#Médicaments #Bon usage

Pédiatrie : les prescriptions hors AMM, une réalité persistante en France (étude)

La prescription pédiatrique en dehors des indications officielles, hors AMM (Autorisation de mise sur le marché), s’est développée principalement en raison des manques de la recherche : les médicaments mis sur le marché ont été insuffisamment évalués chez l’enfant, d’où l’absence d’indications, posologies, données de tolérance spécifiques.
 
Face à ce constat et pour combler ces lacunes, les autorités de santé européennes ont mis en place des incitations à la recherche clinique pour développer les formes pédiatriques manquantes des produits les plus courants. Mais ces incitations ont-elles été efficaces, au moins pour sensibiliser les professionnels sur les risques éventuels de telles prescriptions hors AMM ?
 
Afin d’en savoir plus, Aurore Palméro, Raphael Bissuel et l’équipe du Pr Jean-Louis Montastruc à Toulouse (Centre de Pharmacovigilance) ont réalisé une enquête de terrain sur le hors AMM en pédiatrie, 10 ans après une première étude du même type.
 
Leur analyse, parue dans Pediatrics en janvier 2015, montre que malgré les incitations et sensibilisations, les prescriptions hors AMM restent toujours aussi fréquentes (37,6 %), mais sans augmentation évidente des éventuelle effets indésirables associés. 
Sophie Dumery 02 mars 2015 Image d'une montre6 minutes icon 2 commentaires
1
2
3
4
5
(aucun avis, cliquez pour noter)
Publicité
Le manque d'études cliniques pédiatriques restreint l'utilisation des médicaments et peut conduire à prescrire hors AMM (illustration).

Le manque d'études cliniques pédiatriques restreint l'utilisation des médicaments et peut conduire à prescrire hors AMM (illustration).

 
Une première étude parue en 2002
Dans une première étude (Horen B et coll., 2002) réalisée sur les prescriptions de 1 419 enfants suivis en ville par des pédiatres de Haute Garonne, l'équipe du Pr Montastruc a constaté la forte proportion des prescriptions hors AMM (43,2 %). Cette fréquence élevée était associée à une hausse significative des effets indésirables (risque multiplié par 3,44).
 
Dix ans plus tard, cette équipe réalise une nouvelle étude, cette fois-ci auprès de médecins généralistes, car ils prennent en charge 3 enfants sur 4 du fait de la raréfaction des pédiatres.
 
Analyse des prescriptions pédiatriques de 38 généralistes maîtres de stage
Les médecins généralistes pourraient s'avérer en moyenne davantage prescripteurs que les pédiatres, en particulier d'antibiotiques, de corticoïdes, d'anti-inflammatoires ou encore de fluidifiants bronchiques (du moins selon Bocquet et coll., 2005, qui ont étudié 1?535 208 prestations de pédiatres et génbéralistes en Franche-Comté, analyse pouvant être biaisée par des différences d'état de santé en fonciton des prescripteurs). 
 
Pour tenter de  compenser cette possible tendance à la "prodigalité" pharmaceutique, Palméro et coll. ont choisi d'effectuer leur étude auprès de 38 médecins généralistes maîtres de stage volontaires. Ces professionnels étant davantage impliqués dans la transmission de l'état de leur art, les auteurs s'attendaient à ce qu'ils s'écartent moins des mentions légales (AMM). La notification d'éventuels effets indésirables (EI) au centre régional de pharmacovigilance a été effectuée dans les 10 jours suivant la consultation.
 
Quelques latitudes ont été établies au recueil des données : lorsque la pathologie était signalée comme virale par le praticien en regard d'une prescription d'antibiotiques, les auteurs de l'enquête ont considéré qu'il s'agissait du traitement d'une surinfection. Ils ont aussi admis un écart posologique jusqu'à 20 % de la dose de référence : est-ce négligeable chez les enfants de moins de 30 kilos ?
 
Aucune consultation sans prescription, 2 médicaments en moyenne
Les 38 médecins généralistes maîtres de stage ont vu 2 313 patients et ont prescrit au moins un médicament par consultation. Près de 2 000 (1 960) enfants ont reçu plus d'une prescription pharmaceutique.
 
L'ordonnance comportait donc en moyenne 2 médicaments : majoritairement des antalgiques (52 %, n = 1003, surtout du paracétamol), des antibactériens (22 %, n = 422, surtout de l'amoxicilline) ou des AINS et/ou corticoïdes (18 %, n = 345, surtout de l'ibuprofène).
 
Des prescriptions proches de celles des généralistes non maîtres de stage.. et de celles des pédiatres
Ces résultats se sont avérés similaires à ceux retrouvés sur les ordonnances régionales des médecins généralistes (données Midi-Pyrénées de la base SNIIRAM, système national d'informations inter-régimes de l'Assurance Maladie), hormis une moindre prescription de paracétamol (37,7 % vs 52 %).
 
Ces résultats ne diffèrent pas non plus  notablement des prescriptions des pédiatres observées en 2000 par le même service de  pharmacovigilance, bien que les auteurs aient constaté une baisse de la prescription d'antibiotiques, de vaccins et de médicaments de la sphère respiratoire. Seule différence marquée par rapport à 2000 : le doublement des prescriptions de paracétamol (51,6 % vs 23,7 %), probablement faute d'alternative thérapeutique.
 
Le "hors AMM" pédiatrique reste fréquent et est d'abord posologique
Plus d'un tiers (37,6 %, n = 736) des 1 960 enfants exposés à plus d'un médicament l'ont été hors AMM : 638 avec un produit, 94 avec 2 produits, et 4 avec 3 produits.
 
Les écarts par rapport à l'AMM concernent d'abord la posologie : non recommandée dans 56,4 % des cas, inférieure (26,5 %) ou supérieure (19,5 %) aux recommandations.
 
Autres écarts retrouvés : l'âge non respecté (7,2 %), la voie d'administration incorrecte (3,5 %) et 2 contre-indications (0,3 %). Seuls les vaccins ont été mal administrés, essentiellement des vaccins ROR injectés en intra-musculaire alors que, selon les auteurs, les mentions légales (RCP) préconisent l'injection sous-cutanée [NDLR : l'injection sous-cutanée est efffectivement préconisée, mais les mentions légales des vaccins concernés précisent aussi que "l'injection par voie intramusculaire est également possible" en l'absence de troubles de la coagulation, il est donc difficile de conclure à des erreurs, mésusages]. 
 
Les produits les plus souvent prescrits hors AMM
Les produits les plus souvent utilisés hors AMM par les généralistes objets de cette étude étaient des produits fréquemment prescrits en cas de pathologies courantes : décongestionnants nasaux (tixocortol et tuaminoheptane),  anti-histaminiques H1 (méquitazine et desloratadine) et corticoïdes (bétaméthasone et prednisolone).
 
A l'analyse, on perçoit les contraintes d'une pharmacopée limitée pour les enfants, ce qui pousse les prescripteurs à des "indications frontières de l'AMM", comme la prescription de salbutamol pour un bronchospasme alors qu'il est seulement indiqué dans l'asthme. Dans l'étude précédente de 2000 (Horen et coll.), les produits les plus souvent hors AMM étaient les corticoïdes, les bêtamimétiques et décongestionnants ainsi que les stimulants de l'immunité à visée ORL.
 
En fait de critères associés à la prescription hors AMM, on retrouve seulement un nombre de produits prescrits supérieur à 3 (OR à 5,65, CI95% 4,29–7,43) et les prescriptions ophtalmiques (OR à 1,62, CI95% 1,02–2,.57).
 
Pas plus de notification d'effets indésirables avec le "hors AMM"
Vingt-trois EI ont été notifiés ; les plus fréquents ont été la fièvre (n = 7), la diarrhée (n = 5) et l'érythème (n = 5).

Ces EI ont impliqués 23 produits, principalement des antibiotiques (n = 14) et des vaccins (n = 13).

Après analyse des causalités, 11 ont été considérés possibles, 16 plausibles et 7 probables. Tous les EI déclarés sont répertoriés, sauf une photo-réaction à l'amoxicilline.
 
Seules 5 des 23 notifications d'EI effectuées par les médecins participants ont été reliées à une prescription hors AMM : 3 indications non recommandées (hydroxyzine, méquitazine et bêtaméthasone) et 2 posologies inadéquates (amoxicilline). Soit une incidence de 1,5 % des prescriptions hors AMM, contre 1 % au sein de l'AMM (OR à 1,53 avec un P à 0,31, même en analyse multivariée).
 
Ces résultats plutôt rassurants concordent avec ceux retrouvés par une vaste revue des EI chez l'enfant vu en consultation généraliste. Cette revue a montré que l'incidence des EI chez l'enfant oscillait entre 0,75 et 1,41 % des prescriptions (Smyth et coll., 2012).
 
Mais ces EI sont bien inférieurs à ceux observés en 2000 lors de la première étude d'Horen B et coll. (risque relatif à 3,44). Cette baisse des EI tiendrait, pour les auteurs, à la baisse des prescriptions d'antibiotiques et de vaccins depuis 2000.
 
Elle tiendrait aussi à la relative bénignité des pathologies vues par ces médecins généralistes, qui ne traitaient pas d'enfants pour des maladies cancéreuses, cardiaques ou psychiatriques sévères.
 
"Promouvoir davantage l'usage rationnel des médicaments"
Ces deux études, réalisées à 10 ans d'intervalle dans le Sud-ouest de la France, montrent donc que les médecins prescripteurs, pédiatres, généralistes, maîtres de stage ou non, ont tendance à prescrire  fréquemment hors AMM en pédiatrie.
 
Les auteurs soulignent que les programmes d'incitation à la recherche privée et publique n'ont abouti, pour le moment, qu'à une extension limitée des AMM pédiatriques pour les médicaments les plus fréquemment prescrits.  

Résultat, même s'il semble bien toléré, le taux de prescription hors AMM reste élevé, ce qui devrait inciter, selon les auteurs, les autorités de santé "à redoubler d'efforts pour promouvoir un usage rationnel du médicament et faire évoluer les habitudes de prescription".
 
Pour aller plus loin :
Etude objet de cet article :
Aurore Palmaro, MSca, Raphael Bissuel, MDb, Nicholas Renaud, MSca, Geneviève Durrieu, PharmD, PhDa, Brigitte Escourrou, MDb, Stephane Oustric, MDb, Jean-Louis Montastruc, Maryse Lapeyre-Mestre, MD, PhDa. Off-Label Prescribing in Pediatric Outpatients. Pediatrics 2015 ; 135(1) : 49-58
 
Première etude du même type, réalisée par la même équipe il y a 10 ans :
Horen B, Montastruc JL, Lapeyre-Mestre M. Adverse drug reactions and off-label drug use in paediatric outpatients. Br J Clin Pharmacol. 2002;54(6):665–670
 
Autres études citées par les auteurs et mentionnées dans cet article :
Bocquet A, Chalumeau M, Bollotte D,Escano G, Langue J, Virey B. Comparaison des prescriptions des pédiatres et des médecins généralistes : une étude en population en Franche-Comté sur la base de données de la caisse régionale d'assurance maladie [Comparison of prescriptions by pediatricians and general practitioners: a population based study in Franche-Comte from the database of Regional Health Insurance]. Archives de Pédiatrie 2005;12(12):1688–1696
Smyth RM, Gargon E, Kirkham J, et al. Adverse drug reactions in children— a systematic review. PLoS ONE. 2012;7(3): e24061
Sources

Commentaires

Ajouter un commentaire
En cliquant sur "Ajouter un commentaire", vous confirmez être âgé(e) d'au moins 16 ans et avoir lu et accepté les règles et conditions d'utilisation de l'espace participatif "Commentaires" . Nous vous invitons à signaler tout effet indésirable susceptible d'être dû à un médicament en le déclarant en ligne.
Les plus récents
Les plus récents Les plus suivis Les mieux votés
AMTM Il y a 4 mois 1 commentaire associé

Bonjour,

est-il possible d'avoir les sources ou les auteurs svp car je souhaite traiter mon mémoire sur les médicaments hors mma

Signaler un contenu inapproprié

Vous venez de signaler ce commentaire. Confirmez-vous votre choix?

+0 -0
Modérateur Rhumatologie Il y a 4 mois 0 commentaire associé

Bonjour,

Tout d'abord, je tiens à vous rappeler que cet article date de 2015.

Les références de Horen B et coll. et Smyth RMD et al. sont directement accessibles en cliquant sur les liens situés dans l'article. Pour l'article de Palmero A , vous pourriez contacter l'auteur dont l'adresse mail est indiquée.

 

Pour recevoir gratuitement toute l’actualité par mail Je m'abonne !
Presse - CGU - Données personnelles - Politique cookies - Mentions légales - Contact webmaster