
La présence de logos d'information nutritionnelle pourrait aider les consommateurs dans leurs choix alimentaires (illustration).
VIDAL : Comment améliorer l'information nutritionnelle du grand public ?
Serge Hercberg : Il faut que nous rendions la composition nutritionnelle des aliments plus claire plus transparente. Un simple logo permettrait de comparer les aliments : lorsque vous êtes devant une jungle de produits alimentaires dans votre supermarché avec des céréales petit-déjeuner, vous les pensez toutes équivalentes, mais certaines sont de moins bonne qualité nutritionnelle que d'autres. Nous avons par travaillé sur une vingtaine de pizzas aux fromages actuellement sur le marché: elles n'ont pas du tout la même composition nutritionnelle… Si nous avons fait beaucoup d'études et si nous sommes dotés d'une bonne vue, nous pouvons peut-être nous y retrouver en regardant les étiquettes situées sur la face arrière des emballages.
Mais il suffirait de mettre en place un système extrêmement simple permettant de comparer les pizzas aux fromages entre elles, ce qui permettra de déterminer facilement celle qui est mieux que l'autre. Certes, si je suis attaché à la marque, au prix, je prendrai celle qui m'intéresse le plus, mais un tel logo permettrait d'intégrer cette transparence dans le choix alimentaire du consommateur.
VIDAL : Faut-il aussi majorer les taxes des produits les plus délétères ?
Serge Hercberg : Si nous taxons des aliments qui ne sont pas de bonne qualité nutritionnelle, nous pouvons penser qu'il y a des marges de manœuvre et donc, nous pourrons espérer que suite à cette taxe, l'industriel retire un petit peu de gras, de sucre et de sel. Nous ne lui demandons pas de l'enlever, nous ne lui demandons pas de changer de goût mais il y a des possibilités d'amélioration et donc il nous faut des moyens pour encourager ces améliorations : si la taxe était proportionnelle à la qualité nutritionnelle et bien nous verrions que les industriels baisseraient, modérément, mais de façon significative le gras, le sucre et le sel pour payer moins de taxes.
La France a déjà utilisé un système des taxes puisqu'en 2012, une taxe a été instaurée par le Parlement sur les sodas, sur les boissons qui contiennent du sucre ajouté ou des édulcorants qui donnent le goût sucré. Cette taxe, qui a été très décriée, a été efficace. Bien sûr, elle a tout d'abord rapporté 280 millions d'euros à l'État. Cette somme n'a malheureusement peut-être pas été affectée à la santé publique, mais nous avons observé d'autres conséquences positives : le marché des sodas, qui était en augmentation constante de plus de 2 % par an depuis de nombreuses années, a chuté de 4 % après la mise en place de cette taxe. Et ce n'est pas un effet conjoncturel qui pourrait être dû au mauvais temps, à la pluie ou au froid incitant les gens à boire moins de sodas car, en parallèle, les achats d'eau en bouteille ont augmenté.
VIDAL : Cette "taxe sodas" pourrait donc être suivie de taxes similaires sur le gras et le sel ?
Serge Hercberg : Cette taxe n'est pas juste car elle forfaitaire : il suffit qu'il y ait du sucre pour être taxé, peu importe la quantité. Donc si un industriel diminue la quantité de sucre dans ses sodas, il continuera à payer la même taxe que celui qui n'a pas fait cet effort de vertu. Nous proposons aujourd'hui que ces taxes, sur le sucre, mais aussi sur le gras et le sel, elles soient proportionnelles. S'il y a beaucoup de gras, de sucre et de sel, l'industriel paie le montant maximum de taxes. Par contre, s'il diminue le gras, le sucre et le sel, ses taxes diminuent d'autant. Le fruit de ces taxes pourrait tout à fait servir à financer les subventions pour les aliments de bonne qualité nutritionnelle.
Donc il ne faut pas seulement pénaliser des aliments, il faut également donner aux consommateurs une alternative, avec des aliments qui deviennent plus accessibles. En modulant la TVA de certains aliments, il est possible de les rendre beaucoup plus accessibles. Il serait également possible de financer des coupons fruits et légumes, ou des tickets sport.
VIDAL : Faut-il, dans ce cas, taxer également l'alcool, autre facteur de déséquilibre nutritionnel ?
Serge Hercberg : L'alcool ne rentre pas actuellement dans le domaine de la nutrition, c'est un domaine spécifique qui est plutôt du domaine de l'information, mais nous sommes bien sûr dans la même dynamique : il ne faut pas seulement générer de l'information et de la communication, des bandeaux ou des logos soulignant le fait que ces produits sont dangereux, il faut également jouer sur les aspects économiques. Il faudrait en effet augmenter les taxes, interdire les "Happy Hours" [NDLR : périodes où les prix sont baissés dans les bars], interdire les promotions au volume, pour l'alcool comme, d'ailleurs, pour les sodas : il faudrait interdire les fontaines à sodas à volonté dans les structures de restauration collective, comme nous commençons à en voir apparaître [cf. Sodas à volonté au fast food : «Une offre irresponsable», interview du Pr Herberg sur lefigaro.fr].
Il faudrait aussi interdire, dans les supermarchés, les promotions au volume pour des aliments qui ne sont pas de bonne qualité nutritionnelle. Que l'on fasse la promotion au volume des fruits et des légumes, des produits céréaliers complets, du poisson, tant mieux, c'est très bien, mais lorsque ce sont des aliments gras, sucrés ou salés qui ne sont pas les plus intéressants, c'est un peu dommage que l'on pousse à leur consommation excessive , ce qui nuit à la qualité de l'état nutritionnel.
VIDAL : Que pensez-vous des édulcorants ? Faut-il encourager leur consommation ?
Serge Hercberg : Le problème des édulcorants est extrêmement complexe. L'avantage, c'est qu'ils n'entraînent pas d'apport calorique. Du côté inconvénients, des doutes ont actuellement cours sur d'éventuels effets délétères au niveau de certaines fonctions cérébrales et intestinales [NDLR : une étude, publiée en septembre 2014 dans Nature, montre par exemple que, chez la souris, les édulcorants artificiels induiraient 1 intolérance au glucose en modifiant la flore intestinale]. L'autre inconvénient est le maintien du goût, de l'appétence pour le sucre. Il faut donc, d'un côté, avancer sur les connaissances, sur les risques et avantages éventuels liés aux édulcorants, mais d'un autre côté, jouer en diminuant également le pouvoir sucrant des édulcorants. C'est-à-dire que si l'on veut avoir aujourd'hui un effet sur la consommation de sucre, il faut également que l'on fasse perdre le goût pour le sucré, et donc il faut diminuer le pouvoir sucrant des édulcorants. Nous luttons contre le sucre et ce que nous expliquons, c'est que pour l'instant l'alternative des édulcorants peut être intéressante dans certains cas, mais elle n'est pas à elle seule la seule possibilité à réagir à la problématique du sucre. Il faut que nous luttions contre le sucre et que nous luttions également pour le goût sucré et là, il faut aussi que nous agissions au niveau des édulcorants.
Propos recueillis le 21 octobre 2014 à l'Unité de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle (UREN) de l'Université Paris 13 (Hôpital Avicenne, Bobigny).
En savoir plus :
Le site de NutriNet Santé
Logos d'information nutritionnelle en forme de feux tricolores, Communiqué de Presse de la coordination de l'étude NutriNet-Santé, 12 mars 2014
Propositions pour un nouvel élan de la politique nutritionnelle française de santé publique dans le cadre de la Stratégie nationale de santé - 1ère partie : mesures concernant la prévention nutritionnelle, Pr Serge Hercberg, janvier 2014
Article 46 : Instauration d'une contribution sur les boissons contenant des sucres ajoutés, Projet de loi de finances 2012
Sodas à volonté au fast food : «Une offre irresponsable», interview de Serge Hercberg, Le Figaro, septembre 2014
Artificial sweeteners induce glucose intolerance by altering the gut microbiota, Nature, septembre 2014
Sur VIDAL.fr :
Greffe de flore intestinale : les recommandations de l'ANSM pour améliorer la sécurité (juin 2014)
Etude (Inserm) : le suivi étroit des recommandations nutritionnelles du PNNS diminuerait le risque cardiovasculaire (novembre 2013)
MetaGenoPolis, une initiative pour mieux comprendre les milliards de bactéries du microbiote intestinal (août 2013)
Sources
Pour recevoir gratuitement toute l’actualité par mail Je m'abonne !
Les commentaires sont momentanément désactivés
La publication de commentaires est momentanément indisponible.