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Etude (USA) : la coprescription d’opiacés et de cannabis augmente-t-elle la consommation de substances psychoactives ?

Le cannabis est  autorisé à la prescription depuis 1996 en Californie. Depuis, 22 autres Etats américains l'ont autorisé, ainsi que plusieurs pays occidentaux et sud-américains. Ces autorisations permettent donc de commencer à effectuer des études cliniques sur son efficacité et sa tolérance en fonction des indications, profils de patients, co-prescriptions, etc.

Les interrogations sur cette prescription encore particulière (cannabis non standardisé notamment) concernent le rapport bénéfices-risques du cannabis lui-même et l'éventuel impact de son utilisation avec d'autres médicaments psychoactifs et/ou à risque de dépendance. 

Dans le cadre américain, Brian Perron et coll. ont ainsi effectué une étude auprès de 273 patients traités par cannabis à visée antalgique afin d'évaluer si la co-prescription d'antalgiques opiacés augmentait le risque de consommation d'autres substances psychoactives. 


Les résultats de cette première étude du genre, publiée en mai 2015, montrent l’absence d’effets aggravants de cette co-prescription sur la consommation de boissons alcoolisées et autres substances psychoactives, par rapport à la prescription de cannabis seul.

Des résultats encourageants dans le contexte compliqué de la prise en charge des douleurs chroniques importantes et de la possible dépendance aux opiacés, mais à préciser et confirmer par de nouvelles études, concluent les auteurs. 
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Aux-Etats-Unis, le cannabis médical est vendu sous forme naturelle (fleurs ensuite fumées, vaporisées ou cuisinées par l'utilisateur), mais aussi sous forme de sodas, de chocolat, de patchs, etc. (illustration).

Aux-Etats-Unis, le cannabis médical est vendu sous forme naturelle (fleurs ensuite fumées, vaporisées ou cuisinées par l'utilisateur), mais aussi sous forme de sodas, de chocolat, de patchs, etc. (illustration).


De plus en plus souvent, l'usage médical du cannabis est évoqué comme une alternative aux antalgiques opiacés ou comme un adjuvant pour en augmenter l'efficacité ou diminuer le risque d'usage excessif, "problématique" (Lucas, 2012). Mais cette prescription ou co-prescription de susbstances psychoactives ne risque-t-elle pas aussi d'augmenter le risque de comportements addictifs ? 
 
Plusieurs études antérieures contradictoires : une possible augmentation des comportements addictifs d'un côté...
Plusieurs études déjà menées sur ce thème ont donné des résultats contradictoires.

Par exemple, une étude rétrospective (Amadeo Pesce et coll, 2010) a montré, en analysant 21 746 échantillons d'urine obtenus à partir de patients souffrant de douleurs chroniques, que la consommation de cannabis étaient associée, chez ces patients, à une plus forte consommation de substances psychoactives illicites (méthamphétamines et cocaïne, risque multiplié par 4). Même si la causalité n'est pas démontrée, les auteurs insistent sur la nécessité de rechercher ces consommations avant de prescrire des opiacés en cas de douleurs chroniques. 

... mais une nette diminution des overdoses mortelles aux opiacés de l'autre
Récemment, Marcus Bachhuber et coll. ont étudié, dans les Etats américains ayant autorisé son usage médical, l'impact de la libéralisation de l'accès au cannabis thérapeutique sur la prévalence des cas de surdosages mortels par antalgiques opiacés.

Leur travail, publié  dans la revue JAMA Internal Medicine en octobre 2014, montre clairement une association, de plus en plus forte chaque année, entre l'accès légal au cannabis thérapeutique et la réduction de ces overdoses mortelles d'opiacés : 24,8 % d'overdoses mortelles en moins en moyenne sur 6 ans ont été constatées dans les 10 Etats ayant légalisé depuis 1999 (par rapport aux Etats ne l'ayant pas fait).  Des résultats qui incitent les auteurs à demander une étude plus approfondie de l'impact de la législation sur le cannabis dans la lutte contre le mésusage des antalgiques opiacés. 
 
Une étude comparative chez 273 patients souffrant de douleurs chroniques sévères
Dans ce contexte, Briann Perron et coll., dans leur étude publiée en mai 2015 dans le Journal of Studies on Alcohol and Drugs, ont donc comparé la consommation d'alcool et de substances psychoactives (cocaïne, sédatifs, amphétamines, etc.) entre des patients sous cannabis prescrit à visée antalgique (l'utilisation de dérivés cannabinoïdes ou de cannabis a montré un intérêt modéré mais significatif dans la gestion de certaines douleurs chroniques, voir notre article) et des patients sous cannabis et antalgiques opiacés prescrits lors des 30 jours précédant leur interrogatoire dans le cadre de l'étude.

Dans la population d'un centre antidouleur du Michigan, Brian Perron et son équipe ont identifié 273 patients souffrant de douleurs chroniques sévères et recevant du cannabis seul (n = 101) ou associé à une prescription d'antalgiques opiacés (n = 172).

Pour chaque patient, la consommation de boissons alcoolisées et de substances psychoactives illicites dans le dernier trimestre écoulé a été relevée.
 
Une consommation d'alcool et de substances psychoactives plus élevée que la moyenne mais identique dans les deux groupes
La première constatation est que l'ensemble des participants à cette étude présentait une consommation plus élevée de boissons alcoolisées et de substances psychoactives que la moyenne observée dans l'ensemble de la population.

Mais aucune différence de consommation, dans un sens ou dans l'autre, n'a pu être mise en évidence entre les deux groupes. 

Cette étude a également mis en évidence que les patients qui reçoivent à la fois cannabis et antalgiques opiacés sont significativement plus âgés et souffrent de douleurs plus sévères. 

Le cannabis perçu comme plus efficace que les opiacés contre la douleur
Les patients de cette étude, interrogés sur leur perception des 2 types de traitements (évaluation par leur degré d'approbation de différentes phrases), expriment une plus grande confiance dans l'efficacité antalgique du cannabis (7,57 / 10 en moyenne) que dans celle des opiacés (5,31 / 10).

Cette différence est "légèrement atténuée chez les utilisateurs d'opiacés" mais reste significative, précisent les auteurs.

Une majorité d'utilisateurs d'opiacés souhaiterait diminuer leur usage de ces produits
Une majorité de patients sous opiacés reconnaît un usage détourné, à visée non antalgique, de ces produits. Ils sont d'ailleurs une majortié à souhaiter "réduire fortement" leur consommation, médicale ou non, de ces médicaments. 

Pour les auteurs, ces résultats croisés avec ceux de Bachhuber et coll. (réduction des overdoses aux opiacés, cf. supra) "suggèrent que le cannabis médical pourrait représenter une alternative plus sûre aux opiacés, mais des recherches supplémentaires sont nécessaires pour éclairer les relations causales sous-jacentes".
 
Une nécessaire amélioration des conditions d'évaluation de l'usage médical du cannabis
Les auteurs soulignent le flou qui persiste sur l'évaluation de la consommation de cannabis médical (les prescriptions américaines de cannabis ne mentionnent pas systématiquement d'indications, doses, posologies précises). Ce flou limite, pour le moment, les possibilités d'études et d'interprétation précises des différents usages (part de l'usage médical et récréatif, quantités prises, tolérance, etc.). Les auteurs appellent donc à de nouvelles études pour développper une évaluation standardisée de l'usage médical du cannabis.

Ils concluent en proposant que soient menées rapidement des études longitudinales afin d'évaluer si l'efficacité antalgique du cannabis et l'absence d'effets aggravants sur la consommation de substances psychoactives en cas de co-prescription avec des opiacés se confirment et persistent dans la durée. 
 
Pour en savoir plus :

L'étude de Brian Perron et coll., objet de cet article :
Perron BE, Bohnert K, Perone AK, Bonn-Miller MO & Ilgen M : Use of Prescription Pain Medications Among Medical Cannabis Patients: Comparisons of Pain Levels, Functioning, and Patterns of Alcohol and Other Drug Use. Journal of Studies on Alcohol and Drugs, 76(3), 406–413 (2015). 
 
Autres études citées dans cet article : 
Lucas P (2012). Cannabis as an adjunct to or substitute for opiates in the treatment of chronic pain. Journal of Psychoactive Drugs, 44, 125–133.

Pesce A, West C, Rosenthal M, West R, Crews B, Mikel C, Horn PS (2010). Marijuana correlates with use of other illicit drugs in a pain patient population. Pain Physician, 13, 283–287.

Bachhuber MA, Saloner B, Cunningham CO & Barry CL (2014). Medical cannabis laws and opioid analgesic overdose mortality in the United States, 1999-2010. JAMA Internal Medicine, 174, 1668–1673.

Sur VIDAL.fr : 

VIDAL Reco : dépendance aux opiacés (traitement de substitution)

Le cannabis thérapeutique bientôt prescrit par les médecins français ? (juin 2013)

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