#Santé publique

Campagne publicitaire de "Vin et Société" : la HAS dénonce une instrumentalisation de ses recommandations

La HAS (Haute Autorité de santé) a vivement réagi suite à une campagne publicitaire orchestrée par l'association "Vin et Société" (représentant les 500 000 acteurs de la vigne et du vin) et diffusée largement dans les médias grand public.

Présentée comme une campagne à visée informative, cette publicité, destinée à soutenir la filière viticole, mentionne des "repères pour une consommation raisonnable d'alcool".

Or ce que Vin et Société appelle "
repères pour une consommation raisonnable", acceptable, correspond en réalité à des seuils de consommation à risque pour lesquels une prise en charge médicale devient nécessaire, souligne la HAS dans un communiqué de presse : "Il ne s’agit en aucune façon de dire qu’en dessous de ces seuils, la consommation serait normale, recommandée ou exempte de risque". 

La HAS et la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA) "mettent donc en garde contre une campagne publicitaire qui instrumentalise les messages professionnels". 

L'ANPAA (Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie) a également fait part de son indignation vis-à-vis de cette campagne, qu'elle considère comme "un premier bras d'honneur du lobby de l'alcool à tous les défenseurs de la santé"

Rappelons que cette campagne intervient alors qu'une majorité de députés ont entériné fin novembre, contre l'avis du gouvernement, l'assouplissement de la Loi Evin sur la publicité pour l'alcool, dans le cadre de la loi de santé portée par Marisol Touraine.
David Paitraud 09 décembre 2015 Image d'une montre5 minutes icon Ajouter un commentaire
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Vue partielle de la publicité de

Vue partielle de la publicité de "Vin et société". La partie incriminée par la HAS est entourée en rouge.


Une campagne publicitaire "pour faire connaître les repères définis par les autorités de santé", selon ses promoteurs
La campagne publicitaire visée par la HAS et les professionnels de l'addictologie a été élaborée et diffusée par "Vin et Société", association de mise en valeur de la filière viticole française.

Présentée comme une campagne d'information nationale sur les repères de consommation, cette dernière est diffusée en presse écrite, nationale et régionale, et sur internet, sur les sites d'information généralistes ou consacrés à la gastronomie, et les réseaux sociaux. 

"Son ambition est de faire connaître les repères de consommation définis par les autorités de santé que 9 Français sur 10 ignorent. Ils sont pourtant utiles puisqu'ils donnent un cadre très clair à la notion de modération ainsi qu'une définition de la consommation excessive", explique "Vin et Société" dans le communiqué accompagnant le lancement de cette campagne

Concrètement, à travers 4 illustrations, Vin et Société met en avant les repères de consommation suivants, "2.3.4.0", "pour une consommation responsable" :
  • 2 verres maximum par jour pour les femmes
  • 3 verres maximum par jour pour les hommes
  • 4 verres maximum en une seule occasion
  • 0 verres au moins 1 jour par semaine

Mais la HAS rappelle que ces "repères pour une consommation responsable" sont en fait des "seuils d'alerte", au-dessus desquels une prise en charge est nécessaire
Ces valeurs sont effectivement, comme le signale "Vin et société" sur son site, issues des recommandations de la HAS, et plus précisément d'un Outil d'aide au repérage précoce et intervention brève : alcool, cannabis tabac chez l'adulte, validé en 2014 et destiné aux professionnels de santé dans le cadre de la lutte contre les dangers de l'alcool.

Mais, contrairement à ce que présente Vin et Société, ces valeurs ne sont pas des "repères" mais des "seuils de consommation" au-dessus desquels une intervention médicale est recommandée : "les seuils mis en avant par la HAS sont des seuils d'alerte, au-dessus desquels les risques sont avérés : dommages physiques (complications hépatiques, cardiovasculaires et neuropsychiatriques, cancers), psychiques ou sociaux", rétablit la HAS qui ajoute "qu'il ne s'agit pas de dire qu'en dessous de ces seuils, la consommation serait normale, recommandée ou exempte de risque"

La HAS et la MILDECA mettent en garde contre une campagne de promotion potentiellement "préjudiciable pour la santé publique"
Ce détournement fait craindre à la HAS une interprétation abusive par le grand public : "la campagne publicitaire de Vin et Société transforme des seuils de consommation à risque nécessitant une prise en charge médicale en repères pour une consommation acceptable d'alcool"

Outre cette assimilation erronée, la HAS exprime ses préoccupations quant à l'impact de cette campagne publicitaire sur les populations à risque (jeunes de moins de 25 ans, femmes enceintes, personnes atteintes de maladies chroniques, ls personnes âgées ou personnes prenant un traitement médical), pour lesquelles les seuils sont plus bas. 

La HAS et la MILDECA (Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives) mettent donc en garde contre une campagne publicitaire "qui instrumentalise des messages professionnels"et soulignent que "toute action de promotion qui, d'une manière ou d'une autre, tend à légitimer la consommation d'alcool ne peut être que préjudiciable à la santé publique".

Pour l'ANPAA, cette campagne démontre la puissance du lobby du vin et constitue "un premier bras d'honneur à tous les défenseurs de la santé" après le vote de l'assouplissement de la loi Evin
Outre les conséquences sanitaires de cette campagne déplorées par la HAS, l'ANPAA (Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie) dénonce "une puissance de feu publicitaire du lobby du vin", faisant notamment remarquer le coût de cette campagne de publicité, et considère cette démarche comme un "premier bras d'honneur à tous les défenseurs de la santé".

Plus généralement, l'association, qui mène une action de prévention et d'accompagnement pour l'ensemble des addictions, s'inquiète des conséquences de l'assouplissement de la loi Evin en matière de publicité pour l'alcool.

Assouplissement de la loi Evin : vers un "déferlement" de publicités pour l'alcool ? 
Pour mémoire, cet assouplissement, qui avait été retoqué de la loi Macron par le Conseil Constitutionnel en août 2015 (voir notre article), a été réintroduit dans la loi de santé par les sénateurs, via cet amendement. Puis cet amendement, devenu article 4 ter, a été maintenu dans le texte le 24 novembre 2015 par une majorité de députés, contre l'avis du gouvernement et après une longue discussion à l'Assemblée Nationale (voir sur ce lien le transcript des débats ayant abouti à ce vote).

Alors que cette loi de santé devrait être définitivement adoptée d'ici la fin de l'année, et donc cet assouplissement entériné, l'ANPAA estime que cette première campagne de communication de Vin et Société "annonce avec fracas ce qui nous attend comme déferlement publicitaire pour inciter les Français à consommer de l'alcool".

Pour aller plus loin
Une campagne publicitaire détourne un outil médical de lutte contre les dangers de l'alcool, HAS, 8 décembre 2015
Outil d'aide au repérage précoce et à l' intervention brève : ALCOOL, CANNABIS, TABAC CHEZ L'ADULTE, HAS, novembre 2014, mise en ligne le 8 janvier 2015
Vin et Société lance sa première campagne d'information nationale grand public sur les repères de consommation "2.3.4.0"Vin et Société, 3 décembre 2015
Une campagne publicitaire déraisonnable, ANPAA, 9 décembre 2015
Amendement à la loi de santé visant à l'assouplissement de la loi Evin, adopté au Sénat puis maintenu par les députés, septembre 2015

Projet de Loi de modernisation de notre système de santé (version adoptée en nouvelle lecture par l'Assemblée nationale le 1er décembre 2015)

Sur VIDAL.fr 
VIDAL Recos : 
Alcool : prise en charge du mésusage
Alcool : sevrage
Cirrhose

Actualités : 
Prothèses auditives, lunettes, alcool et hôpitaux : ce que change la loi Macron (juillet 2015, mis à jour en août après la décision du Conseil Constitutionnel)
Alcool et médicaments : une vaste étude souligne l'importance d'une meilleure évaluation du risque d'interactions (mai 2015)
Les bienfaits cardiovasculaires d'une consommation modérée d'alcool à nouveau remis en cause (juillet 2014)
"Neknomination" : le ministère de la santé rappelle les dangers de l'alcoolisation rapide et massive (février 2014)
 

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