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Dépression chez les personnes âgées : quel diagnostic ? Quelle prise en charge ?

Les revues JAMA et Expert Opinion in Pharmacotherapy (EOP) ont récemment publié leurs analyses de la littérature et des recommandations, ainsi que leurs conclusions et préconisations pour optimiser le diagnostic et la prise en charge de la dépression survenant chez des personnes âgées.
 
Le diagnostic est parfois malaisé, en raison de symptômes atypiques ou de comorbidités masquant la dépression. Pour le faciliter, des échelles d’évaluation peuvent être utilisées.
 
Les approches psychothérapeutiques et l’activité physique s’avèrent utiles, selon le JAMA, en cas de dépression modérée et chez les patients atteints d’un épisode majeur mais trop fragiles pour les médicaments.
 
Pour les personnes âgées atteintes d’un épisode majeur et supportant les médicaments, les experts canadiens d’EOP soulignent le peu d’études dédiées et d’innovations. Ils préconisent d’utiliser en première ligne la sertraline ou l'escitalopram, ou encore le bupropion (commercialisé en France uniquement pour le servage tabagique) en cas d’intolérance aux inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine.  La vortioxétine ou la quétiapine peuvent aussi être utilisés en monothérapie, toujours selon ces mêmes auteurs.
 
Afin d’éviter les risques liés à d’éventuelles polymédications ou à une fragilité, les auteurs de la publication du JAMA préconisent une approche prudente, d’abord non médicamenteuse.
Claire Lewandowski 27 juillet 2017 Image d'une montre9 minutes icon Ajouter un commentaire
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L'isolement est un des facteurs de risque de dépression chez les personnes âgées (illustration).

L'isolement est un des facteurs de risque de dépression chez les personnes âgées (illustration).


Des facteurs de risques bien identifiés
La dépression après 55 ans est relativement fréquente malheureusement. Une étude déjà ancienne (1) évaluait la proportion atteinte d'un état dépressif à 14 % (2 % : épisode dépressif majeur), soit environ 2 fois plus que chez les personnes de moins de 55 ans.
 
Comme le rappellent les auteurs de la revue publiée en mai 2017 dans le JAMA, les facteurs de risque associés à la survenue d'une dépression chez des personnes âgée ont été identifiés (2,3) et sont proches, en dehors du déclin cognitif, des facteurs de risque de dépression pour tout le monde : sexe féminin, maladie chronique, déclin cognitif, dégradation fonctionnelle, manque d'interactions sociales étroites, traits de personnalité favorisants, événements de vie stressants et antécédents de dépression.
 
Un diagnostic parfois compliqué, malaisé, pouvant être facilité par des scores
Chez les patients plus âgés, le diagnostic peut être malaisé, plus difficile que chez les plus jeunes en raison de comorbidités et / ou de d'un déclin cognitif.
 
De plus, la plainte n'est pas forcément la même, les plus âgés pouvant davantage mettre en avant, comme plainte principale, un symptôme non spécifique plutôt qu'une humeur dépressive : fatigue, perte de poids, douleur, symptômes médicaux multiples, troubles de la mémoire, retrait social, refus de boire, manger, de prendre ses médicaments, difficulté à prendre soin de soi, augmentation de la prise de tranquillisants ou d'alcool.
 
Difficulté supplémentaire pour le corps médical : le patient n'associe pas forcément ces symptômes à une dépression. Il faut donc la déceler à travers ces plaintes.
 
Enfin, la dépression peut exacerber les manifestations cliniques  d'autres pathologies
 
Les auteurs de la revue du JAMA suggère, en cas de doute, d'utiliser l'échelle "Geriatric Depression Scale", comportant 30 items et traduite ici en français
 
Une version plus courte, à 15 items, est disponible ici, également en français.

Une version encore plus courte, le mini GDS, existe et repose sur 4 questions :
  1. Vous sentez-vous souvent découragé(e) et triste ?
  2. Avez-vous le sentiment que votre vie est vide ?
  3. Êtes-vous heureux (se) (bien) la plupart du temps ?
  4. Avez-vous l'impression que votre situation est désespérée ?

Enfin, un autre outil très rapide à utiliser, le "Two-Question Screen" (deux questions portant sur le mois écoulé), s'est récemment avéré aussi efficace que la Geriatric Depression Scale (voir notre article). Voici ces deux questions (une réponse positive à l'une ou l'autre de ces questions doit faire soupçonner une dépression) : 
  1. Vous êtes-vous senti triste, déprimé ou désespéré ?
  2. Avez-vous souffert de manque d'intérêt ou de plaisir à faire des choses ?

Peu de données et recommandations sur la prise en charge thérapeutique de la dépression des personnes âgées
Malgré sa relative fréquence, les études concernant la prise en charge médicamenteuse du trouble dépressif majeur (TDM) chez les personnes âgées sont peu nombreuses.
 
Les auteurs canadiens de l'analyse parue dans Expert Opinion in Pharmacotherapy (EOP) remarquent aussi  que les dernières recommandations américaines ont été publiées en 2001.
 
De plus, la plupart des recommandations sont basées sur des avis d'experts, des extrapolations effectuées à partir de données obtenues chez des patients plus jeunes, ou à partir de considérations théoriques.
 
De fait, constatent les auteurs de la revue du JAMA, la dépression des personnes âgées est souvent sous-diagnostiquée, non traitée ou mal traitée (doses trop faibles d'antidépresseurs et / ou durée de traitement trop courte).
 
Les antidépresseurs ont la même indication que pour des patients déprimés plus jeunes
Les épisodes dépressifs mineurs ou modérés peuvent être pris en charge en priorité par une psychothérapie. L'exercice physique semble aussi utile, y compris chez ces patients plus âgés.
 
En cas d'épisode dépressif sévère, la psychothérapie peut aussi être utilisée, ainsi que des antidépresseurs, qui ont les mêmes indications chez les jeunes comme les moins jeunes.
 
Cette recherche approfondie n'a identifié que quelques essais cliniques gériatriques randomisés contrôlés versus placebo publiés au cours des cinq dernières années qui évaluent les nouveaux antidépresseurs ou les médicaments psychotropes plus anciens.
 
Les taux de réponse sous antidépresseurs versus placebo sont comparables à ceux retrouvés dans les études effectués chez des patients plus jeunes (taux de réponse autour de 50 %).
 
Dans l'ensemble, peu d'innovations ont été constatées dans la pharmacothérapie du TDM chez la personne âgée au cours de la dernière décennie.
 
Une mise en œuvre progressive, par étapes
L'efficacité globale et la tolérance des antidépresseurs chez les patients âgés souffrant d'un épisode dépressif majeur est bien établie.
 
Cependant, la plupart de ces patients ne bénéficient pas pleinement de ces traitements lorsqu'ils sont pris en charge dans les conditions de soins habituelles.
 
De nombreuses études ont montré que la façon dont un antidépresseur est utilisé est plus importante pour le résultat du traitement que l'antidépresseur sélectionné (4).
 
Les auteurs de l'analyse parue dans EOP recommandent cependant de privilégier les antidépresseurs paraissant  les mieux tolérés à cet âge (en termes d'effets secondaires et d'interactions médicamenteuses).

Concrètement, ils préconisent d'utiliser en première ligne un inhibiteur de la recapture de la sérotonine (ISRS) : la sertraline (ZOLOFT et génériques) ou l'escitalopram (SEROPLEX et génériques).

En cas d'intolérance aux ISRS,
ils conseillent le bupropion (ZYBAN, commercialisé en France uniquement pour le servage tabagique).
 
Un changement de molécule  peut se faire en l'absence de réponse significative, mais seulement après environ 4 semaines à une dose thérapeutique, c'est-à-dire après 6 à 8 semaines de traitement.  
 
Chez les personnes âgées n'ayant pas répondu à un ISRS en première ligne, les auteurs recommandent de passer à la duloxétine (CYMBALTA et génériques) ou à la venlafaxine (EFFEXOR et génériques), avec le bupropion, la mirtazapine (NORSET et génériques) ou la nortriptyline (NORTRILEN) comme alternatives en cas d'intolérance.  

Peu de données sur les nouvelles approches, ce qui complique la définition de leur place dans la stratégie thérapeutique
Très peu de publications récentes sont pertinentes pour l'utilisation des nouveaux antidépresseurs chez les personnes âgées.
 
Ainsi, il n'existe pas de données publiées dans cette indication sur la vilazodone, le lévomilnacipran, la kétamine (indications anesthésiques ou obstétricales seulement en France) ou le brexpiprazole.
 
Un seul essai clinique randomisé (5) a montré un taux de rémission plus élevé avec la vortioxétine (BRINTELLIX) qu'avec le placebo avec une tolérance comparable, et une amélioration de deux tests cognitifs.
 
De même, un seul essai récent (6) a montré des résultats similaires avec un neuroleptique, la quétiapine (XEROQUEL) en monothérapie.
 
Deux essais cliniques randomisés (7,8) publiés récemment montrent les intérêts potentiels à d'adjoindre ou de l'aripiprazole (ABILIFY et génériques), ou du méthylphénidate (RITALINE et dérivés) dans cette indication.
 
Quant aux auteurs de la revue du JAMA, ils rajoutent que le lithium (TERALITHE) peut aussi être utilisé, avec augmentation de sa posologie si besoin (9).

L'électroconvulsivothérapie (anciennement appelée sismothérapie, ou électrochocs) semble également efficace, voire très efficace (60 à 80 % de réussite) chez les patients non répondeurs aux autres traitements, ou qui présentent des contre-indications aux médicaments.
 
D'après ces résultats, les auteurs de l'analyse d'EOP recommandent aux cliniciens de favoriser la monothérapie de par son utilisation plus simple, mais aussi plus sûre et moins coûteuse. L'augmentation de posologie de l'antidépresseur doit se faire lorsqu'il existe un risque d'aggravation.

Que faire en cas de fragilité, de multiples comorbidités, traitements ?
La fragilité (ou sarcopénie, voir notre article) de certains seniors augmente les risques de dépendance ou de décès en cas d'exposition à un "stress", chimique ou non.

De même, la présence de comorbidités peut gêner l'efficacité thérapeutique.

Prescrire des antidépresseurs chez ces personnes fragilisées ou présentant plusieurs pathologies augmente les risques et la sévérité d'interactions médicamenteuses et d'effets indésirables.
 
S'ils sont bien tolérés, les antidépresseurs peuvent, à l'inverse, améliorer un déclin cognitif associé (qui était majoré par la dépression).
 
Les interventions psychothérapeutiques (thérapie cognitivo-comportementales, musicothérapie) et éducatives (sensibilisation des proches) peuvent être bénéfiques chez les patients fragilisés.
 
Combien de temps continuer l'antidépresseur ou autre traitement, médicamenteux ou non ?
Les auteurs de la revue publiée dans le JAMA s'appuient sur une méta-analyse de 8 essais cliniques randomisés (10) pour  souligner l'importance de continuer le traitement (antidépresseur ou psychothérapie) après la rémission des symptômes dépressifs.
 
Ils estiment, malgré le peu de données disponibles, qu'il faut continuer le traitement pendant au moins 1 an après la rémission, 2 ans si deuxième épisode dépressif majeur, et 3 ans si troisième ou plus.

Cette prescription prolongée doit se faire bien sûr en tenant compte du vécu individuel du patient, de la sévérité des épisodes, du nombre de traitements nécessaires pour obtenir une rémission et de la présence, ou non, de facteurs de risque.
 
En conclusion : il faut traiter la dépression des personnes âgées !
La dépression des personnes âgées nécessite d'être tout d'abord diagnostiquée, donc recherchée, puis d'être traitée sur le même modèle que la dépression des moins âgés, par étapes (sauf pour les patients fragiles ou atteints de multiples comorbidités).
 
De plus amples études traitant de l'efficacité relative, de la tolérance et de la sécurité des médicaments psychotropes sont nécessaires pour affiner la stratégie thérapeutique.
 
Jusqu'à ce que l'efficacité et la sécurité des nouveaux agents soient mieux établies chez les personnes âgées, une utilisation progressive des antidépresseurs, neuroleptiques ou autres approches évoquées ci-dessus doit être favorisée, avec une durée de prise adaptée pour éviter les risques de rechute ou de passage à la chronicité.

Claire Lewandowski et Jean-Philippe Rivière
 
En savoir plus :
 
La revue parue dans le JAMA
Kok RM, Reynolds CF III, "Management of Depression in Older Adults : a Review", JAMA. 2017 May 23;317(20):2114-2122
 
L'analyse parue dans Expert Opinion on Pharmacotherapy
Patel K, Abdool PS, Rajji TK, Mulsant BH Pharmacotherapy of major depression in late life: what is the role of new agents?” Expert Opin Pharmacother. 2017 Apr;18(6):599-609.
 
Autres études citées dans ces deux revues et mentionnées dans cet article :
  1. Beekman AT, Copeland JR, Prince MJ. Review of community prevalence of depression in later life. Br J Psychiatry. 1999;174:307-311.
  2. Vink D, Aartsen MJ, Schoevers RA. Risk factors for anxiety and depression in the older: a review. J Affect Disord. 2008;106(1-2):29-44.
  3.  Djernes JK. Prevalence and predictors of depression in populations of elderly: a review. Acta Psychiatr Scand. 2006;113(5):372-387.
  4. Mulsant BH, Blumberger DM, Ismail Z, et al. “A systematic approach to pharmacotherapy for geriatric major depression.” Clin Geriatr Med 2014; 30(3):517-34.
  5. Katona C, Hansen T, Olsen CK. “A randomized, double-blind, placebo-controlled, duloxetine referenced, fixed-dose study comparing the efficacy and safety of Lu AA21004 in elderly patients with major depressive disorder.” Int Clin Psychopharmacol 2012;27(4):215-23.
  1. Katila H, Mezhebovsky I, Mulroy A, et al. “Randomized, double-blind study of the efficacy and tolerability of extended release quetiapine fumarate(quetiapine XR) monotherapy in elderly patients with major depressive disorder.” Am J Geriatr Psychiatry 2013;21(8):769-84.
  1. Steffens DC, Nelson JC, Eudicone JM, et al. “Efficacy and safety of adjunctive aripiprazole in major depressive disorder in older patients: a pooled subpopulation analysis.” Int J Geriatr Psychiatry 2011;26(6):564-72
  1. Lavretsky H, Reinlieb M, St Cyr N, et al. “Citalopram, methylphenidate, or their combination in geriatric depression: a randomized, double-blind, placebo-controlled trial.Am J Psychiatry 2015;172(6):561-9
  1. Cooper C, Katona C, Lyketsos K, et al. A systematic review of treatments for refractory depression in older people. Am J Psychiatry. 2011;168(7):681-688.
  1. Kok RM, Heeren TJ, NolenWA. Continuing treatment of depression in the elderly: a systematic review and meta-analysis of double-blinded ,randomized controlled trials with antidepressants. ,Am J Geriatr Psychiatry. 2011;19(3):249-255.
 
Sur VIDAL.fr
VIDAL Reco "Dépression"
Deux questions pour un dépistage rapide et efficace de la dépression chez les personnes âgées (mars 2017)
Vieillissement : l'Académie de Médecine recommande de dépister la "pré-fragilité" dès 50 ans (mai 2014)
Sources

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