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Les femmes face à la COVID-19 : sont-elles vraiment protégées ?

La démographie des patients admis en réanimation, à l'échelon mondial, montre clairement que les hommes ont environ deux fois plus de risque que les femmes de développer une forme sévère de COVID-19.

Comment expliquer ce risque réduit chez les femmes ? Une étude épidémiologique new-yorkaise semble mettre en avant le rôle central d’une moindre prévalence de comorbidités féminines. Mais, ce travail est, pour l’instant, le seul à avoir exploré cet aspect.

Des différences immunologiques existent entre les hommes et les femmes, en particulier  concernant l’intensité de la réponse immunitaire innée. Elles pourraient contribuer à la protection observée. Néanmoins, certaines recherches en cours sur la physiopathologie de la COVID-19 semblent aller à l’encontre de cette hypothèse.

Enfin, les données manquent pour savoir si la protection dont bénéficient les femmes vis-à-vis des formes graves de COVID-19 se maintient avec l’âge ou si le vieillissement la fait disparaître (comme ce qui est observé dans le SRAS).

De fait, la différence entre hommes et femmes, en termes de décès lié à la COVID-19 en France, est modeste : 55 % d’hommes pour 45 % de femmes. De plus, la surmortalité due à cette infection, telle que calculée par l’Insee, est à peine moindre chez les femmes : + 24 % contre + 27 % chez les hommes.
Protégées, certes, mais probablement pas à tous les âges.
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Les femmes ont deux fois moins de risque de forme sévère de COVID-19... jusqu'à quel âge ? (illustration).

Les femmes ont deux fois moins de risque de forme sévère de COVID-19... jusqu'à quel âge ? (illustration).

Depuis le début de la pandémie de COVID-19, les équipes hospitalières, à l'échelon mondial, constatent que les hommes sont surreprésentés parmi les patients hospitalisés pour formes sévères de COVID-19 : on compte environ deux fois plus d'hommes que de femmes.

Les femmes sont moins sujettes aux formes sévères de la COVID-19
Parmi les 99 premiers patients hospitalisés à Wuhan, 67 étaient des hommes et 32 des femmes. Depuis, au moins trois études épidémiologiques se sont succédées en Chine, mettant en évidence entre 58 et 67 % d'hommes parmi les patients hospitalisés pour COVID-19.
Selon les chiffres britanniques de l'ICNARC (Intensive Care National Audit & Research Center), plus récents et portant sur 5 574 patients admis en réanimation pour COVID-19, la proportion d'hommes serait de 72,1 %. Simultanément, parmi les 5 782 patients hospitalisés dans les mêmes établissements pour une infection respiratoire non COVID-19 (essentiellement grippe saisonnière), les hommes représentaient 54,3 % des cas, montrant clairement que la moindre prévalence féminine est spécifique de la COVID-19.
Une fois les patients admis en réanimation, la différence de mortalité entre hommes et femmes existe toujours, mais elle est moins marquée. Par exemple, les données de l'ICNARC montrent une mortalité de 53,3 % chez les hommes admis en réanimation, contre 45,2 % chez les femmes. En France, selon l'Insee, 55 % des décès liés à la COVID-19 concernent les hommes.


Cette différence en faveur des femmes se maintient-elle quel que soit l'âge ?
Il est à remarquer qu'on ne dispose pas d'informations sur l'évolution de cette différence liée a
u genre, en fonction de l'âge des patientes. Pourtant, dans le SRAS, la différence entre hommes et femmes (similaire à celle observée avec la COVID-19, voir ci-dessous) disparaissait après 75 ans. Des éléments pointent vers une situation similaire dans la COVID-19.
D'après l'Insee, la hausse de mortalité constatée en France entre le 1er mars et le 13 avril 2020, par rapport à 2019 (et donc fortement attribuable à la COVID-19), est, selon ses termes, "très légèrement accentuée pour les hommes" : + 27 % contre + 24 % pour les femmes.
Comment expliquer que, si les femmes sont deux fois moins sujettes aux formes graves de la COVID-19, elles soient à peine moins sujettes à la surmortalité liée à cette maladie ? La réponse se trouve peut-être dans les Ehpad (établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes), où 75 % de cette population est féminine. Malheureusement, on ne dispose pas encore de données "genrées" sur la mortalité en Ehpad.


Une différence sexuelle qui semble disparaître lorsqu'on prend en compte les comorbidités
Récemment, une étude épidémiologique new-yorkaise a porté sur 4 103 patients vus pour COVID-19. Comme dans les études précédentes, les femmes avaient moins de risque de présenter des formes sévères : 63 % des patients de sexe masculin, examinés pour COVID-19 (confirmée virologiquement), ont été hospitalisés contre 39 % des patientes (RR = 2,8 ; IC95 % : 2,4-3,3). Cependant, cette même étude montre que, si l'on ajuste les résultats pour tenir compte des comorbidités, cette différence liée au genre disparaît (RR = 0,99 ; IC95 % : 0,74-1,33).
Ainsi, à New York, la réduction du risque de forme grave semble principalement, voire uniquement, liée à la moindre prévalence des comorbidités chez les femmes.


Les femmes éliminent plus rapidement le SARS-CoV-2
Une autre différence liée au genre a été proposée par une étude portant sur 68 patients atteints de formes modérées, d'âge moyen 37 ans, qui a montré que les femmes éliminent plus rapidement le SARS-CoV-2 que les hommes (différence médiane : 2 jours), y compris lorsque hommes et femmes font partie de la même famille, donc potentiellement infectés par la même souche et vivant dans les mêmes conditions.
Certains auteurs ont émis l'hypothèse que, les testicules étant riches en récepteurs ACE2 et la COVID-19 ayant montré des effets négatifs sur les fonctions testiculaires, ces organes masculins pourraient servir de réservoir au SARS-CoV-2.


Des données similaires à celles du SRAS et du MERS
Les différences observées entre hommes et femmes dans l'évolution de la COVID-19 sont similaires à celles constatées dans le SRAS et le MERS.
Concernant la mortalité liée au SRAS, dans une étude portant sur 1 755 malades hospitalisés, le décès a été observé chez 21,9 % des hommes et 13,2 % des femmes (p < 0,0001 ; RR = 1,66 ; IC95 % : 1,35-2,05), mais cette différence, très importante chez les patients âgés de moins de 45 ans, disparaissait après 75 ans.
Cet effet "lissant" de l'âge pourrait refléter le fait que les patientes et patients décédés présentaient la même prévalence de comorbidités (71,3 % des femmes décédées souffraient d'une maladie chronique et 64,7 % des hommes).
Concernant le MERS, les hommes représentent 65,2 % des cas en Arabie saoudite (mortalité : 21,2 % chez les hommes et 15,2 % chez les femmes) et 59,1 % des cas en Corée du Sud (mortalité 21,8 % chez les hommes et 15,8 % chez les femmes). Les valeurs sont donc très similaires entre les deux pays, en dépit du fait que les comorbidités étaient deux fois plus fréquentes en Arabie saoudite.


Pas de différence liée au genre dans la grippe saisonnière
Pour rappel, et comme montré par l'ICNARC, il n'existe pas de données probantes sur d'éventuelles différences liées au genre dans la grippe saisonnière. Pour la grippe H1N1, les hommes semblent avoir un risque de complications majoré de 30 %, mais pour la grippe H3N2, ce sont les femmes qui semblent avoir un risque augmenté de 20 %.
Dans le contexte de la COVID-19, en Chine, une étude sur les différences de prévalence entre hommes et femmes a identifié une co-infection par un virus Influenza A chez 17,9 % des hommes atteints de COVID-19, mais chez aucune femme (n = 47), ce qui a amené les auteurs à proposer un possible rôle des co-infections virales dans la différence d'évolution vers des formes sévères entre hommes et femmes.


Pourquoi les femmes réagiraient-elles différemment à la COVID-19 ?
Nonobstant l'effet des comorbidités, il est intéressant de se demander s'il existe des raisons physiologiques qui pourraient expliquer une évolution moins fréquente vers la gravité chez les femmes infectées par le SARS-CoV-2.
Il existe de nombreuses différences bien documentées entre l'immunité féminine et l'immunité masculine. Par exemple :
  • pour de nombreux vaccins, la réponse immunitaire est plus importante chez les femmes (sans effet sur l'efficacité de la protection) : grippe saisonnière, rougeole, oreillons, rubéole, hépatites A et B, variole, fièvre jaune (avec davantage d'effets indésirables pour cette dernière), etc.
  • la prévalence de nombreuses maladies auto-immunes est plus élevée chez les femmes (lupus érythémateux, polyarthrite rhumatoïde, cirrhose biliaire primitive, thyroïdite d'Hashimoto, etc.).
Dans le contexte de la COVID-19, quelles différences immunitaires liées au genre pourraient contribuer à un meilleur pronostic ?

Les femmes ont une immunité innée plus réactive que les hommes
L'immunité innée est celle, non spécifique, qui enclenche les réactions immunitaires et inflammatoires lors de contamination par un micro-organisme infectieux. Par exemple, lors d'une infection par un virus respiratoire à ARN (comme le SARS-CoV-2), les cellules dendritiques des muqueuses respiratoires reconnaissent (via leurs récepteurs Toll-like 7 – TLR7) les séquences monobrins d'ARN viral, et les présentent aux lymphocytes, déclenchant ainsi la production de cytokines, en particulier les interférons du groupe I (IFN alpha et bêta en particulier). Chez les femmes, cette réponse non spécifique est plus intense que chez les hommes et pourrait être, en partie, responsable de la prévalence plus élevée des maladies auto-immunes dans le sexe féminin.
Plusieurs hypothèses sont proposées pour expliquer cette meilleure réactivité, par exemple :

L'hypothèse d'une immunité innée plus réactive se heurte aux récentes données de physiopathologie de la COVID-19
Les choses se compliquent lorsqu'on essaie de mettre en lien ces différences immunitaires liées au sexe et la pathophysiologie de la COVID-19. Les femmes seraient-elles protégées parce qu'elles sécrètent plus d'IFN alpha et bêta, en réaction à l'infection par SARS-CoV-2 ? Une étude récente (non publiée) d'une équipe de l'hôpital Cochin semble aller dans ce sens, en montrant que les personnes qui sécrètent insuffisamment ces interférons sont davantage à risque de formes graves de COVID-19.
Mais, à l'inverse, d'autres données récentes semblent clairement indiquer que les IFN alpha et bêta, produits lors de la réaction immunitaire innée, augmentent le nombre de récepteurs ACE2 (récepteurs de l'enzyme de conversion de l'angiotensine 2) sur les cellules cibles des alvéoles pulmonaires (offrant ainsi davantage de portes d'entrée au SARS-CoV-2 !). Les auteurs de cette étude très détaillée évoquent ainsi un effet aggravant de la production d'IFN alpha et bêta sur l'infection virale, proposant, de fait, une hypothèse pour expliquer l'inflammation intense qui s'enclenche chez certains malades.
Alors que penser ? Pourquoi les femmes ne sont-elles pas davantage sujettes aux formes sévères de COVID-19 ? Meilleure performance immunitaire innée ? Meilleur contrôle de cette immunité innée pour prévenir une réponse inflammatoire excessive ? D'autres études seront nécessaires pour mettre au clair la réaction immunitaire féminine face au SARS-CoV-2.

En conclusion, si l'on en croit l'étude new-yorkaise, la moindre prévalence de comorbidités chez les femmes suffirait à expliquer la moindre évolution vers des formes sévères de la COVID-19. Aucune autre étude épidémiologique n'a, à ce jour, effectué d'ajustement en fonction des comorbidités. Il est donc trop tôt pour en faire l'unique cause de la relative protection féminine face aux formes sévères de COVID-19. Par ailleurs, il serait intéressant de confirmer rapidement si cette relative protection disparaît chez les femmes âgées.

©vidal.fr

Pour aller plus loin

Sur la plus grande prévalence des hospitalisations pour COVID-19 chez les hommes
Zhang JJ, Dong X, Cao YY et al. Clinical characteristics of 140 patients infected with SARS-CoV-2 in Wuhan, China. Allergy, 19 février 2020.

Guan WJ, Ni ZY, Hu Y et al. Clinical Characteristics of Coronavirus Disease 2019 in China.  N Engl J Med, 28 février 2020.
;
Li J, Zhang YH, Wang F et al. Sex differences in clinical findings among patients with coronavirus disease 2019 (COVID-19) and severe condition. MedRxiv, 29 février 2020.

Chen N, Zhou M, Dong X et al. Epidemiological and clinical characteristics of 99 cases of 2019 novel coronavirus pneumonia in Wuhan, China: a descriptive study. Lancet 2020 ; 395 : 507–13.

Petrilli CM, Jones SA, Yang J et al. Factors associated with hospitalization and critical illness among 4,103 patients with COVID-19 disease in New York City. MedRxiv, 11 avril 2020.

ICNARC report on COVID-19 in critical care. 17 avril 2020.

Cai H. Sex difference and smoking predisposition in patients with COVID-19. Lancet, vol. 8, avril 2020.

Sur la persistance et les effets de SARS-CoV-2 sur les testicules
Shastri A, Wheat J, Agrawal S et al. Delayed clearance of SARS-CoV2 in male compared to female patients: High ACE2 expression in testes suggests possible existence of gender-specific viral reservoirs. MedRxiv, 17 avril 2020.

Ma L, Xie W, Li D et al. Effect of SARS-CoV-2 infection upon male gonadal function: A single center-based study. MedRxiv, 30 mars 2020.

Sur les différences de genre dans le SARS et le MERS
Karlberg J, Chong DSY et Lai WYY. « Do Men Have a Higher Case Fatality Rate of Severe Acute Respiratory Syndrome than Women Do? » Am J Epidemiol 2004 ; 159, 3 (1st February) :  229–231.

Chen X, Chughtai AA, Dyda A et al. Comparative epidemiology of Middle East respiratory syndrome coronavirus (MERS-CoV) in Saudi Arabia and South Korea. Emerg Microbes Infect. 2017; 6(1) : 1-6.

Sur les différences de genre dans la grippe saisonnière et les maladies infectieuses
Gabriel G et Arck PC. Sex, Immunity and Influenza. J Infect Dis. 2014 ; 209, suppl-3 : S93–S99.

van Lunzen J et Altfeld M. Sex Differences in Infectious Diseases–Common but Neglected. J  Infect Dis. 2014 ; 209, suppl-3 : S79–S80.

Sur les différences de genre dans les maladies auto-immunes
Ngo ST, Steyn FJ et McCombe PA. Gender differences in autoimmune disease. » Front Neuroendocrinol. 2014 ; 35, 3 : 347-369.

Sur les différences de genre dans la réponse immunitaire
Klein SL et Flanagan KL. Sex differences in immune responses. Nat Rev Immunol. 2016 ; 16, 10  : 626–638.

Klein SL, Jedlicka A et Pekosz A. The Xs and Y of immune responses to viral vaccines. Lancet Infect Dis. 2010 ; 10, 5 : 338-349.

Sur le rôle des IFN alpha et bêta dans la physiopathologie de la COVID-19
Terrier B. Un défaut d'activité de l'interféron de type I caractérise les formes sévères de Covid-19. Fonds Immunov, 26 avril 2020.

Ziegler CGK, Allon SJ, Nyquist SK et al. SARS-CoV-2 receptor ACE2 is an interferon-stimulated gene in human airway epithelial cells and is detected in specific cell subsets across tissues.  Cell. 2020.

Les données de l'Insee relatives à la surmortalité
Nombre de décès quotidiens par département, 24 avril 2020.

 
Sources

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