#Socio-professionnel

"Le secret médical, un principe absolument intangible" Interview de Maître Patrick de la Grange

Qu'impose aujourd'hui aux professionnels de santé, dans un monde plus judiciarisé et davantage numérisé, le secret médical ? Quels sont les aménagements ou dérogations possibles à ce secret, qui réunit tous les secrets professionnels partagés dans une équipe de soins, précise le Dr Jacques Lucas (via Twitter) ?

Les réponses de Maître Patrick de la Grange, avocat spécialisé du droit de la santé.

 
Les 2 vidéos ci-dessous et leur transcript font partie d’un entretien filmé le 19 décembre 2014 au Cabinet de la Grange et Fitoussi (Paris). Voici les liens vers les 7 autres parties de cet entretien mises en ligne sur VIDAL.fr :
  1. Que dire aux patients sur les possibles effets indésirables des médicaments ? 
  2. La judiciarisation médicale, phénomène récent "lié à la sacralisation et à l'opacité"
  3. Les motifs les plus fréquents de mise en cause judiciaire de la responsabilité médicale
  4. Quels sont les motifs de contestation judiciaire les plus fréquents d’une prescription médicamenteuse ? 
  5. Téléconseil symptomatique ou thérapeutique, par téléphone, mail ou internet : quels sont les risques ?
  6. La juste information des patients, une difficulté à l’ère d’internet et des consultations courtes
  7. Rôle et actions de l’Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux (ONIAM)
28 mai 2015, modifié le 23 juillet 2015 Image d'une montre7 minutes icon Ajouter un commentaire
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VIDAL : Qu'impose aujourd'hui le secret médical dans la relation médecin-patient en ville ?
Patrick de la Grange : Le secret médical est l'un des 3 secrets dont la violation est sanctionnée pénalement. Il y a les médecins, les avocats et les prêtres. Le secret médical constitue vraiment le fondement de l'exercice de la médecine, c'est un lien de confiance absolue qui doit exister entre le praticien et son patient. Il couvre absolument tous les aspects de l'exercice médical : un patient, qui s'adresse à son médecin comme à son confesseur, peut lui dire absolument tout ce qui concerne sa santé sans qu'il puisse craindre à aucun moment que ces informations intimes, qui touchent au cœur vraiment de l'intimité de la vie privée, soient révélées à qui que ce soit, y compris d'ailleurs, parce que c'est un élément important, à d'autres médecins.
 

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 VIDAL : Le secret médical est-il un principe vraiment intangible ?
Patrick de la Grange : Un patient doit pouvoir exprimer tout ce qu'il ressent à son médecin, dans l'optique d'être soigné bien évidemment, sans aucune réticence qui pourrait être liée à la crainte que telle ou telle révélation, information, puisse être distillée que ce soit auprès de sa famille, auprès de son employeur, auprès de l'administration fiscale, auprès des assurances, que sais-je. C'est vraiment un principe absolument intangible et d'ailleurs, un médecin qui révélerait ce qu'il aurait obtenu dans le cadre de son exercice professionnel, serait susceptible d'être poursuivi devant les tribunaux et d'ailleurs, les tribunaux ont sanctionné pénalement des violations du secret médical.

L'affaire la plus connue est celle du médecin personnel de François Mitterrand, le Dr Claude Gubler : ni la mort, ni le fait que le patient était un ancien Président de la République, ni le fait que l'information pouvait avoir un intérêt général, n'ont permis au Dr Gubler de s'exonérer de son secret médical et effectivement, il a été pénalement sanctionné (civilement aussi d'ailleurs) par des dommages et intérêts et l'interdiction de son ouvrage.
 
VIDAL : Le secret médical s'applique-t-il aussi à un patient mineur, ou atteint de démence ?
Patrick de la Grange :  Le secret médical s'applique à tous, y compris aux mineurs, aux personnes décédées, aux personnes incapables majeures, c'est-à-dire aux personnes atteintes de démence, quelle qu'elles soient, et aux personnes incapables de s'exprimer, comme le cas Vincent Lambert, qui a été très médiatisé (voir notre article sur cette affaire).
 
VIDAL : Ces principes ont-ils été renforcés par la loi "Kouchner" du 4 mars 2002 ?
Patrick de la Grange : Ces principes, qui existaient avant le vote de la loi Kouchner, ont été très clairement consacrés par la loi du 4 mars 2002  (texte de référence actuel sur le secret médical)  et l'article 1111 du Code de la Santé Publique. Ces textes indiquent de manière très claire que l'on ne peut, en aucun cas, opposer un secret médical au patient lui-même, les choses sont très claires, le patient conscient et lucide a le droit de tout savoir. Ensuite, comme toujours en matière juridique, il y a les principes et les exceptions.
 
VIDAL : Le DMP (Dossier Médical Partagé) fragilise-t-il le principe du secret médical ?
Patrick de la Grange :  Que l'on parle de papier ou de données informatiques, cela ne change strictement rien à ce principe, le support n'a pas d'importance : ce sont le contenu, les données médicales, les éléments de santé qui appartiennent au patient qui sont importants. En aucun cas, un médecin peut refuser à un patient le droit de savoir. Même si le médecin estime que son patient, pour 10 000 raisons, qu'il vaut mieux ne pas lui dire qu'il va mourir dans un mois (c'était très à la mode dans les années 70...), si le patient exige de connaître la vérité, le médecin doit se conformer à sa volonté.
 
VIDAL : Le médecin est donc toujours juge et partie sur le secret médical…
Patrick de la Grange : Oui, mais il y a le principe de droit et ensuite, il y a l'humanisme qui fait partie du Serment d'Hippocrate. Dans ce que l'on appelle le colloque singulier, la relation patient-médecin, entre deux êtres humains, doit être empreinte de toute la subtilité et la délicatesse qui vont faire que ce n'est pas forcément nécessaire d'annoncer froidement une nouvelle difficile à entendre si effectivement, a priori, le patient n'est pas en demande. Les médecins savent faire œuvre de nuance, donner l'information, accompagner cette information de toutes les précautions nécessaires, éventuellement en retenir un petit peu si ce n'est pas la peine d'annoncer… Il y a toute la nuance possible et imaginable entre le droit brut et la relation personnelle entre un médecin et un patient qui va faire que le médecin va être intelligent au niveau du cœur, dans la façon dont il va apporter les informations au patient.
 

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VIDAL : Quelles sont les exceptions possibles au maintien du secret médical ? 
Patrick de la Grange :  Des aménagements au secret médical sont nécessités par l'exercice de la médecine tout simplement, mais il n'y a pas d'exception. Les aménagements sont simples : si vous êtes mort, on doit considérer qu'il y a un aménagement du principe par rapport à la famille. La famille a le droit de savoir (dans certaines limites, c'est assez compliqué...) pourquoi vous êtes mort. En particulier, la famille a le droit de savoir si vous êtes mort d'un accident médical notamment. C'est une source de conflit permanente parce qu'effectivement, une famille qui pense que son proche est décédé à la suite d'un accident médical va demander à l'auteur présumé de l'accident de lui révéler les causes de la mort. Or, l'auteur présumé peut se réfugier derrière le secret médical pour ne pas révéler les causes de la mort si elles ne sont pas liées à une faute (voir cette autre partie de l'interview sur cette notion de faute). C'est compliqué parce que vous êtes juge et partie.
 
VIDAL : Que dit la loi sur la révélation, ou non, des causes précises de la mort ?
Patrick de la Grange :  La loi impose au médecin, à l'équipe médicale ou à l'établissement de ne fournir à la famille que ce qui est strictement nécessaire pour connaître les causes de la mort et encore, sous réserve que le patient lui-même, de son vivant, ne s'y soit pas opposé. Parce que le patient, de son vivant, peut très bien indiquer à l'équipe médicale qu'il refuse que sa famille, ses proches, soient informés de quoi que ce soit.
 
Ce genre de conflit est réglé par la loi : des dispositions sont prévues, puisque la loi exprime très clairement que l'hôpital doit faire le tri, dans les informations à caractère médical, entre ce qu'il est possible de dire à la famille et ce qui ne l'est pas. Mais évidemment, du point de vue de la famille on a l'impression d'une opacité, d'un refus de transparence, d'un hôpital qui se couvre pour que les fautes ne soient pas révélées, etc. Ce sont les problèmes spécifiques liés à la mort mais le principe, c'est que même mort, le secret médical doit être respecté.
 
VIDAL : En cas de doute persistant sur une faute ou une dissimulation, que peuvent faire les familles ?
Patrick de la Grange :  En cas de conflit avec l'établissement médical, qu'il soit public ou privé, le seul moyen d'en sortir est d'avoir recours au juge : le juge va désigner un expert qui va demander la communication du dossier médical, d'abord le dossier médical qui a été fourni à la famille spontanément et éventuellement celui qui ne lui a pas été fourni; Il va ensuite faire le tri entre ce qui est acceptable ou non d'être fourni à la famille.
 
VIDAL : Existe-t-il d'autres recours possibles pour accéder aux éléments du dossier médical ?
Patrick de la Grange :  L'autre recours, qui est assez fréquent pour les établissements publics, c'est le recours à la CADA, la Commission d'Accès aux Documents Administratifs. Cette Commission va demander à l'hôpital de fournir le dossier. L'hôpital va expliquer ce qu'il peut fournir et ce qu'il ne peut pas fournir ainsi que les raisons pour lesquelles il ne peut pas fournir tel ou tel document et la CADA va trancher dans un sens ou dans l'autre. Là encore sous contrôle du juge.

De toute façon tout est, in fine, sous contrôle du juge : le juge administratif pour les hôpitaux, le juge civil pour les établissements de santé privés, c'est-à-dire les cliniques. Dailleurs, nous avons maintenant des jurisprudences assez claires du Conseil d'État, qui indiquent en particulier que le droit d'accès de la famille en cas de décès n'est pas universel et qu'il appartient aux hôpitaux de trier (le mot est mal choisi mais c'est de cela dont il s'agit) entre ce qui peut être communiqué à la famille et ce qui ne doit pas l'être, en particulier en regard de la volonté exprimée par le patient avant son décès.

Propos recueillis le 19 décembre 2014 au Cabinet de la Grange et Fitoussi.
Sources

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