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Le risque de démence associé à la prise de benzodiazépines retrouvé uniquement avec celles à longue durée d'action

En 2014, une étude française, réalisée par une équipe de l’Inserm de Bordeaux et publiée dans le BMJ, montrait une association statistique entre la prise de benzodiazépines et la survenue d’une démence. Cette association, malgré l'absence de lien de causalité démontré, avait fait grand bruit dans les médias nationaux (voir notre article sur cette première étude).
 
Une nouvelle étude française, plus vaste et publiée dans la revue Alzheimer’s & Dementia en novembre 2015, revient sur cette possible association entre la prise au long cours de benzodiazépines et la survenue éventuelle d’une démence, en particulier d’Alzheimer.

Pour éviter les reproches formulés à l'encontre de la première étude, cette nouvelle étude observationnelle a pris en compte de multiples facteurs de confusion. Elle
confirme un surrisque associé à la prise de benzodiazépines, mais uniquement avec celles à longue durée d’action (demi-vie longue), sans causalité démontrée. 

A l’inverse, dans cette étude, l’utilisation de benzodiazépines à demi-vie courte n’est pas associée à une augmentation du risque de démence.
08 décembre 2015 Image d'une montre6 minutes icon 4 commentaires
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L'insomnie des seniors est une des causes les plus fréquentes de prescription de benzodiazépines (illustration).

L'insomnie des seniors est une des causes les plus fréquentes de prescription de benzodiazépines (illustration).


Méthodologie : plus de 8 000 personnes âgées suivies pendant plus de 8 ans
Le Dr Christophe Tzourio (neurologue, directeur du centre de recherche Inserm U897 et professeur d'épidémiologie à l'université de Bordeaux) et son équipe ont utilisé les données issues de l'étude longitudinale dite des 3 Cités (Bordeaux, Dijon et Montpellier), débutée en 1999 auprès 9 294 personnes de plus de 65 ans.

Les auteurs ont retenu, pour leur analyse, les données de  8 240 personnes âgées de plus de 65 ans et suivies en moyenne pendant 8 ans, jusqu'à 11 ans (les personnes présentant déjà une démence ou mal suivies ont été exclues).  

Leur consommation de benzodiazépines a été évaluée (les 5 800 personnes n'en prenant pas ont servi de groupe de comparaison). L'éventuelle apparition d'une démence (diagnostiquée par l'utilisation d'un mini-mental status, du set test d'Isaacs, des données d'activité et l'avis des neurologues et gériatres) a également été surveilée, et sa fréquence a été comparée entre les deux groupes (avec ou sans benzodiazépines)
 
Plusieurs critères de confusion possible ont également été pris en compte : l'âge, le poids, le niveau d'éducation, le mode de vie (solitude ou non), la consommation d'alcool, de tabac, le niveau de tension artérielle, la présence d'un diabète ou d'une hypercholestérolémie (traitée ou non), mais aussi l'éventuelle existence de symptômes dépressifs, anxieux et/ou d'une insomnie, facteurs de confusion non pris en compte lors de la première étude.
 
Résultats de l'analyse ajustée : pas de surrisque significatif de démence associé à la prise de benzodiazépines toutes durées d'action confondues
Pendant le suivi, 830 cas de démence confirmée sont survenus. Les auteurs ont analysé l'éventuel surrisque associé à la prise de médicaments psychoactifs.
 
En utilisant un modèle d'analyse tenant compte de plusieurs facteurs de confusion (âge, sexe, etc.), mais ne tenant pas compte des notions d'anxiété, dépression ou insomnies, les résultats montrent un surrisque de démence de 23 % associé à l'utilisation de benzodiazépines (HR = 1,23 ; IC95 1,02 – 1,48), d.

Mais en ajustant les résultats en fonction de l'anxiété, la dépression et l'insomnie notés en amont du suivi, les auteurs constatent que le surrisque associé à la prise de benzodiazépines (toutes confondues) n'est plus significatif (HR = 1,1 ; IC95 0,9 – 1,34).
 
Par contre, un surrisque de démence significatif, de 62 %, associé à la prise de benzodiazépines à longue durée d'action 
Les auteurs se sont ensuite intéressés à 2 sous-groupes de patients : en faisant une distinction entre les benzodiazépines à courte demi-vie (moins de 20 heures sont nécessaires pour éliminer la moitié du médicament, cf. liste en fin d'article) et celles à longue demi-vie (> 20 heures, cf. liste en fin d'article), ils ont constaté :
  • l'absence d'association significative entre utilisation de benzodiazépines à demi-vie courte (987 utilisateurs sur 8 240) et risque de survenue d'une démence (HR = 1,05) ;
  • une association significative avec des benzodiazépines à demi-vie longue (209 utilisateurs) : risque augmenté de 62 % (HR = 1,62 ; IC95 1,11 – 2,37) par rapport aux participants ne prenant pas de benzodiazépines.
 
Les auteurs ont ensuite analysé ces risques en fonction de la présence, ou non, d'une anxiété, de symptômes dépressifs ou d'une insomnie. Ils n'ont pas trouvé de différence significative (surrisques comparables avec les benzodiazépines à demi-vie longue, que la personne ait présenté, ou non, une insomnie, des symptômes dépressifs ou anxieux).
 
Attention ! Cela ne signifie pas forcément que les benzodiazépines à demi-vie longue augmentent le risque de démence
Comme nous l'avions rappelé lors de la publication de la première étude (marquée par de nombreux titres dans les médias du type "les benzodiazépines provoquent Alzheimer"), il est possible que la prise de benzodiazépines soit liée à la prise en charge des premiers symptômes de la maladie d'Alzheimer

En effet, plusieurs études ont montré que ces lésions précoces de la maladie d'Alzheimer peuvent entraîner de l'anxiété et des troubles du sommeil (Science 2009Biol Psychiatry 2010), pour lesquels des benzodiazépines sont souvent prescrites. De plus, l'anxiété chronique pourrait augmenter, en elle-même, le risque de démence (Brain 2010)

Une association statistique entre la prise de benzodiazépines et une démence ne signifie donc pas forcément que ces médicaments causent la démence, mais peut-être qu'ils en tempèrent les premiers symptômes...
 
Pour démontrer une éventuelle causalité, il faudrait donc des études spécifiques, physiopathologiques, pour identifier un éventuel mécanisme liant la prise de benzodiazépines et la survenue d'une démence.
 
Malgré l'absence de causalité démontrée, une nécessaire "vigilance renforcée" sur la prescription de benzodiazépines à demi-vie longue chez les personnes âgées
Ces résultats sont donc rassurants pour les prescripteurs et utilisateurs de benzodiazépines à demi-vie courte. 

En ce qui concerne les benzodiazépines à demi-vie longue, malgré l'absence de certitude sur le mécanisme liant, ou non, la prise de ces médicaments à la dégradation démentielle, il est nécessaire de moins en prescrire chez les seniors, souligne le Dr Christophe Tzourio : "le doute est suffisant pour encourager médecins et patients à trouver des formes alternatives pour les troubles du sommeil des personnes âgées qui sont le motif principal de prescription de ces médicaments : conseils hygiéno-diététiques, produits non médicamenteux, et au maximum les médicaments les moins dangereux comme les benzodiazépines à demi-vie courte".
 
"Nos résultats suggèrent au minimum une vigilance renforcée de tous, en particulier des médecins et des autorités de santé, pour éviter cette consommation de benzodiazépines à demi-vie longue chez les personnes âgées" précise le Dr Tzourio.
 
Pour mémoire : les différentes benzodiazépines, à longue et courte durée d'action, disponibles en France
Voici les différentes benzodiazépines, classées par l'Assurance Maladie en octobre 2014 en fonction de leur demi-vie :

Demi-vie courte (< 20 heures) 
Hypnotiques (durée de prescription maximale : 4 semaines) Anxiolytiques (durée de prescription maximale : 12 semaines)  
Demi-vie longue (> 20 heures)
Hypnotique (durée de prescription maximale : 4 semaines) Anxiolytiques (durée de prescription maximale : 12 semaines)  
En savoir plus :
L'étude objet de cet article :
Benzodiazepine, psychotropic medication, and dementia: a population-based cohort study, Dalia Shash, Tobias Kurth, Marion Bertrand, Carole Dufouil, Pascale Barberger-Gateau, Claudine Berr, Karen Ritchie, Jean-Francois Dartigues, Bernard Bégaud, Annick Alpérovitch et Christophe Tzourio, Alzheimer's & Dementia, 19 novembre 2015
Le communiqué de l'Inserm sur cette étude :
La consommation de benzodiazépines est associée à un risque de survenue de démences, Inserm, 2 décembre 2015
L'étude de 2014 :
Benzodiazepine use and risk of Alzheimer's disease: case-control study, Sophie Billioti de Gage et coll., BMJ, 9 septembre 2014
Le tableau des benzodiazépines classées en fonction de leur durée d'action :
Choix d'une benzodiazépine dans les troubles anxieux ou les troubles du sommeil chez le sujet de plus de 65 ans polypathologique ou de plus de 75 ans, ameli.fr, octobre 2014

Sur VIDAL.fr : 
VIDAL Reco "Insomnie de l'adulte"
VIDAL Reco Maladie d'Alzheimer 
Benzodiazépines et médicaments apparentés : préconisations et outils de la HAS pour faciliter l'arrêt en cas de mésusage (juillet 2015)
Médicaments hypnotiques : baisse du taux de remboursement à partir du 1er décembre 2014 (14 novembre 2014)
Alzheimer : les benzodiazépines, facteurs de risque ou traitements des signes précoces de la maladie ? (11 septembre 2014)
Vieillissement, fragilité, dépendance, Alzheimer... : entretien avec le Dr Christophe Trivalle, gériatre (mai 2014)
Benzodiazépines : "il y a un problème sur l'état d'anxiété et de dépression de la population" Dr Claude Leicher(février 2014)
Benzodiazépines et substances apparentées : hausse de la consommation en 2012 (8 janvier 2014)
Sources

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jrwerther Il y a 8 ans 0 commentaire associé
l'anxiété est un symptôme très fréquent d'une démence débutante (sentiment d'étrangeté du monde : très anxiogène) qui va probablement déboucher sur une prescription de benzo. L'insomnie, comme inversion du rythme nycthéméral, est aussi un signe assez précoce de démence; Vu les risques des benzodiazémine à demi vie courte de réaction paradoxales,en particulier chez les sujets agés on préfèrera certainement des demi vies longues. le biais est tellement évident que a conclusion l'est aussi: cette étude ne donne aucune information concernant un éventuel facteur causal. je remarque une encore plus importante liaison statistique entre la consommation d'insuline injectable et le diabète. Donc l'insuline cause le diabète. C'est de ce niveau là, et il n'y a pas besoin d'être neurologue pour le comprendre. (chirurgien orthopédiste)
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