapie, première arme médicamenteuse contre les cancers

Arme thérapeutique majeure pour de nombreux cancers, la chimiothérapie a évolué depuis la mise au point des premiers agents de cette classe. Qu'en est-il aujourd'hui ?
Jacques Robert 07 décembre 2021 Image d'une montre10 minutes icon Ajouter un commentaire
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Un panorama actualisé de la chimiothérapie anticancéreuse (illustration).

Un panorama actualisé de la chimiothérapie anticancéreuse (illustration).

Résumé :
Née au début des années 1940, la chimiothérapie des cancers s'est enrichie, au fil de temps, de nombreuses molécules. Elle reste un outil thérapeutique majeur dans la plupart des cancers.

Qu'il s'agisse d'efficacité, d'administration ou de toxicité, des questions sont fréquemment soulevées. Ce d'autant que, depuis ses premières utilisations, certaines évolutions se sont produites.

Cet article a ainsi pour objectif d'offrir un panorama actualisé de la chimiothérapie des cancers.

La chimiothérapie des cancers est née au décours de la Seconde Guerre mondiale avec la découverte de plusieurs composés susceptibles de provoquer des cassures de l'ADN (comme le font les radiations ionisantes) en se liant avec lui de façon covalente : les agents alkylants.

- La structure chimique des premiers agents alkylants est celle des « moutardes à l'azote » (dérivées du gaz moutarde). Voisins des alkylants sont les dérivés du platine.
- Après les agents alkylants, des antimétabolites, capables d'interférer avec la biosynthèse des constituants de l'ADN, ont été synthétisés, comme le méthotrexate et le 5-fluorouracile.
- Dans les années 1960, les premiers poisons du fuseau, d'origine végétale, qui bloquent le processus de mitose, ont été mis sur le marché.
- Enfin, au cours de cette même période, divers composés d'origine bactérienne que l'on a appelés d'abord « antibiotiques anticancéreux » ont été isolés et utilisés dans le traitement des leucémies et des tumeurs solides. Ce n'est que tardivement que leur mécanisme d'action a été découvert : ce sont pour la plupart des composés qui, comme les anthracyclines, interfèrent avec les processus de réplication de l'ADN au niveau d'enzymes spécifiques,  les topoisomérases.

Au seuil des années 2000, ces quatre classes d'agents anticancéreux constituaient la seule arme médicamenteuse dans le traitement des cancers. Tous ces composés ont en définitive une cible ultime identique : la multiplication cellulaire. Leur rôle est de « tuer » les cellules cancéreuses lors de leur reproduction (action cytotoxique). À noter que leur effet est le même sur les cellules normales qui se multiplient activement : cellules hématopoïétiques, cellules des muqueuses digestives, en particulier. Cela explique les toxicités usuellement rencontrées lors des chimiothérapies anticancéreuses, neutropénie et troubles digestifs au premier chef, en sus des toxicités propres à chaque médicament.

C'est au début du XXIe siècle, que des thérapies ciblées sont venues s'ajouter à la chimiothérapie et compléter l'arsenal thérapeutique des cancers.

Quels cancers sont justiciables d'un traitement par chimiothérapie ?
La première utilisation de la chimiothérapie a concerné des cancers que l'on ne pouvait ni opérer ni irradier : les leucémies.

Le modèle leucémique a permis d'étendre ensuite les indications de la chimiothérapie aux tumeurs solides dont les traitements loco-régionaux étaient devenus impossibles : les cancers métastatiques.

Ultérieurement, et en s'appuyant sur le savoir et le savoir-faire acquis dans le traitement des cancers métastasés, il a été possible d'utiliser la chimiothérapie plus tôt dans l'histoire de la maladie, d'une part en situation post-opératoire (chimiothérapie « adjuvante ») ; d'autre part, en situation pré-opératoire (chimiothérapie « néoadjuvante »).

La chimiothérapie adjuvante a pour objectif l'éradication des cellules malignes disséminées dans l'organisme, quoique indécelables après l'opération.
La chimiothérapie néoadjuvante a pour objectif la réduction du volume tumoral afin de faciliter l'intervention chirurgicale et la rendre plus complète.

Les cancers ont alors été classés en cancers chimiocurables, pouvant être guéris par la seule chimiothérapie, chimiosensibles, pour lesquels la chimiothérapie apporte un bénéfice fréquent et important, et en cancers chimiorésistants, pour lesquels la chimiothérapie n'apporte que rarement un bénéfice thérapeutique important.
 
Comment juger de l'efficacité d'une chimiothérapie ?
Des critères précis ont été mis au point grâce à la collaboration entre radiologues et oncologues pour définir des outils objectifs d'évaluation de la réponse à la chimiothérapie dans chaque type de cancer. De façon générale, on définit la réponse tumorale complète (rémission complète) comme l'absence de tout signe du cancer au moment de l'évaluation ; la réponse partielle lorsque le volume tumoral initial a diminué de plus de 50 % ; la stabilisation comme une diminution du volume tumoral de moins de 50 % ou d'une augmentation de moins de 25 % ; la progression tumorale comme une augmentation du volume tumoral de plus de 25 % par rapport aux images initiales.

Plus importante que la réponse tumorale, qui n'est qu'une indication de l'efficacité du traitement, est l'augmentation de l'espérance de vie. La survie globale se mesure généralement à partir de la mise en place du traitement ; la survie sans récidive ou sans métastase (remplacée parfois par la survie sans événement ou le temps jusqu'à progression de la maladie) est de calcul plus incertain. Le point de départ est toujours la mise en place du traitement, mais le point d'arrivée est parfois difficile à objectiver : à quel moment précis peut-on parler de récidive, de progression ? Dans l'évaluation des nouveaux médicaments anticancéreux, les dossiers des patients doivent toujours être relus par une équipe indépendante afin d'éviter les biais toujours possibles dans l'évaluation de ce critère.

Enfin, si la durée de la survie est évidemment le paramètre le plus important, la qualité de vie doit être évaluée. En plus de l'appréciation de l'activité professionnelle et domestique, du degré de fatigue, des douleurs, du bien-être, de la tolérance, etc., l'évaluation de paramètres cognitifs permet d'appréhender les troubles neuropsychiatriques éventuellement entraînés par la maladie et/ou le traitement.
 
Comment se déroule une chimiothérapie ?
Voie d'administration
De façon générale, la plupart des chimiothérapies s'administrent par voie intraveineuse, car moins sujette que la voie orale aux aléas de l'absorption intestinale, d'une part, et aux aléas de l'observance des prescriptions d'autre part.

Comme les produits utilisés en chimiothérapie sont souvent agressifs pour les parois vasculaires et les tissus, on met généralement en place, en position sous-claviculaire, un site implantable facilitant la mise en œuvre des injections. D'autres voies parentérales ont parfois été proposées lors du développement des chimiothérapies (intra-artérielle, intra-péritonéale, intra-vésicale, intra-thécale), mais ont été abandonnées, sauf dans des situations exceptionnelles.

Doses prescrites
Dès le début de l'utilisation de la chimiothérapie anticancéreuse, l'objectif était de parvenir à administrer la dose maximale tolérable par le patient, partant du principe de l'existence d'une relation dose-effet. Cette relation a été effectivement mise en évidence pour de nombreux médicaments de chimiothérapie et le début de tous les essais de nouveaux médicaments anticancéreux (phase I) consiste à établir la dose maximale que l'on pourra administrer au cours de la suite des essais (phase II et phase III).

Un point important est celui du calcul de la dose individuelle à administrer à un patient donné. En théorie, elle devrait être adaptée à ses caractéristiques anthropométriques, physiologiques, génétiques, etc. En pratique, on tient compte essentiellement du poids et de la taille, pour calculer la surface corporelle (critère anthropométrique), censée représenter ses capacités d'élimination du médicament (ce qui n'a été démontré que de façon exceptionnelle).

La plupart des médicaments de chimiothérapie sont ainsi prescrits en milligrammes par mètre carré (mg/m2). Une tendance, venue de la pratique des thérapies ciblées, vise à abandonner ce critère pour prescrire, de façon systématique, une dose unique à tous les patients (enfants exceptés), ou une dose calculée en fonction du poids.

Durée des traitements
Sauf échec précoce ou intolérance majeure, les chimiothérapies sont prescrites pour une période limitée dans le temps, quatre à six mois le plus souvent, en raison de la toxicité cumulative de la plupart des anticancéreux classiques, quitte à reprendre une chimiothérapie (la même ou une autre) lors de la reprise évolutive du cancer. Ce n'est pas le cas des thérapies ciblées qui peuvent être prescrites de façon indéfinie.

Fréquence des traitements
De façon générale, les chimiothérapies sont prescrites à intervalles réguliers (« cycles ») tout au long du traitement. L'intervalle traditionnel est de trois semaines entre deux injections, car c'est à peu près le temps nécessaire à la reconstitution des lignées hématopoïétiques. Mais de nombreuses exceptions existent : certains médicaments sont maintenant administrés de façon hebdomadaire ou bimensuelle.

Avant chaque administration, il est nécessaire de vérifier la numération globulaire. L'usage est de retarder l'administration suivante si les cellules sanguines n'ont pas récupéré de la précédente, plutôt que de diminuer la dose prescrite, sauf si des signes toxiques autres qu'hématologiques sont apparus.

Durée des perfusions
Initialement, la plupart des médicaments étaient injectés sur des durées brèves (en « bolus »), d'une dizaine de minutes au maximum, en particulier pour éviter les extravasations dangereuses pour le tissu sous-cutané.

L'utilisation des chambres implantables ayant réduit ce risque, on préfère maintenant administrer les anticancéreux sur des durées plus longues (d'une demi-heure à deux heures), ce qui permet d'éviter un pic de concentration plasmatique générateur de toxicités.

Toutefois, les médicaments ayant une demi-vie brève dans l'organisme sont préférentiellement administrés en perfusions continues de 24 à 48 heures, afin de maintenir une concentration plasmatique constante pendant un temps assez long.

Enfin, il a été proposé de prescrire certains médicaments de façon très prolongée à dose unitaire assez faible. Ce type d'administration appelé « métronomique » permettrait une stimulation du système immunitaire, dont l'action viendrait compléter l'activité cytotoxique proprement dite de l'anticancéreux.

Association de médicaments anticancéreux
Dès le début de l'utilisation de la chimiothérapie anticancéreuse, on a cherché à associer des médicaments anticancéreux, de façon empirique tout d'abord, puis de façon plus rationnelle en choisissant, d'une part, d'associer des médicaments de mécanismes d'action différents (un antimétabolite et un agent alkylant, ou un poison du fuseau et une anthracycline, etc.) et, d'autre part, des médicaments contre lesquels les cellules cancéreuses développent des mécanismes de résistance différents, de façon à ce que, si les cellules cancéreuses sont résistantes à l'un d'entre eux, elles puissent être atteintes par l'autre.

Ainsi, la polychimiothérapie est la règle en oncologie, la monochimiothérapie étant réservée à des pathologies particulières qui ne sont sensibles qu'à un seul médicament ou à une seule famille de médicaments.

Les protocoles de traitement des cancers portent souvent, en abrégé, le nom des médicaments associés : FOLFIRI pour l'association acide folinique–5-fluorouracile–irinotécan utilisée dans les cancers du côlon, FEC pour l'association 5-fluorouracile–épirubicine–cyclophosphamide utilisée dans les cancers du sein, etc.

Enfin, l'association de la radiothérapie à la chimiothérapie (radio-chimiothérapie) est devenue une indication standard dans le traitement de certains cancers, comme les cancers des voies aéro-digestives supérieures ou du rectum.
 
Quels sont les effets indésirables des chimiothérapies anticancéreuses ?
Les toxicités des agents cytotoxiques utilisés en chimiothérapie sont de deux types :

- des toxicités communes à la plupart d'entre eux, liées à leur action antiproliférative vis-à-vis de toutes les cellules de l'organisme en phase de multiplication ;
- et les toxicités spécifiques de telle ou telle classe d'anticancéreux.

Les signes toxiques liés aux propriétés antiprolifératives sont surtout d'ordre hématologique et digestif. L'alopécie est aussi fréquemment rencontrée, mais elle est transitoire. Les cancers secondaires constituent la toxicité la plus grave : on estime à 0,3 % le risque de leucémie secondaire chez les patientes traitées pour un cancer du sein par chimiothérapie adjuvante (donc potentiellement guéries), ce qui souligne la nécessité de peser soigneusement le risque de récidive métastatique lorsqu'on s'abstient de prescrire une chimiothérapie aux patientes opérées, et le risque de leucémie secondaire si on la prescrit.

Toxicité hématologique
Elle est commune à la plupart des anticancéreux. Elle concerne toutes les lignées sanguines, à l'origine d'une neutropénie, d'une anémie, d'un risque hémorragique. C'est la neutropénie qui est la plus fréquente et la plus précoce, et qui est susceptible de mettre la vie du patient en danger, en raison du risque infectieux : une neutropénie fébrile est une urgence qui doit entraîner une surveillance rapprochée et une hospitalisation au moindre signe de dégradation de l'état général.

La toxicité hématologique est toujours réversible et on retarde généralement le cycle de traitement suivant si la récupération globulaire n'est pas obtenue à l'issue du cycle précédent. Des facteurs de croissance hématopoïétique peuvent être prescrits afin d'éviter une aplasie médullaire (sauf si cette dernière est recherchée, dans le cadre du traitement de la leucémie aiguë myéloblastique).

Toxicité digestive
Elle se manifeste de diverses façons, avec une origine centrale pour les nausées et vomissements, et une origine périphérique pour les mucites et les diarrhées.

Il existe une grande variabilité interindividuelle et intra-individuelle de la survenue des nausées et vomissements, avec une importante composante psychique. Une stratégie thérapeutique antiémétique spécifique doit souvent être adoptée.

Les mucites sont généralement buco-œsophagiennes, et parfois anorectales.

Les diarrhées sont liées à l'atteinte de la muqueuse colique et augmentent le risque infectieux. Elles sont responsables de surinfections et de déshydratations qui peuvent représenter une urgence médicale.

Autres toxicités
Elles relèvent de mécanismes spécifiques à chaque catégorie de médicament anticancéreux : toxicité cardiaque pour les anthracyclines, rénale pour le cisplatine, neurologique pour les poisons du fuseau et certains dérivés du platine, etc.

Elles sont de prise en charge difficile et nécessitent le plus souvent l'arrêt du traitement et le remplacement d'un anticancéreux par un autre.

©vidal.fr

Pour en savoir plus
  • Ouvrages généraux
    • Robert J. Pharmacologie des cancers. Lavoisier, Paris, 2015.
    • Cappelaere P, Chauvergne J, Armand JP. Manuel pratique de chimiothérapie anticancéreuse. Springer-Verlag, Paris, 1992.
    • Hœrni B, Chauvergne J. Chimiothérapie anticancéreuse. Masson, Paris, 1992.
    • Chabner BA, Collins JM. Cancer chemotherapy: principles and practice. Lippincott, Philadelphia, 1990.
    • Schellens JHM, McLeod HL, Newell DR. Cancer clinical pharmacology. Oxford University Press Oxford, 2005.
   
 
 
Sources

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