
Médecine des voyages
Plusieurs foyers épidémiques de diphtérie ont été notifiés fin 2012 - début 2013 dans le Nord du Laos, dont plus de 100 cas dans la province montagneuse de Huaphan. La résurgence de cette maladie évitable par la vaccination était-elle due à une couverture vaccinale insuffisante ou à un manque d'efficacité des vaccins utilisés ?
Pour répondre à cette question, une enquête de terrain a été menée dans deux districts de la province de Huaphan par l'Institut de la Francophonie pour la Médecine Tropicale (IFMT) en collaboration avec Médecins Sans Frontières (MSF) et l'Institut Pasteur du Laos (IPL). L'enquête transversale par échantillonnage en grappes a porté sur 132 enfants âgés de 12 à 59 mois. On a relevé les données socio-démographiques, l'état nutritionnel, les antécédents vaccinaux et un prélèvement de sang veineux a été effectué pour dosage ELISA des IgG anti-diphtériques et anti-tétaniques dans le sérum.
Les taux de couverture vaccinale DTC (diphtérie – tétanos – coqueluche) établis à partir des certificats de vaccination (n = 66) ou, en leur absence, d'après les réponses des parents (n = 66), étaient de 85,6 % pour la première dose, 69,7 % pour la seconde dose, et seulement 59,8 % pour la troisième dose. Ce taux, très inférieur à l'objectif national de 90 %, était beaucoup plus élevé chez les enfants avec certificat de vaccination (83,3 %) que chez les enfants sans certificat de vaccination (36,4 %).
Globalement, 63,6 % des enfants avaient des anticorps détectables contre la diphtérie et 71,2 % contre le tétanos. Les facteurs indépendamment associés à la non-vaccination contre la diphtérie étaient l'éloignement du centre de santé le plus proche (OR 6,35 [IC95 % 1,4-28,8], p = 0,01), l'appartenance à l'ethnie minoritaire Lao Theung (OR 12,2 [IC95 % 1,74-85,4], p = 0,01) et le manque de conseils de vaccination donnés à la naissance (OR 9,8 [IC95 % 1,5-63,8], p = 0,01), alors que le niveau d'éducation de la mère était un facteur de protection (OR 0,08 [IC95 % 0,008-0,81], p = 0,03). La plupart des parents ont avancé leurs difficultés financières comme principale raison de non-vaccination des enfants. Bien que la vaccination soit gratuite, le coût du voyage et de la perte d'une journée de travail représentent un obstacle financier majeur dans une population rurale pauvre.
Sur 55 enfants dont les certificats de vaccination attestaient qu'ils avaient reçu trois doses de vaccin diphtérie-tétanos, 83,6 % avaient des anticorps antidiphtériques et 92,7 % des anticorps antitétaniques. Une mauvaise qualité des vaccins injectés liée aux conditions de stockage ou à des ruptures de la chaîne du froid semble peu probable compte tenu de la grande stabilité des anatoxines diphtérique et tétanique. Il fallait aussi envisager une mauvaise réponse immunitaire des enfants en raison de la forte prévalence des retards de croissance (53 %) et des insuffisances pondérales (25,8 %) dans la population testée, mais les faibles taux d'anticorps anti-diphtérie n'étaient pas corrélés à l'état nutritionnel. On peut enfin s'interroger sur la fiabilité des cartes de vaccination. C'est pourquoi les enquêtes sérologiques sont un complément précieux pour les enquêtes de couverture vaccinale dans les pays à ressources limitées.
Cette étude confirme les résultats d'enquêtes précédentes menées au Laos et plaide pour le renforcement des équipes mobiles dans les zones reculées, une meilleure coordination avec les chefs de village pour atteindre tous les enfants ciblés par le programme national de vaccination, l'amélioration des équipements dans les centres de santé, l'approvisionnement régulier en vaccins et le contrôle de la chaîne du froid. L'éducation pour la santé auprès des minorités ethniques requiert une approche anthropologique pour tenir compte des barrières culturelles à la vaccination. La mise en œuvre de ces recommandations devrait être une priorité dans les provinces les plus reculées du Laos pour éviter la récurrence de flambées d'une maladie mortelle mais évitable par la vaccination.
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