Pollution : quand l’environnement menace la fertilité féminine

Source :The Conversation
Date de publication :30 octobre 2025
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La fertilité mondiale est en recul depuis plusieurs décennies. Si l’on connaît de multiples facteurs impliqués dans cet inquiétant phénomène, une partie des cas d’infertilité demeure sans explications. Un nombre croissant de preuves semble toutefois incriminer divers polluants environnementaux, en raison de leur capacité à perturber les cycles hormonaux.


Depuis plus de soixante-dix ans, un phénomène discret, mais de plus en plus préoccupant prend de l’ampleur dans le domaine de la santé reproductive : la fertilité mondiale connaît une baisse continue. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) dresse un constat alarmant : aujourd’hui, pour un couple sur six dans le monde, devenir parents s’apparente davantage à un rêve difficile à réaliser qu’à une perspective aisément envisageable.

Les raisons de cette situation, qui affecte aussi bien les hommes que les femmes, sont multiples : évolutions sociétales, choix de vie, facteurs médicaux… Mais ils ne suffisent pas à expliquer l’ampleur du phénomène. Pour l’expliquer, les chercheurs s’intéressent de plus en plus aux effets des polluants environnementaux, et en particulier à ceux des perturbateurs endocriniens.

Ces substances, avec lesquelles nous sommes en contact au quotidien, peuvent interférer avec le système hormonal, clé de voûte de la reproduction. Ces substances ont la capacité de dérégler notre système hormonal, pourtant essentiel au bon fonctionnement de la reproduction. Aujourd’hui, les preuves sont accablantes et mettent en cause leur rôle dans les troubles de la fertilité féminine. Explications.

Un recul important de l’âge de la première grossesse

L’âge demeure l’un des facteurs majeurs influençant la fertilité. En effet, les femmes naissent avec un stock limité d’ovules qui diminue progressivement au fil des années jusqu’à la ménopause. Ce processus naturel réduit les chances de conception au fil du temps, jusqu’à l’arrêt complet des règles, qui survient généralement entre 45 et 55 ans, (avec un âge moyen de 51 ans en France).

Or, au fil du XXe siècle, l’accès aux études, l’entrée massive des femmes sur le marché du travail, d’une part, et le coût élevé lié à l’éducation des enfants, d’autre part,ont modifié les stratégies familiales, repoussant toujours plus loin l’âge moyen de la première grossesse. Ainsi, en France, celui-ci ne cesse de reculer depuis les années 1970. En 2022, il atteignait 31 ans, alors qu’il était de 24 ans en 1974.

Facilité par un meilleur accès à la contraception, ce report de l’âge de la parentalité au-delà des 30 ans pose un véritable défi, car la fertilité féminine décline drastiquement après35 ans. Cette situation rend aussi plus complexe la prise en charge médicale des troubles de l’infertilité. En effet, plus le diagnostic d’infertilité est posé tardivement, plus le projet de devenir parents est mis en péril, car les traitements peuvent être longs.

Il faut souligner que les causes de l’infertilité ne se limitent pas uniquement à l’âge ; d’autres problèmes gynécologiques peuvent être impliqués. Parmi ceux-ci, on y trouve les anomalies utérines, le syndrome des ovaires polykystiques, les problèmes anatomiques, et l’endométriose.

Toutefois, en France, selon l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), 10 % à 25 % des cas d’infertilité sont aujourd’hui d’origine inexpliquée. Une partie de ces cas pourrait être due à l’exposition à des polluants environnementaux, qui interfèrent avec le système hormonal et perturbent les mécanismes de la reproduction.

Les polluants environnementaux, la face cachée de l’infertilité

On sait aujourd’hui que des problèmes d’infertilité peuvent résulter d’un certain nombre de facteurs environnementaux, tels que le tabagisme, la consommation excessive d’alcool ou encore l’obésité pour ne citer que les plus connus.

Depuis plusieurs années, différentes études scientifiques incriminent également les perturbateurs endocriniens, parmi lesquels on retrouve certains pesticides, d’être à l’origine de certains cas d’infertilité inexpliquée.

Selon l’OMS, un perturbateur endocrinien est :

« Une substance ou un mélange de substances qui altère les fonctions du système endocrinien et de ce fait induit des effets néfastes dans un organisme intact, chez sa progéniture ou au sein d’une population »

Pour le dire simplement, les perturbateurs endocriniens sont des substances qui ont la capacité d’interférer avec le système hormonal perturbant ainsi le cycle menstruel.

Aujourd’hui, nous sommes tous exposés à un large spectre de perturbateurs endocriniens, qu’il s’agisse de bisphénols (notamment le bisphénol A, mais pas uniquement), de pesticides tels que le chlorpyrifos, ou de substances telles que les polychlorobiphényles, les phtalates et leurs métabolites, etc.

Ces composés sont présents dans de nombreux produits du quotidien, par exemple les bouteilles en plastique, les contenants alimentaires, les revêtements internes des boîtes de conserve métalliques, les détergents, les microplastiques, les retardateurs de flamme, les appareils électroniques et même les produits cosmétiques…

Notre mode de vie, notre alimentation, les lieux que nous fréquentons, et même notre métierinfluencent notre exposition à ces substances, et certains sont plus exposés que d’autres : agriculteurs et agricultrices, personnes exerçant des métiers de la coiffure, de l’esthétique, fleuristes

Naturellement, vivre à proximité de zones polluées, comme un champ cultivé en utilisant des pesticides, par exemple, accroît de même le risque de contamination par des perturbateurs endocriniens.

Une mécanique hormonale finement régulée

L’exposition aux perturbateurs endocriniens peut avoir des effets particulièrement délétères chez la femme, car elle peut perturber le cycle menstruel.

Ce cycle naturel, qui prépare le corps à une éventuelle grossesse, est contrôlé par un ensemble d’organes qui communiquent entre eux grâce à des hormones : le cerveau (l’hypothalamus et l’hypophyse), les ovaires et l’utérus. Il repose sur deux processus qui se déroulent en parallèle.

L’un se déroule au niveau des ovaires, lesquels passent par plusieurs étapes au cours du cycle menstruel : développement des follicules contenant les ovocytes, libération d’un ovule prêt à être fécondé (l’ovulation), puis formation d’une structure temporaire appelée corps jaune qui permettra la continuité de la grossesse.

Le second processus se passe au niveau de l’utérus, qui se prépare à accueillir un futur bébé en épaississant sa paroi. Si la fécondation n’a pas lieu, cette muqueuse épaissie est éliminée par les voies naturelles : ce sont les règles.

Ce système est orchestré par plusieurs hormones essentielles, produites par les ovaires (œstradiol et progestérone) ainsi que par le cerveau (la GnRH, LH et FSH). C’est cette fine régulation hormonale qui permet au cycle menstruel de se dérouler chaque mois.

Une désorganisation, ne serait-ce que minime, de ce système millimétré, sous l’effet par exemple de perturbateurs endocriniens, peut se traduire par une infertilité dite « inexpliquée ».

Perturbateurs endocriniens et infertilité féminine

Des substances comme le bisphénol A, les phtalates et certains pesticides ont pu être liées à une accélération du vieillissement ovarien. En provoquant un stress oxydatif dans les follicules ovariens, elles endommagent les cellules impliquées dans le développement des ovocytes. Le contact avec ces substances se traduit par une diminution précoce de la qualitéet de la quantité des ovules disponibles.

Les perturbateurs endocriniens sont aussi soupçonnés de jouer un rôle dans un trouble plus grave, appelé insuffisance ovarienne précoce. Celui-ci se traduit par un arrêt définitif du fonctionnement des ovaires avant 40 ans. Cette pathologie entraîne une ménopause prématurée, des troubles hormonaux et des difficultés à concevoir.

On sait que l’insuffisance ovarienne précoce peut avoir des causes génétiques, mais certains perturbateurs endocriniens semblent être eux aussi impliqués. C’est par exemple le cas des dioxinesainsi que des perfluoroalkyls et polyfluoroalkyls (aussi nommés PFAS).

Mais ce n’est pas tout : les perturbateurs endocriniens interfèrent également avec la grossesse elle-même. Pour qu’une grossesse puisse survenir, il faut qu’un ovule arrive à maturité et soit libéré lors de l’ovulation. Or, les perturbateurs endocriniens perturbent ce processus de différentes manières.

Certains d’entre eux bloquent la maturation des ovules, empêchant le développement normal des follicules ovariens

D’autres entraînent un déséquilibre hormonal, en modifiant la production des hormones comme l’œstrogène et la progestérone, ce qui perturbe le cycle menstruel et réduit les chances d’ovulation.

Des impacts au-delà de la conception

Les perturbateurs endocriniens peuvent aussi altérer les récepteurs hormonaux. C’est par exemple le cas de substances telles que l’atrazine, un pesticide très répandu, qui diminuent la réponse des ovaires aux hormones essentielles à l’ovulation.

Tous ces mécanismes se traduisent à des perturbations de l’ovulation qui interfèrent avec la fécondation. La conséquence, chez certaines femmes exposées, est la survenue de problèmes de fertilité, voire, dans certains cas, d’une infertilité totale.

Enfin, les perturbateurs endocriniens peuvent aussi s’avérer problématiques lors des étapes qui suivent la fécondation. Pour qu’une grossesse survienne, la fécondation seule ne suffit pas : l’œuf ainsi formé doit ensuite parvenir à s’implanter correctement dans l’utérus. Il faut pour cela que la muqueuse utérine (appelée endomètre) soit réceptive.

Or, les perturbateurs endocriniens, en particulier le bisphénol A, perturbent également cette étape. Les conséquences peuvent être des fausses couches à répétition, des difficultés d’implantation de l’embryon ou les complications pendant la grossesse : dysfonctionnement du placenta(prééclampsie), retard de croissance du fœtus, etc.

Enfin, les perturbateurs endocriniens semblent aussi jouer un rôle dans le développement de l’endométriose. On peut prendre le cas du TCDD, un herbicide agissant comme perturbateur endocrinien, qui est associé à la sévérité de la maladie.

Ce que la science sait… et ce qu’elle ignore encore

Aujourd’hui, nous savons que certains polluants présents dans notre environnement, comme le bisphénol A, les phtalates, certains pesticides, les dioxines ou les PFAS, peuvent altérer la fertilité féminine en perturbant la réserve ovarienne, l’ovulation, l’implantation embryonnaire ou en favorisant des pathologies comme l’endométriose.

Cependant, de nombreuses zones d’ombre subsistent : la proportion exacte de cas d’infertilité liés à ces substances reste inconnue, notamment en raison de la difficulté à mesurer l’exposition réelle et de l’effet « cocktail », autrement dit les résultats des interactions entre différentes molécules (nous sommes en effet exposés simultanément à de nombreuses substances différentes).

Parmi les questions qui restent en suspens, quelle est la part exacte de ces polluants dans les cas d’infertilité ? Quels sont les effets combinés des expositions multiples ? Quelles périodes de la vie sont les plus vulnérables ?

Informer, prévenir, agir

Face à l’ampleur du fléau silencieux que représente l’infertilité, il est essentiel de conjuguer les efforts de la recherche à la prévention et à l’information du public. On peut ainsi espérer mieux comprendre les effets des perturbateurs endocriniens sur la fertilité féminine, et en limiter l’impact.

Adopter quelques gestes simples, tel que limiter l’usage des plastiques alimentaires ou opter pour des cosmétiques exempts de perturbateurs connus peut permettre de réduire son exposition. Si possible, mieux vaut également avancer le plus possible dans le temps son projet parental.

Il est également important que recherches et actions de prévention soient soutenues par les institutions. Celles-ci doivent veiller à ce que la dimension environnementale soit pleinement intégrée aux stratégies visant à améliorer la santé reproductive. Cela peut passer par des réglementations plus strictes et par un meilleur suivi de l’utilisation de ces substances, tout en préservant la responsabilité individuelle.

Agir dès aujourd’hui pour protéger la fertilité féminine, par des choix éclairés et par une mobilisation collective, permettra de préserver la santé reproductive des générations futures.

Auteurs

  1. Sophian Tricotteaux-Zarqaoui

    Doctorant, laboratoire Périnatalité et Risques toxiques (UMR_I 01), Université de Picardie Jules Verne (UPJV)

  2. Hafida Khorsi

    Professeur des universités en microbiologie, PériTox - Périnatalité et Risques Toxiques - UMR_I 01, UPJV / INERIS, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)

  3. Mariame Kabbour

    Doctorante, Université Hassan II Casablanca – AUF

  4. Marwa Lahimer

    Chercheuse associée - UMR-I 01 Périnatalité & Risques Toxiques (Peritox), centre universitaire de recherche en santé, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)

  5. Moncef Benkhalifa

    Professeur de médecine et biologie de la reproduction, Cecos de Picardie, CHU Amiens Picardie - chercheur UMR-I 01 Périnatalité & Risques Toxiques (Peritox), centre universitaire de recherche en santé, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)

Déclaration d’intérêts

Sophian Tricotteaux-Zarqaoui a reçu des financements de la région Haut de France dans le cadre de sa thèse

Hafida Khorsi, Mariame Kabbour, Marwa Lahimer et Moncef Benkhalifa ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l'article original.

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