Le Covid-19 est-il le pire fléau depuis 1900 ? Ce que révèlent les archives de la statistique régionale française

Source :The Conversation
Date de publication :16 septembre 2025
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La pandémie de Covid-19 a profondément bouleversé nos sociétés. Toutefois, en France, la surmortalité associée à cette crise a été bien moins sévère que celle de certaines crises passées, comme la grippe espagnole en 1918-1919. Mais derrière les moyennes nationales, de fortes inégalités territoriales se dessinent.

En comparant cinq grandes crises sanitaires depuis 1900, une étude de l’Institut national d’études démographiques met en lumière les spécificités du Covid-19, et ce qu’elles révèlent des réponses apportées par notre société.


Quelle a été la surmortalité entraînée par la pandémie de Covid-19 au cours de ses deux premières années, en 2020 et en 2021 ? De nombreux articles ont cherché à répondre à cette question cruciale en comparant les différentes expériences nationales. Nous-mêmes, à l’Institut national d’études démographiques (Ined), nous avons nous contribué à cet effort en publiant une étude analysant la surmortalité dans un grand nombre de régions européennes en 2020 et en 2021.

Cependant, comprendre ce qui fait la spécificité de la pandémie de Covid-19 nécessite non seulement des comparaisons internationales, mais aussi une perspective historique de plus long terme, afin d’évaluer son fardeau au regard d’autres grandes crises sanitaires.

La France, qui dispose de plus d’un siècle de données démographiques régionales détaillées, offre une opportunité rare en la matière. Dans un article récemment publié dans Population and Development Review, nous avons évalué l’ampleur de la pandémie de Covid-19 en France, et nous l’avons comparée à quatre grandes crises de mortalité survenues depuis 1900 : la grippe espagnole (1918–1919), la grippe de Hongkong (1968–1969) et les canicules de 1911 et de 2003.

En replaçant la pandémie de Covid-19 dans une perspective d’un siècle de crises sanitaires, notre étude souligne que son impact – bien qu’inédit par son ampleur médiatique et sociale – s’inscrit dans une histoire plus longue de chocs sanitaires inégalement répartis dans le temps et l’espace.

Une analyse géographique fine

La spécificité de notre étude est que nous avons évalué l’impact de ces crises à un niveau géographique très fin, celui des départements français métropolitains. Nous avons pour cela mobilisé les statistiques annuelles de décès et de population issues de la French Human Mortality Database, une base de données destinée à fournir des données régionales détaillées à toute personne intéressée par l’histoire de la longévité humaine en France.

Pour comparer ces crises dans l’espace et le temps, le choix de l’indicateur est essentiel. Nous avons retenu comme mesure centrale les années de vie perdues standardisées (Age-Standardized Years of Life Lost, ou ASYLL). Couramment utilisée en santé publique, cette mesure permet de quantifier le nombre total d’années de vie perdues en raison de décès prématurés. Ainsi, dans une population de 1 000 habitants, si quatre individus âgés de 60 ans décèdent prématurément et que leur espérance de vie à cet âge-là est de 25 ans (chiffres de l’Insee pour 2024), on obtient une valeur de 100 (4 x 25).

Cette mesure présente plusieurs avantages majeurs :

  1. Elle permet des comparaisons pertinentes entre différentes populations grâce à une structure d’âge commune. Si ce n’était pas le cas, dans le contexte du Covid-19, où la surmortalité a été observée chez les plus âgés, les régions très urbanisées où les jeunes se concentrent auraient des indicateurs plus favorables que les régions rurales, même dans le cas d’une surmortalité globale similaire.

  2. Contrairement à un indicateur comme la perte d’espérance de vie, elle peut être agrégée sur plusieurs années, ce qui est crucial pour saisir l’impact global d’une pandémie comme celle du Covid-19 qui s’est étalée dans le temps.

  3. Elle offre une lecture plus fine de l’excès de mortalité que le simple nombre de décès, en tenant compte de l’âge auquel ces décès surviennent. Dans notre exemple, un individu décédé à 60 ans pouvait espérer vivre encore vingt-cinq ans, alors qu’un individu décédé à 20 ans pouvait espérer vivre encore plus de soixante ans.

Neuf années de vie perdues en moyenne

Nos résultats montrent que la pandémie de Covid-19 a entraîné, en France, une perte moyenne de neuf années de vie pour 1 000 habitants en 2020 et en 2021. À titre de comparaison, la canicule de 2003 a causé la perte d’environ deux années et demie de vie, la grippe de Hongkong de 1968–1969 entre cinq et sept années, la canicule de 1911 environ vingt-quatre ans, et la grippe espagnole près de cent ans (toujours pour 1 000 habitants).

Ces chiffres permettent de mieux situer l’ampleur de la pandémie de Covid-19 dans l’histoire française récente. Malgré son envergure mondiale et les profondes perturbations sociales qu’elle a provoquées, son impact démographique reste dix fois inférieur à celui de la grippe espagnole, qui constitue la crise la plus dévastatrice du XXe siècle (en dehors des deux guerres mondiales).

Ce résultat s’explique en partie par le profil par âge des décès, qui a fortement varié d’une crise à l’autre. La surmortalité liée au Covid-19, comme celle découlant de la canicule de 2003, a principalement concerné les adultes de 60 ans et plus.

À l’inverse, la grippe espagnole a frappé de manière disproportionnée les enfants et les jeunes adultes, tandis que le lourd tribut de la canicule de 1911 s’explique en grande partie par la mortalité infantile. Pour cette dernière, la conjonction des fortes chaleurs et d’infections dues à la mauvaise qualité du lait ou de l’eau, contaminés par des micro-organismes responsables de diarrhées, a conduit au décès de très nombreux bébés. Or, les décès prématurés aux jeunes âges entraînent une perte plus importante d’années de vie, en raison de l’espérance de vie restante plus élevée.

Des contrastes territoriaux marqués

La distribution des excès de mortalité met en évidence des contrastes marqués dans la géographie de la mortalité.

La canicule de 1911 a laissé une empreinte majeure dans le nord et le sud du pays, avec des pertes particulièrement sévères en Lozère (quatre-vingt-quatre années de vie perdues pour 1 000 habitants).

La canicule de 2003 a, quant à elle, frappé plus intensément la partie centre-ouest du pays, incluant la Creuse, l’Indre ou le Loir-et-Cher (autour de dix années de vie perdues pour 1 000 habitants). Cette forte variabilité spatiale s’explique facilement par la géographie des températures extrêmes : durant cet épisode caniculaire, elles se sont concentrées dans le Centre-Ouest.

En ce qui concerne la grippe espagnole, sa diffusion a été remarquablement uniforme sur l’ensemble du territoire français, à l’exception relative du Nord-Ouest. Elle s’est produite dans un contexte marqué par la fin de la Première Guerre mondiale, ce qui a pu favoriser une diffusion rapide et uniforme du virus, démultipliant le nombre de décès.

Le coronavirus SARS-CoV-2, responsable de la pandémie de Covid-19, en revanche, se distingue par une géographie morcelée. La surmortalité a été particulièrement forte en Ile-de-France et dans les régions de l’Est, frontalières de la Belgique, de l’Allemagne et de la Suisse (environ vingt années de vie perdues pour 1 000 habitants), alors que l’ouest a été plus épargné, notamment en 2020.

L’importance des dynamiques locales

Au final, la canicule de 2003 s’est révélée être la crise la plus inégalitaire d’un point de vue territorial, suivie de près par la pandémie de Covid-19. À l’inverse, la grippe espagnole est celle qui a eu l’effet régional le plus homogène. Cette hétérogénéité géographique n’est pas une simple curiosité statistique : elle souligne le rôle déterminant des dynamiques locales dans la production des inégalités territoriales, en particulier dans un contexte de pandémie.

En effet, les fortes disparités observées pendant la pandémie de Covid-19 s’expliquent sans doute par la mise en place de décisions inédites de santé publique. Pour le comprendre, il faut se rappeler que la crise s’est initialement développée à l’hiver 2020 dans le Haut-Rhin et en région parisienne (autour de l’aéroport de Roissy), avant de s’étendre de proche en proche. Les strictes mesures de distanciation sociale, prises en mars 2020, ont pu freiner la diffusion du virus, et ainsi protéger certaines régions de l’ouest et du sud du pays.

À travers ces différents exemples, notre analyse révèle que les moyennes nationales masquent souvent des écarts internes importants. Les pouvoirs publics doivent les connaître et en tenir compte, afin de mieux cibler leurs interventions et allouer correctement les ressources. Par ailleurs, ces crises sanitaires ont parfois des effets de long terme qu’il est nécessaire de suivre de près. Notre équipe est actuellement investie dans cette mission.

Auteurs

  1. Florian Bonnet

    Démographe et économiste, spécialiste des inégalités territoriales, Ined (Institut national d'études démographiques)

  2. Carlo Giovanni Camarda

    Docteur, spécialiste des méthodes de prévision (mortalité, longévité, etc.), Ined (Institut national d'études démographiques)

Déclaration d’intérêts

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l'article original.

The Conversation

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