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Accès au chômage partiel et COVID-19 : le Conseil d’État suspend les critères de vulnérabilité du décret du 29 août 2020

Le 29 août 2020, un décret avait fortement restreint les critères de vulnérabilité permettant aux patients à risque de formes sévères de COVID-19 d’accéder au chômage partiel. À l’origine, le décret du 5 mai 2020 à ce sujet fixait 11 critères allant de l’âge (plus de 65 ans) à l’obésité morbide, en passant par la mucoviscidose ou l’insuffisance cardiaque, par exemple. Les salariés cohabitant avec ces personnes étaient, elles aussi, éligibles au chômage partiel. Le nouveau décret du 29 août 2020 en restreignait l’accès à 4 critères : cancer évolutif sous traitement, immunodépression, diabète et obésité après 65 ans, et insuffisance rénale nécessitant une dialyse. Il ne citait plus les salariés cohabitant comme étant éligibles.

À la suite de ce nouveau décret, patients et médecins se sont alarmés de l’obligation faite aux autres personnes considérées en mai comme vulnérables de retourner au travail, ainsi qu’aux salariés cohabitant avec ces personnes. Certains de ces acteurs ont saisi le Conseil d’État pour faire annuler le nouveau décret.

Le 15 octobre 2020, le Conseil d’État s’est prononcé sur la question et le juge des référés a estimé que « le gouvernement n’a(avait) pas suffisamment justifié, pendant l’instruction, de la cohérence des nouveaux critères choisis, notamment le fait que le diabète ou l’obésité n’ont été retenus que lorsqu’ils sont associés chez une personne âgée de plus de 65 ans ». En conséquence, le Conseil d’État a suspendu les articles relatifs aux critères de vulnérabilité, réinstaurant ainsi ceux du décret du 5 mai.

La question demeure de l’accès au chômage partiel des salariés cohabitant avec une personne vulnérable. En effet, cet accès ne figurant plus dans le décret du 29 août, la suspension par le Conseil d’État des articles relatifs aux critères de vulnérabilité laisse un flou qui n’aurait pas existé si le Conseil d’État avait suspendu l’intégralité du décret.
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Le Conseil d’État suspend les critères du décret du 29 août 2020 concernant l'éligibilité des personnes vulnérables au chômage partiel (illustration)

Le Conseil d’État suspend les critères du décret du 29 août 2020 concernant l'éligibilité des personnes vulnérables au chômage partiel (illustration)


L'article 20 de la loi du 25 avril 2020 prévoit le placement en chômage partiel des personnes vulnérables présentant un risque de développer une forme grave de COVID-19, ainsi que des salariés qui partagent le même domicile que ces personnes. Les critères d'éligibilité ont été précisés par décret le 5 mai 2020.

Le décret du 5 mai 2020, fixant 11 situations de vulnérabilité aux formes sévères
Un premier décret d'application, daté du 5 mai 2020, a défini 11 situations dans lesquelles une telle vulnérabilité était reconnue (voir également notre article du 6 mai 2020) :
  • être âgé de 65 ans et plus ;
  • avoir des antécédents cardiovasculaires : hypertension artérielle compliquée (avec complications cardiaques, rénales et vasculocérébrales), accident vasculaire cérébral, coronaropathie, chirurgie cardiaque, ou insuffisance cardiaque stade NYHA III ou IV ;
  • avoir un diabète non équilibré ou présentant des complications ;
  • présenter une pathologie chronique respiratoire susceptible de décompenser lors d'une infection virale : bronchopneumopathie obstructive, asthme sévère, fibrose pulmonaire, syndrome d'apnées du sommeil, mucoviscidose notamment ;
  • présenter une insuffisance rénale chronique dialysée ;
  • être atteint de cancer évolutif sous traitement (hors hormonothérapie) ;
  • présenter une obésité (indice de masse corporelle (IMC) > 30 kg/m2) ;
  • être atteint d'une immunodépression congénitale ou acquise
    • médicamenteuse : chimiothérapie anticancéreuse, traitement immunosuppresseur, biothérapie et/ou corticothérapie à dose immunosuppressive ;
    • infection à VIH non contrôlée ou avec des CD4 < 200/mm3 ;
    • consécutive à une greffe d'organe solide ou de cellules souches hématopoïétiques ;
    • liée à une hémopathie maligne en cours de traitement ;
  • être atteint de cirrhose au stade B du score de Child Pugh au moins ;
  • présenter un syndrome drépanocytaire majeur ou ayant un antécédent de splénectomie ;
  • être au troisième trimestre de la grossesse.

Ces critères ont été choisis en avril, lors de la première vague de l'épidémie, à partir des remontées de terrain en termes de risque aggravé.

OpenSAFELY, les premières données de grande ampleur sur les facteurs de risque de formes sévères
Mi-mai, l'étude britannique OpenSAFELY a apporté des données épidémiologiques sérieuses sur les facteurs de risque de COVID-19 sévère (voir notre article du 14 mai 2020), en plus de l'âge.
Dans cette étude, le diabète non contrôlé double le risque de décès par COVID-19 (HR : 2,35, IC95 2,18-2,56). L'obésité modérée (IMC : 30-34,9 kg/m2) multiplie le risque par 1,27 (IC95 : 1,18-1,36) et l'obésité morbide (IMC > 40 kg/m2) par 2,27 (IC95 : 1,99-2,58). Ces valeurs étaient ajustées pour l'ensemble des facteurs de risque. L'asthme sévère (nécessitant la prescription de corticoïdes) augmente également le risque de décès (HR : 1,25, IC95 : 1,08-1,44).
De plus, chez les personnes souffrant de cancer, l'augmentation du risque est particulièrement marquée en cas de cancer hématologique diagnostiqué depuis moins d'un an, même ajusté pour les autres facteurs de risque (HR : 3,52, IC95 : 2,41-5,14 ; HR : 3,12 après un an ; HR : 1,88 après 5 ans).
Autres facteurs de risque mis en évidence par OpenSAFELY : l'insuffisance rénale (HR : 1,72) le fait d'être greffé (HR : 4,27), un antécédent d'AVC (HR : 1,79), souffrir d'une maladie auto-immune (HR : 1,23), être atteint d'une maladie neurologique (HR : 2,46), être atteint d'une insuffisance hépatique (HR : 1,61), par exemple.

Le décret du 29 août 2020, qui restreint à 4 les situations de vulnérabilité
La situation sanitaire s'étant améliorée cet été, un nouveau décret, daté du 29 août 2020 (voir également notre article du 8 septembre 2020) a restreint l'éligibilité à ce dispositif de chômage partiel à 4 situations et prévu qu'il ne s'appliquerait plus aux salariés partageant le même domicile qu'une personne vulnérable. Ces 4 nouveaux critères étaient :
  • être atteint de cancer évolutif sous traitement (hors hormonothérapie) ;
  • être atteint d'une immunodépression congénitale ou acquise (idem Décret du 5 mai 2020) ;
  • être âgé de 65 ans ou plus et avoir un diabète associé à une obésité ou des complications micro ou macrovasculaires ;
  • être dialysé ou présenter une insuffisance rénale chronique sévère.

Ce nouveau décret a été élaboré dans l'urgence au mois d'août et les associations de patients n'ont été impliquées qu'à la dernière minute. Les éléments de décision ayant mené à la sélection de ces 4 critères n'ont pas été précisés par le gouvernement, ce qui a amené certaines associations de patients à en contester la validité devant le Conseil d'État. Une tribune interassociative allant dans ce sens a également été publiée dans le Parisien le 4 octobre 2020. Après un premier refus de statuer, le Conseil d'État a accepté le recours de la Ligue contre l'obésité.

Le Conseil d'État a suspendu les critères du décret du 29 août, ce qui réinstaure ceux de celui du 5 mai
Le 15 octobre 2020, le Conseil d'État s'est prononcé sur la question. « Le juge des référés du Conseil d'État rappelle que, si la loi du 25 avril 2020 laisse au Premier ministre un large pouvoir d'appréciation pour définir les critères selon lesquels une personne doit être considérée comme vulnérable, de tels critères doivent être pertinents au regard de l'objet du dispositif et cohérents entre eux. Ainsi, le gouvernement ne peut pas exclure des pathologies ou situations qui présentent un risque équivalent ou supérieur à celles maintenues dans le décret qui permettent toujours de bénéficier du chômage partiel.
Or, le juge des référés estime que le gouvernement n'a pas suffisamment justifié, pendant l'instruction, de la cohérence des nouveaux critères choisis, notamment le fait que le diabète ou l'obésité n'ont été retenus que lorsqu'ils sont associés chez une personne âgée de plus de 65 ans.
Le juge des référés du Conseil d'État prononce donc la suspension des articles du décret du 29 août 2020 relatifs aux critères de vulnérabilité. Dès lors, en l'absence d'une nouvelle décision du Premier ministre, les critères retenus par le précédent décret du 5 mai 2020 s'appliquent à nouveau.
»
Les requérants, dont la Ligue contre l'obésité, se sont félicités de cette décision et du retour aux 11 critères de vulnérabilité du décret du 5 mai 2020.
Le débat demeure sur la question de l'accès au chômage partiel des salariés cohabitant avec une personne vulnérable. En effet, cet accès ne figurait plus dans le décret du 29 août et la suspension par le Conseil d'État des articles relatifs aux critères de vulnérabilité laisse un flou qui n'aurait pas existé si le Conseil d'État avait suspendu l'intégralité du décret. Le retour au décret du 5 mai signifie-t-il le retour de l'éligibilité des salariés qui cohabitent avec les personnes vulnérables ? Les avis divergent entre les associations de patients et le gouvernement.

Dans les prochaines semaines, il faudra suivre la façon dont le gouvernement modifiera (ou pas) le décret du 29 août et les arguments scientifiques qui seront mis en avant pour justifier de nouveaux critères (ou du maintien des 4 proposés). L'étude OpenSAFELY devait publier une mise à jour de ses résultats à l'automne (sa méthodologie permet un suivi des facteurs de risque en temps quasi réel), mais rien n'a été publié pour l'instant.

Edit du 21 octobre 2020 : Dans son Journal d'Épidémie daté du 19 octobre 2020 dans le quotidien Libération, le Dr Christian Lehmann expose clairement les aspects politiques et économiques de cette affaire.

©Vidal.fr

Pour aller plus loin

La loi du 25 avril 2020

Le décret du 5 mai 2020

L'étude OpenSAFELY
Williamson E, Walker AJ, Bhaskaran K, et al. OpenSAFELY: factors associated with COVID-19-related hospital death in the linked electronic health records of 17 million adult NHS patients. MedRxiv, 6 mai 2020

Le décret du 29 août 2020

La mise au point de l'association Renaloo (insuffisance rénale) sur les conditions d'élabiration du décret du 29 août
Sources

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