
VIDAL : Combien de médicaments par jour prennent les plus de 70 ans ?
Dr Christophe Trivalle : Les médicaments, en moyenne après 70 ans, c'est 4 à 6 par jour, quel que soit le pays considéré : toutes les études montrent les mêmes résultats, que ce soit en Europe du nord, aux États-Unis ou au Japon, on tombe toujours à une moyenne à peu près de 5 médicaments. Il faut bien reconnaître aussi que si vous avez une pathologie cardio-vasculaire et que vous allez voir un cardiologue, vous arrivez tout de suite quasiment à 5 médicaments. Cela va très vite, entre les antihypertenseurs, les statines, les traitements type aspirine... Rapidement les sujets âgés on plusieurs médicaments avec un risque d'iatrogénie important. Le risque semble commencer vraiment au-delà de 7 molécules différentes.
VIDAL : Comment tenter de diminuer ce risque de iatrogénie ?
Dr Christophe Trivalle : C'est vrai que l'idée c'est quand même de pouvoir diminuer le plus possible. Mais on ne peut pas se fixer des objectifs du type "3 médicaments par jour", c'est impossible. Il faut quand même travailler avec une certaine logique et une certaine efficacité par rapport aux pathologies. Souvent quand même, la plupart du temps les médicaments sont justifiés et il faut donc arriver à être prudent et à respecter les règles de bonne prescription.
VIDAL : Quelles sont les interactions médicamenteuses les plus fréquentes ?
Dr Christophe Trivalle : Il y a tout ce qui est anticoagulant et interaction. Les interactions entre médicaments sont assez multiples, nombreuses. Il y a tout ce qui concerne le cytochrome P450 au niveau du foie. Il y a même les interactions maintenant que l'on connaît un peu, avec les aliments : par exemple lorsque l'on boit du jus de pamplemousse il y a plein de médicaments qu'on ne peut pas prendre simultanément. La complexité des choses fait que l'on a besoin de faire de la formation continue, de se tenir au courant de toutes ces nouveautés et chez le sujet âgé, ce n'est pas toujours facile de bien analyser toutes les conséquences possibles de la prescription d'un médicament.
VIDAL : Comment gérez-vous, en gériatrie, l'arrivée de nouveaux médicaments ?
Dr Christophe Trivalle : j'ai un peu une règle : disons qu'au-delà de 80 ans, j'essaye d'éviter les nouveaux médicaments. Parce qu'il y a quand même un peu de recul, il y a eu des anti- parkinsoniens, il y a eu les antibiotiques, différentes molécules qui ont été mises sur le marché mais qui n'avaient pas été étudiées au-delà de 80 ans et on est quasiment sûrs que si l'on a un accident, c'est chez quelqu'un de plus de 80 ans que l'on va l'avoir.
Avec les nouveaux anticoagulants oraux (il paraît que maintenant que l'on dit anticoagulant oral direct, AOD), l'effet secondaire principal, la grosse différence ce serait le risque accru d'hémorragies digestives. Et nous, effectivement, les 2 ou 3 personnes que j'ai vues avec ces médicaments ont eu des hémorragies digestives. C'est peut-être moins grave une hémorragie digestive qu'une hémorragie cérébrale mais pour l'instant, il n'y a pas de surveillance, on n'a pas de test pour surveiller et on n'a pas d'antidote, donc c'est un peu risqué d'aller prescrire ces médicaments après 80 ans. Mais cela commence à se faire et il y a des études qui sont mises en place avec des registres de surveillance, chez les gens âgés notamment, par la Société Française de Gériatrie et Gérontologie.
VIDAL : Y-a-t-il d'autres mesures de précaution particulières à prendre avec les médicaments en gériatrie ?
Dr Christophe Trivalle : Chez le sujet âgé, la difficulté c'est que, notamment, il y a des modifications pharmacocinétiques soit au niveau de l'absorption, soit au niveau de la diffusion ou de l'élimination et il faut donc tenir compte de cela par rapport aux médicaments. La principale c'est l'élimination rénale avec le calcul de la clairance de la créatinine. La règle, c'est plutôt d'utiliser la formule de Cockcroft, qui est une formule qui sous-évalue la clairance mais, du coup, qui entraîne la plus grande prudence par rapport aux médicaments. Alors que l'équation MDRD (Modification of Diet in Renal Disease) a plutôt tendance, chez les sujets âgés, à surestimer la clairance, surtout chez la femme de petit poids : chez l'homme, en règle générale cela fait à peu près les mêmes calculs, mais chez la femme de petit poids il y a une grosse différence.
Il faut aussi prendre en compte le volume de diffusion : on sait qu'avec l'âge, il y a une accumulation de graisses, donc les médicaments lipophiles ont un volume de distribution plus important et vont s'accumuler. C'est par exemple le cas des patchs de Durogesic, la morphine en patch, où il y a une accumulation. Lorsqu'on enlève le patch, normalement déjà l'effet se prolonge 48 à 72 h, mais chez les sujets âgés cela peut se prolonger encore plus longtemps. Donc il y a tout un tas d'éléments comme cela qui sont à connaître et qui sont à mesurer, à évaluer, imposant d'être précautionneux au moment où l'on utilise tel ou tel type de médicaments.
Propos recueillis par Jean-Philippe Rivière le 19 mars à l'Hôpital Paul Brousse (Villejuif).
En savoir plus :
- "Interactions médicamenteuses et cytochromes", ANSM
- "Interaction médicaments et pamplemousse - Point d'information", ANSM, 2012
- "Estimation de la fonction rénale par l'équation MDRD : intérêt et limites pour l'adaptation des doses de médicaments", Françoise Livio, Jérôme Biollaz, Michel Burnier, Rev Med Suisse 2008;4:2596-2600
Sur VIDAL.fr : "Nouveaux anticoagulants oraux (NACO) : état des lieux et plan d'actions pour renforcer leur bon usage", novembre 2013
Sources
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