
Médecin généraliste (illustration). La vidéo d'Emmanuel Hirsch est accessible ci-dessous.
VIDAL : Comment appréhendez-vous le rôle des médecins généralistes dans le système actuel ?
Emmanuel Hirsch : Si je vous disais toute l'admiration que j'ai pour les médecins généralistes, elle est sincère, alors que j'évolue plutôt dans un contexte hospitalier. Les médecins généralistes sont souvent les derniers filets de la société. Certes, il y a toute une représentation d'une médecine à l'acte et d'une productivité, mais cette représentation est loin de la réalité : les médecins généralistes supportent une charge de plus en plus lourde à mesure du désinvestissement d'un certain nombre de relais, et donc j'ai beaucoup d'admiration. Les médecins généralistes ont une vision de la société qui est très différente de celle des médecins hospitaliers, qui vivent dans leur univers.
Il faut aussi avoir le privilège de pouvoir consulter un médecin généraliste, ce qui n'est pas toujours évident aujourd'hui dans le contexte actuel. Il y a aussi toutes ces structures qui sont regroupées, dans des cabinets, avec une transversalité et des échanges. Je ne suis pas un politique, mais je pense que ce tissu de médecins généralistes représente un lieu d'enracinement important et qu'il y a vraiment à réfléchir. Je pense qu'il faut privilégier ce tissu.
VIDAL : Les politiques se rendent-ils compte de ce rôle clef des médecins généralistes sur le territoire ?
Emmanuel Hirsch : J'ai le sentiment, mais c'est très intuitif, qu'il y a souvent de l'irrespect et de la méconnaissance pour ce que les médecins généralistes font sur le terrain au quotidien. Parce qu'effectivement, il y a l'acte. On peut dire qu'il existe du "sur-acte", une espèce de stakhanovisme mais lorsque vous allez sur le terrain, et je l'ai fait, pour différentes raisons, j'ai quand même pu observer des différences dans l'investissement selon les circonstances, qu'il s'agisse d'une personne plutôt seule ou d'un renouvellement de traitement… Je veux dire que nous sommes dans des configurations où ce qui est intéressant, c'est la dynamique d'un lien : ce n'est pas tout moment qu'il faut consacrer tout le temps nécessaire, mais il faut le faire, par exemple, lorsqu'on anticipe quelque chose de grave. C'est pour cela que si le médecin peut avoir le compte rendu de ce qui s'est passé à l'hôpital, en réel, immédiatement, comme c'est prévu par la future loi de santé, ce sera déjà un plus.
VIDAL : Que pensez-vous de la création de nouveaux métiers pour tenter d'améliorer le parcours de soins ?
Emmanuel Hirsch : Il y a déjà eu les "case managers", les gestionnaires de cas pour la maladie d'Alzheimer… On parle de plus en plus de ces compétences intermédiaires qui permettent à la personne d'être soutenue dans son parcours, et ce n'est pas uniquement à l'Assurance Maladie de le faire par téléphone [NDLR : allusion au programme Sophia]. Il faut arriver à déterminer de quelle manière il y a besoin de davantage de liant. J'ai trouvé très intéressant le rôle des infirmières référentes : tous les gens vous disent que c'est bien d'être dans un centre anticancéreux à la pointe du progrès et que cela va vous apporter les meilleurs traitements possibles. Mais pour vivre la maladie au quotidien, si vous n'avez pas l'impression qu'il y a une cohérence, si vous n'avez pas l'impression que vous pouvez, à un moment donné, vous adresser à une personne pour exprimer votre ressenti, votre sentiment personnel, que vous n'osez pas dire à des proches pour les épargner…
Tous ces éléments me font penser qu'il faut du liant. Et je trouve que dans sa définition même, la dimension éthique est une dimension qui appelle à la cohérence d'une certaine manière, pas à un modèle unique, mais à retrouver des éléments qui à un moment donné peuvent être mobilisés pour retrouver du sens, pour retrouver du goût, pour retrouver encore une envie de vivre.
VIDAL : Que pensez-vous du développement annoncé de l'ambulatoire ?
Emmanuel Hirsch : Je vois quelque chose qui me paraît de l'ordre du paradoxe, qu'il faudrait quand même mieux investiguer, c'est le fait que l'on donne du temps ou du sur-temps ou surplus de temps à la vie, mais l'existence n'est pas toujours conciliable avec ce que les personnes éprouvent : précarité économique, vision péjorative, difficulté à se faire hospitaliser quand on a besoin d'être hospitalisé dans l'urgence… Le domicile n'est pas un lieu aussi idéal qu'on le pense. L'ambulatoire, une fois qu'on a dit le mot, qu'est-ce que cela veut dire ? Quel type d'environnement ? Bref, ce sont des idées qui sont des recettes, un petit peu stéréotypées, que l'on n'interroge pas assez. Je pense qu'il faut rentrer dans la nuance : peut-être moins promettre, d'un point de vue médical idéalisé, et être plus juste en quelque sorte. Ce qui m'intéresse, c'est la justesse d'une position.
Propos recueillis le 29 septembre 2014 à l'Espace éthique de la région Ile-de-France, CHU Saint Louis, Paris
En savoir plus :
Le site de l'Espace éthique de la région Ile-de-France
Le site personnel d'Emmanuel Hirsch
Sources
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