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Les troubles psychiatriques influencent-ils l’efficacité et la tolérance des médicaments du sevrage tabagique ?

Les médicaments indiqués pour tenter d’aider au sevrage tabagique, en association à un soutien psychologique, sont tout d’abord les substituts nicotiniques. En cas d’échec, la varénicline ou le bupropion peuvent être prescrits, mais la HAS recommande actuellement de les utiliser en dernière intention, en raison d’un surrisque d’effets secondaires, en particulier neuropsychiatriques, par rapport aux substituts (voir VIDAL Reco "Sevrage tabagique").. Quant à la cigarette électronique, son utilisation dans le sevrage tabagique n’est pas encore reconnue en France.
 
Qu’en est-il de la stratégie thérapeutique chez les patients fumeurs atteints de troubles psychiatriques ? Afin d’en savoir plus, Robert Anthenelli et coll. ont comparé le rapport bénéfices - risques de la varénicline et du bupropion avec des patchs à la nicotine et un placebo chez 8 144 fumeurs, présentant ou non des troubles psychiatriques.
 
Cet essai clinique randomisé, contrôlé en double aveugle réalisé dans 140 centres de 16 pays a été financé par Pfizer et GSK, qui fabriquent respectivement la varénicline et le bupropion.
 
Les résultats, publiés dans The Lancet en juin 2016, montrent une 
augmentation significative des effets secondaires neuropsychiatriques chez les patients présentant des troubles psychiatriques stables, par rapport aux patients ne présentant pas de tels troubles (6 % en moyenne au lieu de 2 %).

Néanmoins, selon les auteurs, 
cette hausse ne contre-indique pas leur utilisation dans cette situation en raison de la dangerosité avérée du tabac. 

En terme d'efficacité, les résultats confirment les résultats d’études précédentes chez les patients sans trouble psychiatrique, avec une efficacité légèrement supérieure de la varénicline par rapport au bupropion et aux patchs, que les patients présentent ou non des troubles psychiatriques, ce qui n’était pas connu jusqu’ici et est plutôt positif. 
 
Les auteurs estiment donc que cette étude rassure à la fois sur l’efficacité et la tolérance de ces 3 solutions médicamenteuses, que le patient ait ou non des troubles psychiatriques avérés.

Elle nécessite néanmoins une confirmation par des essais comportant davantage de participants et avec un suivi plus prolongé.
Claire Lewandowski 28 octobre 2016 02 novembre 2016 Image d'une montre9 minutes icon Ajouter un commentaire
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Le sevrage tabagique est un objectif de santé publique majeur (illustration).

Le sevrage tabagique est un objectif de santé publique majeur (illustration).


Réévaluation demandée de la tolérance de la varéniciline et du bupropion en raison d'inquiétudes sur de possibles effets secondaires neuropsychiatriques
De nombreux rapports de pharmacovigilance européens et américains, entres autres, ont soulevé des inquiétudes quant à l'apparition possible d'effets indésirables neuropsychiatriques avec la varénicline et le bupropion utilisés dans le servage tabagique (Cochrane 2013).
 
Suite à ces mises en garde reprises par de nombreux pays, dont la France, la prescription de médicaments dans l'aide au servage tabagique a fortement chuté. Or, selon les auteurs, cette réticence des médecins à prescrire ces médicaments de sevrage pourrait exposer de nombreux fumeurs à des risques supplémentaires liés à la dangerosité avérée et majeure du tabagisme.
 
Afin de préciser la tolérance de ces médicaments pour, éventuellement, aider à lever les freins à cette prescription, la FDA a incité les industriels à évaluer ce risque à travers un essai contrôlé et randomisé sur un échantillon de taille suffisante.
 
140 centres, 16 pays, plus de 11 000 fumeurs motivés pour arrêter de fumer, avec ou sans antécédents psychiatriques
Suite aux recommandations de la FDA, les auteurs de cette étude prospective nommée EAGLES ont souhaité réunir un échantillon assez grand pour analyser de façon fiable l'efficacité et le risque d'effets secondaires neuropsychiatriques relatif à la varénicline, au bupropion, au patch de nicotine et au placebo dans une population de fumeurs avec et sans troubles psychiatriques.
 
Les participants ont été recrutés dans 140 centres (centres d'essais cliniques, centres universitaires, et cliniques externes) de 16 pays entre novembre 2011 et janvier 2015. Ils étaient fumeurs (dix cigarettes ou plus par jour, 21 en moyenne, et concentration de monoxyde de carbone expiré supérieure à 10 ppm au moment du dépistage), âgés de 18 à 75 ans, avec et sans diagnostic psychiatrique préétabli par le DSM-IV-TR. De plus, ils étaient tous motivés pour arrêter de fumer et ont fixé la date d'arrêt lors d'un entretien médical.
 
Au total, 11 186 fumeurs (44% d'hommes, âgés en moyenne de 46,5 ans) ont été recrutés, dont 8 144 (73%) ont été assignés au hasard dans la cohorte non-psychiatrique (n = 4028) et dans la cohorte psychiatrique (n = 4116) selon leurs antécédents.

Les fumeurs de la cohorte psychiatrique répondent aux critères du DSM-IV-TR pour des troubles de l'humeur (71 %), de l'anxiété (19 %), des troubles psychotiques (9 %), et des troubles de personnalité limite (<1 %).

Ainsi, 49 % des participants de ce groupe prennent des médicaments psychotropes au départ.
 
Les participants avec des antécédents psychiatriques étaient tous cliniquement stables depuis au moins 6 mois et ne présentent pas de dépendance à l'alcool ou aux drogues depuis un an.
 
Affectations en sous-groupes pour une comparaison de l'efficacité et des effets secondaires en fonction des antécédents et des produits administrés
Cette étude randomisée, contrôlée, trivariée, en double aveugle, contre placebo, a donc comparé, pour la première fois, l'efficacité des patchs de nicotine (21 mg par jour), de la varénicline (1 mg deux fois par jour) et du bupropion (150 mg deux fois par jour) pendant 12 semaines de traitement puis 12 semaines sans traitement dans un échantillon de fumeurs avec et sans troubles psychiatriques.
 
La randomisation a été générée par ordinateur (1 : 1 : 1 : 1) : les participants, les enquêteurs et le personnel de recherche ignoraient les affectations de traitement.
 
La consommation de tabac, les effets secondaires neuropsychiatriques et la mesure du monoxyde de carbone ont été évalués lors des 15 entretiens médicaux et des 11 appels téléphoniques pendant toute la durée de l'étude.
 
Le critère d'évaluation principal était la mesure composite de l'incidence des événements indésirables neuropsychiatriques légers (pas d'interférence avec le fonctionnement habituel), modérés (interférences avec le fonctionnement habituel) ou sévères (entrave substantielle avec le fonctionnement habituel).
 
Le critère secondaire d'efficacité était la présence, ou non,d'une abstinence continue entre la 9ème et la 12ème semaine, vérifiée biologiquement.
 
Tous les participants assignés au hasard ont été inclus dans l'analyse d'efficacité et ceux qui ont reçu le traitement ont été inclus dans l'analyse de sûreté.
 
Résultats : pas d'interactions avec les médicaments psychiatriques
Parmi les participants traités dans la cohorte non-psychiatrique (n = 3 984) et la cohorte psychiatrique (n = 4 074), 3145 (79 %) et 3023 (74 %), respectivement, ont terminé le traitement.
 
Bien que les taux d'abstinence soient plus faibles dans la cohorte psychiatrique, aucune interaction n'a été mise en évidence (p = 0,6237).
 
Critère principal : des effets indésirables neuropsychiatriques retrouvés dans les 4 sous-groupes thérapeutiques indépendamment de la pré-existence, ou non, de troubles psychiatriques
L'incidence globale des effets indésirables neuropsychiatriques est similaire dans les quatre groupes de traitement, sans tenir compte de la présence, ou non, de troubles psychiatriques :
  1. varénicline 4 % (80 des 2 016 participants) ;
  2. bupropion 4,5 % (90 des 2006 participants) ;
  3. patchs de nicotine 3,9 % (78 des 2022 participants) ;
  4. placebo 3,7% (74 des 2014 participants).

Il s'agissait le plus souvent de nausées (25 % des participants sous varénicline, moins avec les autres médicaments), d'insomnie (12 % des personnes sous bupropion, moins avec les autres), de rêves anormaux (12 % des personnes sous patchgs de nicotine, moins avec les autres) et de maux de tête (10 % des personnes sous placebo, moins avec les autres).
 
Chez les patients AVEC des troubles psychiatriques, les auteurs constatent un nombre d'effets indésirables neuropsychiatriques plus élevé
Les auteurs ont ensuite analysé ces résultats en fonction de la présence, ou non, d'un trouble psychiatrique.
 
Globalement, un nombre d'événements indésirables neuropsychiatriques quasiment 3 fois plus élevé a été constaté dans la cohorte psychiatrique (5,8 %, soit 238 des 4 074 participants) que dans la cohorte non-psychiatrique (2,1%, soit 84 des 3984 participants ; p < 0,0001 pour l'effet de cohorte).
 
Dans cette cohorte psychiatrique, les événements indésirables neuropsychiatriques modérés à sévères ont été rapportés par :
- 6,5 % (67 des 1 026 participants) du groupe varénicline ;
- 6,7 % (68 des 1 017 participants) du groupe bupropion ;
- 5,2 % (53 des 1 016 participants) du groupe patch de nicotine ;
- et 4,9 % (50 des 1015 participants) du groupe placebo.
 
Dans cette cohorte, la prise de varénicline ou de bupropion est donc associée à un léger surrisque d'effets indésirables neuropsychiatriques par rapport au placebo, non significatif statistiquement.
 
Dans la cohorte SANS trouble psychiatrique, moins d'effets indésirables retrouvés dans le sous-groupe "varénicline"
Dans la cohorte non psychiatrique, des évènements indésirables neuropsychiatriques modérés à sévères ont été rapportés par :
- 1,3 % (soit 13 des 990 participants) du groupe varénicline ;
-  2,2 % (soit 22 des 989 participants) du groupe bupropion ;
-  2,5 % (soit 25 des 1 006 participants) du groupe patchs de nicotine ;
- et 2,4 % (soit 25 des 999 participants) du groupe placebo.
 
Les personnes sans troubles psychiatriques se plaignaient donc de significativement moins d'effets indésirables dans le groupe "varénicline" par rapport aux 3 autres approches (bupropion, patchs de nicotine ou placebo).
 
Notons que ce résultat diffère des études précédentes, voir par exemple notre article sur l'étude randomisée parue dans le JAMA en avril 2016. Les auteurs évoquent d'ailleurs cette étude dans leur analyse, en émetttant l'hypothèse que ces résultats discordants sont liés au plus faible échantillon et à la méthodologie (pas de double aveugle, évaluation par entretiens) de l'étude publiée dans le JAMA.
 

La varénicline s'avère plus efficace que les 3 autres traitements
En considérant les 2 cohortes regroupées, la varénicline a montré une efficacité significativement supérieure aux autres produits testés, avec en moyenne :
33,5 % des patients sous varénicline abstinents entre la 9e et la 12e semaine de traitement ; 
23,4 % pour les patchs à la nicotine ; 
22,6 % pour les patients sous bupropion ;
12,5 % en cas de prise d'un placebo (p < 0,0001 pour les 3 produits par rapport au placebo).
 
Notons que ces abstinences diminuent d'environ 1 tiers lorsque l'analyse est poussée à la 24e semaine (sachant que les médicaments et placebo ont été arrêtés à la 12e semaine), mais les médicaments sont associés à une abstinence toujours significativement prolongée par rapport au placebo ;



Cette efficacité s'avère comparable chez les patients avec ou sans pathologie psychiatrique stable
En comparant les groupes en fonction des troubles psychiatriques, les auteurs constatent une efficacité légèrement moindre dans le groupe présentant de tels troubles, néanmoins la prise d'un des 3 produits actifs est, là aussi, associée à une augmentation significative de l'abstinence par rapport à la prise d'un placebo. 

Notons aussi que l'efficacité d'un tel traitement se juge sur des durées plus prolongées, cette étude étant avant tout une étude de tolérance à court terme. 
 
Plusieurs biais à prendre en compte
Tout d'abord, les patients présentaient un trouble psychiatrique stable ou en rémission. Ces résultats plutôt rassurants sur le rapport bénéfices – risques des médicaments du sevrage tabagique dans cette situation sont donc à relativiser, d'autant que seuls 4 troubles ont été pris en compte. De même, les patients présentant d'autres dépendances (alcool, héroïne, etc.) ou idées suicidiaires ont été écartés de l'analyse.
 
Par ailleurs, les sous-groupes étaient relativement petits (en considérant qu'ils venaient de plusieurs centres) et pas tous de la même taille, ce qui pourrait avoir empêché la détection d' "évènements rares", comme un suicide suivi d'un décès.
 
Enfin, cette étude a été réalisée chez de personnes modérément ou fortement dépendantes à la nicotine (au moins 10 cigarettes par jour), ce qui exclut les personnes légèrement dépendantes à cette substance très addictive.
 
En conclusion : pour la première fois, un intérêt des médicaments du sevrage mis en évidence chez des patients présentant des troubles psychiatriques
Malgré toutes ces limites, auxquelles il faut rajouter que GSK et Pfizer ont élaboré le protocole de l'étude et assuré son financement, les auteurs, qui ont eu accès à toutes les données, estiment que cette étude fournit la première preuve via un essai en double aveugle de l'efficacité comparative entre les trois principaux traitements pharmacologiques pour faciliter le sevrage tabagique.
 
Cette étude montre d'abord que si les médicaments testés entraînent davantage d'effets indésirables neuropsychiatriques chez les patients présentant déjà un trouble psychiatrique avéré, cette augmentation n'est pas suffisante pour leur déconseiller de tels traitements, toujours selon les auteurs. Bien sûr, ces résultats sont limités à une population de fumeurs atteint d'un trouble psychiatrique stabilisé depuis plusieurs mois.
 
Les auteurs constatent aussi que la varénicline s'avère plus efficace que le placebo, le patch de nicotine et le bupropion pour aider à arrêter de fumer, ce qui confirme les résultats de la littérature. Le bupropion et le patch de nicotine ont une efficacité similaire et sont plus efficaces que le placebo. Et surtout, l'efficacité des médicaments est similaire chez tous les fumeurs, avec ou sans troubles psychiatriques, ce qui n'avait auparavant jamais été montré.
 
Néanmoins de nouvelles études sont donc nécessaires pour vérifier et compléter ces résultats dans une population non traitée et instable. De même en ce qui concerne la durée de l'étude et la sévérité du tabagisme, pour évaluer l'efficacité et l'apparition d'effets indésirables neuropsychiatriques à long terme et chez les petits fumeurs.
 
En attendant, les recommandations actuelles restent bien sûr en vigueur pour cette misson difficile : aider au sevrage tabagique.
 
En savoir plus :
 
L'étude objet de cet article :
Anthenelli RM, Benowitz NL, West R, St Aubin L, McRae T, Lawrence D, Ascher J, Russ C, Krishen A, Evins AE. « Neuropsychiatric safety and efficacy of varenicline, bupropion, and nicotine patch in smokers with and without psychiatric disorders (EAGLES): a double-blind, randomised, placebo-controlled clinical trial. » Lancet. 18 juin 2016 ; 387 (10037) : 2507-20.
 
La revue Cochrane 2013 :
Cahill K, Stevens S, Perera R, Lancaster T. « Pharmacological interventions for smoking cessation: an overview and network meta-analysis. » Cochrane Database Syst Rev 2013 ; 5 : CD009329.
 
L'étude JAMA 2016 :
Timothy B. Baker, Megan E. Piper, James H. Stein et al. “Effects of Nicotine Patch vs Varenicline vs Combination Nicotine Replacement Therapy on Smoking Cessation at 26 Weeks - A Randomized Clinical Trial”, JAMA, 26 janvier 2016


Sur VIDAL.fr : 
VIDAL Reco "Sevrage tabagique"
Sevrage tabagique : comparaison randomisée de 3 approches (patchs, patchs + gommes, varénicline) (avril 2016)
Lutte contre le tabagisme : conditions et calendrier d'application du paquet neutre (mars 2016)
Sevrage tabagique : pas de sur-risque de suicide associé à la prise de varénicline (CHAMPIX), selon une vaste méta-analyse (mars 2015)
Sources

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