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IA en oncologie: "Le potentiel est énorme mais l'enjeu maintenant, c'est la qualité, pas la quantité"

La Dr M. Aldea, oncologue médicale à Gustave Roussy, très impliquée dans l’IA et membre du comité scientifique du premier congrès "AI & Digital Oncology", présente les applications actuelles et futures de l’IA dans ce domaine en distinguant trois grandes catégories d’outils.

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"AI & Digital Oncology" organisé par l’ESMO s’est déroulé du 12 au 14 novembre 2025 à Berlin.bluejayphoto / iStock / Getty Images Plus / via Getty Images

La Dr Mihaela Aldea, oncologue médicale à Gustave-Roussy (Villejuif, Val-de-Marne) très impliquée sur le sujet de l'intelligence artificielle (IA) en oncologie, estime que cette avancée technologique présente un potentiel "énorme" qu'il est désormais nécessaire de cadrer et de valider, a-t-elle expliqué à APMnews à l'occasion du premier congrès "AI & Digital Oncology" organisé la semaine dernière à Berlin par l'European Society for Medical Oncology (ESMO).

"L'IA est déjà partout autour de nous en cancérologie, mais souvent de façon fragmentée, avec beaucoup de promesses, de hype [battage médiatique]… et aussi pas mal de méfiance", fait remarquer l'oncologue d'origine roumaine, et "il devenait urgent de mettre tout le monde dans la même pièce -oncologues, pathologistes, radiologues, data scientists, industriels, régulateurs et patients- pour parler un langage commun".

Pour celle qui a fait partie du comité scientifique de ce premier congrès spécialisé, l'idée derrière celui-ci "était de passer d'une fascination un peu abstraite pour l'IA à des questions très concrètes: quelles applications apportent vraiment quelque chose aux patients? Quelles données et quelles validations sont nécessaires? Comment éviter à la fois le rejet par peur et l'enthousiasme naïf?"

"L'IA n'est plus un sujet purement théorique", constate-t-elle, "il existe déjà des outils utilisés en vie réelle pour l'imagerie, l'anatomopathologie ou l'organisation des soins".

Elle présente l'"IA en cancérologie" comme "un écosystème de briques technologiques très différentes". Trois grandes catégories d'outils se distinguent notamment:

  • les algorithmes d'analyse d'image (scanner, IRM, PET, lames d'anatomopathologie…), qui permettent de "segmenter des lésions, quantifier un biomarqueur ou prédire un risque de récidive"
  • les grands modèles de langage (LLM, pour large language models, dont fait partie ChatGPT*) capables de rédiger des comptes rendus, aider à la préparation des réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP), extraire des informations des dossiers patients… ou de servir de chatbots pour les patients et les professionnels
  • des "biomarqueurs d'IA au sens strict".

Ces biomarqueurs d'IA ont été divisés en trois classes: la classe A regroupe ceux qui permettent de mesurer un biomarqueur déjà validé, par exemple PD-L1; la classe B rassemble ceux capables de prédire un biomarqueur connu à partir d'une autre source que celle usuellement utilisée, par exemple prédire une mutation à partir d'une lame histologique; et la classe C1/C2 est celle des nouveaux biomarqueurs purement issus des données, avec un caractère pronostique ou prédictif de réponse.

De même, trois types de LLM ont été clairement identifiés: ceux utilisés par les patients (pour orientation et information), ceux qui sont destinés aux soignants (aide à la décision, rédaction, traduction) et les systèmes "en arrière-plan", intégrés aux systèmes d'information hospitaliers (extraction de données, alertes…).

Ces deux structurations proviennent de deux guides encadrés par l'ESMO et à la rédaction desquels a largement contribué l'oncologue de Gustave-Roussy: l'EBAI (ESMO Basic Requirements for AI-Based Biomarkers in Oncology) sur les biomarqueurs d'IA, qui paraîtra mardi dans Annals of Oncology, et l'ELCAP (ESMO Guidance on the Use of Large Language Models in Clinical Practice) sur les LLM, publié par l'ESMO il y a un mois lors de son congrès annuel à Berlin.

Avec tous ces différents outils, "le potentiel est énorme", estime la Dr Aldea, "mais l'enjeu maintenant, c'est la qualité, pas la quantité".

Règles d'usage et standards de qualité

Elle constate en effet des niveaux "de maturité variables" et de validation "très hétérogènes" entre ces outils. Pour "certaines tâches techniques" comme le triage et l'analyse d'images ou l'aide à la planification en radiothérapie, la recherche est "avancée" avec déjà des produits marqués CE ou homologués aux États-Unis. En revanche, pour les biomarqueurs d'IA de classe C, "la plupart des travaux sont encore au stade de validation" et "il y a encore trop peu d'essais prospectifs intégrant réellement ces outils dans la décision thérapeutique".

Concernant les LLM, "[ils] sont arrivés extrêmement vite dans notre quotidien" et "la courbe d'adoption va plus vite que la courbe des preuves", constate-t-elle. "Les professionnels et les patients les utilisent déjà, alors que les données de validation formelle restent limitées." C'est en réponse à cette adoption "en grande partie non encadrée" que les recommandations ELCAP ont été établies.

Ce guide a donc cherché à "donner des règles simples mais fermes" sur l'usage des LLM. Cela comprend "une supervision humaine obligatoire", "une confidentialité des données", "l'interdiction de laisser un LLM décider seul d'un traitement" et des nécessités de "transparence vis-à-vis du patient" et "de valider ces outils comme n'importe quel dispositif médical", résume la Dr Aldea.

"L'objectif n'est pas de freiner l'innovation", commente-t-elle, "mais d'éviter un usage sauvage des LLM qui mettrait en danger la confiance des patients et des soignants".

Pour les biomarqueurs d'IA, l'enjeu derrière EBAI était plutôt de formaliser "des standards de qualité" et "des exigences minimales de validation". Cela va d'exigences de concordance et d'études analytiques pour la classe A à une validation prospective en essai clinique pour la classe C2.

Ces deux guides répondent aussi au besoin de fixer "un langage commun entre cliniciens, data scientists, industriels et régulateurs" et "des critères minimaux de validation harmonisés". "Le but n'est pas que chaque centre réinvente ses propres règles, mais que l'on converge vers un socle commun de bonnes pratiques pour que l'IA devienne réellement un outil fiable au service des patients", résume la Dr Aldea.

"Faire plus rapide, plus équitable et plus cohérent"

Mihaela Aldea remarque par ailleurs que globalement, les progrès réalisés dans l'IA en oncologie "sont assez transversaux, car beaucoup d'outils d'IA en imagerie et en [anatomopathologie] ne sont pas spécifiques à un seul cancer". "La maturité de l'IA dépend moins du type de cancer que de la disponibilité des données, de l'organisation locale et de la capacité des équipes à participer à des projets de validation", souligne-t-elle.

Dans le cas du cancer du poumon, sa spécialité, elle cite justement des applications existantes en imagerie thoracique, pour aider au dépistage et au suivi des nodules par exemple, et souligne que certaines solutions sont déjà intégrées dans les consoles de radiologie et de radiothérapie. En anatomopathologie, il existe des algorithmes pour quantifier PD-L1, pour évaluer la réponse pathologique sur les pièces opératoires ou pour explorer des signatures histologiques associées à des altérations moléculaires, mais ce ne sont pas encore des standards de routine.

Ce que l'oncologue aimerait avoir est un biomarqueur d'IA qui déciderait du traitement des patients atteints d'un cancer du poumon en pratique quotidienne. Des travaux sont en cours pour trouver de tels biomarqueurs.

Elle cite aussi plusieurs autres applications potentielles qui pourraient "vraiment changer la donne". Sur le plan clinique, ce serait d'avoir des biomarqueurs d'IA prédictifs de réponse aux traitements et des outils "de présélection moléculaire" pour améliorer la détection des altérations ciblables et ainsi l'accès à des thérapies personnalisées.

Du point de vue organisationnel, l'intérêt serait d'avoir "des systèmes de structuration automatique du dossier patient" qui permettraient d'"extraire les données clés, préparer les RCP [réunions de concertation pluridisciplinaires], identifier les essais cliniques pertinents et libérer du temps médical", et globalement d'avoir des outils qui permettent de réduire les délais: "temps d'interprétation des examens, temps pour obtenir un résultat exploitable, temps pour enclencher un traitement adapté".

"L'espoir, c'est de faire plus rapide, plus équitable et plus cohérent", résume-t-elle.

L'oncologue de Gustave-Roussy pointe enfin le besoin de formation des professionnels de santé. "L'IA ne remplacera pas le jugement clinique, mais le clinicien doit comprendre suffisamment ces outils pour savoir quand [leur] faire confiance… et quand dire non."

D'après une dépêche publiée dans APMnews le 17 novembre 2025.

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