
Les professionnels de santé doivent s'opposer au sexisme et, bien sûr, au harcèlement en milieu médical. L'Ordre encourage les victimes à porter plainte (illustration).
Harcèlement et autres violences sexuelles : un scandale à l'écho planétaire incite les victimes à davantage porter plainte
Les violences sexuelles sont un fléau de notre société. Au moins 84 000 femmes par an seraient victimes de viols ou tentatives de viol, estimation minimale car la sous-déclaration est malheureusement très fréquente.
Plus de 60 000 femmes sont également victimes chaque année de violences sexuelles et / ou physiques au sein de leur couple, avec là aussi une sous-déclaration importante.
La terrible affaire Harry Weinstein et son impact mondial semblent cependant, chez certaines femmes, permettre de lever des freins à la déclaration de tels actes, en particulier lorsqu'elles ont été victimes d'hommes publics, comme en témoignent les mises en cause récentes d'animateurs TV, politiques, cinéastes, etc.
Ce phénomène se produit aux Etats-Unis, mais aussi dans de nombreux pays du monde, y compris en France (médiatisation de #balancetonporc).
Un projet de loi porté par Marlène Schiappa pour renforcer les sanctions contre les violences sexuelles et le harcèlement de rue est annoncé pour 2018.
Une enquête de l'ISNI donne des indications sur la fréquence du sexisme et du harcèlement sexuel à l'hôpital
Les professionnels de santé n'échappent pas à ce changement de paradigme récent, comme l'ont montré les déclarations de femmes harcelées à l'hôpital et le scandale ayant suivi les aveux de harcèlements quotidiens par un médecin "d'une quarantaine d'années" sur Europe 1.
Sans ce contexte, l'ISNI (Intersyndicale nationale des internes) a publié le 18 novembre 2017 les résultats d'une enquête sur le sexisme lors des études médicales. Cette enquête a été réalisée par questionnaire en ligne auprès de 2 946 internes en médecine, dont 75 % de femmes (58 % des internes en médecine sont des femmes, qui sont donc légèrement sur-représentées dans cette enquête).
Harcèlement sexuel : près d'un interne sur 10 se dit victime
Les résultats montrent que 8,6 % des répondants disent avoir déjà été harcelés (6,6 % l'ont déclaré), le plus souvent par gestes non désirés :
- Geste non désiré 50 %
- Contact physique non désiré 15 %
- Demande insistante de relation sexuelle 14 %
- Chantage à connotation sexuelle 12 %
- Simulation d'acte sexuel 9 %
34 % des répondants disent avoir subi des attitudes connotées "au moins une fois ou quelquefois" (57 % disent donc n'avoir subi ni harcèlement avéré ni attitudes connotées).
Les auteurs de ces attitudes connotées ou faits de harcèlement sont fréquemment des supérieurs hiérarchiques
L'ISNI a recueilli les résultats des répondants sur les auteurs de ces agissements :
- Médecin, supérieur hiérarchique (dont 10 % chef de service) 48 %
- Confrère sans supériorité hiérarchique 28 %
- Personnel soignant 15 %
- Patient ou famille de patient 9 %
Dans 29 % des cas, le harcèlement n'a pas été verbalisé.
Seuls 0,15 % des cas de harcèlement ont fait l'objet de l'initiation d'une procédure juridique, ce qui rejoint le constat effectué sur la population générale (sous-déclaration et absence de poursuites lorsqu'une déclaration est faite, ce qui peut conduire à la perte d'un emploi… et inciter d'autres à ne rien dire…).
Sexisme : le quotidien de beaucoup d'internes, en particulier des femmes
60,8 % des femmes se déclarent victimes de sexisme contre 7,2 % des hommes.
88,4 % des internes déclarent avoir été témoins de blagues sexistes dont 35 % de manière répétée.
Là encore, ce sexisme (qui se traduit notamment par des rabaissements, un manque de confiance dans les compétences médicales d'une étudiante, etc.) est souvent le fait d'un supérieur hiérarchique, mais aussi du personnel soignant :
- Médecin, supérieur hiérarchique (dont 13 % chef de service) 37 %
- Confrère sans supériorité hiérarchique 16 %
- Personnel soignant 33 %
- Patient ou Famille de patient 14 %
Le sexisme se produit plutôt lors d'une visite hospitalière (22 %) ou au bloc opératoire (24 %), et non en salle de garde (où les supérieurs hiérarchiques se rendent peu…).
Lutte contre ces agissements en milieu médical : préconisations de l'ISNI
L'ISNI fixe plusieurs objectifs pour tenter de diminuer ces pratiques illégales :
- Lutter contre le harcèlement sexuel : objectif ZERO harcèlement sexuel. Il faut briser ce tabou et dénoncer les auteurs de ces agissements.
- Rendre visible le sexisme quotidien : objectif ZERO sexisme quotidien. Il faut que l'on prenne tous conscience du sexisme au quotidien.
- Briser le plafond de verre : l'objectif est de lutter contre l'autocensure et de permettre l'accès aux carrières hospitalo-universitaires sans aucune discrimination.
Lutte contre ces agissements en milieu médical : l'Ordre des médecins rappelle son engagement et fixe 3 principes
Suite notamment à la médiatisation de cette enquête, saluée par Agnès Buzyn, l'Ordre rappelle dans une note en ligne que "le fait pour un médecin d'abuser de sa fonction ou de son statut pour obtenir des faveurs sexuelles avec une personne, d'avoir des gestes indécents ou de tenir des propos à caractère sexiste, sont contraires à l'éthique médicale et aux règles de la déontologie professionnelle relatives au respect de la dignité de la personne, et enfreignent les principes de moralité. Ils portent également atteinte à l'honneur et à la considération de la profession".
L'Ordre, qui englobe aussi les éventuels faits de harcèlement envers des patients, rappelle tout d'abord que :
- Le Code Pénal, auquel est soumis le médecin, qualifie les violences sexuelles comme délictuelles ou criminelles.
- Le Code du travail définit les conséquences du harcèlement sexuel, pouvant porter atteinte à la dignité et altérer la santé physique ou mentale du salarié.
- Le Code de Déontologie Médicale, porté par le Code de la Santé Publique, précise que le médecin "doit, en toutes circonstances, respecter les principes de moralité, de probité et de dévouement indispensables à l'exercice de la médecine" (art R.4127-3), qu'il "ne doit jamais se départir d'une attitude correcte et attentive envers la personne examinée" (art R.4127-7) et enfin que "tout médecin doit s'abstenir ( ...) de tout acte de nature à déconsidérer [sa profession]" (art R.4127 -31).
L'Ordre fixe 3 principes pour faire face à de tels comportements :
- Prévention : il faut clairement reconnaître et combattre ces comportementsdélictueux. Les particularités de ces comportements à caractère sexiste ou sexuel doivent d'abord être enseignées dans le cursus universitaire et professionnel des médecins. Ensuite, les médecins sont invités à analyser régulièrement leur exercice professionnel, ce qui est complexe car ce qui compte ce ne sont pas seulement les intentions du médecin mais ce qui est ressenti par la personne qui lui fait face.
- Transparence : le premier devoir de l'Ordre est d'accompagner les personnes qui se déclarent victimes. Alors que le Conseil national de l'Ordre des médecins a récemment rappelé que toute plainte reçue par les juridictions disciplinaires ordinales fait l'objet d'une instruction, il réaffirme l'obligation pour les Conseils départementaux de l'Ordre, dès réception de signalements pour harcèlement sexuel, d'en prendre acte et d'entamer systématiquement la procédure habituelle.
- Sanction : en sus du droit commun, l'Ordre peut aussi, après instruction du dossier selon le principe du respect du contradictoire pour toutes les parties, sanctionner les médecins jugés harceleurs sexuels, via les Chambres disciplinaires de l'Ordre.
En conclusion : une libération de parole et des engagements qui mettront peut-être fin à des siècles de sexisme et harcèlement ?
Dans le milieu médical comme ailleurs, les victimes sont de plus en plus incitées à porter plainte, et il semble que l'affaire Weinstein ait entraîné une réelle prise de conscience dans plusieurs milieux professionnels.
Mais est-ce que cela durera ? Les comportements sexistes de certains supérieurs hiérarchiques, collègues et autres vont-ils enfin cesser ? Le harcèlement sexuel va-t-il être systématiquement puni au même titre que d'autres délits ? Pour cela, la justice, malgré sa sous-dotation en France et son sous-effectif chronique, pourra-t-elle faire face à ces plaintes et surtout les classer moins systématiquement, ce qui renvoie la victime à ses affres et, parfois (souvent ?) à de désastreuses conséquences professionnelles ?
Le sexisme est profondément ancré depuis des siècles dans la plupart des sociétés humaines, qu'elles soient religieuses ou non. Une telle affaire va entraîner des progrès, mais il reste tant à faire pour qu'enfin ces comportements délétères pour les victimes et tout simplement illégaux cessent, à l'hôpital comme ailleurs…
En savoir plus
Les chiffres de référence sur les violences faites aux femmes, stop-violences-femmes.gouv.fr
L'affaire Harry Weinstein, Wikipedia, dernière modification le 23 novembre 2017
Une loi sur les violences sexuelles et le harcèlement de rue annoncée pour 2018, Le Monde, octobre 2017
Harcèlement sexuel à l'hôpital : "Franchement, il y a des fois où on met des mains au cul", Europe 1, 25 octobre 2017
L'enquête de l'ISNI sur le sexisme et le harcèlement vu par les internes en médecine, 18 novembre 2017
Communication publique du Conseil national de l'Ordre des médecins, 21 novembre 2017
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