
Les professionnels de santé sont sollicités par leurs patients par téléphone, mais aussi, de plus en plus, par mail (illustration).
VIDAL : Si le patient pose une question par mail sur sa santé ou un effet secondaire d'un médicament, comment y répondre "judiciairement correctement" ?
Patrick de la Grange : Il est à mes yeux toujours un peu dangereux de répondre à un mail en 5 minutes : l'information prodiguée est forcément tronquée, réduite, rapide et n'est donc pas forcément totalement appropriée. La responsabilité du médecin peut pourtant être engagée sur un mail de 3 lignes qu'il a juste voulu envoyer pour rassurer un patient. Je ne dis pas qu'il ne faut pas le faire, mais qu'il faut être très mesuré et précautionneux lorsqu'on envoie un mail à ses patients, surtout si c'est pour leur dire "ne vous inquiétez pas, tout va bien". Même cette simple information peut-être extrêmement dangereuse, si malheureusement tout n'allait pas bien...
VIDAL : Les médecins peuvent-ils répondre aux questions des patients posées via un site d'information santé ?
Patrick de la Grange : Certains médecins donnent effectivement leur avis sur de tels sites. Cela peut être très bien, mais seulement si cela reste général, il ne faut jamais que cela devienne particulier. D'abord il y a un problème de secret médical : on ne peut pas faire une prescription via un site médical, c'est impossible [NDLR : la téléprescription n'est pas permise par le droit français]. Qu'un médecin donne une information générale sur une pathologie en général, j'insiste sur "général", c'est-à-dire donner des informations que l'on peut trouver dans un dictionnaire médical, pourquoi pas ? Mais à mon avis cela serait folie d'aller plus loin, et surtout de rentrer dans une espèce de discussion informatique avec un patient qu'on ne connaît pas, simplement pour l'aider à la limite, sauf que ce n'est pas le rôle d'un médecin que de faire des prescriptions via Internet.
VIDAL : Faut-il adopter la même prudence avec les éventuels appels vidéos de patients (ex : Skype) ?
Patrick de la Grange : Aujourd'hui, aucun décret n'est paru, en tout cas à ma connaissance, sur la télémédecine en particulier. Donc, je ne crois pas qu'il y ait quoi que soit d'organisé par exemple, pour un médecin qui voudrait faire des consultations par Skype [NDLR : de telles téléconsultations vidéo existent localement, par exemple en gériatrie, psychiatrie ou dermatologie, mais elles sont réalisées à titre purement expérimental, comme des études cliniques disons].
La question que je poserais en tant qu'avocat et en tant que non-médecin, c'est quelle serait la valeur d'une consultation qu'un médecin pourrait faire via un écran d'ordinateur, via Skype ? Parce que je crois savoir quand même qu'il est capital de pouvoir ausculter, examiner physiquement un patient, ce que la médiation d'un écran ne permet pas de le faire. Par exemple, vous ne pouvez pas physiquement, matériellement, prendre la température à quelqu'un, donc si quelqu'un vous dit, via Skype ou ce que vous voulez, "j'ai 38° de fièvre", comment savoir s'il a pris correctement sa température ? Comment faites-vous pour vérifier qu'il a effectivement 38, 39 ou 40 alors que le fait d'être à 38,5 et à 40 ce n'est pas du tout la même chose et ce n'est peut-être pas le même degré d'urgence ?
Tant que le législateur n'a rien adopté comme mesure, comme norme, notamment en matière de télé consultation, télémédecine ou tout ce que l'on pourrait imaginer dans le futur, aujourd'hui je crois qu'il faut rester extrêmement prudent et se limiter strictement. Même si vous avez la personne au téléphone, à la limite via un site Internet qui aurait permis à des médecins d'être mis en relation téléphonique avec les patients, tant que vous n'avez pas la personne en face de vous, que vous n'avez pas pu la consulter, que vous n'avez pas l'ausculter et que vous n'êtes que dans la situation finalement dans laquelle peut être un médecin régulateur du Samu au 15, je crois qu'il faut être extraordinairement prudent, se limiter à des conseils très basiques et au moindre doute, lui dire d'aller aux urgences ou d'aller consulter son médecin traitant.
VIDAL : Toutes ces précautions vont compliquer le déploiement de la télémédecine. A-t-elle tout de même un avenir ?
Patrick de la Grange : L'intérêt du patient, je pense, doit être le guide absolu dans ce qu'il sera possible et interdit de faire. On améliore la santé du patient, on lui apporte un service et une aide, il faut le faire. On met en danger le patient, il ne faut pas le faire. Quelqu'un qui vous dit "j'ai 38, c'est grave Docteur ?" Vous ne pouvez pas lui répondre. Même si vous en avez envie, dans 99 % des cas ce sera parfait de lui dire de ne pas s'inquiéter et d'aller au lit, mais dans 1 % des cas, ce sera, je dis n'importe quoi, un choc septique, et vous allez prendre le risque que quelqu'un aille au lit alors qu'il aurait dû aller aux urgences.
Par contre, si on a une infirmière auprès du patient qui téléconsulte, au moment où ce dernier appelle le médecin et si cette infirmière peut déjà faire des constatations qui ne sont plus totalement subjectives (comme les constatations du patient sur lui-même, qui va dire ce qu'il ressent mais de manière très subjective), cela fera déjà un premier tri objectif ([NDLR : voir par exemple cette présentation du robot de téléprésence RP-VITA, aux Etats-Unis, utilisé pour télé-consulter à l'hôpital avec l'aide d'une infirmière]. Dans ce type de situation, nous sommes déjà dans une démarche de diagnostic un petit peu plus sécurisée. Ce sont les médecins et les professionnels de santé eux-mêmes qui vont éclairer le législateur sur ce qu'il est possible ou non de faire, ce qui permettra de déterminer, au fur et à mesure, les limites de la télémédecine.
Propos recueillis le 19 décembre 2014 au Cabinet de la Grange et Fitoussi
En savoir plus :
Décret n°2010-1229 du 19 octobre 2010 relatif à la télémédecine, Journal Officiel, 21 octobre 2010
Sur VIDAL.fr :
Hôpital : la FDA approuve pour la première fois l'utilisation d'un robot de téléprésence (février 2013)
Sources
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