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De la NASH à la MASH : quelle conduite à tenir en pratique en soins primaires ? 

Les maladies (dys)métaboliques du foie sont très fréquentes en médecine générale (prévalence estimée à 20 % en France). La recherche de comorbidités hépatiques et la quantification de la fibrose sont essentielles pour proposer une prise en charge et une surveillance adaptée.

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Les maladies dysmétaboliques du foie (MASLD) sont caractérisées par des hépatocytes stéatosiques. 

Les maladies dysmétaboliques du foie (MASLD) sont caractérisées par des hépatocytes stéatosiques. Mohammed Haneefa Nizamudeen / iStock / Getty Images Plus / via Getty Images

Résumé

Les maladies (dys)métaboliques du foie (metabolic dysfunction associated steatotic liver diseases, MASLD) doivent être recherchées chez tous les individus ayant au moins un facteur de risque cardiométabolique. Le bilan sanguin initial comprend notamment ASAT, ALAT et plaquettes pour le calcul du FIB-4 et les sérologies virales. Une alimentation équilibrée (régime méditerranéen) et 150 minutes d’activité physique par semaine doivent être recommandées à tous les patients. Seuls les patients les plus sévèrement atteints (FIB-4 > 1,30) sont adressés au spécialiste.

Avec le soutien de l’Association des rencontres médicales pluridisciplinaires (ARMP), nous avons initié début 2024 une enquête auprès des médecins généralistes français qui a montré que leurs connaissances sur les notions de NAFLD (non alcoholic fatty liver disease) et de NASH (non alcoholic steatohepatitis) semblent être floues et que l’importance de la pandémie de la NAFLD est peut-être sous-estimée. Si l’importance de la fibrose dans le pronostic de ces patients est admise, la manière d’estimer cette fibrose et l’interprétation des scores biologiques restent perfectibles, de même que les mesures thérapeutiques à envisager. En majorité les généralistes se disaient intéressés par des recommandations claires : c’est pourquoi nous vous proposons une conduite à tenir pratique et simple qui s’inspire largement des recommandations européennes publiées en juin 20241.

De la maladie du « foie gras »

Les maladies (dys)métaboliques du foie (metabolic dysfunction associated steatotic liver diseases, MASLD), anciennement appelées maladies du foie gras non alcoolique (NAFLD) sont des pathologies très fréquentes en médecine générale. Elles sont caractérisées par la présence d’une stéatose (accumulation de graisse) dans l’hépatocyte. On estime leur prévalence à 20 % en France : un Français sur 5 serait donc concerné2 ! Heureusement, dans plus de 80 % des cas, la maladie est bénigne avec un bon pronostic hépatique : c’est la stéatose simple (metabolic dysfunction associated steatotic liver, MASL). Tout l’enjeu en médecine générale est de dépister la faible proportion de patients qui vont développer une stéatohépatite (metabolic dysfunction steatohepatitis, MASH), forme agressive de la maladie qui peut évoluer vers la cirrhose et ses complications. On estime qu’en France, 200 000 individus présentent une cirrhose (dys)métabolique.

En 2023, un consensus international d’experts a proposé une nouvelle nomenclature basée sur la présence de facteurs de risque cardiométabolique. Les nouveaux termes, détaillés dans le Tableau 1 sont utilisés dans cet article3. La Figure 1 résume cette nouvelle démarche nosologique.

Chez qui dépister la MASLD en soins primaires ?

Le dépistage de la MASLD ne doit pas être réalisé de manière systématique en population générale, mais doit être ciblé chez des patients ayant un risque métabolique1,4. Il doit donc être réalisé chez les individus ayant au moins un facteur de risque cardiométabolique (tels que définis dans le Tableau 2), mais également ceux ayant une perturbation du bilan hépatique (cytolyse ou cholestase) ou chez qui une stéatose hépatique a été découverte par l’imagerie.

Quelle évaluation en soins primaires ?

L’évaluation globale réalisée en soins primaires a trois objectifs. Premièrement éliminer une pathologie hépatique associée à la MASLD, deuxièmement évaluer la sévérité de l’atteinte hépatique pour sélectionner les patients à adresser au spécialiste d’organe et troisièmement dépister les comorbidités les plus fréquemment associées (Figure 2).

Éliminer une autre pathologie hépatique

La recherche des pathologies hépatiques les plus fréquentes, alcool et hépatites virales en particulier, doit être réalisée. À l’interrogatoire, la consommation d’alcool doit être quantifiée. Le test AUDIT-C en 3 questions permet de rechercher rapidement un mésusage de l’alcool (Document 1). Pour rappel, les recommandations françaises préconisent une consommation maximale de 10 verres d’alcool par semaine et 2 verres par jour. Le bilan biologique doit comporter une sérologie de dépistage des hépatites B et C ainsi qu’un bilan martial pour recherche de l’hémochromatose. 

D’après les dernières recommandations françaises5, la présence d’une cholestase (élévation des phosphatases alcalines), d’une cytolyse supérieure à 10 fois la limite supérieure de la normale, d’une hyperferritinémie supérieure à 1 000 μg/l, d’un coefficient de saturation de la transferrine supérieur à 45 % et l’absence de terrain métabolique doivent faire rechercher d’autres pathologies que la MASLD.

Rappel sur l’hépatite C : depuis l’avènement de traitements antiviraux très efficaces contre l’hépatite C (2018), l’OMS espère une éradication de l’hépatite C dans le monde d’ici 2030. Une sérologie de dépistage est préconisée une fois dans sa vie pour chaque individu et doit être complétée par une charge virale en cas de positivité.

Éliminer la cirrhose, quantifier la fibrose

En pratique, l’évaluation de la sévérité de l’atteinte hépatique est primordiale et conditionne le suivi du patient. Elle repose sur un examen clinique à la recherche de signes de cirrhose (angiomes stellaires, circulation veineuse collatérale, hépatomégalie dure) et sur un bilan biologique hépatique complet (taux de prothrombine, albumine, plaquettes, ASAT, ALAT, gamma GT, phosphatases alcalines, bilirubine totale et conjuguée). Une thrombopénie doit faire suspecter une cirrhose. 

En l’absence de signe évident de cirrhose, l’utilisation de tests non invasifs d’évaluation de la fibrose hépatique est recommandée. Le test simple le plus validé est le FIB-4 basé sur l’âge, l’ASAT, l’ALAT et les plaquettes. Son calcul est disponible en ligne (sur le site du CREGG) ou sur des applications smartphone et de plus en plus de laboratoires le calculent automatiquement. Comme tous les tests simples d’évaluation de la fibrose hépatique, le FIB-4 est surtout pertinent pour sa très bonne valeur prédictive négative : si le FIB-4 est < 1,30, le patient a peu de risque (moins de 10 %) d’avoir une maladie hépatique sévère et ne requiert pas de prise en charge spécialisée. En revanche, si le FIB-4 est ≥ 1,30, d’autres examens spécialisés sont recommandés pour approfondir l’état hépatique. Dans ce cas, le patient doit être référé à un hépato-gastro-entérologue1,4,5

Pour information, l’hépato-gastroentérologue réalise des tests spécialisés d’évaluation de la fibrose hépatique. Ces tests sont plus performants que les tests simples mais sont coûteux (et non remboursés par la sécurité sociale en 2024). Il en existe 2 familles : l’élastométrie (type FibroScan ou couplée à des appareils d’échographie) et les tests sanguins (ELF, non disponible en France en 2024). Un test spécialisé bas (FibroScan < 8 kPa, ELF < 7,7) permet d’éliminer une maladie avancée du foie et le patient peut reprendre un suivi exclusif en soins primaires. En revanche, un test spécialisé intermédiaire (FibroScan entre 8 et 12 kPa, ELF entre 7,7 et 9,8) ou élevé (FibroScan > 12 kPa, ELF > 9,8) nécessite une prise en charge et un suivi spécialisé.

Recherche de comorbidités, tout particulièrement cardiovasculaires

Les patients avec une MASLD ont très souvent d’autres comorbidités métaboliques. Il est recommandé de réaliser un questionnaire d’Epworth à la recherche d’un syndrome d’apnée ou hypopnée du sommeil (Document 2), de réaliser un dosage de la glycémie à jeun et de la créatininémie, à la recherche d’une insuffisance rénale chronique, et un bilan lipidique annuel1,5. Lorsque la maladie hépatique est au stade de la stéatose simple, la principale cause de mortalité des patients est d’origine cardiovasculaire. L’évaluation du risque cardiovasculaire se fait en utilisant les équations de risque SCORE2/OP/diabète : un risque cardiovasculaire élevé (5 % à 10 % de mortalité cardiovasculaire à 10 ans) ou très élevé (supérieur à 10 %) nécessite un avis cardiologique5.

Modifications thérapeutiques du mode de vie (MTMV) pour tous !

La pierre angulaire de la prise en charge de la MASLD repose sur les mesures hygiéno-diététiques. Il s’agit de faire prendre conscience des possibilités de changement du « mode de vie alimentaire » et du niveau d’activité physique et de sédentarité. L’objectif est une perte d’au moins 5 % du poids corporel pour réduire la stéatose, 7 % à 10 % pour réduire l’inflammation et > 10 % pour espérer une réversion de la fibrose hépatique.

Les mesures diététiques reposent sur une alimentation équilibrée de type méditerranéen. Ce régime est basé sur une alimentation riche en fruits et légumes, pâtes complètes, riz complet, pain complet, légumes secs (lentilles, pois chiches, haricots…), poisson, notamment les poissons gras (sardine, maquereau, hareng, saumon…), huiles végétales dont l’huile d’olive et les fruits secs (noix, noisettes, amandes, pistaches…). Au contraire, la viande rouge, les produits laitiers (fromage, beurre, crème), les produits raffinés et transformés (céréales pour le petit-déjeuner, pain de mie industriel, plats préparés…) et l’alcool sont à limiter1,6. Une consultation avec une diététicienne peut aider le patient à adapter son alimentation. 

Finalement les conseils à suivre sont proches des consignes générales issues du Programme national nutrition santé de 2019 (PNNS 4) à prodiguer envers la population adulte7.

L’efficacité des mesures diététiques est d’autant plus prononcée et durable dans le temps lorsqu'elles sont associées à une augmentation de l’activité physique. L’activité physique doit être adaptée aux préférences et aux capacités du patient. Il est préconisé 150 min/semaine d'activité physique d'intensité modérée ou 75 min/semaine d'activité physique d'intensité vigoureuse associée à une limitation de la sédentarité (temps passé assis)1,6. La prescription d’activité physique adaptée (APA) peut aider et encadrer la reprise d’une activité physique. Elle reste cependant non prise en charge à ce jour…

Chez les patients obèses avec un indice de masse corporelle (IMC) ≥ 35 kg/m2 et des comorbidités (dont la MASH) ou IMC ≥ 40 kg/m2 persistant malgré les mesures hygiéno-diététiques bien conduites, la chirurgie bariatrique peut être envisagée puisqu’il s’agit d’une option thérapeutique efficace et largement démontrée pour l’obtention d’une perte de poids significative et durable. 

Enfin, la prise en charge des comorbidités métaboliques participe à l’amélioration de l’état hépatique : équilibre du diabète, appareillage dans le cadre du syndrome d’apnées-hypopnées obstructif du sommeil ou prise en charge d’une dyslipidémie. Dans ce dernier cas, l’introduction de statine est recommandée sauf en cas de cytolyse significative (> 100 UI/l).

Et pour les patients diabétiques ?

Il n’y a pas de recommandation spécifique sur l’adaptation des traitements antidiabétiques chez les patients avec une MASLD. Plusieurs études ont montré un effet plutôt protecteur de la metformine qui reste le traitement de première ligne. 

Du fait des fréquentes comorbidités cardiovasculaires, chez des patients avec un IMC élevé, les AR-GLP1 sont à privilégier. 

Un espoir en cas de forme avancée de fibrose ?

Aucun traitement n’est actuellement validé en France dans le traitement spécifique des formes avancées de la MASLD. Le resmetirom, agoniste des récepteurs bêta des hormones thyroïdiennes (récepteurs localisés dans le foie) a montré un effet bénéfique dans un essai de phase 3 et a été autorisé par la Food and Drug Administration aux États-Unis en mars 20248.

Les recommandations européennes de juin 2024 préconisent ce traitement en cas de fibrose avancée (stade de fibrose ≥ 3) ou en cas de MASH avec une fibrose ≥ 2. Le resmetirom est actuellement en phase finale du processus d'autorisation en Europe dans l’indication suivante9 : traitement des adultes atteints de stéatohépatite (dys)métabolique (MASH) avec fibrose hépatique modérée à avancée (stades de fibrose F2 à F3), en association avec un régime alimentaire et de l'exercice physique.

De nombreux protocoles de recherche sont en cours pour évaluer des nouveaux traitements dans cette maladie, notamment des doubles ou triples agonistes GLP-1, GIP et/ou glucagon. Plusieurs centres français y participent et peuvent prendre en charge les patients.

Suivi des patients par leur médecin traitant le plus souvent

En l’absence de fibrose avancée

Chez les patients présentant un FIB-4 < 1,30 (70 % de la population), un calcul du FIB-4 est préconisé tous les 1 à 2 ans chez les patients diabétiques ou avec un syndrome métabolique et tous les 2 à 3 ans dans les autres cas. Chez les patients ayant eu un FIB-4 ≥ 1,30 mais une évaluation spécialisée rassurante (FibroScan < 8 kPa ou ELF < 7,7), une nouvelle évaluation par FIB-4 peut être proposée à 3 ans4.

Plusieurs études ont montré un surrisque de cancers dans la population MASLD. Pour cette raison, il est préconisé de bien appliquer les recommandations habituelles pour le dépistage des cancers : mammographie et test HPV chez la femme, test de recherche de sang dans les selles à partir de 50 ans.

Enfin, comme la principale cause de mortalité est d’origine cardiovasculaire, un dépistage régulier des facteurs de risque cardiométaboliques semble judicieux : mesure de la pression artérielle, glycémie à jeun, exploration d’une anomalie lipidique, créatininémie annuelle et réévaluation annuelle du risque SCORE2/OP/diabète.

En cas de fibrose avancée ou de cirrhose

En cas de fibrose hépatique avancée ou de cirrhose, un suivi spécialisé avec un hépato-gastro-entérologue doit être initié.

En cas de cirrhose, un dépistage semestriel du carcinome hépatocellulaire par imagerie est recommandé. Du fait de l’obésité abdominale fréquente, l’échographie n’est pas toujours optimale et il est fréquent qu’une imagerie en coupe soit alternée à l’échographie pour augmenter la sensibilité du dépistage10.

Enfin, la réalisation d’une endoscopie digestive haute ou l’introduction d’un traitement par bêtabloquant non cardiosélectif (propranolol ou carvedilol) est recommandée en prévention primaire de la rupture de varices œsophagiennes et de la décompensation de la cirrhose. 

En conclusion, la MASLD est une pathologie très fréquente en soins primaires. La recherche de comorbidités hépatiques et la quantification de la fibrose sont essentielles pour proposer une prise en charge et une surveillance adaptée. Comme en population générale, une bonne hygiène de vie alliant activité physique et alimentation équilibrée est à promouvoir.

Conclusion
  • CE QUE NOUS FAISONS

La MASLD est aujourd’hui encore souvent une découverte fortuite à l’échographie et à des stades souvent trop tardifs.

  • CE QUI CHANGE

L’importance des facteurs métaboliques est maintenant bien cernée, ainsi que la possibilité de freiner voire de corriger une fibrose débutante.

  • CE QUE NOUS FERONS

Dépister la MASLD en particulier chez tous les patients à risque métabolique. Quantifier la fibrose éventuelle à l’aide d’un test simple comme le FIB-4. Traiter les patients en les incitant à modifier leur mode de vie alimentaire et leur activité physique. Viser une perte de poids d’au moins 5 % en l’absence de fibrose et d’inflammation, de 7 % à 10 % en cas d’inflammation, et > 10 % en cas de fibrose. Référer les patients plus sévères (FIB-4 ≥ 1,3) au spécialiste.

Document 1

Document 2

 

Dr Clémence M. Canivet / Hépatologue, CHU d’Angers
L’auteur déclare des liens d’intérêt ponctuels avec AbbVie, Gilead et Novo Nordisk.
L’enquête sur la NASH réalisée par l’ARMP a bénéficié du soutien institutionnel des laboratoires Novo Nordisk.

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