
La prise quotidienne d'aspirine à faible dose en prévention secondaire après 75 ans est associée à une forte augmentation du risque de saignement (illustration)..
Traitement antiplaquettaire après un accident vasculaire ischémique : des risques hémorragiques mal évalués chez les patients âgés
En Europe et aux États-Unis, on estime que 40 à 66 % des personnes de plus de 75 ans reçoivent un traitement antiplaquettaire quotidien, la moitié d'entre eux à la suite d'un accident vasculaire ischémique (accident ischémique transitoire, accident vasculaire cérébral ou infarctus du myocarde), afin de réduire le risque de survenue d'un nouvel événement cardiovascvulaire (prévention seocndaire).
Les autres indications sont le risque cardiovasculaire élevé (SCORE > 5 %) sur 10 ans (prévention primaire), la pose d'un stent, l'artériopathie sévère ou encore la survenue d'un syndrome coronarien aigu (prévention secondaire).
Dans la très vaste majorité des cas, l'aspirine à faible dose est prescrite en traitement au long cours, souvent chez des personnes d'âge mûr.
Or les études cliniques qui ont mené à l'usage de l'aspirine à faible dose en prévention secondaire ont inclus une minorité de patients âgés de plus de 75 ans et, selon les auteurs de l'étude publiée dans The Lancet, le risque de saignements graves ou fatals, en particulier gastro-intestinaux, est probablement sous-estimé dans cette population.
Une cohorte prospective de plus de 3 000 patients, dont la moitié avaient plus de 75 ans, suivie sur une dizaine d'années
Pour tenter d'en savoir plus sur l'évolution du risque de saignement avec l'âge, des chercheurs britanniques affiliés à la Oxford Vascular Study (OXVASC) ont suivi 3 166 patients (étude prospective et non randomisée).
Ils prenaient tous un traitement antiagrégant plaquettaire quotidiennement, essentiellement (95 %) de l'aspirine à faible dose (75 mg par jour, gastrorésistant, moins de 3 % de patients sous anticoagulants) prescrite à la suite d'un accident vasculaire ischémique (65 % à la suite d'un événement cérébral, 35 % à la suite d'un infarctus du myocarde).
La moitié d'entre eux étaient âgés de plus de 75 ans, et 18 % de plus de 85 ans.
Par ailleurs, 24 % d'entre eux étaient traités par inhibiteurs de la pompe à protons (IPP).
Leur risque de saignement a été comparé au risque moyen rapporté dans les essais cliniques sous aspirine à faible dose en prévention secondaire (réalisés avec des gens de moins de 75 ans).
Relevé des épisodes de saignements, qui étaient le plus souvent gastro-intestinaux
Dans cette population, les auteurs de l'article de The Lancet ont identifié les consultations et hospitalisations pour saignements, mineurs ou majeurs, et les conséquences de ces saignements.
Au cours des 13 509 années-patients de l'étude, 405 consultations pour saignements ont été enregistrées, dont 96 % chez des patients recevant simultanément un traitement antiplaquettaire.
Environ 40 % des ces saignements étaient gastro-intestinaux, 11 % crâniens (essentiellement chez des patients ayant subi un AVC).
Un risque de saignement grave, en particulier gastro-intestinaux, nettement plus élevé après 75 ans
L'étude du risque de saignement en fonction de l'âge ne révèle pas de différence de risque avec les résultats des essais cliniques avant 75 ans.
Mais elle montre, chez les patients âgés de plus de 75 ans recevant un traitement antiplaquettaire, un risque de saignement grave 3 fois plus élevé par rapport au risque moyen des essais cliniques, et 5 fois plus élevé pour les saignements ayant entraîné le décès.
De plus, après 75 ans, les saignements gastro-intestinaux représentent 50 % des saignements et le risque de les voir apparaître est multiplié par 10.
Dans l'étude, 45 décès par saignement gastro-intestinal ont été observés chez les plus de 75 ans (18 décès par saignement intracrânien).

Distribution par âge de la sévérité des saignements nécessitant une intervention médicale, et des séquelles pouvant être liées à ces saignements.
Les IPP sont efficaces pour diminuer le risque de saignement gastro-intestinal
Dans les études portant sur l'efficacité des IPP chez les patients traités par aspirine à la suite d'un accident vasculaire ischémique, le risque de saignement gastro-intestinal est réduit de 70 à 90 % par la prescription d'un IPP (voir par exemple, Mo, C et al. 2015).
Néanmoins, leur prescription au long cours, en associaiton au traitement antiplaquettaire n'est pas systématique du fait de leurs effets indésirables possibles, en particulier rénaux, et du faible risque global de saignement.
Sur cette base, les auteurs de l'article de The Lancet ont calculé le nombre de patients à traiter sur 5 ans pour prévenir un épisode de saignement grave ou mortel. Ce nombre, estimé à 338 avant l'âge de 65 ans, se réduit à 25 pour les patients âgés de plus de 85 ans.
Préserver l'intérêt de l'aspirine à faible dose en prévention secondaire en lui associant un IPP après 75 ans
L'intérêt de l'aspirine à faible dose en prévention secondaire a été largement démontré. Elle permet une diminution des récidives ou de la survenue d'un nouvel événement cardiovasculaire.
Mais aux yeux des auteurs de l'étude, la proportion élevée (50 %) de saignements gastro-intestinaux après 75 ans et l'efficacité préventive des IPP justifient la co-prescription aspirine à faible dose - IPP chez les patients les plus âgés, en dépit des éventuels effets indésirables de cette famille médicamenteuse, en particulier au niveau de la fonction rénale (souvent altérée chez les personnes âgées).
En conclusion : face à une prescription préventive fréquente et une possible réponse médicamenteuse au risque de saignement soulevé, une étude randomisée paraît nécessaire
Cette étude confirme donc un risque de saignement largement augmenté après 75 ans, en particulier au niveau de la muqueuse gastrique, en cas de prise d'aspirine au long cours en prévention secondaire cardiovasculaire.
Le bénéfice de cette prévention secondaire étant démontré, ne faudrait-il pas, via une étude randomisée avec plusieurs groupes (aspirine à faible dose seul, aspirine + IPP) et multicentrique, confirmer, ou infirmer, l'hypothèse des auteurs sur le bénéfice d'une co-prescription d'IPP ?
Seule une telle étude pourrait permettre d'affirmer avec certitude : "oui,il faut associer un IPP à la prescription d'aspirine à faible dose en prévention secondaire cardiovasculaire".
En savoir plus
L'article de The Lancet sur l'effet de l'âge sur le risque de saignement chez les patients traités par aspirine à faible dose
Li L. et al, Oxford Vascular Study. « Age-specific risks, severity, time course, and outcome of bleeding on long-term antiplatelet treatment after vascular events: a population-based cohort study. » Lancet. 2017 Jun 13. S0140-6736(17)30770-5.
Une présentation de la Oxford Vascular Study
Un article sur l'efficacité des IPP dans la prévention des saignements gastro-intestinaux sous aspirine à faible dose
Mo, C et al. « Proton pump inhibitors in prevention of low-dose aspirin-associated upper gastrointestinal injuries. » World J Gastroenterol. 2015; 21: 5382–5392
Sources
Pour recevoir gratuitement toute l’actualité par mail Je m'abonne !
Commentaires
Cliquez ici pour revenir à l'accueil.