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Complications rénales d’origine médicamenteuse : comment les prévenir ?

La maladie rénale chronique est un problème de santé publique. On compte en France quelque 3 à 4 millions d'insuffisants rénaux chroniques, c'est-à-dire des personnes dont le débit de filtration glomérulaire est < 60 mL/min. En 2017, plus de 87 000 patients étaient traités pour une insuffisance rénale terminale, pour un coût estimé par la Cour des comptes à 4 milliards d'euros. 
Un constat qui souligne l'importance de la prévention, notamment des insuffisances rénales aiguës (IRA) liées à la prise de médicaments, qui peuvent entraîner des séquelles et participer à l'évolution vers une insuffisance rénale chronique. Elle se fonde avant tout sur des règles de bon sens, comme cela a été bien souligné lors du Vidal live du 14 octobre 2020, par le Pr Alain Baumelou, néphrologue, et le Dr François Trémolières, infectiologue et interniste.

 
Isabelle Hoppenot 03 novembre 2020 Image d'une montre5 minutes icon Ajouter un commentaire
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Bien peser le rapport bénéfice/risque de la prescription (illustration).

Bien peser le rapport bénéfice/risque de la prescription (illustration).


On distingue trois types d'insuffisances rénales aiguës (IRA) :
  • celles secondaires à une baisse du débit sanguin rénal ;
  • celles par atteinte parenchymateuse, soit nécrose tubulaire par toxicité sur la cellule tubulaire, soit néphropathie interstitielle aiguë, qui découle le plus souvent d'un mécanisme immuno-allergique : la présence d'un infiltrat interstitiel déclenche l'IRA ;
  • enfin celles par obstruction à l'écoulement de l'urine dans la voie excrétrice, auxquelles il faut toujours penser.
Les IRA sont exceptionnellement médicamenteuses : cristalluries, fibroses rétropéritonéales, etc.
 
Le rôle majeur de l'âge
En pratique, en matière de prévention, un des éléments majeurs à prendre en compte est le vieillissement physiologique des reins, qui débute chez la plupart des personnes dès l'âge de 40 ans, à raison d'une perte de débit de filtration glomérulaire (DFG) de 1 mL/min/an. Ainsi, à l'âge de 70 ans, le DFG est d'environ 60 mL/min, valeur moyenne pour un paramètre de distribution gaussienne qui connaît donc de grandes variabilités individuelles. Conséquence directe de ce vieillissement rénal : les sujets âgés sont particulièrement à risque d'effet indésirable rénal.
Autres facteurs favorisants : la déshydratation, les comorbidités, en particulier le diabète, la prise d'autres médicaments néphrotoxiques (phénomène d'accumulation) et, bien sûr, la présence d'une atteinte rénale antérieure.

Quand rechercher une détérioration du DFG ?
Comme l'a souligné le Pr Alain Baumelou, une détérioration du DFG devrait être recherchée dans toute situation aiguë. L'interrogatoire du patient, l'analyse des examens biologiques antérieurs (créatininémie), la réalisation d'une bandelette urinaire à la recherche d'une protéinurie et/ou d'une hématurie microscopique, le dosage de la créatininémie qui permet d'évaluer le DFG par l'équation CKD-EPI et une échographie rénale constituent un bon bilan rénal initial.
Lors de la prescription d'un médicament potentiellement néphrotoxique, comme un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS), le premier souci est de s'assurer de bien peser le rapport bénéfice/risque de la prescription. Si le bénéfice est important et le risque accepté par le patient, un dosage de la créatininémie avant et après quelques jours de traitement se justifie chez un sujet âgé de plus de 65-70 ans, en cas de comorbidités, de déplétion sodée ou de diabète. Un traitement prolongé ne peut se justifier chez un sujet à risque.

Les principales classes de médicaments en cause
Les médicaments susceptibles d'être néphrotoxiques sont nombreux, mais certains sont de prescription très fréquente :
  • C'est notamment le cas des diurétiques, source d'insuffisance rénale fonctionnelle.
  • Les inhibiteurs de l'enzyme de conversion et les antagonistes des récepteurs de l'angiotensine 2 peuvent être à l'origine d'une IRA en cas de déplétion sodée ou de sténose de l'artère rénale. Toutefois, leur effet « néphroprotecteur » leur confère une place importante dans la prise en charge de la maladie rénale chronique et ils peuvent, en général, être conservés jusqu'à une dégradation importante de la fonction rénale.
  • Les AINS entraînent, de façon physiologique, une détérioration de la fonction rénale, par le biais de l'inhibition de la prostaglandine synthétase. C'est pour cette raison qu'il est préconisé, dans les situations à risque précitées, de faire un dosage de la créatininémie après 6 jours de traitement. Le risque lié aux AINS administrés par voie locale, qui sont absorbés, est mal précisé, mais probablement faible en cas d'usage normal.
  • Les produits de contraste iodés exposent à un risque d'IRA bien connu, d'autant plus qu'ils sont souvent utilisés dans le cadre d'examens d'imagerie qui s'adressent à une population à haut risque du fait de comorbidités, comme le diabétique protéinurique. Une élévation de la créatininémie est recherchée au 2e ou au 3e jour après l'examen.
  • Les inhibiteurs de la pompe à protons, largement utilisés, y compris en automédication, peuvent, dans de rares cas, être à l'origine d'une néphropathie interstitielle aiguë en début de traitement. Ils peuvent aussi être à l'origine d'une détérioration de la fonction rénale dans le cadre de traitements ou auto-administrations au long cours, pour laquelle une toxicité cumulative a été évoquée.
  • Certains antibiotiques, tels que la vancomycine et les aminosides, sont constamment néphrotoxiques, mais l'adaptation de la posologie à la fonction rénale et le suivi étroit des patients en cours de traitement ont permis de réduire de façon très importante les accidents aigus. 
  • Les anticancéreux sont également souvent néphrotoxiques, mais, là aussi, leur administration se fait dans un contexte particulier, avec une surveillance étroite.

Des règles de bon sens
Pour le Pr Alain Baumelou et le Dr François Trémolières, la prévention des IRA médicamenteuses se fonde avant tout sur des règles de bon sens :
  • Éviter les médicaments néphrotoxiques.
  • Ne les utiliser qu'avec précaution, en mesurant la créatininémie avant d'instaurer le traitement (valeur de référence), en adaptant les doses et les durées de traitement.
  • Ne pas les prescrire à des patients en déplétion sodée et éviter les coprescriptions de médicaments néphrotoxiques.
  • Avoir une vigilance particulière chez les patients à risque : sujets âgés, diabétiques protéinuriques, nombreuses comorbidités.

Quand adresser le patient au néphrologue ?
Un avis spécialisé doit être demandé au moment du diagnostic de maladie rénale chronique et quel que soit le DFG en cas de protéinurie. La bandelette urinaire est un examen simple à réaliser en consultation. La présence d'une protéinurie importante doit, après élimination d'une infection urinaire, faire doser la créatininémie.
En cas de maladie rénale chronique bien identifiée, le patient doit être revu par le néphrologue une fois par an jusqu'à un DFG de 30 mL/min, une fois tous les 4 mois pour un DGF compris entre 15 et 30 mL/min. En deçà de ces valeurs, il s'agit d'une prise en charge néphrologique lourde. 
  
 ©vidal.fr

Pour en savoir plus
- Rapport public annuel 2020 de la Cour des comptes. L'insuffisance rénale chronique terminale : une prise en charge à réformer au bénéfice des patients.

- Vidal Live. Pr Alain Baumelou, néphrologue et Dr François Trémolières, infectiologue et interniste. Rein et médicament. 14 octobre 2020.

- Société francophone de néphrologie, dialyse et transplantation. Calcul du débit de filtration glomérulaire selon la formule CKD-EPI.

 

 
Sources

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